Ce numéro d’Archée, propose trois entretiens dans lesquels André Éric Létourneau et Cynthia Nourys’entretiennent avec, Sandeep Bhagwati, Jason Lewis et Gisèle Trudel.
Le choix de ces cinq artistes repose sur le fait que leurs pratiques respectives questionnent la réalité comme processus phénoménologique dont ils redéploient les codes à travers des œuvres créées in situ, parfois in socius, et diffusées dans différents lieux publics ; espaces commerciaux, architecture d’immeubles, cyberespace, radio hertzienne et web, etc. Plusieurs de ces artistes développent d’ailleurs souvent leurs œuvres en cocréation avec des communautés spécifiques. À leur manière, chacun de ces artistes redéploit autrement la construction d’une réalité collective.
Chacun des textes de ce numéro représente une collaboration entre les intervieweurs et le chercheur invité et s’inscrit dans le prolongement d’une émission d’Hexa Sonde. Ils permettent ainsi de faire émerger et d’approfondir les faits saillants liés au processus de recherche-création en lien avec les démarches respectives décrites par chacun des participants au moment de l’émission.
Hexa_Sonde est une série d’émissions radiophoniques artistiques produite par Hexagram, un réseau international et interuniversitaire regroupant trente-huit artistes-chercheurs québécois en arts technologiques. Chacun des épisodes d’Hexa_Sonde propose l’écoute d’un entretien ininterrompu d’une heure avec un chercheur-créateur dont le travail s’inscrit à la fois à travers les mondes des arts et dans le milieu académique.
La série d’émissions Hexa_Sonde s’inscrit dans la tradition de l’entretien médiatique de fond, parfois aussi nommée «grandes entrevues », celles-ci se trouvant héritières des pratiques médiatiques qui ont trouvé un âge d’or dans les années 1960 et 1970. Entre 1970 et 1991, la télévision de Radio-Canada proposait la série autobiographique hebdomadaire « Propos et confidences » où s’exprimaient sans interruption, – pendant une heure et devant une caméra presque fixe, – un artiste ou un intellectuel partageant ses récits de pratique et de vie. Les discours proposés abordaient souvent des dimensions cruciales de la manifestation de l’être et sa coexistence en société. Dans la lignée des grands entretiens readiophonique de Jacques Chancel pour la sérieRadioscopie (1968-1982) et de ses collègues de Radio-France, les grands entretiens trouvaient une niche privilégiée à la radiotélévision publique canadienne. Vers la même époque, avec le développement des télévisions et des radios communautaires, des centres d’artistes et de l’apparition des canaux spécialisés, l’entrevue de fond a également trouvé des modes alternatifs d’existence.
Dans le milieu de l’art contemporain, la série d’opéras réalisés pour la télévision Music With Roots in the Aether de Robert Ashley (1976) proposait sept entretiens d’une heure avec un compositeur contemporain sur les impératifs de l’activité artistique, mettant également en relief les aspérités du langage de l’entretien même. Cette pratique laissait toute la place aux hésitations et aux silences dans le discours, valorisait les inflexions naturelles de la voix de l’intervieweur et de l’interviewé, devenus alors matériau d’une musicalité naturelle au sens cagien. Les sept entretiens de Music With Roots in the Aether se sont trouvées retranscrits et publiés en 1999 chez MusikTexte en Allemagne. «Propos et confidences» et «Music with Roots in the Aether» font partie d’un corpus d’expérimentations médiatiques qui a servi de source d’inspiration pour élaborer l’approche des entretiens que nous avons adoptée avec la série Hexa_Sonde, le concept central n’étant pas de faire dire, mais plutôt de laisser évoquer la complexité de la démarche de chacun à travers la dynamique d’un échange où les aspérités et la fragilité de la parole comptaient tout autant que les énonciations formulées de manière plus «textuelle» par la suite.
Cela offre la possibilité de reformuler ce qui a été dit en dévoilant les aspérités de la pensée que le flux de la parole en temps réel ne permet pas nécessairement de saisir et implique que le rédacteur doit parfois repenser la pensée énoncée pour la rendre lisible. Cette méthode élargit la compréhension du discours et en révèle les couches de sens qui passent normalement inaperçues. C’est un exercice délicat auquel nous nous sommes livrés pour mieux analyser et comprendre la démarche créatrice des cinq artistes.
Dans les entretiens radiophoniques on pourra entendre, à travers la voix des participants, la dimension affective du discours, le rythme de la parole et ses aspérités, le paratexte contenu dans le son, livré pour les auditeurs. Ces textes permettent d’appréhender certaines dimensions essentielles du discours évoquées dans l’entrevue sonore.
Suite aux dix émissions de la série Hexa_Sonde déjà réalisées et disponibles sur www.hexagram.ca, une deuxième saison est en cours de préparation pour poursuivre le développement et la coconstruction de la connaissance en termes de recherche-création dans le domaine des arts électroniques. Ce mouvement collaboratif s’étendra à travers la production d’autres littératures culturelles et académiques découlant de ce projet, et liées à la documentation et à la production du savoir propre à la théorie et à la pratique autour de la recherche-création.