Profil professionnel
Patrice Renaud est professeur régulier de psychologie à l’Université du Québec en Outaouais, professeur associé à l’École des médias de l’UQAM, chercheur titulaire à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal et membre de l’axe vie artificielle et arts robotiques d’Hexagram : Institut de recherche/création en arts et technologies médiatiques. Il codirige le Laboratoire de cyberpsychologie (UQO) et le Laboratoire DEII (UQAM). Ses recherches traitent essentiellement d’ergonomie cognitive appliquée aux nouveaux médias, et notamment aux technologies immersives. En outre, il travaille à développer des utilisations cliniques en santé mentale de ces technologies. Nous l’avons rencontré au colloque MOBILE/IMMOBILISÉ1, Art, technologies et (in)capacités, où il présentait une conférence intitulée « La réhabilitation des processus perceptivo-cognitifs amenée en immersion virtuelle » et qu’il résume ainsi :« Nous avons développé un dispositif de réhabilitation des processus perceptivo-cognitifs fondé sur la poursuite du comportement oculomoteur présenté en immersion virtuelle. Ce dispositif peut être utilisé à des fins de contrôle de l’attention visuelle et de modification comportementale, en situation clinique ou de formation (éducation et entraînement). Nous avons jusqu’à maintenant appliqué ce dernier au diagnostic des troubles sexuels chez des patients au prise avec des paraphilies violentes, de même que chez des arachnophobes. »
L. B. : Patrice Renaud, quel lien voyez-vous entre art, technologie et sexualité déviante?
P. R. : Rien a priori… Sinon que l’art et la technologie sont fort probablement eux aussi des perversions d’instincts animaux.
Comment en êtes-vous arrivé à vous associer avec des chercheurs d’Hexagram, par exemple Michel Fleury, Jean Décarie? Y en a-t-il d’autres?
Je collabore aussi avec Martine Époque du Lartech. J’ai commencé à collaborer avec Jean Décarie il y a 7 ans de cela. Nous partagions le même intérêt pour l’interactivité et le non-sens. Je collabore avec Michel Fleury pour le développement de personnages virtuels que j’utilise dans mes recherches cliniques. Le travail de Michel et de son équipe est remarquable.
Pouvez-vous nous résumer votre projet d’évaluation et de traitement des déviances sexuelles, notamment de la pédophilie? Et quel rapport a-t-il avec l’art?
Nous utilisons des personnages virtuels simulant les propriétés sexuelles requises afin de générer des symptômes comportementaux, physiologiques et subjectifs chez des patients présentant des déviances sexuelles. La mesure de ces symptômes sert à l’évaluation diagnostique. La prise en compte des symptômes par un thérapeute pourra éventuellement servir aussi au traitement ; cette prise en compte peut se faire en temps réel, alors que le patient interagit avec un personnage animé par un thérapeute utilisant les périphériques nécessaires. Nous avons récemment commencé à tester un tel dispositif à l’Institut Philippe-Pinel. Alors que le patient échangeait avec le personnage virtuel, nous mesurions sa réponse érectile à l’aide d’un pléthysmographe pénien.
La thérapie est en elle-même une forme d’art. Les échanges patient-thérapeute ne sont pas scriptés. Il y a toujours une bonne dose d’improvisation et de créativité à l’œuvre.
Pour vous l’art est-il utilitaire, voire thérapeutique? La cyberpsychologie permet-elle d’aller plus loin dans la thérapie des déviances que d’autres techniques psychocorporelles de visualisation?
Dans mes recherches, l’art est ancillaire dans un premier temps par l’usage que je fais des objets virtuels créés par des artistes 3D. Dans un deuxième temps, cependant, l’art devient central, à travers ma recherche conceptuelle sur l’interactivité.
La cyberpsychologie peut « possiblement » permettre d’aller plus loin dans le traitement des déviances, notamment par le recours à la simulation d’univers fantasmatiques déviants. Par exemple, j’amorce présentement une collaboration avec un collègue spécialisé dans l’évaluation et l’analyse du comportement des meurtriers sexuels, notamment les meurtriers sadiques. Nous allons développer des scénarios spécifiquement axés sur cet univers pour y plonger , par la suite, les patients afin d’évaluer les paramètres critiques du passage à l’acte déviant. De telles simulations, de telles études seraient impossibles sans la cyberpsychologie.
Comment peut-on être certain que l’individu ne récidivera pas?
Il n’y a jamais de certitude à cet égard, seulement des probabilités. C’est pourquoi nous avons le devoir de développer des outils toujours plus efficaces pour prédire et traiter les comportements destructeurs dont il est question.
À quel type de problématique votre dispositif oculomoteur s’applique-t-il ou peut-il s’appliquer ?
À toute forme de problématique, il s’agit d’un outil générique s’adaptant aux objets simulés.
Je travaille sur un interconte numérique où l’interacteur construit son propre scénarimage, une cocréation, à partir de la scène principale d’une impasse. Pour ce faire il a la possibilité d’écrire dans deux fenêtres de texte la cause et la solution de l’impasse et de transformer cinq images auxquelles il accède par des zones sensibles de l’impasse. J’aimerais que mon projet puisse servir en soins thérapeutiques pour des jeunes ou moins jeunes victimes d’agression. C’est en quelque sorte un outil interactif d’art thérapie. Or les thérapeutes que j’ai rencontrés se limitent aux techniques artistiques manuelles. Connaissez-vous des chercheurs et/ou groupes thérapeutiques qui s’intéressent au déblocage de l’imaginaire de victimes d’agression par le moyen de multimédias interactifs?
Plusieurs chercheurs s’intéressent déjà à l’utilisation du virtuel pour traiter les personnes traumatisées. Aucun à ma connaissance n’a cependant abordé la question des victimes d’agression sexuelle sous cet angle.
Pourquoi ne pas rechercher des applications de nouvelles technologies pour les victimes mineures, dans le cas des pédophiles, et pour les victimes adultes dans le cas des femmes violées et agressées dont la vie est grandement hypothéquée?
C’est une possibilité que nous envisageons. Pour l’instant nous concentrons nos efforts ailleurs.
Pourquoi avez-vous choisi de travailler avec des pédophiles alors que les taux de récidive sont élevés?
Les taux de récidive sont moins élevés qu’on ne le croit généralement, chaque récidive cependant est un drame en soi. C’est pourquoi il faut travailler à en diminuer les incidences.
Plus fondamentalement, les déviances sexuelles dans leur ensemble, et pas seulement la pédophilie, représentent un univers fascinant où les fantasmes apparaissent avec une insistance et une précision qui en font des objets d’étude des plus intéressants. Il s’agit de laboratoires de prédilection pour l’étude du comportement humain. Freud en savait quelque chose.
La cyberpsychologie est-elle efficace, quels sont ses bénéfices et ses limites? Par exemple qu’est-ce que votre dispositif vous permet de faire que vous ne pouvez pas faire avec les moyens traditionnels de la clinique?
La cyberpsychologie est démontrée efficace auprès de plus en plus de psychopathologies. Les troubles anxieux par exemple se traitent aisément par le biais de la cyberpsychologie.
L’application de la cyberpsychologie aux déviances sexuelles permet de plus aisément s’insérer dans l’espace fantasmatique du déviant sexuel. Elle permet de simuler de tels espaces et de suivre avec précision les réactions des patients alors que ces derniers y évoluent. L’usage conjugué de ces simulations virtuelles et de technologies de mesures psychophysiologiques (pléthysmographe pénien et oculomètre, notamment) ouvre la porte à de réelles avancées en clinique de la déviance sexuelle, de l’avis de plusieurs chercheurs.
Il y a des enjeux énormes associés à votre projet, de nature éthique, économique et politique ans oublier l’aspect esthétique. Par exemple l’orientation de financement public vers l’agresseur plutôt que la victime?
Il faut travailler autant du côté des agresseurs que des agressés. Les bénéfices encourus d’un côté favorisant toujours aussi l’autre.
Les enjeux éthiques sont en effet très importants. L’utilisation de personnages virtuels permet d’éviter l’emploi d’images d’enfants réels en laboratoire et en clinique. Cependant, les simulations virtuelles de nature sexuelle utilisées auprès des patients doivent être réglementées et limitées aux usages scientifiques et cliniques, évidemment.
Quels sont vos projets futurs de recherche et en quoi l’art et la technologie d’immersion et d’interactivité peuvent-ils vous aider?
Nous voulons passer du côté du traitement, donc de l’animation en temps-réel des personnages virtuels, afin de créer de vrais jeux de rôle qui serviront à favoriser la rééducation des patients. Il s’agit d’un défi important en termes de création d’univers de traitement mais aussi en termes d’ergonomie de la relation thérapeute-patient telle qu’elle devra être médiée par le virtuel.
Notes
[1] Colloque Mobile/immobilisé organisé par Louise Poissant, doyenne de la Faculté des arts de l’Université du Québec à Montréal, Louis Bec, zoosystémicien, directeur et responsable des projets de CYPRES, Centre de recherche Art/Sciences/ Technologies à Marseille, Ernestine Daubner, historienne d’art et professeur associée au Centre interuniversitaire en arts médiatiques (CIAM), Michaël La Chance, philosophe, écrivain et professeur en histoire de l’art à l’Université du Québec à Chicoutimi et Norbert Hillaire, professeur en arts, communication et langages à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, tenu à l’UQAM, du 31 octobre au 3 novembre 2007, Patrice Renaud a répondu à nos questions.