Mémoire de maîtrise des Sciences et Techniques, Université de Provence, Département SATIS (Science Art et Technique de l’image et du son), sous la direction d’Isabelle Renucci.
Introduction
L’art a longtemps porté l’iconographie religieuse et s’est ainsi entouré d’une aura sacrée, dont les deux piliers restent la peinture et la sculpture. Or, l’art moderne, et plus précisément, l’art contemporain s’évertuent, depuis presque un siècle, à lui retirer cette sacro-sainte dimension, sans y parvenir réellement ; nombres d’artistes s’évertuent à ébranler ses principes esthétiques et violentent la notion de Beauté. Ainsi, ce ne sont plus des “Mère à l’enfant” que nous admirons dans les musées, mais des manteaux de fourrure façonnés avec la peau d’animaux domestiques trouvés morts sur les bords de routes, ce ne sont encore moins des “Christ en croix” mais des “Birthday Cakes” sculptés dans une cire imitant le plus fidèlement possible une chair humaine sanguinolente et suintante. Cependant, même si les préoccupations de l’art se sont modifiées depuis une certaine mise à mal de la peinture dite “classique”, ces oeuvres sont toujours exposées dans des galeries et des musées, toiles aux murs et sculptures sur des socles d’un blanc pur. Et la chorégraphie des regardeurs reste la même : tourner autour de l’objet d’un air dubitatif, puis se plonger dans une profonde réflexion sur la portée artistique d’un geste, d’une toile vierge, d’un objet quotidien, d’une vidéo… Malgré toutes ces tentatives, l’art reste et restera paradoxalement sacré, dans la mesure où il continue de s’inscrire au centre de la trinité païenne : Critique, Négoce, Institution.
L’artiste, situé au cœur de ce cercle imparfait a, aujourd’hui, la possibilité de se tourner vers des médiums et des moyens que les technologies mettent à sa disposition. C’est ainsi que certains entrent en toute discrétion sur le Net pour y exposer, tout au moins y mettre en ligne le fruit d’une réflexion artistique. Or, Internet fut enfanté par la technologie. L’art et la science, les frères ennemis, n’en finiront jamais de tenter de se rattraper l’un l’autre. La technologie, ou disons plutôt la technique, a toujours été décriée par le monde artistique. Chaque époque porte son lot de combats contre ceux qui tentaient d’enrichir l’art par des procédés modernes et inédits. On sait le combat de Baudelaire contre la photographie, qui devait se contenter de n’être que la vile servante des arts et des sciences.
Internet, réseau des réseaux, accessible au plus grand nombre, objet de masse et effet culturel, a été investi par le monde de l’art et par les artistes eux-mêmes. De même que la technologie met à la disposition de chacun une accessibilité simplifiée au Web, elle offre aussi une vulgarisation des techniques informatiques de création (création de site, création graphique…) telle que chacun peut, désormais, intégrer la Toile sans grand besoin de connaissances techniques et informatiques poussées. En faisant son entrée sur le Net, l’art prend une nouvelle dimension nouvelle. Devant un engouement massif des artistes pour les nouvelles technologies, le monde de l’art est resté longtemps muet ou arbitrairement sélectif.
Pourtant, l’art sur le réseau est bien une pratique contemporaine ; on la nomme indifféremment Cyberart, Webart, art du réseau, ou Net-art. Quelle que soit son appellation, elle se développe largement sur le Web, à un point tel que le monde de l’art est finalement contraint d’ouvrir les yeux sur l’ampleur de la production. Les artistes, quant à eux, extrêmement autonomes en raison de la nature même du support, n’ont pas attendu auprès des Institutions pour donner une place à leur pratique au sein de l’art contemporain. C’est ce que nous verrons, en étudiant, dans un premier temps, les champs qu’occupe le monde de l’art sur Internet, puis, en un deuxième temps, nous analyserons un large échantillonnage d’œuvres nées de cette association de l’art et du réseau. Enfin, nous étudierons le rôle que joue le cyberart dans l’évolution des principes artistiques et de l’histoire de l’art.
Chapitre 1
Par effet de mode, ou réelle conscience des possibilités du Net, tous les secteurs d’activité se sont rués sur ce nouveau média. Devant une telle effervescence, le milieu artistique n’est pas resté insensible. Il s’est même montré précurseur avec, au début des années 1970, les premiers travaux basés sur des problématiques de réseaux. Plus frileuses, les Institutions artistiques se réveillent à peine et découvrent les performances des cyberartistes, en commençant à favoriser officiellement leur développement.
Internet est un réseau ouvert, à savoir que chacun peut y déposer à son gré de l’information, sans contrôle préalable de contenu ou de qualité. On y trouve donc le meilleur comme le pire : propositions d’œuvres cybernétiques plus ou moins crédibles, sites “vitrines” d’artistes faisant leur autopromotion et exposant leurs œuvres numérisées avec plus ou moins de fidélité, galeries devenant cybergaleries exploitant le e–commerce, musées et expositions virtuelles permettant non plus aux internautes de se perdre physiquement dans des dédales architecturaux, mais de déambuler dans des labyrinthes virtuels, salles des ventes proposant de réelles enchères en ligne, bref du tout et du n’importe quoi, efficace ou gratuit. Lorsqu’on fait une recherche par moteur de recherche classique avec le terme “art”, le résultat annonce environ 8 millions de pages existantes, toutes spécialités confondues, et ce, uniquement sur le Web francophone. Face à cette surabondance, il devient nécessaire de faire un bref inventaire de ce qui existe en ce domaine afin d’en mesurer la portée réelle par rapport au milieu établi de l’art.