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Critiques

Immersion dans les débordements de Christine Palmiéri

Avec ses œuvres photographiques et multimédias, Christine Palmiéri nous confronte aux changements climatiques, effets de l’anthropocène que la terre et les êtres vivants subissent en s’appuyant sur une expérience vécue. Entre visions cataclysmiques et apparitions surnaturelles l’espace et les repères se trouvent secoués et l’imagination exacerbée dans cette production en deux volets, présentée à l’espace photo et au Studio blanc de La loge.


Christine Palmiéri, Débordements, La loge, 2019 par Jean Dénommé

Au printemps 2011, la rivière Richelieu a débordé de son lit, emportant avec elle des maisons, des gens, des jours, des nuits, des semaines et des mois d’émois. Artiste dans l’âme depuis sa plus tendre enfance, Christine Palmiéri a survécu au drame en plongeant au cœur de ses émotions où cauchemars et rêves se juxtaposent en paradoxes.

« Les phénomènes naturels ont toujours eu sur moi un effet étonnant, une sorte d’extase devant cette nature déchainée… elle provoque en moi un sentiment de bien-être malgré tout. Une confusion totale entre l’angoisse et en même temps un certain plaisir… du spectacle. C’est pour ça que l’on va voir les films catastrophiques parce que l’on veut voir cette nature déchainée. On veut voir les explosions, les volcans en éruption. C’est majestueux et magnifiques de voir cette nature en colère. Donc une ambivalence des émotions et des sentiments».

L’ambivalence, l’immersion et la juxtaposition sont au cœur des expositions «Débordement I et Débordement II», comme elles le sont dans l’ensemble de l’œuvre de Christine Palmiéri. De ses premières présentations picturales à la maternelle à ses études aux beaux-arts jusqu’au doctorat en multimédia, elle a toujours portée en elle une volonté de plonger l’autre dans un univers émotif constitué de vagues, de superpositions et d’échanges dépourvus de limites. C’est d’ailleurs ce qui l’a amené à prendre maison au bord de la rivière Richelieu.

« C’est pour vivre au bord de la Richelieu que l’on a quitté Montréal. Après quelques années ici, je pense que j’aurais du mal à m’habituer ailleurs. Le rapport à l’eau est très important. C’est une surface changeante tout le temps et puis on sait qu’elle mène partout. D’ici, on peut faire le tour du monde. On peut partir d’ici, se rendre au lac Champlain, descendre la rivière Hudson, arrivée à l’océan puis faire le tour du monde et revenir par le Saint-Laurent. Tout est lié ».

L’exposition « Débordement I » nous plonge dans cet univers sans limites où les ciels baignent dans l’eau, où les poissons volent et où l’être humain est submergé par la beauté de la nature qui emporte ses biens. Ici rien n’est vraiment tangible car Christine manipule les images et les pixels comme le peintre le fait avec ses pigments de couleurs. Des poissons jaillissent d’une brouette, des maisons tourbillonnent dans la rivière, des champs de nuages roses s’allongent sur l’eau. Une vingtaine d’images photographiques plus merveilleuses les unes que les autres, nous emportent dans un rêve où tout bascule. On perd ses repères. On glisse dans la beauté du drame comme un canot sur l’eau. Encore une fois, l’ambivalence nous plonge dans les juxtapositions émotives de l’artiste.

L’exposition « Débordement II » est plus physique. L’espace déborde d’objets sortis du sous-sol de la maison inondée : bacs, pompes, tuyaux et autres mécaniques de sauvetage côtoient les cauchemars de l’artiste parmi les vestiges de ses expositions précédentes. Un scaphandrier observe une vidéo multimédia dans laquelle on voit la démolition de la résidence des voisins. Un crâne animal sourit à pleines dents sur des branches fluorescentes, une toile flotte au vent derrière un étrange personnage qui semble attendre la fin du monde, ici et là de petites œuvres de Réjean Morin parsèment le passage. Au mur, des oiseaux tourbillonnent autour des tableaux de Sophia Stapenhurst et tout au fond de grandes salopettes de pêcheurs montent la garde à côté d’un carrousel de photos-reportage des inondations. Au centre de l’espace, un miroir couché au sol porte une structure métallique qui soutient fragilement une poupée dont la tête est constituée d’un globe terrestre. Une sorte de rappel à la structure fragile de notre monde obsédé par son propre reflet alors que nous devrions tous avoir la Terre en tête.

Ces deux expositions ont pris place à La loge, une galerie d’art dédiée aux œuvres photographiques. Elles ont quitté les lieux à la fin octobre 2019, mais elles reprendront vie ailleurs car elles s’inscrivent dans la grande mouvance mondiale face aux changements climatiques. L’eau est notre lien planétaire. Les douanes et autre barrières humaines ne sauront freiner ses élans de beauté et d’horreur. L’artiste multimédia Christine Palmiéri s’est mise en marche pour nous le rappeler. Il y aura donc d’autres expositions à venir, des entrevues, des témoignages et mille autres façons de nous rappeler la force terrible et magnifique de la nature que parfois nous négligeons.