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De l'esthétique de l'implémentation à l'esthétique de la commutation et de l'interactivité dévoilante

« Ce sont les spectateurs qui par le biais de l’interaction donnent forme au processus artistique. Nos installations ne sont donc pas statiques, prédéfinies et prévisibles, mais apparaissent plutôt comme les traces d’un processus vivant », ainsi s’expriment Christa Sommerer et Laurent Mignonneau au sujet de leurs créations. Description qui rend compte non seulement de leurs installations interactives in situ telles que Croissance interactive des plantes (1993), A-Volve (1994), ou encore Verbarium (1999), mais aussi de Life Spacies, présentée sur le web en 1997, étendant ainsi le concept de « manipulation génétique » créée en 1996. « Codées et transcodés, les messages des visiteurs du site se transforment en animalcules complexes, dotés d’une histoire et d’un curriculum vitae. Lorsque l’une de ses créatures meurt, un message est adressé à son « géniteur ». En ce sens, comme le fait remarquer Florence de Méredieu, l’artiste ne prédétermine plus les messages; il se contente d’en créer les conditions de possibilité1

Ainsi, en utilisant les moyens techniques de leur temps pour créer leurs œuvres, comme le font par exemple M. Benayoun2, E. Couchot3, E. Kac4 depuis de nombreuses années, et beaucoup d’autres artistes; délaissant les pinceaux et la palette traditionnelle au profit de la palette électronique, de la souris, des générateurs de code informatiques, les artistes du multimédia, de la vidéo, de l’art électronique et numérique, ne cessent de poser les problèmes de leurs temps. Peut-être dans le but de changer le monde, comme n’a jamais cessé de le proclamer Orlan, mais peut-être aussi dans celui de rendre visible l’invisible, c’est-à-dire de donner à voir non pas ce qui est mais ce qui devrait être. 

Parfois incompris du public; public dont Baudelaire disait déjà qu’il « est, relativement au génie, une horloge qui retarde », les artistes n’en cessent pas moins de poser et reposer le problème de ce qu’est l’art et, par suite de l’expérience esthétique lui correspondant. La question qu’ils formulent, explicitement ou implicitement, consiste d’ailleurs moins à savoir ce qu’est une œuvre d’art ou quand y a-t-il de l’art, qu’à déterminer le type d’expérience esthétique convoqué par l’art électronique et/ou numérique? Ce faisant, ils nous invitent à reformuler la question de l’expérience esthétique et des critères de jugement de goût, non plus en termes de beau, mais d’interactivité, d’ubiquité, de connectivité, d’immersion et de commutativité. Par-delà ces interrogations, c’est aussi la question de la place de l’art dans la vie, ainsi que celle de la vie dans l’art qui se trouve implicitement posée.