Le nom « Cités invisibles » est très évocateur. L’adjectif « invisible » renvoie-t-il, pour vous, à ce qui échappe à notre attention, à notre conscience au quotidien, aux multiples transformations de la vie, ou bien voyez-vous cela autrement?
F. C. : Pour ma part, c’était surtout les concepts de la cité et de l’invisible que je souhaitais proposer et sur lequel Champ Libre a été amené à réfléchir. Bien sûr, dans l’invisible, il y a toute cette esthétique du monde que l’on ne voit pas et qui nous échappe, qui nous renvoie aussi à toutes sortes de souvenirs imaginaires. En fait, on voit rarement la ville, on y marche, préoccupé par tout notre quotidien, notre vie sociale, et on oublie toute la poétique de la ville. Il s’agissait donc d’abord d’éveiller une conscience du regard, de regarder au-delà de ce que l’on voit.
C. M. : Je perçois ce thème avant tout comme un environnement, où se tissent des relations invisibles entre tous les éléments qui le constituent. En ce sens, l’invisibilité, c’est ce qui n’est pas perçu, ce qui n’est pas conscient, mais qui peut être perçu de façon inconsciente. Pour moi, l’invisible va toujours être perçu avec le visible. L’invisible n’existe que parce qu’il y a le visible qui existe également, et il y a toujours un passage du visible à l’invisible et de l’invisible au visible.
F. C. : Ça renvoie aussi à un monde intérieur. L’invisible existe de façon permanente dans le monde, dans l’existence et, justement, le fait qu’il y ait quelque chose qui ne soit pas visible vient encore plus nous interpeller.
Parmi les œuvres qui ont été retenues, avez-vous trouvé des résonances, des échos très forts à ce que vous souhaitiez présenter?
C. M. : Il y a des œuvres qui nous ont marqués quand nous avons vu la proposition, et des œuvres qui nous ont marqués quand elles ont existé. Pendant l’événement, nous nous sommes rendu compte de la force de certaines œuvres, que nous n’avions pas forcément perçue.
F. C. : Elles se sont révélées par l’in situ, dans la Grande Bibliothèque. Du papier à l’écran, elles ont pris une dimension physique qui nous a étonné nous-mêmes. Par exemple, l’œuvre de Caroline Gagné, qui est un banc public sur lequel les gens se projetaient par écran : pour la plupart des gens, c’était la première expérience consistant à toucher et à vivre cette notion d’invisible. Sa mise en espace a été importante.
C. M. : C’est une œuvre qui était « invisible », dirais-je, parce qu’elle était située au bout d’un très long couloir. L’élément marquant vers lequel se dirigeaient les gens était un banc public, et dès qu’ils s’asseyaient sur ce banc, ils avaient pénétré l’œuvre et ne s’en étaient pas rendu compte. Il y avait comme une fascination du public pour cette image, cette apparition…
F. C. : … cette disparition, aussi…
À quel niveau se situe votre collaboration? Comment imagine-t-on un concept, comment évolue-t-il – par exemple, les sous-thèmes sont-ils imaginés avant la sélection ou après? Les productions choisies ont-elles influé sur le concept?
C. M. : J’ai beaucoup participé au montage de la programmation. Non, il n’y a pas de sous-thèmes préalables au projet, ce sont les œuvres qui vont former les différents volets de la programmation ou de l’événement. C’est beaucoup trop difficile d’avoir des thématiques préétablies et d’essayer absolument de forcer les œuvres à exprimer ces thématiques ou vice et versa. La démarche de Champ Libre consiste à s’insérer dans des paramètres existants, des paramètres imposés par le site, le public, mais aussi des paramètres dictés par les œuvres. Ensuite, nous travaillons à la programmation.
F. C. : Par le passé, en tant que directeur artistique, j’ai aussi joué un rôle de directeur de la programmation. Maintenant, avec Cécile, il y a un partage qui s’élargit de plus en plus, elle a aussi un rôle de commissaire. J’amène certaines propositions, et nous discutons de la manière dont tout cela va se déployer dans l’espace. Il y a bien sûr des limites financières qui nous obligent parfois à prendre des décisions difficiles sur le plan artistique; nous essayons donc de les prendre ensemble, c’est vraiment un travail de collaboration. Il faut que nous ayons un dialogue presque philosophique pour nous mettre d’accord sur la forme que va prendre l’événement. Et comme le thème a aussi intéressé beaucoup le monde de l’architecture, ainsi se sont décidé l’idée d’un colloque et celle de s’associer à un partenaire expérimenté.