L’art Web connaît un essor fulgurant depuis les trois dernières années, les musées et les institutions internationales comme le Centre international d’art contemporain de Montréal (CIAC) emboîtent le pas en proposant des environnements propres à la consultation d’oeuvres dédiées au Web ou à l’ordinateur. En tant que rédactrice en chef du Magazine du CIAC depuis septembre 1997 et surtout en tant que commissaire du volet des arts électroniques de la deuxième Biennale de Montréal (28 sept. – 29 oct. 2000), est-ce que, selon ton expérience, l’art contemporain réussit facilement à greffer l’art électronique à ses structures établies? J’aimerais que tu nous en parles autant sur le plan des différences entre les réseaux que ces milieux artistiques (contemporain et électronique) représentent, que par rapport à la contrainte scénographique de l’espace, du partage des lieux et de l’effet in-out de ces deux environnements d’exposition fort différents.
Sylvie Parent – Certains musées et centres d’art contemporain s’intéressent à l’art électronique. Il y en a même de plus en plus. Certains font un travail remarquable depuis déjà quelques années, comme le Walker Art Center. D’autres institutions, surtout aux États-Unis, ont démontré un appui important envers cet art, le Dia Art Center, le Guggenheim Museum et plus récemment le Whitney Museum of American Art dans le cadre de leur biennale et le San Francisco Museum of Modern Art. Mais je ne peux m’empêcher de penser : Combien y a-t-il de musées et de centres d’art contemporain dans le monde? Beaucoup. Combien ont tenu compte de ces pratiques jusqu’à maintenant ? En vérité, encore très peu.
Cet art demande des spécialistes, des structures, des équipements particuliers. Il faut bâtir tout ceci à l’intérieur d’institutions qui, le plus souvent, se battent continuellement pour maintenir ce qu’ils ont acquis pour l’art contemporain. Alors, je ne pense pas que ce soit facile. Mais, les institutions se rendent compte peu à peu que cet investissement est inévitable puisque de nombreux artistes s’engagent dans de telles pratiques.
L’art électronique a été très vite intégré à des manifestations en arts médiatiques. Le passage s’est effectué plus rapidement, puisqu’il y avait déjà certaines affinités au niveau des techniques et des moyens de présentation. Tout un réseau très dynamique de festivals, de résidences dans des centres de production existe aujourd’hui pour favoriser la réalisation et la présentation des oeuvres électroniques. Des habitudes ont été acquises dans ce milieu. Les musées, centres d’art se mesurent à celles-ci, les attentes sont élevées, et ils sont souvent mal préparés à y répondre. Il faut se demander si les musées et les centres d’art contemporain peuvent apporter quelque chose de plus aux artistes. Pour ma part, j’ai constaté un malaise chez les artistes, entre le désir de reconnaissance après plusieurs années de travail et une crainte de perdre cette indépendance si caractéristique de l’art Web, une méfiance devant l’institution. Malgré cela, je pense que le musée, le centre d’exposition doit soutenir cet art et qu’il faut trouver des moyens pour s’adapter à celui-ci.
Ce qui m’amène à la deuxième partie de ta question, qui concerne la contrainte scénographique de l’espace et du partage des lieux. Je te parlerai de mon expérience à La Biennale de Montréal 2000. La cohabitation est compliquée. Dans le volet arts visuels, chacun des artistes dispose d’une salle pour présenter son travail. Les oeuvres se déploient dans l’espace, prennent leur place. De l’autre, voici un art intime, qui demande de faire une certaine abstraction de l’objet et de l’espace environnant dans un lieu public et au sein d’une manifestation à caractère événementiel. Comment résoudre un tel problème fondamental ? Cette fois-ci, nous avons simplement créé un espace convivial où nous avons tenté d’offrir de bonnes conditions de visionnement des sites, certaines d’entre elles étant difficiles d’accès. Comment valoriser l’art Web au sein d’un événement en arts visuels ? Mais le problème reste finalement le même dans les festivals et concerne la visibilité de l’art Web. Plusieurs artistes du Web se tournent vers la performance en utilisant le réseau ou conçoivent des oeuvres immersives destinées à être projetées lors de telles occasions… Dans notre cas, ce n’a pas été possible, pas cette fois-ci. D’un autre côté, nous avons accordé beaucoup d’attention sur la présentation du site Web de l’exposition et contrairement au volet en arts visuels, celle-ci peut être vue partout dans le monde… Je pense qu’il faut accepter les avantages et les inconvénients de cet art tout en demeurant à l’écoute des artistes