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Présentation

Une nouvelle géographie de la ville émerge prenant en compte les multiples éléments composant ses paysages : densification de l’architecture à la verticale ; aménagement de places destinées à la flânerie, à la célébration, et aux échanges ; extension 24/7 de l’activité dans les grands centres urbains ; rationalisation de la circulation automobile et piétonne ; développement de nouveaux matériaux permettant d’élargir considérablement le spectre des interventions ; et par-dessus tout, un désir de réappropriation de la ville. Toute une nouvelle économie (Florida 2002, Schreuder 2012) se greffe à ce besoin de réaménagements de ces villes qui ne dorment jamais.

Dans ce nouveau paysage urbain, la lumière est appelée à jouer un rôle déterminant : illumination, invitation à la célébration, vecteur d’information, appel à la connectivité, lieu d’expression, et bien d’autres fonctions que nous proposons d’explorer dans le cadre de ce colloque.

Au cours des dernières décennies, les variations esthétiques et les innovations techniques accordant une place centrale à la lumière ont contribué à un important renouvellement de l’aménagement urbain qui se veut plastique et reconfigurable en fonction des périodes de la journée et des initiatives d’artistes et de designers d’événements. En parallèle, dans presque toutes les grandes villes, on observe que de nombreux lieux sont revisités ou réinvestis par les citadins, jeunes et moins jeunes, souhaitant maintenir un lien de connectivité via l’espace physique. Visant à donner un élan, une pulsation, et une touche à des quartiers délaissés en dehors des heures de travail, ils y développent des initiatives provoquant une expérience de la ville comme lieu de rencontre, scène de spectacle ou d’intervention.

Les lumières de la ville rejoignent cinq grandes fonctions, interconnectés, qui lancent de nouveaux défis et de nouvelles façons d’occuper et d’habiter la ville.

Monuments des nouvelles cités radieuses : révélation

Les grandes tours illuminées, ces lanternes urbaines modernes, auraient jeté dans l’ombre nombre de monuments de l’architecture ancienne et du décor urbain, tels que colonnes, arcs, murs, ponts, qui n’émettent pas de lumière et qui se perdraient dans la nuit noire, si, dès les années 1950, des concepteurs de la lumière (Leenhard, Garett, Chassy-Poulay, etc.) n’avaient pris soin de revaloriser ce patrimoine construit, en aménageant des projections et en créant diverses mises en scène, ou plutôt mises en lumière. Il ne s’agit plus simplement d’éclairer abondamment ces bâtiments en les ornant de guirlandes de lumières électriques disposées sur leur façade, ce qui se pratiquait déjà lors de grands événements et d’expositions universelles depuis celle tenue à Paris en 1900, notamment au Palais de l’électricité (Paquot, 2000). Le défi est plutôt de scénographier et de dramatiser des édifices ou des vestiges faisant l’objet de visites touristiques assidues le jour, mais désertés la nuit. Projections, découpes, magnifications, jeux d’ombres et de couleurs permettent de révéler la richesse de l’architecture, de souligner, voire d’accentuer certains détails et de raviver le passé historique des lieux (Roussely 2003). Ces animations nocturnes retiennent et guident le visiteur-spectateur dans des parcours, ou l’orientent vers des places où les projections se prolongent en son et lumière.

Lumière et aménagement urbain : célébration

De nombreuses villes tablent maintenant sur des installations lumineuses pour animer des secteurs de la ville délaissés le soir, ou pour créer des places de rassemblement où citadins et visiteurs peuvent flâner et découvrir une autre façon d’habiter la ville dont on a beaucoup critiqué la déshumanisation. Festivals de lumière, sons et lumière, projections, nocturnales, nuit blanche, quartiers de spectacles, light shows, moulins à images jusqu’aux feux d’artifice, fontaines et jeux d’eau remis aux goûts du jour, se succèdent et donnent lieu à d’importantes recherches sur la revitalisation nocturne de zones urbaines. Toute une industrie se développe en parallèle, générant de multiples innovations technologiques et de nouvelles formes d’art intégrant design, arts visuels, musique et arts médiatiques.

Du mur rideau à l’écran urbain : animation

Le mur rideau, cette grande façade vitrée théorisé par Gropius dès 1911, a progressivement verticalisé le phénomène de l’illumination de la ville, les gratte-ciels devenant eux-mêmes de grandes torches lumineuses la nuit. Phares étincelants dans le noir, ces grandes tours élevées pour gagner de l’espace sur le ciel et pour rehausser le prestige de leurs promoteurs, se sont progressivement éteintes, d’abord avec la crise de l’énergie en 1973, puis pour répondre aux préoccupations écologiques de plus en plus pressantes, recréant, en version urbaine nocturne, une forêt de profils fantomatiques. Ainsi, plusieurs emblèmes de la modernité et certains édifices à la facture désuète ou banale sont recyclés en scène de projections et rivalisent avec des architectures conçues pour être interactives.  Investis par les artistes, ces grands murs se transforment en surfaces adaptatives, qu’on nomme désormais media façades (Struppek), urban screens, media architecture(Tscherteu), media wall(Hall), responsive architecture (Bullivant).  La lumière ne sert plus ici à illuminer le monument ou l’édifice devenu écran. Incorporée dans des projections, elle crée des façades narratives ou spectaculaires devant concurrencer, dans une économie de l’attention (Simon),  avec l’affichage publicitaire déjà bien installé sur les axes commerçants animés la nuit.

De la façade à l’interface : connexion

Les progrès des technologies du multimédia pouvant dorénavant affronter les intempéries et le grand froid ; le perfectionnement des technologies des communications combinant le virtuel et le physique, le local et la distance ; la multiplication des événements publics ; l’émergence de la notion de flux comme paradigme (Chatonsky) ; le développement fulgurant des média sociaux ; le nomadisme urbain ou le sédentarisme branché, être chez soi partout avec le portable (Virilio) ; et le désir polymorphe de se regrouper et d’échanger sur la place publique ont récemment conduit à considérer des bâtiments comme supports et partenaires d’échanges qui s’y projettent y prenant littéralement le dessus.  Ces édifices, immenses portevoix et nouveaux véhicules d’échanges et de débats pouvant se dérouler à distance, érigent à la verticale l’art de la conversation et favorisent les connexions. L’architecture intègre alors l’espace médiatique et devient une plateforme de socialisation (Fatah 2012), ou la scène d’interactions sociales, de rencontres et de performances ludiques (Fatah 2010). L’architecture traditionnellement fixe et durable devient fluctuante, au rythme des flux d’informations, d’images et de messages qui y défilent, provenant d’individus, de groupes, reliés par les médias sociaux et par ces immenses écrans d’affichage que deviennent les édifices.

Lumières et poésie urbaine : représentation

Peintres, poètes, photographes et cinéastes ont célébré depuis des siècles les paysages nocturnes pour le mystère ou l’envoûtement qu’ils suggèrent. Certains ont dépeint les lumières de la ville pour restituer un milieu de vie palpitant et inspirant ou, au contraire, suggérer un symbole de perdition et d’isolement. Les artistes évoquent en cela un sentiment ambivalent très largement répandu. En effet, l’éclairage permet de faire reculer la nuit, de mater toujours un peu plus cette part d’inconnu et d’incontrôlé que représente la noirceur. Et en cela l’éclairage éveille et entretient une fascination paradoxale : la lumière qui fait pâlir la nuit noire la désigne à la fois comme effrayante et ensorcelante. Les représentations nocturnes de la ville rappellent combien le désir de transparence qui porte ultimement l’effort et le plaisir de l’illumination, alimente, en parallèle, un attrait irrésistible du noir. Même les œuvres illustrant des moments nocturnes jubilatoires très illuminés restent des éloges de la nuit. Certaines villes semblent d’ailleurs n’avoir été conçues que pour la nuit, Las Vegas par exemple. D’autres perdent leur charme à la levée du jour. Plusieurs œuvres emblématiques, littéraires, iconiques ou cinématographiques ayant contribué à créer un registre et à consacrer certains types de ville seront examinées.

Le dossier présenté ici recoupe, illustre et relance toutes les questions soulevées par cette mise en lumière.  Cette thématique sera reprise sur diverses plateformes. Nous souhaitons donc engager un dialogue avec les lecteurs intéressés par le sujet et qui pourront, nous l’espérons, prolonger et alimenter le sujet. Bonne lecture.