Partie 2
2. Quelques questions soulevées par cette œuvre
Au-delà de sa complexité technologique, Nymphaea Alba Ballet engage à une relation esthétique au monde. Nous imaginons les interactions non comme une collection de prouesses techniques ou d’effets esthétiques mais comme des moyens d’immerger le corps du performer dans les profondeurs magiques du paysage, dans les énergies sous-jacentes du lac, de la forêt, la fleur, le rêve. Cela soulève quelques questions :
Comment associer le spectateur à cette méditation ? En quel lieu ? Suivant quelles modalités ?
Comment dire dans notre langage plastique et chorégraphique l’interconnexion de nos corps, l’interconnexion de l’Europe et de l’Asie, de toutes les parties du monde ?
La technologie est omniprésente dans notre vie quotidienne. Comment lier le développement technologique et une conception plus respectueuse et responsable de la nature ?
a- Présence et téléprésence, l’espace animiste d’un monde connecté
La technologie a permis que se développent les médias de la communication, de la permanente connexion, elle a permis ce maillage planétaire. L’ouverture technologique avec le réseau est synonyme d’ubiquité, de porosité, d’échange en temps réel d’informations, qu’il nous faut apprendre à saisir, comprendre et interpréter. C’est de Roumanie par exemple que Iori Mochizuchi tient le « Fukushima Diary7 », collectant, recoupant et diffusant en temps réel les informations sanitaires et météorologiques concernant le lieu de la catastrophe japonaise, échappant à la pression des journalistes restés sur place. La question la plus urgente que nous nous posons est : Comment conserver dans un monde technologisé un rapport à la nature ?
Pour répondre à cette question, il nous faut préciser ce que veut dire « un rapport à la nature ». Il s’agit pour nous de revendiquer, en mettant en réseau des fleurs, des lieux et des gens d’abord, une conception animiste du réseau et de la technologie, en imaginant des objets esthétiques qui utilisent les technologies de contact à distance ensuite, une conception chamanique du monde. Nous travaillons sur ce qui relie en permanence chaque élément à des forces invisibles, ce qui nous relient les uns aux autres et qui attribuent à toute manifestation ou toute action de l’homme des équivalents magiques présents dans la nature, plantes, animaux ou autres principes de correspondance. Définissons maintenant plus précisément ce que nous entendons par « conception animiste du réseau » ou même, plus généralement, pourquoi nous intéressons-nous à la pensée animiste, à propos des technologies contemporaines ?
Achille Mbembe fait remarquer que le capitalisme transforme tout en chose et les choses en êtres : « grâce au capitalisme, nous ne sommes plus fondamentalement différents des choses. Nous les transformons en personnes. Nous tombons amoureux d’elles. Nous avons des relations sexuelles avec elles précisément parce qu’elles ne sont pas des personnes et nous ne sommes plus fondamentalement différents d’elles. ». Il note ensuite que « l’animisme effectuera une tâche historique si elle est comprise comme une traînée de mouvement qui retrace une relation – non pas une relation entre une chose et une autre, mais un sentier le long duquel la vie est vécue ; un sentier des lignes entrelacées ; plusieurs sentiers constamment en ramification ; les lignes de croissance issues de sources multiples et enchevêtrées les unes aux autres. Ce domaine d’enchevêtrement, a-t-il souligné, est ce que les Européens ont pris pour culte des idoles ou pour animisme – un enchevêtrement de pistes entrelacées, continuellement effilochant et démêlant les lignes de leurs relations. Cet enchevêtrement, les pensées des peuples primitifs, était la texture du monde8 ».
Les relations entre la pensée animiste, et les technologies numériques nous apparaissent évidentes. Héritiers d’une pensée dualiste nous avons du mal à concevoir ensemble le « réel » et le « virtuel » (Joseph Nechvatal propose le concept du « viractuel », mêlant informatique et biologie). Le réseau permet l’émergence d’une « réalité », d’un « espace » augmentés, associé aux capteurs, senseurs, interfaces diverses, il nous dote d’un organisme augmenté, de perception surnaturelles, de mémoires, de capacités d’interprétations, d’actions que notre corps biologique -dans son état originel- et notre esprit rationnel ne nous autorisent pas. Il se passe, dans les artefacts produits par le numérique, dans les processus à l’œuvre, des événements que nous ne soupçonnions pas, des dérives que nous avons parfois du mal à analyser, c’est que pour « virtuelles » qu’elles soient, ces technologies reposent sur une matérialité énergétique et moléculaire qui a ses propres conditions d’existence. Au niveau du silicium, des « informations » sont sans cesse perdues, « oubliées », reconstituées. Dans les méandres des programmes, des logiques sont perturbées par une fréquence de processeur qui parfois va induire une oscillation des résultats. Plus simplement, ces technologies sont tellement complexes qu’il n’est plus possible d’en prédire et contrôler parfaitement la conduite. Nous devons face à ces « boîtes noires » nous comporter comme dans une forêt inconnue, explorer, expérimenter, nous insinuer dans son langage, éprouver son rythme, pressentir ses réactions.
« […] la notion d’animisme ne devrait pas être collée aux peuples primitifs. Elle devrait plutôt être mobilisée pour produire une critique de cette nouvelle ère du capitalisme et rendre compte de ce qui semble être un événement majeur de notre temps – l’extension prothétique des sens dans un monde plus que jamais médiatisé par toutes sortes d’abstractions qui, elles-mêmes, sont profondément ancrées dans la matière9.»
Nous n’avons pas à choisir entre -d’un côté- la nature et -de l’autre- la technologie qui serait une seconde nature. La technologie en réalité recouvre la nature en indexant, en augmentant, en se superposant au monde réel. Ce réseau que tisse la technologie en reliant chacun des postes, des appareils, des programmes les uns aux autres n’a rien de « naturel », de même que les structures-fleurs de Nymphaea Alba Ballet n’ont rien de naturel. C’est à un niveau métaphorique que le réseau des fleurs nous intéresse.
La flotte de Nymphaea Alba Ballet est pour nous la métaphore d’un réseau humain, mais aussi d’un réseau de production technologique, écosystémique à visage humain, c’est-à-dire d’une organisation des territoires à échelle mondiale qui tiendrait compte de la relation de la production au lieu, aux gens, aux modes de vie et de construction, aux croyances, aux symboles, aux relations, aux cultures.
Dans un entretien pour la revue Quaderni avec Felix Guattari, Piotr Kowalski déclare10:
« […] la science et la technique m’ont toujours semblé, sinon être elles-mêmes l’inconscient collectif, être le chemin privilégié qui y mène, car c’est là que la société en tant qu’organisme est la plus vulnérable et qu’elle a formé le moins de défenses. »
Guattari répond :
« Les éléments technico-scientifiques hantent la subjectivité […] aujourd’hui, il me semble intéressant de revenir, je dirais à une conception animiste de la subjectivité, de repenser l’Objet, l’Autre, comme pouvant être porteur de dimensions de subjectivation partielle; le cas échéant à travers des phénomènes névrotiques, des rituels religieux, ou des phénomènes esthétiques, par exemple.»
b- L’Orient et le Déluge : quelques données climatologiques11
L’Asie du Sud-Est est particulièrement exposée à des menaces climatiques. Les désastres sont liés aux inondations, à la montée du niveau de la mer, aux tempêtes. Il faut savoir que « quatre nations parmi les plus pauvres du monde sont en tête de la liste des douze pays les plus à risque12. » Le Bangladesh est le pays qui risque le plus les inondations13. Le Vietnam est le pays le plus menacé par l’élévation du niveau des océans14. Et les Philippines sont en tête de la liste des États les plus menacés par des tempêtes fréquentes et intenses15. Mais cette région du monde est également sujette à des menaces géosismiques importantes (Séisme-Volcanisme-Tsunami). Les zones les plus dangereuses, situées aux frontières entre les plaques, sont connues : le pourtour de l’océan Pacifique (ce qui explique que les Andes soient connectées au Japon), les chaînes de montagnes récentes comme l’Himalaya16. Quant au séisme indonésien de décembre 2004, s’il n’est pas le plus puissant de l’Histoire17, la puissance du tsunami qui a suivi et la forte concentration de populations dans les pays voisins en font l’un des plus meurtriers.
Les journaux français parlaient de Fukushima. Un lieu aux antipodes de Paris. Anéanti par un raz-de-marée, suivi d’un accident nucléaire. Des articles présentaient les zones à risques sismiques en France. Les gens s’inquiétaient en se demandant si un tel accident pouvait survenir chez eux. Chez eux ? Ils semblaient vouloir ignorer que cet événement touchait l’ensemble du vivant, affecterait notre écosystème en ignorant les frontières symboliques, politiques… C’est donc pour nous informer, que nous avons consulté le journal de bord de Iori Mochizuchi18.
Lorsque nous avons décidé de travailler sur ce projet, nous voulions investir deux thèmes particuliers : l’augmentation des catastrophes climatiques dans le Sud-Est asiatique (montée du niveau de la mer, inondations, tempêtes, tsunamis) et le sentiment qu’il existe une ontologie partagée par l’ensemble du Vivant, une continuité de la vie, au-delà des genres et des espèces. Les arbres communiquent : lors d’une invasion de parasites il arrive que dans les zones entourant l’émergence de la maladie, les arbres non encore contaminés émettent des substances répulsives les prémunissant contre l’envahisseur. Comment rendre sensible cette porosité souvent invisible d’espaces naturels, auxquels il arrive que l’on attribue parfois une étanchéité absolue (ainsi lorsque la catastrophe de Tchernobyl eut lieu, les pouvoirs publics en France prétendirent, au mépris de la santé publique, que le nuage radioactif n’avait pas franchi la frontière française) ?
Comment dénoncer le décalage entre un monde-totalité où tout communique, les flux comme les organismes, les semences et les masses d’air, les courants marins et les phénomènes climatiques, les mouvements tectoniques et les crises boursières, les migrations diverses et la fiction sociétale que le monde politique et économique propose ? Pour les humains et les informations, les frontières symboliques de nos cartes tendent à devenir réelles, en même temps qu’elles sont remodelées au gré des besoins et des rapports de force idéologiques, elles contraignent les gens, elles obstruent la vérité. Pour préserver des intérêts économiques particuliers, nous négligeons les conséquences humaines, éthologiques, environnementales sur le monde, que nos réglementations et déréglementations provoquent.
Nous avons imaginé mettre en relation les fleurs avec des stations météorologiques car cela permettait d’inscrire notre projet précisément dans une échelle d’espace-temps mondialisée. Par ailleurs les informations diffusées par les stations météorologiques ne sont pas de nature « romantiques », il s’agit souvent de données objectives, issues de relevés et de prévisions locales. Cela nous oblige à revenir à des considérations très pragmatiques et à une certaine idée de l’environnement et de la relation de l’être humain à la nature. Cela nous permet également de nous impliquer dans des lieux réels en nous laissant imaginer comment et pourquoi ce projet peut avoir une résonance. Nous avons sélectionné provisoirement huit régions d’Asie, d’Asie du Sud-Est et d’Océanie, soit parce qu’elle a initié le projet, soit qu’un partenariat semblait possible, soit parce qu’elles sont tristement emblématiques d’un risque naturel réel19 : Fukushima (Japon), Chiayi ou Tainan (Taiwan), Vallées du Gange et du Brahmapoutre (Bangladesh), Plaine du Mékong (Façade littoral du Vietnam), Manille /Philippines : Typhons (comme cette année), Merapi (Indonésie), Fleuve Yangzi Jiang (Chine), Fleuve Chao Phraya, Bangkok (Thaïlande).
Nous avons songé que les fleurs pouvaient servir de relais symbolique et diffuser en temps réel des informations climatologiques et environnementales que leur transmettraient les stations météo installées dans ces régions. Autant de signaux qu’il nous faut apprendre à saisir, auxquels donner une forme plastique dans un spectacle-performance, à rendre sensible via le réseau, le projet. Ces informations récoltées par chaque fleur pourraient être diffusées en temps réel durant la performance.
c- L’expérimentation de l’espace par le corps
Dans nos performances et notre travail en général, il existe une répartition assez claire des rôles, qui évoque certaines pratiques chamaniques, en Indonésie notamment, où des chamanes évoluent par deux, l’un entrant en contact avec les forces de la Nature et l’autre assurant la communication de l’expérience vécue par le premier avec les gens du village. Notre duo Hantu fonctionne autour de ce double principe dynamique présence/représentation qui nous permet en permanence de nous décaler par rapport à nos certitudes et nos acquis :
• Être dans la présence c’est aussi dans la tradition chamanique, être en contact avec l’âme de tout élément vivant, l’âme de tout objet, l’âme de tout phénomène naturel (car les tremblements de terre aussi ont une âme pour les chamanes de Siberut). Être dans la présence c’est pouvoir restaurer l’équilibre des corps dont l’âme se saurait sauvée (par peur, par surprise, par accident), par des incantations, dans des rituels, des mouvements dansés, une expédition dans la forêt puis une discussion avec les âmes…
• Être dans la représentation, non pas voir le monde comme une image mais être capable de rendre visible l’infinie profondeur, c’est être capable d’une attention particulière, pouvoir capter les signes des déséquilibres, repérer le papillon qui annonce la maladie, entendre le cri du singe qui annonce la mort, le chant de l’oiseau qui interdit d’avancer davantage, lire les entrailles d’un animal sacrifié pour vérifier que le rituel se déroule normalement…
Il nous semble primordial en tant qu’artistes de développer nos actions dans le paysage, en engageant notre corps et sans agir sur le paysage en continuant de le dénaturer, de performer « respectueusement » dans le paysage. Notre duo sait, dans un contexte technologique d’ingénierie industrielle, qu’il est nécessaire de protéger ce qui ne relève pas précisément de la technologie : le corps d’abord, son rapport au temps, à l’espace, au sentiment de présence… ; le lieu ensuite, son équilibre écologique, son économie et l’organisation du travail de la population autochtone.
Aucun dispositif technique n’est neutre, ni pour son utilisateur, ni pour l’observateur, car il produit, induit ses propres effets esthétiques.
d- Des matériaux bio-inspirés pour une nature réinventée
Nymphaea Alba Ballet parle d’espace, espace naturel, lieu de méditation et paysage manufacturé. Les performances que nous chorégraphions sont des expérimentations de l’espace par le corps, et l’espace ne se limite pas à ce qui nous entoure. La technologie est seconde, elle est présente dans notre projet parce qu’elle appartient à notre monde. Mais d’abord et finalement il y a l’expérience et la poésie du lieu.
La nature a toujours été source d’inspiration pour les inventeurs. Dans le domaine des matériaux innovants, des firmes conçoivent des films protecteurs pour rendre les textiles hydrofuges en s’inspirant de la peau de requin, des ailes de papillon, ou encore des feuilles de lotus20. Il est aujourd’hui possible de réaliser des pétales en tissus-interactifs intégrant les technologies mobiles : téléphonie, Internet GPS…, en tissus auto-décoratifs par modification de l’aspect de la surface des fibres, en tissus à base de fibres sources d’énergie ou conductrices d’énergie. Il est possible de réaliser des fleurs dont les pétales disparaissent, confectionnés tels des vêtements de camouflage actif à absorption des ondes lumineuses et électromagnétiques. Nous savons également fabriquer des fleurs à partir de tissus « émotions » ou olfactifs.
Nous avons découvert des textures (des tissus interactifs et communicants) permettant des manifestations et vibrations lumineuses et colorées (texture luminescente, phosphorescente ; texture colorée et visuelle), de produire une ambiance sonore (texture sonore), capables de ressentir la chaleur (feu, radiation, énergie), d’agir sur comportement de la structure (vitesse de déplacement, amplitude des mouvements). Nous avons découvert des matériaux « communicants » capables d’émettre des informations, dotés de capteurs, capables de mesurer en temps réel la température extérieure et les paramètres vitaux des corps présents sur le nénuphar : température corporelle, respiration et rythme cardiaque21.
3. Les étapes à venir : trois dispositifs de performance dansée
La nature inspire, elle est souvent un objet de fantasme. Des personnes fabriquent en Suisse et aux USA, des matériaux qui tentent de reproduire les qualités d’autres matériaux existants comme l’effet « feuille de lotus ». Il y a tant de possibilités, comment ne pas s’égarer ? C’est ainsi que nous avons imaginé trois différents dispositifs qui chacun nécessite une mise en œuvre, des matériaux et des techniques particulières. Le premier met en présence des corps vivants et des machines, le second chorégraphie la relation entre une fleur et un corps, le troisième enfin, en prenant une sorte de contre-pied à la démonstration technologique nous permet, au sein de Hantu, de travailler directement avec des personnes vivant et travaillant en différents lieux d’Asie, qui réaliseraient elles-mêmes des cellules, en utilisant les savoir-faire, les technologies et les matériaux locaux.
a- Nymphaea Alba Ballet (1) : évoluer sur scène avec une flotte de robots interactifs
Les fleurs s’approchent et s’éloignent tour à tour du bord de la scène, tandis que, les spectateurs cherchent à comprendre la magie et le fonctionnement de ce ballet. Sur des écrans se mêlent les captations temps-réel des robots et de la performance dansée (Jean Delsaux), et les images du film 3D qui met en scène la découverte par les personnages d’une réalité qui ne cesse de déborder leur champ de vision, puisque progressivement leur échelle de perception s’étend d’une cellule close à ce qui les entoure et bien au-delà.
Nous prenons le parti d’une organisation non-centralisée de la flotte : il n’y a pas de structure maîtresse qui reçoit, traite et envoie les informations aux sept autres. Ni centre de traitement, mais une intelligence du réseau partagée par l’ensemble des fleurs. Nymphaea Alba Ballet (1) présente donc une flotte de nénuphars qui circulent en dessinant des ondes. Le mouvement est modélisé sous forme de routes ou de trajectoires. La robotique mobile permet le déplacement d’une position à une autre des Nénuphars dans un environnement encombré (par d’autres nénuphars, par des objets ou par le public). À l’approche d’un spectateur, les fleurs reçoivent un stimulus et affirment leur personnalité. Les curieuses s’approchent et les timides s’écartent. Pendant vingt minutes, nous évoluons au milieu des fleurs robotisées, en dansant et en capturant des images.
Cette version sera présentée en janvier 2015, à la nouvelle MSH du Campus Condorcet, dans le cadre de l’atelier « Humanités numériques et simulations technologiques. Enjeux et perspectives ».
b- Nymphaea Alba Ballet (2) : performer à deux sur l’eau
Sans le corps, fragile, sensible, la machine n’est rien. Nous avons imaginé un second dispositif dans lequel il n’y aurait qu’une seule fleur, mais la personnalité de cette dernière serait suffisamment riche pour qu’elle devienne un partenaire de danse.
La phase de modélisation nous a permis de préciser les fonctionnements du moteur de perception et du moteur de comportement pour interpréter des états d’âme, des perceptions, une réalité existentielle qui est exprimée par le comportement du robot. La technologie doit nous permettre de capter et d’analyser l’action du performer sur la fleur et la présence des spectateurs sur la berge. Elle doit permettre également de capter des réactions de la fleur. Il faut qu’il y ait un aller-retour d’informations pour qu’il y ait relation entre le corps et la fleur.
La fleur géante de ce dispositif est accompagnée par deux feuilles rondes, plates-formes végétales, observatoires possibles à l’intérieur du ballet, pour les prises de vue que réalise Jean Delsaux, éventuellement pour une partie du public.
c- Nymphaea Alba Ballet (3) : l’événement et le réseau
Nymphaea Alba Ballet(3) parle de l’état du monde hors frontières, au sein d’un ensemble de territoires reliés étroitement par des risques naturels et écologiques majeurs. La technologie, qui ne peut être toute puissante, lorsqu’elle est totalement déconnectée des préoccupations et des besoins locaux, comme un trou noir alors, elle avale tout : ressources humaines, énergétiques, naturelles, culturelles… Respecter l’environnement invite également à repenser la question du lieu ontologique de l’oeuvre. Une œuvre présente et éclatée, ici et partout à la fois, et connectée de fait à de multiples autres territoires.
Dans ce dispositif, chaque fleur est réalisée dans un lieu différent, et dans chaque lieu avec les moyens humains, techniques, culturels locaux. Il n’y a pas de centre de production, pas davantage de centre d’accumulation (de stockage) des fleurs ou de réalisation du travail et de transfert de richesses d’une partie du monde vers une l’autre. Chaque région doit établir les problématiques et enjeux de sa production. Cette dernière proposition oppose au prototype unique un modèle démultiplié, interprété, adapté, enrichi localement.
Si les fleurs évoluent, indépendamment semble–t-il, en différents lieux, sans converger en un point unique, sans jamais se croiser réellement, elles n’en sont pas moins reliées les unes aux autres au sein d’une flotte virtuelle et relayent par les technologies de la communication des informations (météorologiques par exemple) sur l’état du monde. Pour saisir le dispositif, il faut avoir à l’esprit le réseau, l’éprouver, oublier le paysage unifié de la perspective. Dans ce troisième dispositif donc, chaque fleur constitue une sorte de porte, une entrée symbolique mais aussi réelle dans le réseau
En forme de conclusion : un world in progress
Un accident survient toujours localement, ses conséquences par contre peuvent se faire ressentir beaucoup plus loin, de l’autre côté du pourtour pacifique par exemple.
Une idée survient elle aussi dans un contexte particulier, culturel, géo-politique, et ne prend sens qu’à condition d’avoir une résonance au-delà des particularismes régionaux et culturels, de permettre de penser notre multiplicité, car l’humanité est faite d’individus sans nationalité et au destin commun.
De façon ambiguë, la culture ouvre et cloisonne à la fois notre monde, les objets artistiques restent des porte-drapeaux, ils racontent des histoires morcelées et indépendantes, ils défendent des intérêts économiques, financiers ou politiques particuliers, souvent ils ignorent notre interdépendance et les enjeux de la « globalisation ». L’art cherche sa place dans un monde dont le centre bouge en dénonçant les vieux repères mais il continue de s’adresser chaque fois à un vieux public homogène qui n’existe plus.
Nymphaea Alba Ballet est un projet d’artistes. Il s’agit, pour reprendre l’expression de Pierre Gaudibert, d’un arbitraire signé. Ce projet n’en reste pas moins ouvert à tous types de partenariats, si l’on veut précisément éviter d’ouvrir et de cloisonner à la fois l’espace, et constituer un collectif de réflexion qui essaimerait à partir de chaque fleur. Voilà où nous en sommes…
Notes
[7] fukushima-diary.com Comme préambule à ce blog, et résumant la situation paradoxale de quelqu’un à la fois totalement isolé par sa détermination et totalement connecté (à ses informateurs ou à ses lecteurs), chacun peut y lire : « J’interdis à la grande presse internationale de lire et d’utiliser ce site sans préalablement prendre contact avec moi. Je sais que certaines grandes sociétés de presse lisent le Fukushima Diary pour comprendre la tendance et trouver quand rendre compte de la situation de Fukushima comme s’ils la suivaient indépendamment depuis longtemps. En résumé, ils vous font payer à vous, simples lecteurs, ce qu’ils prennent gratuitement dans ce site et lorsqu’ils publient des « nouvelles de première main » vous payez pour des « nouvelles resucées », qui n’ont rien de nouveau pour nous. Ce site est gratuit pour les lecteurs individuels, pas pour les sociétés. Ce site est pratiquement la seule source au monde sur Fukushima. Je viens ici seul sans aucun soutien d’organisation quelconque, ni références, ni rien. Je n’apprécie pas de me faire exploiter par ces sociétés qui n’ont même pas été fichues de relater correctement ce qui se passait à Fukushima quand a eu lieu le mois de mars 2011. Je leur demande de prendre contact avec moi AVANT de lire ce site dans quelque but que ce soit. »
[8] Recension de Emery Kalema, doctorant de l’Université de Witwatersrand :
http://jhbwtc.blogspot.fr/search/label/Achille%20Mbembe (consulté le 9 janvier 2014)
[9] Idem.
[10] Piotr Kowalski, interview avec Pierre Musso, Quaderni n° 21, automne 93, p. 100.
[11] Nous renvoyons sur le sujet à la publication dans la revue Nature du 31 mars 2005, « Catastrophes en chaîne, l’historique séisme en Asie du Sud ».
[12] Information publiée en 2009 par l’IRIN, un service du Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies :
http://www.irinnews.org/fr/report/85206/monde-douze-pays-dans-le-collimateur-des-changements-climatiques
[13] De plus en plus importante, la fonte des glaciers de l’Himalaya résultant du réchauffement de la planète risque de gonfler les eaux du Gange et du Brahmapoutre ainsi que de leurs centaines d’affluents, inondant chaque année 30 à 70 pour cent du pays dans leur parcours vers la Baie du Bengale, au sud, là où le littoral est également vulnérable aux inondations dues à l’élévation du niveau de la mer.
[14] Selon une étude de la Banque mondiale, jusqu’à 16 pour cent de sa superficie, 35 pour cent de sa population et 35 pour cent de son produit intérieur brut pourraient être durement affectés si le niveau de la mer augmentait de cinq mètres.
[15] En 2008, ce pays à revenu moyen dans le sud-est asiatique composé de plus de 7 000 îles, faisait partie des trois pays frappés par le plus grand nombre de catastrophes, selon le centre de recherche sur l’épidémiologie des catastrophes, situé à Bruxelles. L’actualité récente n’a fait malheureusement que confirmer les « prédictions » scientifiques.
[16] En témoigne le tremblement de terre du 8 octobre 2005 au Cachemire, entre le Pakistan et l’Inde.
[17] Sa magnitude, comprise entre 9 et 9,3 sur l’échelle de Richter, le place en deuxième position derrière celui du Chili de magnitude 9,5 survenu en mai 1960.
[18] Nous l’avons déjà cité plus haut (cf.note n°8) : fukushima-diary.com
[19] « L’index de Vulnérabilité de Changement climatique de Maplecroft (CCVI), que forme un pilier central de l’Atlas, classe dans une liste de 50 villes sept d’entre elles comme comportant ‘ un risque extrême ‘, elles ont été choisies suivant l’importance actuelle et future de leur activité économique mondiale. Dhaka, au Bangladesh, (classée 1e), Manille, aux Philippines (2e), Bangkok, Thaïlande (3e), Yangon, Myanmar (Birmanie) (4e), Jakarta, Indonésie (5e), Hô Chi Minh-Ville, Viêt-Nam (6e) et Kolkata, Inde (7e) sont apparues comme les villes les plus en danger face aux changements de températures et de systèmes météorologiques prévus dans les prochaines années. »
(http://www.preventionweb.net/english/professional/news/v.php?id=29642)
[20] Schoeller Technologies en Suisse et Nano-Tex en Californie notamment.
[21] Toutes ces innovations proviennent de lieux de recherche comme le Laboratoire de Physique et Mécanique Textiles ( lmpt)/EurotexNord, Recherche et innovation textile.