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Entretiens

Tom Drahos ou l'abîme de l'arborescence

Tom, au fil des ans, ta production artistique semble s’inscrire dans un cheminement pluridisciplinaire. Qu’est-ce qui te conduit aujourd’hui à réaliser des oeuvres numériques sur cédérom?

Ton Drahos : Je crois que cela s’est toujours inscrit dans ma logique de création. Ayant commencé avec la photographie et le cinéma, j’ai toujours eu l’impression d’avoir besoin d’explorer tous les médiums possibles. Si je veux par exemple exprimer le mouvement: le cinéma ou la danse sont parfaits; si je veux exprimer les idées: la littérature est mieux; si je veux exprimer l’espace: la sculpture est beaucoup plus adaptée dans ce cas que la littérature. Ce qui me gênait le plus en choisissant une seule discipline, c’est que pour moi, il y avait blocage à un moment donné. J’aime aussi beaucoup la littérature, les idées fortes, puissantes… mais l’art contemporain ne produit plus cela aujourd’hui, il travaille plutôt sur des concepts qui restent la plupart du temps extrêmement simples. De ce point de vue, je ressens une grande frustration dans les arts dits uniquement plastiques. C’est pourquoi, avec le multimédia, j’ai l’occasion de travailler sur des oeuvres qui me correspondent véritablement et dans lesquelles je peux enfin tout insérer.

Les adaptations littéraires ponctuent ton oeuvre depuis déjà bien longtemps. Tes deux nouvelles pièces sur cédérom, Albertine Off Line et Chateaubriand.com, renouent (comme d’ailleurs les trois précédentes) avec cette attitude. En quoi ce travail de relecture te semble-t-il nécessaire et porteur de sens sur notre monde contemporain?

Je travaille beaucoup avec des classiques; ils ont une puissance… Cela m’intéresse de les adapter à notre monde contemporain comme on le fait couramment au théâtre. C’est d’ailleurs une chose qu’on voit très peu dans les arts plastiques puisqu’il n’y a quasiment plus de représentation. Depuis une centaine d’années, la narration a presque également totalement disparu des arts plastiques, ce qui est du reste tout à fait normal. Elle est cependant toujours restée omniprésente dans le cinéma ou la littérature. A nouveau, je crois qu’elle retrouve dans le monde numérique son rôle de « pont » entre l’histoire et les représentations plastiques.

Chercherais-tu à davantage exploiter certaines formes narratives latentes de la littérature et de la musique du XXe siècle (Franz Kafka, James Joyce, Alain Robbe-Grillet, Arnold Schoenberg, Steve Reich, etc.)?

Dans l’espace numérique, l’esprit trouve à son service et à l’infini autant de combinaisons que de stratégies d’expressions. La pratique de la narration non linéaire permet une approche différente de notre monde. Et dans le multimédia, cela prend une puissance mille! A partir du moment où tu t’es aventuré dans un embranchement aléatoire qui se greffe à son tour sur d’autres embranchements aléatoires, la pensée peut nous échapper et peut-être même constituer des poches de résistance…