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Critiques

Datadynamics

OrganisĂ©e par le Whitney Museum, Datadynamics propose un Ă©ventail de projets artistiques exploitant la figure du flux informationnel. Regroupant Mark Napier, Adrianne Wortzel, Beth Stryker et Sawad Brooks, Marek Walczak et Martin Wattenberg ainsi que Maciej Wisniewski, cette exposition reflĂšte une attitude envers le Web toute amĂ©ricaine. Comme on le sait, le Whitney se consacre entiĂšrement Ă  la culture amĂ©ricaine, il est donc reprĂ©sentatif d’une physionomie artistique made in US. L’exposition avait lieu du 22 mars au 10 juin dans les salles du musĂ©e et en ligne. Nous nous intĂ©ressons ici Ă  la partie en ligne de ce projet musĂ©al.

Partant de la prĂ©misse selon laquelle la recherche artistique sur Internet s’active Ă  modĂ©liser le flux informationnel, les Ɠuvres en exhibent diffĂ©rentes facettes, sous diffĂ©rents angles. Le dĂ©nominateur commun de l’exposition Ă©tant le dĂ©sir de capter un globalitĂ© fuyante.

D’entrĂ©e de jeu, sur le site, se prĂ©sente Ă  nous une bouteille remplie de liquide rose et huileux par laquelle on accĂšde au contenu. De prime abord, l’image paraĂźt contradictoire, contenir un flux qui, par dĂ©finition, s’écoule. On ne saisit pas trĂšs bien Ă  quoi cette bouteille fait rĂ©fĂ©rence, qui plus est, la qualitĂ© de l’image s’avĂšre plutĂŽt mĂ©diocre. Elle a le profil et la couleur d’une bouteille de parfum Ă  cinq sous, pas trĂšs engageant.

DĂšs que le curseur bouge, l’intĂ©rieur de la bouteille s’anime, c’est la premiĂšre couche interactive du site. Les hypermots Whitney, Datadynamics, Artists et Sponsors (par ordre d’importance visuelle),sur un fond de bulles roses bonbons, circuleront dans la direction opposĂ©e aux dĂ©placements de la souris, l’éloignement du curseur par rapport Ă  l’objet augmentera simultanĂ©ment la vitesse des dĂ©placements. Ce procĂ©dĂ© d’animation via la souris est Ă  proprement parler un clichĂ© sur le Web, nombre d’artistes et de sites de tous ordres en usent ou en ont usĂ©. Voulant faire image du flux, cette illustration paraĂźt facile, rĂ©ductrice et sans grand intĂ©rĂȘt. L’entrĂ©e en matiĂšre est, Ă  cet Ă©gard, navrante. Qui plus est, les mots Artists et Sponsors ont la mĂȘme importance typographique, pas de distinction entre les deux. Les sponsors France Telecom North America et la fondation Rockfeller se partagent une prĂ©sence Ă  part Ă©gale avec les artistes. On mĂ©lange vraiment tout dans cette bouteille signĂ©e Netomat, terme qui sous-entend le brassage automatique du Net (comme une brassĂ©e de linge dans une laveuse).

La couche interactive menant vers les Ɠuvres est composĂ©e de petites images rectangulaires, identifiĂ©es par les noms des artistes, et flotte sur le mĂȘme air d’aller que prĂ©cĂ©demment. En cliquant sur l’une de ces images, on accĂšde Ă  un troisiĂšme niveau prĂ©sentant le profil sommaire de l’artiste, un bref rĂ©sumĂ© du projet et un lien vers la page Web du projet.

Netomat est, en rĂ©alitĂ©, un utilitaire tĂ©lĂ©chargeable conçu et rĂ©alisĂ© par Maciej Wisniewski. Dans la lignĂ©e des Ɠuvres s’attaquant Ă  l’apparente stabilitĂ© des pages Web, Netomat affirme que le Web s’aborde aussi par l’atomisation de son flux, en rĂ©duisant son contenu Ă  des piĂšces dĂ©tachĂ©es. Les images, les textes, les sons et tout autre fichier sont dissociĂ©s les uns des autres et considĂ©rĂ©s comme des objets distincts et manipulables. Sous la directive de mots inscrits dans l’espace rĂ©servĂ© Ă  une requĂȘte vers le Web, Netomat ira chercher sur Internet des fragments reliĂ©s au thĂšme de la requĂȘte. Un amalgame de fragments s’écoule alors sous nos yeux. Toutefois, et cela semble plutĂŽt incongru, aucun hyperlien vers ceux-ci, on assiste passivement Ă  la parade des objets, on ne peut qu’en changer la vitesse et la direction du dĂ©bit. On se rappellera du succĂšs mĂ©diatique du Shredder 1.0 de Mark Napier (ce que j’appelle un composteur de codes HTML), Maciej Wisniewski a obtenu une visibilitĂ© semblable avec son Netomat. Dans l’un et l’autre cas, on travaille sur la forme et peu sur le contenu, certes sĂ©duisant, mais cela demeure superficiel et relativement infructueux sur le plan du traitement des donnĂ©es. Un brassage superfĂ©tatoire, Ă  mon avis.

Mark Napier prĂ©sentait pour sa part Point-to-Point, une Ɠuvre reliant des participants en ligne avec les visiteurs dans le musĂ©e. La partie en ligne est un module de dessin. En rĂ©pondant Ă  la question Who are you?, dans l’espace rĂ©servĂ© Ă  cette fin, les mots inscrits apparaĂźtront dans la zone dessin Ă  la suite des mouvements de la souris, formant des traĂźnĂ©es de lettres colorĂ©es, la taille typographique variant selon l’intensitĂ© du mouvement. Dans le musĂ©e, un appareil Ă©lectronique de dĂ©tection, Ă  l’affĂ»t des mouvements des visiteurs, provoquait sur un Ă©cran lumineux l’animation des mots inscrits via Internet. Le texte des internautes et le va-et-vient des visiteurs participant ainsi Ă  la mĂȘme oeuvre. Un principe interactif offrant beaucoup de possibilitĂ©s. À ce titre, rappelons l’Ɠuvre Rendez-vous sur les bancs publics de Luc Courchesne et Monique Savoie (1999) qui reliait en direct deux villes via un Ă©cran dans l’espace public, la crĂ©ation d’interactions directes et publiques produit des Ă©vĂ©nements sociaux enthousiastes. Un concept intĂ©ressant mais qui, sur le plan du contenu dans le cas de Napier, manque de profondeur.

Avec DissemiNET, Sawad Brooks et Beth Stryker ont crĂ©Ă© une diaspora sur le Web. Un lieu oĂč il est possible de dĂ©poser, d’appeler ou de perdre des souvenirs personnels ou collectifs. Écrit en Java, le tĂ©lĂ©chargement des modules ne se fait pas sans quelques accrocs, le navigateur a complĂštement figĂ© lors de notre premier appel, mais tout fonctionne trĂšs bien lorsque le contact est Ă©tabli. D’entrĂ©e de jeu, on reconnaĂźt le style fluide des animations de Sawad Brooks. Toutefois, la navigation y est plutĂŽt ardue, le texte est peu visible et le balancement incessant des images et du texte provoquĂ© par les mouvements de la souris finit par agacer. Comme il s’agit d’une Ɠuvre entiĂšrement basĂ© sur le contenu que les internautes y inscrivent, le design de l’interface, malgrĂ© sa beautĂ©, en perturbe l’accĂšs. Évidemment, le propos de l’Ɠuvre cherche Ă  nous sensibiliser Ă  la nature mouvante du Web et Ă  son contenu labile. Le design de la navigation exprime l’état du contenu, mais contrecarre l’intĂ©rĂȘt de ce dernier lorsque vient le temps de lire les rĂ©cits et les textes dĂ©posĂ©s par les internautes. Si on en reste Ă  ces considĂ©rations duales entre la forme et le contenu, dans le cas de DissemiNET la qualitĂ© de l’un et de l’autre entre en conflit pour l’usager.

Adrianne Wortzel utilise la robotique dans un espace thĂ©ĂątralisĂ© mettant en vedette un robot dĂ©nommĂ© Kiru, ce dernier vit dans le musĂ©e et interagit avec les visiteurs en leur montrant sur Ă©cran vidĂ©o sa perception des choses et l’interaction en cours. Il devient par ailleurs l’avatar de qui le dĂ©sire puisque un systĂšme de contrĂŽle informatisĂ© permet d’exiger du robot qu’il crĂ©e Ă  la demande des visiteurs des espaces virtuels qui sont diffusĂ©s sur le Web. Malheureusement, le site de l’Ɠuvre intitulĂ©e Camouflage Town n’était pas actif lors de nos essais de connexion, mĂȘme les fichiers en mĂ©moire suite Ă  une recherche sur Google.com se sont avĂ©rĂ©s nĂ©gatifs. Peut-ĂȘtre que Kiru en avait assez !

Marek Walczak et Martin Wisniewski prĂ©sente Apartment. À partir de textes Ă©crits par les utilisateurs sur un Ă©cran vierge, un bleu d’architecte se dessine. La sĂ©mantique des mots utilisĂ©s sert de locomotive aux formes crĂ©Ă©es qui seront ensuite traduites en trois dimensions comme s’il s’agissait d’un espace profond dans le prolongement de l’écran (le tĂ©lĂ©chargement d’un plugiciel est exigĂ© pour la navigation en 3D). Lors de la navigation dans cet espace les mots, initialement inscrits sous forme de texte, sont prononcĂ©s par un logiciel de traitement de la voix. Les appartements se regroupent en Ă©difices et les Ă©difices en villes dans un ordre de dĂ©pendances sĂ©mantiques. L’utilisateur a aussi l’opportunitĂ© d’imprimer le bleu de l’appartement crĂ©Ă© et de conserver ainsi un artefact de sa prĂ©sence dans ce projet. Ce dernier s’inspire d’une technique de mĂ©morisation imaginĂ©e par CicĂ©ron (de son vrai nom Marcus Tullius, CicĂ©ron est un surnom dĂ» Ă  une petite verrue sur le visage qui ressemblait Ă  un pois chiche, “cicero” en latin), les diffĂ©rentes piĂšces d’un appartement fictif servaient Ă  contenir les dĂ©veloppements thĂ©matiques d’un long discours, parcourir mentalement l’appartement permettait de bien accorder les proximitĂ©s de la mĂ©moire. Le but de l’Ɠuvre Ă©tant ici de spatialiser le texte. Sur ce plan, l’Ɠuvre est des plus rĂ©ussie. Les quelques thĂ©matiques dĂ©veloppĂ©es sont reprĂ©sentĂ©es sous forme graphique et le passage de l’une Ă  l’autre nous informe visuellement des agglomĂ©rats d’appartements selon les Ă©tats psychiques qu’ils reprĂ©sentent. 

Plus on ajoute des mots prĂ©alablement associĂ©s Ă  diffĂ©rentes piĂšces de l’appartement (par exemple market pour Officewalkpour Hallobserving pour Windowchair pour Living, etc.) plus le nombre de piĂšces augmentent et se transforment pour accueillir les nouveaux mots. Ceux qui ne sont pas rĂ©pertoriĂ©s pour la construction du bleu demeurent prĂ©sents mais flottent tout autour du schĂ©ma. MalgrĂ© cette apparente simplicitĂ©, on se laisse prendre au jeu et un profil personnel se met en place. Le niveau de complexitĂ© augmente selon l’intĂ©rĂȘt accordĂ© Ă  la construction.

Il s’agit du projet le plus intĂ©ressant de l’exposition Datadynamics, car il fait pleinement usage des diffĂ©rentes dimensions impliquĂ©es par la communication et l’interactivitĂ©. On peut ainsi dĂ©placer nos centres d’intĂ©rĂȘt, voyager dans les villes, dĂ©couvrir des appartements individuels, crĂ©er et s’inspirer de la multitude. S’ensuit un vĂ©ritable sentiment de collectivitĂ©, de participation et de voisinage fourmillant d’états psychiques hĂ©tĂ©rogĂšnes. Superbe, bien conçu et adaptĂ© au Web.

À l’encontre des autres artistes prĂ©sents dans cette exposition, Marek Walczak et Martin Wisniewski vont au delĂ  de cette tendance Ă  vouloir rendre une image du Web pour se concentrer sur des Ɠuvres dont la dynamique construit en continu tout en enrichissant le contenu. Il s’agit lĂ  d’un modĂšle exemplaire pour qui veut intĂ©grer l’art dans le flux informationnel du Web.

Notes

Le site MobileGaze nous autorise Ă  reproduire cet article qui lui Ă©tait dĂ©diĂ© Ă  l’origine. Une version anglaise de ce texte est aussi disponible sur MobileGaze.