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Cyberthéorie

États de couleur : du pixel graphique au pixel numérique

Depuis des siècles, la couleur peut être décryptée sous une forme conceptuelle. Objet d’étude et d’analyse, elle se limite à un ensemble de nombres ou d’algorithmes, suite aux théories de Newton et autres scientifiques. Décomposée en ses éléments, elle renvoie à la décomposition du spectre lumineux ou bien, elle est recomposée dans les processus de synthèse additive des couleurs. Codée par des schémas, des tableaux, des règles ou encore répondant à une charte imaginaire, elle se numérise au sein d’un ordre qui permet de la mesurer et de la maîtriser. Des artistes comme Mondrian ou Malevitch, ont aussi pensé la couleur comme un chiffre. Idéelle, elle se décolore, réduite à une logique élémentaire. Rationalisée, épurée, la couleur devient numérisable et conceptuelle, loin des substances et des matières du monde. 

1024 Couleurs (1024 Farben n° 350-3, laque sur toile, 254 x 478 cm, 1973)

Aristote, Alberti ou encore de Vinci se sont frottés à l’élaboration d’un système de couleurs. Le système de classification des couleurs 1 utilisé jusqu’à nos jours a été mis au point par le chimiste Chevreul. Ce système, sous forme d’un espace hémisphérique, présente à sa base un cercle de 72 tonalités dont chaque gamme chromatique est composée de 200 tons, ce qui donne un ensemble de 14 400 tons. Dans l’art et les sciences, nombreuses tentatives ont tendu vers cette élaboration d’une « carte des couleurs » normalisée, où chaque teinte recevrait une désignati)on univoque pour arriver à une couleur reproductible. Cette couleur devient donc transmissible, bien loin des variations subjectives propres à Goethe ou à Kandinsky, mais plus proches des investigations de Chevreul. Nous le savons, les peintres du courant néo-impressionniste ont été influencés par cette conception élémentaire de la couleur. En 1973, Gerhard Richter envisageait une codification numérique de la couleur dans ses peintures. En effet, dans sa toile intitulée, Gerhard Richter démultiplie indéfiniment les couleurs à partir des trois couleurs fondamentales. La surface picturale se compose de 1024 rectangles de différentes couleurs juxtaposés en étroites bandes ponctuées de lignes blanches.

Cette juxtaposition de rectangles de couleurs suggère picturalement une codification numérique de la couleur. Disposées sur un clavier de l’imaginaire, les cases de couleurs sont délimitées comme dans un échantillonnage de teintes mais, sans ordre apparent. La surface picturale est froide, telle une page imprimée sur papier glacé. Ce nuancier de couleurs renvoie ainsi à la trame colorée de l’image numérique disposant d’une palette infinie de couleurs. 

Les points pigmentaires décomposent ainsi la couleur en ses infimes constituants. Dès lors, les espaces picturaux, vidéographiques et numériques s’interpénètrent. La texture des peintures change et le point pictural ouvre la voie au point vidéo issu du balayage et au point numérique issu du calcul. Ce point-pixel ultime de toute image écranique, garde en lui la mémoire des anciennes techniques picturales mais aussi celle de ses moyens actuels de production et de visualisation des images. Ainsi, avant de considérer leurs diverses applications possibles, il convient de distinguer le pixel numérique du pixel graphique. Ces deux types de pixels sont réunis car ils élaborent l’image selon un principe programmatique, selon des règles. Hormis ces ressemblances génétiques, pixels graphique et numérique opèrent néanmoins au sein de technologies et de formes schématiques distinctes, évoluant entre le point et le carré. Le pixel est une entité virtuelle certes, mais il est pris ici dans son sens d’élément pictural de l’image. En effet, si le pixel numérique est plutôt géométrique, son précurseur, le pixel graphique manifeste, sous forme de points ronds, la juxtaposition des couleurs de base de la quadrichromie.