L’attirail numérique met la terre en onde et, sur l’autre versant, l’écologie met la terre en alerte. Deux voies sur la portée mondiale contemporaine.
Qu’en est-il des pratiques esthétiques et de la terre ?
Les années 60-70 ont particulièrement démontré avec le Land Art(américain) et l’Arte povera (italien) que si, d’une part, l’action humaine enfonce une signature profonde dans le visage de la nature, de l’autre, la nature est notre terroir génétique. Partant de là, l’approche de la nature s’effectue sur divers modes, allant de la fusion mystique aux constructions gigantesques, de la brindille éphémère à la gouverne cosmique.
Alors que l’agressivité moderniste salissait les orthodoxies du classicisme avec des oeuvres inaugurales comme le fut L’Olympiade Manet, le Land Art, pour sa part, glorifie le paysage à coups d’outils industriels (Spiral Jetty, 1970, de Robert Smithson est un classique de cette approche). À l’opposé, certains artistes transforment leurs ballades solitaires en forêt en arguments esthétiques (le plus représentatif étant Richard Long).
Un contraste apparent, car les ficelles sémantiques entre ces deux pratiques reposent sur l’axe d’une polarisation entre la vénération tribale (la spirale, signe d’une cosmogonie implicite) et le recueillement initiatique (l’ermitage au sein de zones vierges).
En filigrane à ces extrêmes, de nombreux artistes poursuivent des démarches dans lesquelles les matériaux naturels occupent une place très importante sinon cruciale à la compréhension de l’oeuvre.
On aurait certainement tort de maintenir une division artificielle entre la technologie et la nature. Le sectarisme d’une telle position engendrera bien des malentendus et beaucoup de faussetés. La technologie a toujours été issue d’une fine compréhension des dynamiques naturelles. Non seulement cela est-il vrai sur un plan scientifique mais aussi sur le plan psychique. À titre d’exemple, le romantisme et son penchant pour les effets fusionnels entre la nature et les états d’esprit. La littérature et le cinéma fantastiques font leur pain de cette association ; sombres bruissements de feuilles mouillées et frissons garantis!
Faut-il donc se référer à l’imagination matérielle de Gaston Bachelard, aux contraintes de l’industrie, à la contestation écologique, à la philosophie, à la technologie, à la religion ou à la science du chaos pour penser cette forte présence du naturel dans les oeuvres contemporaines ? Concrètement, l’utilisation de l’idée ou de la matière recouvrant le terme « nature » se découvre pour chacune des situations esthétiques proposées puisqu’il y a, à chaque fois, une intégration dynamique à l’ensemble. Un exercice in situ sur ce thème augmente tangiblement la flexibilité perceptive et réceptive.
Chose certaine, la terre s’accole un concept, une réalité et un mythe des origines dont il est difficile de se départir, même dans le cyberespace.
Pratiques artistiques
Osmose , l’oeuvre interactive et virtuelle de Char Davies, présentée au Musée d’art contemporain de Montréal en 1996, puisait son inspiration dans les matières et symboles fondamentaux que sont l’eau, la terre, le feu, l’air, l’arbre et les racines. Mais rien de naturel au sens propre du terme ne venait confirmer ou soutenir la pensée de cette production totalement digitale. Un voyage en-deçà de la réalité, dans un univers transparent, dans la chambre cristalline de la vie dévoilée sous l’orchestration des mouvements du corps. Le seul intervenant naturel c’est un être humain casqué et branché. L’oeuvre s’est transportée à Londres pour la période estivale (1997). On peut se faire une idée du type de dessin numérique et prendre connaissance d’un dossier complet sur l’artiste sur le site de Softimage, la compagnie parraine le projet.
Pour une description commentée de cette expérience virtuel osmotique, nous vous suggérons fortement le très beau texte de Pierre Lévy. Il nous fait part de son voyage avec une sensible présence filmique. Pierre Lévy est philosophe et professeur à l’Université Paris-8 à St-Denis.
Dans un autre ordre d’idée, Chris Page produit des oeuvres peintes qui allient spiritualité et textures terrestres dans une facture abstraite. « Spirituality (specifically the Bahaï Faith) and Nature are the primary sources for my work. » Ici, un sens de l’harmonie plastique et formelle dédiée à la suspension monophysite (état divin et terrestre unifiés). La nature se transforme en symbole de vie, anime la surface et l’abstraction figure l’universalité du langage.
Les losanges utilisés par Page me rappellent ceux que présentaient Louise Paillé à la galerie Yves Leroux (Montréal, 1996) sous le titre Danse macabre, une oeuvre récemment acquise par le Musée d’art contemporain de Montréal. Des losanges décoratifs à chromas rouges ceinturaient l’espace de l’exposition et flambaient par un jeu d’effet optique. Le centre, le feu, la forme géométrique sont des attributs qu’on peut qualifier d’ancestraux et, en cela, très près de la nature vive.
En visualisant les oeuvres de Louise Paillé dédiées à l’intégration architecturale et disponibles dans le Web, on constate que la ligne et l’espace cosmique occupent ses intérêts esthétiques (qui ne se résument pas à ce type d’espace). Le message demeure toujours « terrestre » en tant que paysage. Un fil anthropologique. Images : 1987-1988, 1988-1989.
Autre document d’intérêt, Le colloque du solide au fluide présenté par le 3e Symposium en arts visuels de l’Abitibi-Témiscamingue (1997). Bref, mais bien fait.
Prenant appui sur les particularités géomorphiques de la région (eskers, moraines, glaciations, etc.), le colloque interrogeait les changements de phase de la matière. Le texte de présentation nous introduit à la théorie du chaos dans ses liens avec les pratiques esthétiques, la pensée, l’information, l’art et les institutions. Voici un extrait de ce texte (maintenant hors ligne) :
Vous lirez certainement avec intérêt cette entrevue (en anglais) menée par Stephen Miller avec Elisabet Sahtouris pour le compte du site Nirvanet. Une scientifique fort sympathique et une des premières à avoir contribué à la théorie Gaïa (la terre considérée comme un organisme vivant). Bonne lecture.
Bibliographie
– Brandt, Per Aage, «Back to Reason : On Philisophy and Misbehaving», Center for Semiotic Research, University of Aarhus, Denmark, 1995.
– Virilio, Paul, «Fin de l’histoire, ou fin de la géographie? Un monde surexposé». Le monde diplomatique, août 1997.
– Le numéro 38 de la revue ETC Montréal est entièrement consacré à cette question. Une revue qui fête cette année son dixième anniversaire. C’est aussi le dixième de la revue Espace dont le mandat s’articule autour de la sculpture et de l’installation.
– Art, nature et société, un livre de J. K. Grande publié en 1994 et traduit en 1997 aux Éditions Écosociété. On y retrouve un bon nombre d’artistes de la scène québécoise et internationale.