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Critiques

Par le prisme des sens: médiation et nouvelles réalités du corps dans les arts performatifs. Technologies, cognition et méthodologies émergentes de recherche-création (et autres critiques)

« Par le prisme des sens est un ouvrage provoquant, inspirant, qui met en cause le lexique et les modes de raisonnement traditionnels. Les auteurs principaux Choinière, Pitozzi et Davidson ont chacun une voix qui leur est propre ; en plus d’une substantielle introduction, ils signent les trois premiers chapitres. L’édition française de l’ouvrage est augmentée de sept chapitres de Erin Manning, Louis-Claude Paquin, Joanne Lalonde, David Howes, Elizabeth Johnson et Luc Vanier, Anne-Laure Fortin Tournès, et Anaïs Guilet qui explorent divers autres aspects du tournant performatif en recherche, de la théorie de la connaissance incarnée, de l’engagement intersubjectif et des plateformes interactives, de la construction de l’expérience sensorielle immersive, du corps étendus aux nouvelles technologies, du corps en environnement numérique, du corps-écran.

La structure argumentative de l’ouvrage est finement articulée. Le passage d’une perspective à l’autre est facilité notamment par un système de références et de renvois aux concepts clés. Il apparaît rapidement que cette exploration de la corporéité complexe qui est la nôtre n’émane pas d’un rêve scientiste, mais traduit plutôt une série de prises de position sérieuses en faveur du dialogue entre philosophie, art, technologie et science. Cela implique à la fois la recherche, de type collaboratif et collectif, le processus de création artistique et la construction théorique. L’ouvrage offre ainsi un tableau compréhensif du débat entre critiques et théoriciens de l’art, mais de plus il ouvre des voies prometteuses pour la recherche-création.

Et voici où on voulait en venir : le corps n’est pas obsolète. Le corps est signifiant, expressif, fluide, évolutif, transformationnel, relationnel. La technologie est entendue comme une composante de l’environnement humain vivant, un autre élément d’un contexte d’apprentissage en perpétuel changement. On pose alors la question : que signifie le fait d’être à la fois ici, en chair et en os, et ailleurs, que signifie le corps médiatisé et virtualisé ? La perception, l’expérience sensible et la communication ne sont pas séparées de la technique, mais se révèlent plutôt interdépendantes, s’influençant mutuellement. C’est toute une nouvelle réalité qui est mise au jour, permettant que soit entendue des couches d’expérience cachées, négligées ou qui jusque-là passaient inaperçues. Ainsi se transforment les « cartes sensorielles » des corps performeurs ou spectateurs, ainsi sont stimulées l’imagination et la créativité. Nous serions immergés dans une logique des flux et des métamorphoses. Et à la fin, à travers ce prisme du corps/technologie, il y aurait une conscience plus riche. »


Extraits de quelques critiques traduites de l’anglais qui concernent les textes de Choinière, Pitozzi et Davidson, l’introduction et la conclusion ainsi que la postface de Derrick de Kerckhove. 

(section REVIEWS du site d’Intellect Books : https://www.intellectbooks.com/through-the-prism-of-the-senses)

« Fascinant […].  C’est un ouvrage monumental. Il est signé par plusieurs auteurs, mais tous sont sur la même longueur d’onde, faisant de multiples renvois aux chapitres des uns et des autres ainsi qu’aux concepts clés qu’ils partagent et cherchent à élaborer tout au long de ce livre. Par conséquent, il y a un très haut degré de cohésion et de cohérence dans ce livre. Ça se lit comme une chorale qui chante. Il ne s’agit pas simplement d’une autre collection éditée. Ce travail  témoigne de façon convaincante de la puissance du collectif – ou si vous préférez – d’une érudition et d’une recherche distribuée qui fait encore cruellement défaut dans l’académie d’aujourd’hui.

J’avoue être d’accord avec l’auteure du chapitre 3 lorsqu’elle se demande si le thème de l’embodiment (qui est au cœur de ce travail) a été suffisamment théorisé dans cette littérature. Il existe une littérature croissante sur la recherche-création dans le domaine des nouveaux arts médiatiques. Ce travail représente une contribution majeure à cette littérature. […] De plus, il amène le corps en mouvement dans la discussion [ainsi que] l’embodiment […]. Ce manuscrit élève la conversation à un autre niveau et, ce faisant, brise de nombreuses barrières, en particulier par ce qu’il avance à propos de l’intégration des artset, ce faisant, brise de nombreux obstacles, en particulier par ce qu’il a à dire sur l’intégration des arts.L’ouvrage est destiné à avoir de multiples répercussions non seulement dans les arts, mais également dans les études sonores, sensorielles, corporelles, de la communication ainsi que dans les études de l’interaction homme-machine (HCI /Human-Computer Interaction).

Le chapitre 1 (Enrico Pitozzi) est un délice à lire. Elle est riche en théorie contemporaine. 

Le chapitre 2 (Isabelle Choinière) est un tour de force, un Grand Tour de force Compte tenu de la provenance de certaines de ses idées maîtresses (c’est-à-dire l’œuvre de Rolnik, Clark), de l’accent mis sur l’expérientiel, de sa « méthode » (y compris la constitution d’un Observatoire) et des divers lieux où elle a été diffusée, ce chapitre se qualifie d’ »Oeuvre Globale » – tel que Caroline A Jones le qualifie dans son livre éponyme. Cela donne, à la documentation des sources d’inspiration et des multiples facettes de la méthode des auteurs, une valeur inestimable.. Si seulement plus d’artistes étaient aussi explicites sur leur pratique ! Nous avons besoin d’autres écrits comme celui-ci….L’un des points forts du manuscrit pour moi a été la discussion de la méthode au chapitre 2. Ce manuscrit présente un niveau profond d’érudition et de recherche philosophique. Une gamme étendue et impressionnante de références utilisées.  C’est très fort et bien documenté…. Je suis très intéressé et impressionné par le contenu et les idées de ce manuscrit….. L’un des points culminants du manuscrit pour moi a été la discussion sur la méthode aux sections IV.IIV.2.I et sections IV.2.I. IV.2.2 (Chapitre 2). Cela m’a fait penser au magistral article de Richard Schechner, sur la ‘Rasesthetics’ dans TDR, un article qui a lancé un mouvement. Ces pages étaient exaltantes à lire. Bravo ! Ce chapitre présente de nouvelles connexions et de nouvelles connaissances à un niveau conceptuel et philosophique très élevé sur la relation du corps avec la technologie, élargissant ainsi les approches à la sensorialité, aux sens, qui sont précieux et importants.

Enfin, la conclusion, cosignée par les auteurs, est très convaincante. C’est un témoignage du pouvoir de l’érudition distribuée (connaissance interreliée/en interconnection), comme nous l’avons vu plus haut, lorsque vient le temps de tout mettre en commun.  Je ne peux qu’applaudir ! »

— Jury international de lecture (peer-reviewed) d’Intellect Books, Royaume-Uni et États-Unis (partenariat de distribution avec The University of Chicago Press Books)


« Voici une publication totalement fascinante ! C’est le comportement humain qui informe l’avant-garde de l’art, et ce sont les technologies des processus et des systèmes qui informent désormais le comportement humain. Vu à travers le prisme de praticiens et de théoriciens créatifs exceptionnels dirigés par Isabelle Choinière, l’art performatif, dans ce livre révolutionnaire, incarnant la conscience élargie de systèmes télématiques, peut ouvrir la voie à l’émergence d’un canon esthétique entièrement nouveau. Le déplacement s’effectue de l’interaction à l’absorption, du multimédia au moistmedia, une sorte de transformation artistique cybersomatique. »

— Roy Ascott, professeur de Technoetic Arts, University of Plymouth, président-fondateur et directeur du Planetary Collegium, Transdisciplinary Space Research (Hub et nodes au Royaume-Uni, en Suisse, en Italie et en Chine)


 « Ce livre présente un argument très convainquant en faveur du concept d’un corps étendu qui émerge à travers un engagement rigoureux et dédié avec les nouvelles technologies numériques. L’une de ses revendications clés veut que nos sens soient des « prismes » qui fonctionnent comme des « détecteurs » de sensations qui sont ensuite « traduites » en comportements. Donc, la technologie augmenterait l’éventail des sensations que nous pouvons avoir, et par conséquent nos capacités perceptives et comportementales s’en trouveraient considérablement améliorées. La force de ces arguments, et donc du livre lui-même, réside dans les différentes approches adoptées par les trois auteurs et la manière dont leurs idées se recoupent. En bref, la structure du document nous rappelle que dans notre recherche de nouvelles connaissances, il est crucial d’intégrer différentes perspectives d’une manière transdisciplinaire afin d’aborder les dilemmes auxquels nous sommes confrontés dans un monde contemporain de plus en plus complexe.

À titre d’exemple, l’écriture devient souvent très scientifique, puisant dans les domaines de connaissance issus du théâtre, de la musique et de la danse — c’est-à-dire les arts traditionnels du spectacle — jusqu’à la biotechnologie et la nanotechnologie, ainsi qu’aux idées émanant de la théorie quantique et de la philosophie, c’est-à-dire, dérivant des sciences pures et de la philosophie. Les auteurs s’inspirent également d’idées ancrées dans les cultures asiatiques, africaines, nord-américaines, latino-américaines, brésiliennes et mexicaines, tout en reconnaissant un contexte européen occidental qui en est fortement influencé. Ce type d’approche transdisciplinaire et culturellement influencé est difficile à intégrer, en particulier, par un groupe d’écrivains d’origine nord-américaine et européenne typiquement blanche. Ici, cependant, l’expertise est incontestable et les différentes perspectives ontologiques traitées sont prises très au sérieux. Bref, les écrivains font un immense effort pour comprendre les différentes perspectives du corps et de la corporéité — et de l’inter-corporéité — qui existent au sein de ces cultures et qui ne sont habituellement pas intégrées dans leurs sphères d’expérience propre.

Au même moment, on a l’impression que l’écriture semble un peu idéaliste quant à son objectif de croiser les idées de la pensée occidentale avec celles des « anciennes traditions philosophiques d’Asie, d’Extrême-Orient, d’Afrique, du Brésil et d’Haïti ». On se souviendra du développement de nombreuses formes d’art occidental, qui pour se construire, se sont littéralement approprié ces traditions culturelles sans tenir compte de leur profondeur, alors que les travaux de beaucoup de ceux qui s’efforçaient de sortir de leur situation « colonialiste » spécifique ont été largement négligés. S’il est possible d’imaginer une situation où l’on peut avoir accès à certaines technologies qui permettent d’expérimenter avec celles-ci — comme « formes de pensée ou de processus de pensée » —, et de comprendre comment « la technologie peut étendre et renouveler la perception (…) tout en nourrissant l’expression artistique », peu de ces artistes non occidentaux ont accès à un tel luxe. En l’absence de ces technologies, nombre d’entre eux s’appuient cependant sur des sources et des pratiques technologiques traditionnelles qui sont à leur disposition, des pratiques qui, à mon avis, peuvent être également productives en tant que « formes de pensée ou de processus de pensée ».
Mais je diverge un peu. Il y a une érudition immense en matière de recherche artistique à l’œuvre dans ce document, et le dévouement des trois auteurs quant à l’identification du potentiel du corps, de nos capacités perceptives ainsi que du développement de nos relations avec l’innovation technologique est une source d’inspiration. Je suis certain que sa publication sera accueillie avec enthousiasme par ceux qui travaillent dans un certain nombre de domaines allant de la danse et des pratiques somatiques à la philosophie, et de l’informatique et du génie à la biotechnologie et aux neurosciences, comme je l’ai fait
. »

 — Henry Daniel, professeur de danse, d’études de la performance et de nouvelles technologies des médias (Faculty of Communication, Arts and Technology / FCAT), Simon Fraser University, Canada


« Il s’agit d’une oeuvre ambitieuse dans laquelle les auteurs abordent la question dont les technologies numériques nous ont changés et continuent de nous changer à travers l’extension de nos sens qui, à son tour, modifie et redéfinit nos perceptions. […] Le livre présente un niveau profond d’érudition et de recherche philosophique […]. Le niveau de recherche intellectuelle représente l’aspect le plus fort du manuscrit, ainsi que son axe original sur l’embodied perception, l’émergence, le corps, et la nature/pouvoir de transformation de la technologie. »

— Denise Doyle, Senior Lecturer in Digital Media, University of Wolverhampton, Royaume-Uni.