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Cyberthéorie

Pour un art interstitiel

Les technologies contemporaines reprĂ©sentent actuellement une donnĂ©e incontournable du paysage actuel non seulement dans le domaine scientifique, mais plus globalement dans celui de la pensĂ©e en gĂ©nĂ©ral. Si toute technologie est l’aboutissement de la pensĂ©e d’une Ă©poque, notamment dans le rapport qu‘elle entretient au rĂ©el, on peut admettre que, par un retournement dialectique, elle va contribuer Ă  la transformation des modes de pensĂ©e, et donc des modes d’apprĂ©hension du rĂ©el. Mais il est des technologies qui contribuent Ă  ce que ces transformations conduisent Ă  un vĂ©ritable changement de paradigme, c’est-Ă -dire Ă  un vĂ©ritable bouleversement des modes de pensĂ©e et d’apprĂ©hension du rĂ©el. Le dĂ©veloppement de l’imprimerie en fut un exemple en ce qu’il transforma de façon considĂ©rable le rapport Ă  l’écrit, et donc Ă  la circulation des idĂ©es. Mais par-delĂ  cette rĂ©alitĂ©, c’est la pensĂ©e mĂȘme du monde qui s’est trouvĂ©e transformĂ©e, comme l’a analysĂ© notamment Mc Luhan. Il semble que les technologies contemporaines inscrivent elles aussi un changement de paradigme sans doute bien plus important que l’imprimerie par le fait que ce qu’elles ont pour projet de repenser n’est rien d’autre que l’humain lui-mĂȘme, le concept d’humain, dont elles inscrivent la finitude. Dans ce contexte, si la crĂ©ation artistique est une dimension ontologique du seul humain, quel espace reste-t-il Ă  cette crĂ©ation artistique dans un projet d’oĂč l’humain a disparu?

CĂ©line Lafontaine situe les technologies contemporaines dans la logique du « paradigme cybernĂ©tique » : « sans l’ébranlement des frontiĂšres entre humain, animal et machine amorcĂ© par Norbert Wiener et ses collĂšgues Ă  la fin des annĂ©es quarante, des techniques de manipulation gĂ©nĂ©tique comme la transgenĂšse n’auraient mĂȘme pas Ă©tĂ© envisageables. Il faut bien voir en effet que l’effondrement des barriĂšres entre les espĂšces que tend Ă  concrĂ©tiser le gĂ©nie gĂ©nĂ©tique s’inscrit dans le prolongement direct du paradigme cybernĂ©tique pour lequel il n’existe aucune diffĂ©rence entre vivant et non vivant. » (Lafontaine, 2004) Le principe de base du paradigme cybernĂ©tique est, sommairement, que tout systĂšme, vivant ou non vivant peut se rĂ©sumer Ă  une organisation qui s’articule sur un mode informationnel. DĂšs lors, tout systĂšme vivant ou non vivant est dĂ©pliable et modifiable programmatiquement dĂšs lors que l’on est en mesure de dĂ©coder les informations qui l’organisent. C’est le principe de base des machines numĂ©riques qui peuvent traiter n’importe quel type d’information, image, son, texte, Ă  partir du moment oĂč on les a vidĂ©es de leur contenu sĂ©mantique pour les rĂ©duire Ă  leur dimension processuelle sur la base de leur unitĂ© la plus discrĂšte. C’est ce principe qui va permettre Ă  la fois la manipulation du gĂ©nome par modification du code, c’est-Ă -dire soit en inhibant certaines informations, dans le cadre des maladies gĂ©nĂ©tiques par exemple, soit en apportant des informations exogĂšnes, pour les espĂšces transgĂ©niques par exemple. Mais c’est ce mĂȘme principe qui constitue la base des nanotechnologies qui, par manipulation des combinaisons atomiques, a pour projet de construire des entitĂ©s physiques inĂ©dites, en particulier, dans lesquelles vivant et non vivant s’organiseraient dans un seul et mĂȘme espace.

On comprend bien que dans ce systĂšme les classifications traditionnelles, celles qui nous sont issues du tableau taxinomique par exemple, n’ont plus guĂšre de sens et que l’organisation des reprĂ©sentations du rĂ©el centrĂ©es sur et Ă  partir de l’humain deviennent complĂštement caduques. C’est d’ailleurs ce qu’avait laissĂ© entrevoir Foucault dans Les mots et les choses lorsqu’il annonçait le dĂ©passement du concept d’humain.
Puisque tout systĂšme peut se rĂ©duire Ă  un mode informationnel, l’humain, en tant que systĂšme, peut se rĂ©duire au mĂȘme mode. Et ce qui est vrai du point de vue biologique l’est aussi, et c’est le postulat du paradigme cybernĂ©tique, en ce qui concerne son activitĂ© mentale, singuliĂšrement ce qu’on appelle l’intelligence. Les exemples sont de plus en plus nombreux de systĂšmes numĂ©riques fonctionnant sur le principe de l’intelligence artificielle prise non pas au sens d’une rĂ©plication mĂ©canique du modĂšle humain, mais au sens d’un systĂšme auto organisationnel, c’est-Ă -dire capables non pas de reproduire avec plus ou moins de bonheur l’intelligence humaine prise en tant que systĂšme fini, mais de se construire sur des processus autonomes capables, en tant que processus, de faire Ă©merger des formes d’intelligence complexes. Dans ce contexte, l’humain, traitĂ© comme un systĂšme parmi les autres, se trouve complĂštement dissout et sans avenir. Henri Atlan annonce que : « C’est l’homme systĂšme fermĂ© qui a disparu; des systĂšmes cybernĂ©tiques ouverts, auto organisateurs, sont candidats Ă  sa succession. »1

Ce thĂšme de la succession est d’ailleurs prĂ©sent chez d’autres auteurs comme Jean-Michel Truong qui dĂ©finit le « successeur » par le rĂ©seau numĂ©rique. Truong Ă©met l’hypothĂšse que le dĂ©veloppement de la vie sur terre en relation avec un systĂšme organique relĂšve davantage de la commoditĂ© que de la nĂ©cessitĂ© : « 
 de mĂȘme que la vie, commencĂ©e avec les composĂ©s du carbone, se poursuit aujourd’hui par d’autres moyens. Son long compagnonnage avec les molĂ©cules organiques n’avait rien d’une fatalitĂ©. D’autres matĂ©riaux, explique Christopher Langton, le pĂšre amĂ©ricain de ce courant de recherche prĂ©cisĂ©ment dĂ©nommĂ© “vie artificielle”, peuvent servir de support au vivant. » (Truong, 2001)

L’humain pourrait donc ĂȘtre un vĂ©hicule transitoire Ă  l’intelligence comme l’organique pourrait ĂȘtre un support dĂ©passable du vivant. Si cette perspective est envisageable, c’est justement parce que l’approche actuelle du vivant comme des opĂ©rations intellectuelles porte sur les processus informationnels qui les dĂ©finissent. Michel Serres remarque que : « La vie s’écrit en algorithmes et construit ses Ă©lĂ©ments en variant sur ce langage . » (Serres, 2001) À quoi Jean-Michel Truong ajoute : « 
 il nous faudra admettre que la vie est un processus multimĂ©dia. » (Truong, 2001)

Freud avait dĂ©nombrĂ© trois vexations narcissiques au cours de l’histoire de l’ĂȘtre humain. La premiĂšre, avec Copernic, par laquelle il se rend compte qu’il n’est plus au centre du cosmos. Par la deuxiĂšme, avec Darwin, il se rend compte qu’il n’est plus le premier des vivants. Et par la troisiĂšme, avec Freud lui-mĂȘme, il se rend compte qu’il n’est plus maĂźtre des sens. Sloterdijk cite Gerhard Vollmer, biologiste de la cognition qui note que depuis le milieu du XXe siĂšcle, l’homme doit affronter un vĂ©ritable dĂ©ferlement de vexations narcissiques Ă  une vitesse exponentielle. Il en dĂ©nombre pour sa part quatre en plus. La quatriĂšme serait du fait de l’éthologie qui relativise l’ĂȘtre humain tant du point de vue physique que comportemental au regard des autres espĂšces animales. La cinquiĂšme, en relation avec la thĂ©orie de la connaissance, fait apparaĂźtre que l’appareillage de la connaissance humaine est insuffisant pour apprĂ©hender les rĂ©alitĂ©s micro- et macrocosmiques. La sixiĂšme, qui serait du fait de la sociobiologie, et qui montrerait que l’idĂ©e que l’humain se fait de lui-mĂȘme Ă  partir de comportements sociaux de type altruiste ou dĂ©sintĂ©ressĂ©, est mise Ă  mal par l’« Ă©goĂŻsme des gĂšnes totalement indiffĂ©rents Ă  l’égard du genre et de l’espĂšce. » (Sloterdijk, 2001) Enfin, la septiĂšme vexation serait celle de l’ordinateur qui, notamment, « lui impose de prendre conscience de la position pĂ©rimĂ©e et insuffisante qu’il occupe dans les nouveaux horizons. » (Sloterdijk, 2001)

Cette idĂ©e des sciences et des technologies contemporaines comme Ă©lĂ©ment de vexation narcissique, au sens donc oĂč l’entend Freud, est une idĂ©e assez prĂ©gnante dans la pensĂ©e actuelle. On la retrouve chez Lyotard, dans L’inhumain, titre dĂ©jĂ  significatif en soi. Lyotard pose dans cet ouvrage la question du devenir de la pensĂ©e une fois que son vĂ©hicule biologique aura disparu du fait de l’explosion prĂ©vue du soleil. Il propose, dans cette perspective, de « simuler les conditions de la vie et de la pensĂ©e de telle sorte qu’une pensĂ©e reste matĂ©riellement possible aprĂšs le changement de l’état de la matiĂšre qu’est le dĂ©sastre. » (Lyotard, 1988) Cette simulation est bien sĂ»r du ressort de ce qu’il appelle la techno-science. On retrouve ici la notion de « successeur » que dĂ©veloppe Truong, mais ce que Lyotard dĂ©finit comme une nĂ©cessitĂ©, Truong le prĂ©sente comme une Ă©volution logique, de type darwinien, en quelque sorte. Le « successeur » s’inscrit dans la poursuite logique de l’évolution de la vie, et c’est dans cette logique qu’il servira de vĂ©hicule non organique Ă  la poursuite de la vie.

On comprend dĂšs lors en quoi l’énoncĂ© de cette perspective peut reprĂ©senter une vexation narcissique. Lyotard l’évoque de la façon suivante : « Par la techno-science contemporaine, [l’humain] apprend qu’il n’a pas le monopole de l’esprit, c’est-Ă -dire de la complexification, mais que celle-ci est non pas inscrite comme un destin de la matiĂšre, mais qu’elle y est possible, et qu’elle a eu lieu, au hasard, mais intelligiblement, bien avant lui-mĂȘme. Il apprend en particulier que sa propre science est Ă  son tour une complexification de la matiĂšre, oĂč, pour ainsi dire, l’énergie elle-mĂȘme vient se rĂ©flĂ©chir, sans qu’il en tire nĂ©cessairement bĂ©nĂ©fice. Et qu’ainsi il ne doit pas se considĂ©rer comme une origine ni comme un rĂ©sultat, mais comme un transformateur assurant, par sa techno-science, ses arts, son dĂ©veloppement Ă©conomique, ses cultures, et la nouvelle mise en mĂ©moire qu’elles comportent, un supplĂ©ment de complexitĂ© dans l’univers ? » (Lyotard, 1988)

La vexation narcissique s’énonce donc dans le rapport Ă  la dilution du concept d’humain, tel qu’il a notamment Ă©mergĂ© au XVIIe siĂšcle, dans un systĂšme global dont il procĂšde. Foucault l’avait dĂ©jĂ  analysĂ© avec la psychanalyse et la linguistique, mais les technosciences l’ont affirmĂ© encore en le dĂ©pliant en un systĂšme informationnel ni plus ni moins prĂ©Ă©minent que n’importe quel autre systĂšme informationnel. 

Et dans cette approche du rĂ©el, ce qui est en train de se dessiner, c’est que les reprĂ©sentations du rĂ©el qui se construisent du fait des technosciences et de leurs enjeux conceptuels conduisent Ă  une vision globalisĂ©e du rĂ©el et non plus sectorisĂ©e. C’est tout le sens de la dĂ©marche de Deleuze et Guattari qui, dans Mille plateaux, opposent le rhizome Ă  l’arborescence. (Deleuze et Guattari, 1980)

Sloterdijk dĂ©crit le concept de globalisation de la façon suivante : « 
 dans son acception actuelle, le concept fait apparaĂźtre, sans le moindre doute, le fait que nous sommes impliquĂ©s dans un processus d’abolition des distances. Cela nous conduit Ă  ĂȘtre concernĂ©s par des choses qui se dĂ©roulent trĂšs loin de nous au mĂȘme titre que si elles Ă©taient toutes proches, si bien que l’espace rĂ©ellement Ă©tendu, sĂ©parateur, discret et Ă©mancipateur est de plus en plus Ă©liminĂ©. » (Sloterdijk, 2003) Dans cette dĂ©finition, il fait allusion Ă  la rĂ©tractation de l’espace du fait, notamment, des technologies de la communication. Mais cette dĂ©finition convient tout Ă  fait Ă  l’espace du rĂ©el tel que les technologies actuelles tendent Ă  le dĂ©finir : un espace oĂč les frontiĂšres sont devenues complĂštement poreuses et oĂč le rĂ©el n’apparaĂźt plus comme une organisation topographique et arborescente d’entitĂ©s conceptuelles, physiques, biologiques, etc. relativement autonomes les unes des autres, mais comme une globalitĂ© rhizomique inter opĂ©rationnelle.

DĂšs lors, se pose avec Ă©vidence la question de la place de l’artiste au regard de cette nouvelle rĂ©alitĂ©. Si l’on admet, comme je le pense, que le rĂŽle de l’artiste est de faire Ă©merger Ă  travers son Ɠuvre les rapports problĂ©matiques au rĂ©el tels qu’ils se dĂ©finissent Ă  son Ă©poque, il me semble que la crĂ©ation artistique peut difficilement faire l’économie des enjeux que reprĂ©sentent les technologies contemporaines dans l’apprĂ©hension du rĂ©el. 

Est-ce Ă  dire pour autant que l’artiste doit se situer en position de rĂ©sistance ou d’aliĂ©nation par rapport Ă  ces enjeux et ces technologies? AliĂ©nation, probablement pas, car la seule aliĂ©nation possible dans le processus de la crĂ©ation artistique est celle de l’artiste Ă  son Ɠuvre. Si l’artiste doit s’aliĂ©ner, se rendre autre, Ă©tymologiquement, c’est uniquement dans le processus de dĂ©possession de soi qui fait qu’il peut y avoir Ɠuvre, certainement pas dans la dĂ©possession de soi qui serait le corollaire d’une addiction Ă  une technologie, quelle qu’elle soit d’ailleurs. L’addiction n’a jamais Ă©tĂ© source de crĂ©ation en tant que telle. Si les technologies contemporaines sont convoquĂ©es dans un nombre croissant de dĂ©marches artistiques, ce n’est pas, ça ne peut pas ĂȘtre non plus par simple effet de mode. L’Ɠuvre d’art procĂšde ontologiquement d’une singularitĂ© qui n’est pas compatible avec l’effet de mode. Leur prĂ©sence croissante dans les dĂ©marches artistiques vient de ce qu’elles fournissent probablement les outils les mieux appropriĂ©s pour apprĂ©hender la complexitĂ© du rĂ©el tel qu’elles ont contribuĂ© elles-mĂȘmes Ă  dĂ©finir. Si, effectivement, nous sommes dans une situation de changement de paradigme, cette situation est due non seulement au dĂ©veloppement des technologies actuelles, mais surtout aux humains qui ont contribuĂ© Ă  dĂ©finir conceptuellement le contexte dans lequel ces technologies ont pu se dĂ©velopper, et les artistes font partie de ces humains-lĂ . Par dĂ©finition et par nĂ©cessitĂ©. Il n’y a pas de crĂ©ation artistique possible qui ne s’articule pas aux grands enjeux de la pensĂ©e de son Ă©poque, qui ne se nourrisse pas, par vocation ontologique, en quelque sorte, de ces enjeux qu’elle contribue en retour Ă  alimenter.

Alors, l’artiste doit-il se situer dans la rĂ©sistance? Si l’on doit penser la rĂ©sistance comme une opposition rĂ©actionnelle, pour ne pas dire rĂ©actionnaire Ă  ces technologies, cela n’a pas de sens non plus, pour les mĂȘmes raisons.

Par contre, et c’est en cela qu’il me semble que se justifie la crĂ©ation artistique, si l’on doit penser la crĂ©ation en termes de rĂ©sistance, c’est au sens de ce qui rĂ©siste, ce qui n’est pas dĂ©pliable dans le processus gĂ©nĂ©ral de dĂ©pliage qui caractĂ©rise les technologies contemporaines. Si les processus de l’intelligence peuvent ĂȘtre actuellement dĂ©pliĂ©s, par les sciences cognitivistes par exemple, il reste encore toute une sĂ©rie de domaines qui restent inaccessibles Ă  ce dĂ©pliage tels que les affects par exemple, et la crĂ©ation artistique est un de ces domaines. 

Sans doute est-ce dĂ» Ă  l’espace particulier qu’elle investit dans le domaine des opĂ©rations mentales et qui n’est pas encore modĂ©lisable. La crĂ©ation artistique, en tant que processus, ne ressortit pas au domaine de l’intelligible. C’est en cela, probablement, qu’elle procĂšde de la mĂ©dusation. Jean Clair dĂ©finit MĂ©duse de la façon suivante : « À grossiĂšrement parler, [
] on pourrait avancer que la Gorgone, en tant que divinitĂ© incarnant les puissances du dĂ©sordre et du radicalement autre que l’homme au mĂȘme titre qu’ArtĂ©mis et Dionysos, renvoie Ă  ces pĂ©riodes de flottement entre culture et sauvagerie; entre vie et mort, entre l’état in-fans de l’inarticulĂ© et du cri et l’état adulte du logos, qui sont aussi des pĂ©riodes de passage. » (MĂ©duse, 1989) C’est lĂ  que se situe l’espace de la crĂ©ation artistique, entre l’infans et le logos, dĂ©jĂ  plus le cri inarticulĂ©, mais pas encore le discours articulĂ©, dans ce champ polysĂ©mique et plurivoque gros de la rĂ©alitĂ© Ă  venir, mais gros en mĂȘme temps des multiples rĂ©alitĂ©s qui n’adviendront jamais. C’est parce qu’elle relĂšve de cette opacitĂ© intrinsĂšque que la crĂ©ation artistique peut se saisir des technologies contemporaines sans leur ĂȘtre aliĂ©nĂ©e. C’est parce que l’humain procĂšde peut-ĂȘtre avant tout, non pas de l’intelligence prise comme processus informationnel, mais de cette opacitĂ© constitutive qu’est l’infans, le monstre, l’inconscient, l’Autre, qu’il n’est pas rĂ©ductible.

Jean-François Lyotard soulĂšve lui-mĂȘme le problĂšme lorsqu’il dit : « Est-il mĂȘme consistant de prĂ©tendre mettre en programme une expĂ©rience qui dĂ©fie, sinon la programmation, du moins le programme, comme est la vision du peintre ou l’écriture? » (Lyotard, 1988) C’est parce que la crĂ©ation artistique relĂšve de la rĂ©sistance que son rĂŽle est de crĂ©er des espaces interstitiels dans la globalisation dont procĂšde le paradigme cybernĂ©tique et c’est Ă  partir de ces espaces interstitiels qu’elle doit creuse, forer cette globalisation en la renvoyant Ă  ses paradoxes.

Notes

[1] Henri Atlan, citĂ© par CĂ©line Lafontaine, L’empire cybernĂ©tique. Des machines Ă  penser Ă  la pensĂ©e machine, Paris, Seuil, 2004, p. 117

Bibliographie

– Clair, Jean, MĂ©duse, Paris Gallimard, 1989, 256 p.

– Deleuze Gilles et FĂ©lix Guattari, Capitalisme et schizophrĂ©nie 2. Mille plateaux, Paris, de Minuit, 1980, 648 p.

– Lafontaine, CĂ©line, L’empire cybernĂ©tique. Des machines Ă  penser Ă  la pensĂ©e machine, Paris, Seuil, 2004, 238 p.

– Lyotard, Jean-François, L’inhumain, Causeries sur le temps, Paris, GalilĂ©e, 1988, 219 p.

– Serres, Michel, L’hominescence, Paris, Le Pommier, 2001, 342 p.

– Sloterdijk, Peter, L’heure du crime et le temps de l’Ɠuvre d’art, Paris, Hachette coll. « Pluriel », 2001, 348 p.

– Sloterdijk, Peter, Ni le soleil ni la mort. Jeu de piste sous forme de dialogues avec Hans-JĂŒrgen Heinrichs, Paris, Hachette coll. « Pluriel », 2003, 432 p.

– Truong, Jean-Michel, Totalement inhumaine, Paris, Les empĂȘcheurs de tourner en rond, 2001, 220 p.