Les papillons monarques
La fête des morts qu’a lieu les premiers jours de novembre annonce l’arrivée des papillons monarques dans une petite région aux montagnes de Michoacan au Mexique. Chaque année convergent par millions une espèce de papillon de moins d’un gramme capable de franchir près de 4000 kilomètres afin de compléter son cycle migratoire annuel, se reproduire et d’assurer la survie de l’espèce.
Il s’agit d’un déplacement massif par dessus plusieurs frontières, un voyage panaméricain, qui part du Canada, traverse l’Amérique du Nord, jusqu’aux quelques hectares de conifères dans les montagnes du Michoacán. La réserve de biosphère du papillon monarque fait partie du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2008. Des centaines de millions des papillons se retrouvent en même temps à occuper, les mêmes arbres qu’ont occupé leurs congénères, fait surprenante considérant qu’il nécessite plus de quatre générations pour accomplir le voyage aller/retour Canada/Mexique.
Il existent plusieurs légendes traditionnelles qui accompagnent cet phénomène naturel. Chez les Aztèques, le papillon est un symbole de l’âme, ou du souffle vital échappé de la bouche de l’agonisant. Du fait de sa couleur orange et de ses battements d’ailes, aussi à une flamme. Un papillon jouant parmi les fleurs représente l’âme d’un guerrier tombé sur un champ de bataille. En effet, dans plusieurs mythologies mésoaméricaines, les guerriers redescendent sur terre sous forme de colibris ou de papillons. Pour les indiennes Pushépechas qui habitent la région michocanne, les monarques sont les âmes des morts revenues honorer la pensée des vivants pour eux. Le paysage se transforme alors car les montagnes s’animent et bruissent d’un voile orangé en une sorte de nuage monumental d’âmes en déplacement. Cette expérience bio-culturelle a inspirée plusieurs artistes et créateurs de diverses disciplines, comme l’artiste française Lydie Jean-Dit-Pannel, ou Steven Spazuk entre autres. Il existe aussi dans la région de Michoacán depuis plusieurs décennies un festival culturel du papillon monarque.
La route
À l’occasion de la rencontre : Méthodologies de la recherche-création, organisée en 2014 à l’Université du Québec à Montréal les organisateurs on proposé d’explorer différents enjeux méthodologiques de la recherche création. Dans ce contexte, une séance était consacrée à analyser l’art que découle de réactions imprévisibles, aléatoires, inattendues ou accidentelles, intitulé : Méthodes hasardeuses. Durand cette séance l’expérience Jours de chance : trois odyssées transfrontières à travers l’Amérique de l’artiste Daniel Canty et de l’auteur Patrick Beaulieu nous a été présenté. C’est le caractère hypermédiatique de la première odyssée, soit, le projet Vector monarque qu’ils ont réalisée entre 2007 et 2012 qui nous intéresse ici.
La Monarca Mobile (un camion postal mis en service en 1978, était transfiguré pour ce projet en observatoire pseudo-scientifique, galerie d’art ambulante et unité de projection vidéo mobile) a pisté la migration annuelle des papillons monarques durant trente-quatre jours entre le mois d’octobre et le mois de novembre 2007. Les créateurs – complices de voyage – se sont transformés en agents transfrontièrs, ils ont suivi par voie terrestre, la trajectoire aérienne de la migration annuelle des papillons à travers l’Amérique du Nord. Une fois sur la route, ils sont partis de Saint-Jean-Port-Joli, au Québec, et ont traversé à les Etats-Unis, jusqu’à l’État du Michoacán pour finalement, trouver la forêt où vivent les monarques.
Pendant tout le trajet, les artistes ont utilisé plusieurs moyens d’expression (vidéo, texte, son, cahier de voyage, image). Ils font ainsi appel à plusieurs sens en même temps pour mieux nous transmettre leurs expériences de cette odyssée. Les deux créateurs, se sont servis de plusieurs médiums pour nous faire participer à ces rencontres « hasardeuses » en nous invitant à configurer un sens à travers un dispositif polyphonique qui trouve naturellement sa place sur le web.
Vector Monarque
Le projet Vector Monarque fait appelle à une nouveauté introduite par l’ordinateur qui réside précisément dans la capacité de réunir dans un milieu plusieurs médiums. Dans la littérature critique il existent plusieurs auteurs qui ont analysé ce phénomène tels que Bolter et Grusin (1999) qui parlent des possibilités de la création hypermédiatique.
La production du projet Vector Monarca incorpore plusieurs réalisations; la Monarca Mobile, une carte géopoétique, le carnet de voyage, les papiers papillons (résultat de la récollection de plumes d’oie et des ailes des papillons), l’exposition Soplo.
Passe-frontières, collection d’ailes de papillons monarques insérées dans des pages du livre Geografía física y humana (Carlos Benitez Delorme, Editorial Herrero, Mexico, 1964, un livre d’artiste, des vidéos et textes divers, Soplo, ailes de papillons monarque animées dans des contenants de verre par l’emploi de micro-ventilateurs.
L’écrit et l’oral les images fixes et animées les sons et les bruits de toutes sortes se combinent pour former un mode discursif unique et holistique. Vivre cette expérience à travers l’ordinateur impose, par conséquent, le défi d’apprendre à exprimer et construire socialement des pensées, à travers un ensemble intégré de médias, grâce à un discours audio-verbo-visuel, sans hiérarchie et sans l’hégémonie d’un code sur l’autre. Maintenant, les images du Vector Monarque sont sur le web ou dans le Monarca mobile qui reste garée en permanence aux marges du Musée d’histoire naturelle Manuel Martínez Solórzano de Morelia, Il est considéré, aujourd’hui, comme une sculpture publique, sorte de dispositif qui présente une exposition permanente sur l’odyssée du Vector Monarca. Les sons et les gestes impliqués, de la même manière que l’écrit ou parole, témoignent de l’ensemble du processus de compréhension de cette pièce qui s’est construite dans l’expérience du voyage.
En plus d’accroître les ressources expressives, la technologie des nouveaux médias permet également de les placer dans une architecture combinatoire qui rend l’acte de penser l’œuvre artistique beaucoup plus dynamique. Grâce à l’hypermédia la relation entre les mots, les images et les sons sont donnés par des liens, qui, à travers des processus d’association, peuvent être multiples, probabilistes ou modifiables par le lecteur. Alors que le flux de l’expérience n’est pas sans ambigüité, fixe et rigide établi par la linéarité. L’application dans différents supports fournit et les diverses formes de navigation sont toutes également légitimes. Le lien expressif, qui s’élabore entre les différents signes verbaux, visuels, acoustiques, composent le Vector Monarque et permet de créer des relations significatives entre eux et, par conséquent, de passer du concret à l’abstrait, du visible à l’invisible, du sensible à l’intelligible.
En ce sens, la traversée des papillons Monarques se continue à travers une application hypermédiatique jamais fermé, l’expérience ne s’exprimant pas la linéarité d’une une direction donnée, elle permet au contraire une expérience complète de la pensée et de l’imagination, comme un processus aléatoire vivant qui change constamment, s’adapte au contexte, et éventuellement joue avec les données disponibles.
Cette façon de construire les œuvres peut contribuer à transmettre les mythes et les traditions d’une culture à travers le temps. Selon Saskia Kersenboom dans les mythes transmis de génération en génération, les légendes traditionnelles sont conçues principalement pour être transmises à l’oral et, pour cette raison, leur forme et leur signification peuvent varier, selon la façon dont chaque texte est raconté. Comment devrions-nous alors faire face au défi d’une culture vive tels que celle des purépechas et leur vision mythologique des monarques en tant qu’âmes des morts, sans réduire le modèle de cultures occidentales et sans les caser dans une forme fixe ? Pour surmonter cette difficulté, le Vector Monarca relance toute sorte d’interprétations par une riche mosaïque de mots, de sons et d’images en mouvement. Dans son discours l’hypermédia se présente comme un moyen efficace pour représenter les textes du passé de façon performative.
La proposition la plus audacieuse, à ce jour, qui tend vers un discours multimédia, à part entière, se trouve dans le projet d’idéographie dynamique, qui a d’abord été formulée par Pierre Lévy1. L’idée est simple dans sa formulation générale, mais sa réalisation matérielle est extraordinairement complexe et nécessite encore de nombreuses années de recherche.
Levy déclare que l’idée se développe toujours sur un support statique avec des symboles fixes. L’ordinateur, quant à lui, permet la conception d’un script dynamique, dont les personnages pourraient produire un récit importante non seulement pour sa forme et sa mise en page, mais aussi par leur mouvement et de la métamorphose. Ce scénario aurait des caractères phonétiques, comme dans le modèle des écrits occidentaux, mais aussi des icônes animées qui seraient des représentations dynamiques de modèles mentaux combinant syntaxe et programmation. Levy définit l’idéographie dynamique comme une « technologie intellectuelle » soit une nouvelle forme de métalangage audiovisuel, comprenant une interface homme-machine, un système d’intelligence artificielle lié à des problèmes philosophiques et des systèmes d’information d’appareil de grossesse dans les zones lié à la construction de la pensée. Si elle est affichée productive dans les projets futurs, l’idéographie dynamique devrait avoir un impact certainement indéniable sur notre façon de pratiquer l’« écrit » d’enquêter, de discuter, d’explorer le monde et de communiquer des idées.
Actuellement, l’hypermédia permet pour la première fois la construction d’un discours sur l’art des médias lui-même, qui est, la production d’un art qui circule dans et en dehors du web avec des éléments expressifs comme le langage et l’objet. Dans le projet Vector Monarque il peut être entendu très clairement une lecture poétique concernant la fragilité des frontières menées par les artistes-agents transfrontières qui continuent de traverser l’Amérique en s’abandonnant à différentes forces naturelles « hasardeuses » et spirituelles à bord de la Blue Rider, pick-up bleu ciel, ou encore il vont pisté les chemins du hasard avec la Magic Dart, et même tenter leur chance sur le bolide équipé d’une roue de fortune constellée des symboles d’un I Ching western.
Notes
[1] L’idéographie dynamique vers une imagination artificielle ?, 1991, Éditions la découverte, Paris