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Critiques

« Wave UFO » de Mariko Mori en tant qu’expérience et expérimentation cognitive

Conjuguant la tradition japonaise et l’attitude délibérément technologiste, l’artiste Mariko Mori, née en 1967 à Tokyo, est l’exemple de cette génération charnière d’artistes japonais qui, tout en héritant de leurs grands-parents d’un contact direct avec un passé quasi-féodal, exercent une prospection sociale et technologique qui leur fait vivre, déjà maintenant, l’expérience du réel que connaîtront leurs petits enfants. Installée en 1992 à New York, et de réputation internationale, elle a représenté le Japon à la Biennale de Venise en 2005. La production de Mariko Mori bénéficie d’une couverture médiatique impressionnante et d’un traitement critique particulier. Utilisant des dispositifs technologiques complexes elle réalise des œuvres où cohabitent divers éléments symboliques de façon anachronique. L’œuvre « Wave UFO », (http://www.publicartfund.org/pafweb/projects/03/mori_s03.html), présentée en juillet 2003 au 590 Madison Avenue (56th Street) à New York (sponsorisée par Bloomberg, avec un prix de fabrication de 1,5 million d’USD), s’inscrit dans la lignée des utilisations artistiques de technologies de pointe. Elle offre un exemple de l’expérience esthétique qui singularise et fait ressortir de la masse des avancées technologiques contemporaines dans une démarche particulièrement intéressante mais difficile à qualifier : la pratique directe du phénomène de biofeedback. De nombreux artistes dans le monde, travaillent depuis une décennie environ avec des technologies issues des recherches en sciences cognitives. Il faut dire que les dispositifs utilisés par les laboratoires de neurosciences et de sensorialité artificielle (comme la vision et l’audition artificielles, l’odorat médiatisé par un outil de communication, etc.) touchent des domaines qui sont le terreau même de l’art. Les processus en action comme penser, percevoir, sentir et s’émouvoir ne sont pas seulement les supports de la pratique artistique, ils en sont aussi sa visée et sa finalité heuristique. C’est pour cette raison qu’on ne peut parler uniquement d’usage de technologies dans l’art, mais d’une consubstantialité de l’art et de la science, surtout en matière de technologies de la cognition. « Wave UFO » à l’architecture futuriste a pour fonction de capter et de projeter les ondes cérébrales des participants sur ses parois intérieures par des couleurs : Alpha représentée par le bleu témoignent de l’état de relaxation, Beta par le rose indique l’action des mécanismes de l’attention, et Theta par le jaune signifie que le sujet a atteint l’état de songes irréels. L’univers des éléments visuels de Moriko Mori est transformable à volonté par l’influence des ondes induites par les émotions éprouvées. Les métamorphoses colorées, perçues dans les projections sur les parois de l’engin, provoquent à leur tour d’autres émotions censées transformer à nouveau notre perception concrètement, plutôt que par un mécanisme de conditionnement émotionnel (comme le fameux control centrifuge des afférences sensibles). Cela donne ainsi de nouvelles projections engendrées par l’ordinateur qui fait partie du circuit. L’artiste fait ainsi ressortir au grand jour un mécanisme sous-jacent à notre fonctionnement neuronal où nos propres créations se révèlent être manipulables à partir du moment où l’on prend conscience de l’évidence du phénomène qu’est le biofeedback et qui se produit indépendant de notre volonté.

« Wave UFO »

C’est ainsi que s’ouvre un nouveau chapitre sur les rapports entre la science, les technologies et l’art. Il s’ouvre parce que les sciences cognitives sont les premières dans l’histoire à se donner l’obligation d’apercevoir et de penser le lien qui unit le sujet avec le contenu de sa pensée et de ses percepts, avec ce qui se trouve au bout de sa visée. Il s’ouvre également parce que l’art a pris résolument la direction vers la levée du dualisme husserlien entre transcendance et immanence et s’engage à envisager « l’immanence de notre immanence », et se targue de jouer dans l’intimité des « noumènes », c’est-à-dire dans l’intimité de nos propres organes de saisie et de traitement du réel, avec nos propres données singulières issues du lien que nous avons avec notre monde.