Aller au contenu
Cyberthéorie

Art et théorie de l'information dans l’œuvre d'Abraham MOLES (1920-1992)

1. Le modèle : La théorie scientifique de l’information

Le point d’ancrage de la théorie esthétique d’Abraham Moles était la théorie scientifique de l’information. Une théorie élaborée essentiellement par Claude Elwood Shannon et Warren Weaver (ingénieurs mathématiciens américains) dans les années 1940 – The Mathematical Theory of Communication, 1949 – et même dès 1928 par Ralph Hartley, ingénieur électricien.

À ses origines, cette théorie porte sur la mesure quantitative des signaux véhiculés par un système de télécommunication. Dans cette théorie, l’ingénieur parle d’une «quantité d’information» proportionnelle à l’imprévisibilité du signal reçu par un système en une unité de temps donnée, sachant qu’une information sera d’autant plus imprévisible pour le récepteur qu’elle manifestera plus de complexité dans sa forme (sa structure).

2. L’esthétique informationnelle

Elle repose sur l’idée que toute oeuvre d’art ou toute «expression artistique» (sens plus extensif selon A. Moles) peut être considérée comme un message qui se transmet entre un individu créateur (ou un groupe), généralement appelé l’artiste, et un autre individu (ou groupe social) qui en est le récepteur. Le «message» se transmet par l’intermédiaire d’un «canal» de transmission : le système des sensations visuelles ou auditives par exemple.

La théorie de la transmission des signaux, en physique, sert donc d’amorce à cette réflexion sur l’art, de modèle initial de formalisation pour penser la relation perceptuelle entre l’objet créé et le sujet percevant.

À ce modèle de la théorie de l’information sont inhérentes des propriétés statistiques fondées sur la théorie mathématique des probabilités : l’imprévisibilité du message est liée à la probabilité (faible ou forte) d’apparition des éléments du message. Une forte probabilité d’apparition des données d’information équivaut à une information quasi nulle, et inversement une faible probabilité équivaut à une très forte information pour le récepteur. Ces notions peuvent se comprendre même de manière intuitive.

Cette théorie des probabilités faible ou forte se comprend plus aisément à l’aide d’un jeu de cartes. On donne l’exemple d’un jeu contenant 4 piques, 2 cœurs, 1 carreau et 1 trèfle. Les probabilités de tirer l’une ou l’autre carte diffèrent selon leur nombre respectif dans le jeu. Dans le schéma ci-dessous, on quantifie la relation entre les probabilités et l’information nécessaire pour «sortir une carte». Les conditions de sortie sont plus élevées pour les cartes uniques et, dès lors, exigent une plus grande quantité d’informations conditionnelles.

3. La mesure en esthétique et le refus de la « forme pure » en art

A –

La thèse centrale de l’esthétique informationnelle, c’est donc qu’il est possible de mesurer, de quantifier (de façon essentiellement statistique), les phénomènes esthétiques de toute nature.

Cette modélisation a pour conséquence que les formes artistiques ne sont pas des données immédiates de la conscience perceptive, mais qu’elles peuvent être décomposées en éléments simples (plus simples que la totalité du message reçu), en vertu du modèle émetteur récepteur de la théorie de l’information.

B –

Abraham Moles en déduit une définition du beau, indépendante de critères absolus, en particulier de critères métaphysiques, au profit d’une caractérisation statistique : la beauté est liée à des propriétés statistiques, démontrables statistiquement, susceptibles en outre de contrôle expérimental, qui appartiennent à la relation existant entre le message artistique et le récepteur du message en question. Elle n’est plus, a priori, considérée en tant que valeur transcendante (celle des philosophies classiques depuis Platon).

La théorie informationnelle de la perception esthétique repose, par conséquent, sur un point de vue (ou une « prise de position ») objectiviste concernant l’évaluation des phénomènes esthétiques, en vertu de quoi la notion de beauté est, en quelque sorte, «mise entre parenthèses» au profit de l’idée d’une quantité mesurable de nouveauté perceptuelle.