Le mot interdisciplinarité n’est pas de ceux qui sont définis d’une seule manière et universellement acceptée comme c’est le cas dans le lexique scientifique. Le contenu du concept accueille facilement différents interprétations, à ce sujet un grand nombre de mots qui introduisent des nuances dans les interprétations mais qui, malheureusement sont parfois sont contradictoires et ne se situent pas toujours dans une dimension unique. C’est pourquoi, il était obligatoire de proposer concernant l’interdisciplinarité une définition claire. On peut dans cette orientation dire d’abord que « le concept d’interdisciplinarité se localise sur un plan épistémologique, et qu’il se réfère par conséquent à la coopération de diverses disciplines qui permettent grâce à leur association le progrès de nouveaux savoirs.» (Bachelard, 1967, p. 45)
Cette définition, permet en effet de minimiser le cadre général des échanges. G. Vaideanu (Vaindeanu et Neamtu, 1972, p. 180) a présenté celle qui avait été retenue au symposium de Bucarest et qui est fondée sur le niveau d’intégration des domaines dans la recherche ou dans l’enseignement. On peut ainsi dire, en retenant de cette définition que l’interdisciplinarité est d’autant mieux atteinte quand les disciplines sont plus intégrées et que dans le processus d’intégration aucun domaine ne domine un autre.
La complexité de la vie et, avec elle, la responsabilité des hommes vont en évoluant. Notre société a annoncé que les citoyens, doivent être aptes à appréhender le réel dans sa complexité et dans sa globalité. Ils doivent selon la nature de l’obstacle être apte à traiter, doivent pouvoir utiliser aussi bien de multiples disciplines qu’une seule et doivent pouvoir dialoguer avec des spécialistes et participer à des efforts de coopération multidisciplinaire.
En fait, l’interdisciplinarité est une sorte de coopération entre différentes disciplines, de problèmes dont la complexité est telle qu’ils ne peuvent être traités que par l’alliance et la combinaison de différents points de vue. L’interdisciplinarité se base alors sur une bonne connaissance des concepts communs entre différentes disciplines qui s’enchevêtrent. Elle repose donc obligatoirement sur une approche systémique. Il découle de cela que la définition précédente se base essentiellement sur la nature de l’interdisciplinarité et sur les différences de niveaux d’intégration au sein des disciplines.
Une autre forme d’acceptation des différents aspects de l’interdisciplinarité est d’adopter le mode d’intégration comme critère, c’est-à-dire la manière dont les disciplines sont intégrées par rapport aux problèmes nécessitants une résolution. Cette conception, a été mise au point par un ensemble de chercheurs du Centre de recherche interdisciplinaire de Bielefeld. Mais la question posée dans notre recherche reste la suivante : si l’objectif est pluridisciplinaire, qu’elles sont les risques et les difficultés ?
A partir de XIXe siècle et jusqu’au début du XXe il y a eu un renfoncement, une diversification et une spécialisation de plus en plus élargie des classes de savoir. On a vu naître plusieurs règles de conduites qui se sont améliorées et développées indépendamment les unes des autres et, qui se sont parfois clivés en sous-disciplines nettement séparées.
Au milieu de XXe siècle, la propagation de l’épistémologie et le clivage des frontières imposées par la complexité des disciplines ont de plus en plus invité les artistes, et les scientifiques à considérer l’unité obligatoire des divers domaines et objets de la science. Cette croyance en une unité ontologique des sciences est devenue une conviction de plus en plus profonde au point qu’elle constitue le fondement épistémologique de l’interdisciplinarité.
Lors de ces dernières années, il y a eu un développement d’un autre mode d’interdisciplinarité : il s’agit de l’utilisation des outils et des méthodes propres à une discipline dans une autre discipline. Les sciences humaines ont eu pendant longtemps recours à la méthode expérimentale et avaient emprunté des modèles de conception et d’analyse de plans expérimentaux à la recherche en agriculture. Dans ce contexte Frédéric Darbellay avait déclaré que « l’évolution des préoccupations humaines est à l’origine de nouveaux regroupements de champs déjà explorés, et que l’expérience toujours renouvelée donne naissance à de nouvelles entités hybrides, qui pour être comprises, nécessitent une mise au point simultanée de l’examen de différentes disciplines, ainsi que l’élaboration de nouveaux concepts… » (Darbellay et Paulsen, 2008, p. 55). Ainsi il y a eu apparition de nouveaux domaines qui ne s’inscrivent pas facilement dans les disciplines traditionnelles, mais les concernent et contribuent à les faire éclater : le bio-art, l’hybridation génétique, qui concerne aussi bien la thermodynamique et la biologie fondamentale que les télécommunications, en sont des exemples. Plusieurs problèmes de la science évolutive, se situent de nos jours aux frontières de multiples disciplines, et les chevauchent c’est le cas de la biochimie, déjà à la fin du XIXe siècle, on était forcé à employer des thermes physico-chimiques.
Actuellement l’interdisciplinarité pour le progrès de la science est l’un des problèmes théoriques et pratiques les plus essentiels. La collaboration des artistes et des scientifiques leur rencontre, l’intégration, des disciplines et l’emprunt de méthodes de travail et de recherche exigent que les spécialistes qui sont issus de différents domaines de s’adresser les uns aux autres, de dialoguer et de se comprendre car cela favorise la naissance de terrains communs, de zones d’interface entre les disciplines qui contribuent à la construction de l’interdisciplinarité. En Effet, c’est dans ce contexte que le progrès des arts plastiques a contribué au développement de l’interdisciplinarité grâce à l’emprunt d’autres disciplines de certaines de leurs théories ou de leurs instruments, nous citons ici l’exemple de la (théorie numérique, l’analyse factorielle, le concept de rétroaction) de sorte que la complexité de leur objet les a obligé à avoir recours à plusieurs disciplines simultanément.
Le monde aujourd’hui doit confronter les problèmes par leur dimension et la gravité de leurs conséquences qui s’imposent et surgissent dans tous les domaines, nous citons l’exemple du dénuement de populations entières, le niveau atteint par la croissance démographique exponentielle qui est très fréquente, la menace de la guerre nucléaire et la destruction de l’environnement qui sont des problèmes que l’artiste, et le scientifique, ne peuvent plus ignorer ou laisser sans solution.
Ces problèmes ne se localisent pas à l’intérieur d’une discipline et leur solution nécessite des démarches interdisciplinaires et des collaborations spécifiques entre spécialistes de différentes disciplines. Il en va alors de même pour plusieurs problèmes humains ou sociaux; leur complexité est telle qu’ils mettent en interaction direct des aspects très variés de la connaissance et de sa découverte. Par exemple, le problème de la lutte contre les maladies oblige des recherches physiologiques, des investigations chimiques biologiques ou pharmaceutiques, des études cliniques, des études statistiques ou épidémiologiques et même des actions éducatives en faveur des peuples ; ces problèmes peuvent avoir des implications économiques et sociales importantes.
Actuellement, une caractéristique obligatoire est leur grande complexité envers certains problèmes, en effet le monde contemporain pose des problèmes qui nécessite des interventions en nombre considérable, dans la quelle le social s’imbrique dans le technique, et dont les interactions sont abondantes, multiples et essentielles, et où la ponctualité se mêle à de larges incertitudes, tant le champ de relations est hétérogène.
Ces problèmes dépassant le cadre d’une seule discipline ont imposé des perspectives et des démarches générales. Il est patent de noter aussi que notre siècle est caractérisé par une révolution technologique qui à bouleversé le monde. Les nouvelles technologies ont exigé de l’enseignant d’annoncer les problèmes de différentes manières et de proposer, dans leurs solutions, des démarches communes. Aussi, le développement magique de l’informatique dans tous les domaines de la vie ; (scientifique, artistique, technique, et même culturel) a contribué à faire apparaître, dans différents secteurs, des problèmes utilisant des termes semblables. On peut remarquer que conformément à ce qui vient d’être exposé, que l’enseignant actuellement, est bien intégré dans son environnement et milieu social. Cette intégration nécessite non seulement un coup d’œil sur les problèmes sociaux contemporains mais aussi sur la capacité d’unir l’art, la science et la technologie et de recueillir les interactions entre la technique, l’économie et le social, pour agir et participer à la construction de la cité.
Cette perspective intégrante de l’enseignant est d’autant plus normale et plus obligatoire que les médias rependent une quantité énorme d’informations, que le citoyen doit pouvoir comprendre, évaluer et utiliser dans la construction de ses cadres de référence et dans sa participation à la vie contemporaine.
Dans cet ordre d’idées, la recherche sur la valeur de l’enseignement a largement démontré l’imbrication étroite des différentes composantes de la personnalité (cognitive, affective, sensorimotrice) et la participation intime qui est née, de la construction des savoirs, savoir-faire et savoir-être.
Plusieurs nouveaux problèmes, qui ne sont pas habituellement traités sous tous les aspects peuvent et devraient faire l’objet d’un enseignement interdisciplinaire.
L’étude, du point de vue artistique des obstacles relatifs à l’environnement et à la qualité de la vie, est globalement considérée très importante. De toute évidence elle annonce et déclare une approche interdisciplinaire à laquelle elle s’y prête. On peut arraisonner parmi les sujets souvent cités et souvent introduits dans le curriculum : l’environnement et l’art écologique au sens large, l’enseignement en miroir du bio-art, l’enseignement sanitaire et la nutrition…
La formation morale, éthique, et artistique est une autre discipline à l’avant-plan de la perspective interdisciplinaire en enseignement. Les sujets les plus souvent notés ou traités sont, la paix et la compréhension internationale, les droits des bio-artistes, l’éducation fondée sur les valeurs, la solidarité des peuples et des hommes, la dynamique des sociétés humaines et l’épanouissement harmonieuse des personnes.
L’étude complète de l’art, de la science et de la technologie ainsi que de l’informatique, de la télématique et de leurs influences sur la société, apparaissent comme étant des sujets importants et intéressants à traiter. Une autre discipline est souvent mentionnée parmi celles qui peuvent et doivent être l’objet d’un enseignement interdisciplinaire : il s’agit de la communication et du débat, en particulier la relation de l’éducation aux médias et à la formation technique et linguistique dans le dialogue et dans l’information. En bref, la communication est une méthode interdisciplinaire par excellence. Elle est employée dans un très grand nombre de domaines, dans les sciences de la nature aussi bien que dans les sciences humaines et même de l’esthétique, dans une certaine mesure.
Simulation et modélisation
La méthode expérimentale est aussi employée dans un grand nombre de domaines qui peut faire l’objet d’un enseignement interdisciplinaire, et constituer un des axes fondamentaux d’un curriculum.
Deux nouvelles méthodes sont utilisées de plus en plus dans des domaines très variés ; il s’agit de la « modélisation » et de la « simulation » qui pourraient aussi jouer le rôle d’un enseignement interdisciplinaire mais jusqu’à présent, elles n’ont pas été exploitées dans ce sens, malgré l’intérêt évolutif qu’on leur attribue dans les milieux artistiques et malgré les occasions qu’offre la prolifération des ordinateurs, dans ce domaine, et particulièrement dans les instituts. Ces méthodes et leurs apports selon le plan pédagogique sont intéressantes et permettent de nouvelles façons d’inspecter globalement les obstacles et d’envisager les solutions.
Devant ce principe, l’activation est parfois très proche de la démarche propre d’un jeune étudiant et cette proximité pourrait être exploitée. En fait, la mise en œuvre d’une pédagogie de la simulation pose cependant des problèmes qui n’ont pas été jusqu’à présent étudiés alors qu’ils sont dignes de l’être.
Dans cette direction d’idée, il est patent de noter que la modélisation oblige le passage à un degré d’abstraction et de généralité qui, en principe, n’est apte que dans et au-delà du cycle supérieur de l’enseignement. Elle constitue un prolongement fondamental de l’observation et de l’expérimentation.
Finalement, on peut instituer à l’intérieur des matières et des branches indépendamment des méthodes, des concepts communs, et cela de manière à réaliser une unité conceptuelle entre les différentes disciplines du savoir acquis par l’étudiant.
Quelles sont les difficultés ?
Les origines des difficultés qu’on trouve dans une éducation interdisciplinaire sont multiples et les points de résistance sont ainsi variés. Dans ce sens, l’introduction de l’interdisciplinarité dans les études ne doit pas être une source d’inquiétude ou de découragement car toute innovation ou invention se heurte à de nombreuses difficultés.
En effet, dans un enseignement interdisciplinaire, le trajet parcouru et la prolifération sont moins clairs que lorsqu’on suit la propagation logique d’une discipline. En fait, les enseignants et les étudiants se localisent moins bien par rapport à ce qu’on attend d’eux ou par rapport au « programme ». Le mérite dans tout cela, nous amène à dire, que tout professeur se heurte à des obstacles de profondeur et de portée mais ces problèmes sont sans doute plus accentués dans un curriculum interdisciplinaire. En addition, d’une part la complexité des obstacles abordés, collés à leur réalité et à leur mode significatif, exige parfois, sinon souvent, de les signaler en surface et, d’autre part, une approche centrée sur des situations risque, si l’on n’y prend pas garde, de ne pas outrepasser les circonstances spécifiques de cas qui sert de point de départ. C’est la raison pour laquelle il est favorable de mettre en œuvre des approches transdisciplinaires (instrumentales et comportementales) en même temps qu’une démarche pédagogique centrée sur des cas multidisciplinaires.
Tous ces obstacles montrent qu’il n’est pas évident de concevoir et d’achever un curriculum intègre ou interdisciplinaire qui soit harmonieux et bien équilibré.
Finalement, tous ceux qui ont vécu l’expérience d’un enseignement interdisciplinaire, se mettent d’accord et reconnaissent que l’évaluation des acquis pose de sérieux obstacles. Une autre sorte de difficulté d’évaluation dans un progrès pédagogique interdisciplinaire provient du fait, qu’une fraction des activités d’apprentissage est faite en groupe, mais l’interdisciplinarité n’est pas ici non plus en cause, car une stratégie adoptée par des méthodes pédagogiques récentes, exige le travail en commun ou en collaboration. La difficulté de l’évaluation propre à un enseignement interdisciplinaire, provient du fait que, l’étudiant est placé dans des situations souvent complexes mais proches de la réalité. On n’attend pas toujours de lui une conduite simple standardisée. Il est évident qu’il faut mettre en place un système d’examen et d’évaluation qui soit adapté à ses buts interdisciplinaires et aux caractéristiques d’une éducation riche…
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