1) Comment la numérisation a-telle contaminé votre pratique littéraire?
En fait, j’ai commencé à écrire avec une machine à bras, manuelle, mais je crois avoir toujours écrit en fonction d’une réalité multimédia. J’ai toujours collaboré avec des artistes, des interprètes et des musiciens pour diffuser mes textes. Très vite aussi j’ai intégré l’ordinateur à ma trousse d’outils.
Avec l’amalgame des médias – texte, images et son – dans l’ordinateur, on perd l’euphorie de la scène mais on gagne du côté de la diffusion et de la flexibilité narrative. Autour de l’ordinateur et de ses connexions se construit une nouvelle réalité médiatique dotée de son langage propre. Et les possibilités sont innombrables. D’où la liberté et le plaisir…
S’il y a eu réelle contamination, c’est que l’ordinateur est devenu accaparant au point de polluer mon emploi du temps!
2) La narration est-elle au centre de votre processus interactif et créateur?
L’écriture est au coeur de mon processus créateur beaucoup plus que la narrativité. Pour être plus spécifique, je devrais plutôt parler d’écriture multimédia, une écriture qui appelle, pour ma part, le développement conceptuel et technologique d’un nouveau type d’architecture narrative. Ma poésie s’articule donc maintenant d’abord et avant tout au niveau de la structure. C’est ici que je conçois la constitution de l’oeuvre et que j’y prévois les mécanismes interactifs et les procédés génératifs (mon dada) qui guideront l’articulation du contenu.
Ça s’est passé pas mal comme ça avec LIQUIDATION et c’est la méthode qui semble s’imposer pour mon prochain projet. À titre indicatif, il s’agit d’une histoire. Pour ce qui est de la démarche de création, d’écriture et de scénarisation du photoroman LIQUIDATION, je vous invite à vous référer au prologue du cédérom.
3) La temporalité est un axe de vos développements logiciels qui me paraît assez novateur, cependant le fait de pouvoir choisir le temps de consultation semble réduire l’ampleur du scénario, comment arrivez-vous à concilier interactivité et complexité?
Dans LIQUIDATION – un photoroman aléatoire, nous avons préféré utiliser le hasard et développer le concept de la temporalité flexible plutôt que le caractère interactif de l’oeuvre. Pour les apôtres de l’interactivité, c’est un sacrilège et on nous le reproche, mais c’est un choix. Nous avons quand même incorporé un mode de navigation séquentiel permettant de visionner une par une les principales séquences de l’histoire.
Notre véritable défi fut de concilier le hasard avec la cohérence narrative d’une histoire dont la durée peut varier entre 15 et 120 minutes. On ne voulait surtout pas que le logiciel compose n’importe quoi, n’importe comment. Nous avons donc utilisé des mécanismes qui restreignent le pouvoir du hasard en fonction d’une structure arborescente complexe et définie. Notre scénario comporte un très grand nombre de possibilités, mais il est fermé, clos.
Nous avons procédé de manière intensive à la fragmentation des médias pour ensuite valoriser les éléments en fonction de leur importance pour la fusion esthétique ou la compréhension de l’histoire. C’est de cette façon que nous avons réussi à dompter le moteur génératif mis au point par Alain
Bergeron, de LopLop. À titre expérimental, je pense parfois à créer un nouveau projet qui permettrait de pousser les limites de ce logiciel dans une perspective beaucoup plus farfelue.