Menu total (1986, 81 minutes) est l’un des six films de Christoph Schlingensief présentés au pavillon allemand de la 54eBiennale de Venise en haute définition et son digital. Marqué par l’expressionnisme allemand, pour qui le monde est grotesque et tragique, absurde, obscène, fantomatique et hanté par Hitler, l’artiste privilégie le noir et blanc pour réaliser cette œuvre.
La trame sonore joue sur des effets de stridence avec des cris humains, de la musique jazz et un bruit de vague, en une espèce de cacophonie auditive qui accompagne des scènes de folie jouées par Reinald Schnell, Helge Schneider, Volker Bertzky ou Dietrich Kuhlbrodt. La mise en scène, dont cet extrait donne un aperçu, est faite de juxtapositions, de collages et d’ellipses, afin de brouiller davantage les pistes narratives. Elle en accentue la violence politique et sociale, qui s’exprime par la mise à mort des êtres et des âmes et par le viol des corps (en référence à Terror 2000). Menu total résonne comme la rencontre improbable de Roman Polanski, à ses débuts, avec Mario Bava survolté et Eisenstein plutôt modéré. Certains critiques y voient davantage le croisement de David Lynch dans ses films les plus obscurs et abscons avec Peter Watkins, sous l’emprise de la drogue, et avec Tod Browning, schizophrène. Bref, Menu total est un conglomérat d’hommages biaisés, une sorte de raccourci de l’histoire d’un cinéma de la transgression. Expérimental et underground, ce film explore et met en scène avec outrance l’extrême, l’obscène et le kitch. Significatif de ce que l’artiste a présenté au cinéma ou au théâtre, ce film est conçu comme une suite d’installations sur la question, entre autres, de la démence familiale dans une esthétique rythmée et audacieuse.
Réalisateur et dramaturge allemand, Christoph Schlingensief (1960-2010) est l’un des plus provocateurs de sa génération en versant dans l’excès, comme l’a prouvé sa mise en scène de Parsifal au Festival de Bayreuth en 2004 ou encore Der Fliegende Holländer à l’opéra de Manaus en 2007. L’hommage que rend le pavillon allemand de la Biennale de Venise en 2011 à ce post-Fassbinder pro-David Lynch propose six de ses films de la catégorie « art et essais » : Egomania – Insel Ohne Hoffnung (1986, Egomania – L’île sans espoir), Menu total (1986), United Trash (1995-1996) et la célèbre trilogie sur l’Allemagne. Celle-ci est composée de 100 Jahre Adolf Hitler. Die letzte Stunde im Führerbunker (1989, 100 ans d’Adolf Hitler – Les dernières heures dans le bunker du Führer), Das deutsche Kettensägenmassaker (1990, Massacre allemand à la tronçonneuse) et Terror 2000 – Intensivstation Deutschland (1992, Terreur 2000 – Allemagne, bloc de réanimation). Sa production comprend aussi des expositions, des installations et des projets actionnistes (comme Bitte liebt Österreich) ainsi qu’une œuvre art-total amorcée dès 2008 : Remdoogo, premier village-opéra au Burkina Faso.