{"id":1043,"date":"2017-02-01T22:21:41","date_gmt":"2017-02-01T22:21:41","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=1043"},"modified":"2022-11-09T22:24:57","modified_gmt":"2022-11-09T22:24:57","slug":"fevrier-2017-entretien-avec-les-danseuses-de-flesh-waves-phase-4","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/fevrier-2017-entretien-avec-les-danseuses-de-flesh-waves-phase-4\/","title":{"rendered":"F\u00e9vrier 2017 – Entretien avec les danseuses de Flesh Waves <\/i> ( Phase 4 )"},"content":{"rendered":"\n

I. C. : Nous commencerons par la question du souffle en relation avec vos mouvements. Comment ce lien s\u2019est-il d\u00e9velopp\u00e9 dans votre gestuelle ? Est-ce que cette relation s\u2019est d\u00e9velopp\u00e9e d\u2019abord individuellement puis collectivement ? Comment cela s\u2019est-il pass\u00e9 au niveau de votre perception ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : Le travail de respiration que nous investissons nous am\u00e8ne \u00e0 \u00e9veiller la conscience de notre propre corps selon notre propre respiration. Il sert aussi \u00e0 \u00e9veiller l\u2019ensemble de notre corps aux sensations que l\u2019on peut avoir par le toucher. Par exemple, lorsqu\u2019on touche quelqu\u2019un et que l\u2019on \u00ab aspire \u00bb dans notre main les \u00e9manations de son corps ou que l\u2019on ressent son \u00e9nergie, on a l\u2019impression, par ce moyen, de se connecter \u00e0 cette personne.<\/p>\n\n\n\n

Nous nous connectons ainsi \u00e0 nous-m\u00eames, mais surtout aux autres : soit par mon coude, mon pied ou mon bras qui touche quelqu\u2019un, par exemple. Le travail consiste \u00e0 rencontrer l\u2019autre par notre activit\u00e9 respiratoire. Il faut \u00ab envoyer \u00bb mon souffle respiratoire dans la partie de mon corps qui touche l\u2019autre et sentir l\u2019expansion de ma respiration \u00e0 travers l\u2019autre. Ce travail est \u00e0 la base de la connexion que nous avons b\u00e2tie dans la premi\u00e8re partie de la cr\u00e9ation \u2013 dont le titre en studio est le \u00ab Morph \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

N. St-A. : En fait, le processus de recherche-cr\u00e9ation s\u2019est fait collectivement. On n\u2019a jamais dans\u00e9 individuellement la pi\u00e8ce, on n\u2019a jamais explor\u00e9 les choses individuellement. \u00c0 chaque fois que l\u2019on apprenait une s\u00e9quence et que l\u2019on r\u00e9p\u00e9tait, nous \u00e9tions toujours toutes les cinq en contact, coll\u00e9es l\u2019une contre l\u2019autre et en interaction. Je pense que notre individualit\u00e9 dans cette cr\u00e9ation se manifeste apr\u00e8s quelques semaines. Nous avons d\u2019abord commenc\u00e9 \u00e0 sentir que nous \u00e9tions des parties d\u2019un tout. Je me suis sentie comme une \u00ab chose \u00bb. Ce n\u2019est que par la suite que j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 sentir les parties de ce tout.<\/p>\n\n\n\n

I. C. : Comment est-ce que cet exercice particulier impliquant la respiration vous a permis de cr\u00e9er une relation avec l\u2019autre ? Quand avez-vous senti que cela vous permettait de vous connecter aux autres et \u00e0 quel niveau ? Car en premier, vous avez appris \u00e0 communiquer, \u00e0 respirer l\u2019une avec l\u2019autre, ensuite il y a eu diff\u00e9rents \u00e9changes en vue de d\u00e9velopper une gestuelle. Comment avez-vous pressentie la possibilit\u00e9 d\u2019une relation et comment l\u2019avez-vous utilis\u00e9e ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

B. T. : Il me semble que cela s\u2019est manifest\u00e9 sous plusieurs formes. Ce qui me vient rapidement en t\u00eate, c\u2019est ce que Laurie-Anne vient de nous dire : soit que la respiration \u2013 l\u2019\u00e9nergie \u2013 passe d\u2019un corps \u00e0 l\u2019autre. On a l\u2019impression que tout s\u2019ouvre \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de soi, ensuite le corps s\u2019ouvre \u00e0 la respiration de l\u2019autre. De plus, dans la premi\u00e8re s\u00e9quence nomm\u00e9e le \u00ab morph \u00bb, nous respirons toutes ensemble et cela devient le rythme de notre corps. Tout semble se lier, on a l\u2019impression de devenir un seul gros poumon comme une grosse masse qui se dilate et qui se contracte dans un seul mouvement, dans un seul moment.<\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : C\u2019est une bonne mani\u00e8re de d\u00e9crire ce qui se passe. Au d\u00e9but, nous commen\u00e7ons en synchronisme, nous nous connectons \u00e0 notre respiration, nous respirons de plus en plus fort. Le son nous permet \u00e9galement de rencontrer les autres dans leur propre respiration, de suivre la respiration de l\u2019autre. Il y a aussi des variations dans la respiration : certaines des danseuses ne suivent pas le m\u00eame rythme, mais restent toujours en dialogue. Ainsi sentir l\u2019expansion du corps de l\u2019autre, due \u00e0 sa respiration sur soi, fait en sorte que notre corps r\u00e9pond \u00e0 ce stimulus et qu\u2019il le redonne ensuite. Nous nous concentrons ainsi \u00e0 ressentir une sensation d\u2019expansion puis une sensation de \u00ab r\u00e9tr\u00e9cissement \u00bb due \u00e0 la contraction de l\u2019expiration.<\/p>\n\n\n\n

E. P. : Pendant le d\u00e9roulement de la pi\u00e8ce, \u00e0 un certain moment vous semblez avoir une \u00ab conscience d\u2019\u00eatre \u00e0 l\u2019unisson \u00bb. Puis on observe un changement dans le rythme. \u00c0 quel moment ce changement se produit-il ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

N. St-A. : La cr\u00e9ation commence par la formation d\u2019une masse corporelle, je pense que cela \u00e0 une fonction. Plus tard, dans la pi\u00e8ce il y a une s\u00e9paration qui appara\u00eet. Le d\u00e9but de la pi\u00e8ce est le moment o\u00f9 on est physiquement proche les unes des autres. Par la suite, il y a des moments o\u00f9 on se distancie, mais le lien \u00e9nerg\u00e9tique cr\u00e9\u00e9 au d\u00e9but, reste.<\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : Au d\u00e9but, on forme vraiment quelque chose ensemble, on se rencontre, on s\u2019associe et ensuite on cr\u00e9\u00e9 des tensions dans l\u2019espace et on revient l\u2019une vers l\u2019autre. Ce qui peut expliquer cet esprit d\u2019unisson. Mais, pour moi, m\u00eame si nous ne sommes pas \u00e0 faire la m\u00eame chose au m\u00eame moment, je me sens continuellement en unisson quand m\u00eame, car je reste toujours consciente de l\u2019endroit o\u00f9 se trouvent les autres dans l\u2019espace et dans l\u2019\u00e9volution de leur travail.<\/p>\n\n\n\n

E. P. : Il y a aussi la question \u00ab d\u2019unisson des respirations \u00bb. Vous \u00e9voluez en m\u00eame temps dans une m\u00eame temporalit\u00e9 comme si vous cr\u00e9er une seule pr\u00e9sence de respiration et de mouvement. C\u2019est int\u00e9ressant parce que cela met en jeu la question du toucher : le toucher direct ou le toucher \u00e0 distance.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

B. T. : En effet, il y a aussi le ph\u00e9nom\u00e8ne d\u2019\u00e9loignement, mais c\u2019est le son qui nous ram\u00e8ne ensemble.<\/p>\n\n\n\n

I. C. : Ce que tu es en train de dire c\u2019est que le son vous aide \u00e0 construire le \u00ab corps collectif \u00bb parce que vous sentez la pr\u00e9sence de l\u2019autre \u00e0 distance. Et ainsi vous \u00eates en mesure de r\u00e9agir rythmiquement, gestuellement \u00e0 ce son.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

B. T. : Oui, mais le son forme aussi le \u00ab corps collectif \u00bb. Le son nous \u00ab remplit \u00bb nous lie et nous \u00e9nergise \u00e9galement.<\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : On ne fait pas que r\u00e9agir, on cr\u00e9ee aussi une pi\u00e8ce musicale. On \u00ab chante \u00bb, dans le sens o\u00f9 on fait des sons en respirant et avec notre voix. Pour y arriver, il faut \u00eatre tr\u00e8s bien connect\u00e9 \u00e0 l\u2019autre. C\u2019est comme lorsque l\u2019on joue dans un \u00ab band \u00bb, chacun a son instrument, mais il faut aussi qu\u2019il soit \u00e0 l\u2019\u00e9coute de l\u2019autre pour pouvoir jouer la m\u00eame partition, la m\u00eame chanson. Donc cela aide d\u2019\u00eatre \u00e0 l\u2019\u00e9coute des sons que font les autres, mais aussi pour s\u2019enrichir. Ceci contribue aussi au fait qu\u2019on soit toujours li\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n

E.D. : Il y a bien s\u00fbr connexion, ces liens, mais je pense qu\u2019on cr\u00e9\u00e9e aussi notre bulle. On cr\u00e9\u00e9e cette connexion \u00e0 partir de cette bulle. Lorsqu\u2019on se s\u00e9pare, le lien reste. C\u2019est une bulle sonore, une bulle physique. Ainsi c\u2019est important que l\u2019on d\u00e9bute coll\u00e9es ensemble comme Nad\u00e8ge l\u2019a dit, car le lien physique se cr\u00e9\u00e9 \u00e0 ce moment-l\u00e0 et cela nous permet de garder ce lien m\u00eame \u00e0 distance et d\u2019\u00eatre englob\u00e9es par le son.<\/p>\n\n\n\n

I. C. : Mais comment est-ce que vous utilisez votre souffle et votre voix pour vous stimuler collectivement au niveau gestuel ? Car je sais que vous utilisez cela pour communiquer ensemble au niveau kinesth\u00e9sique.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

N. St-A. : Personnellement, je pense que ce qui m\u2019affecte physiquement au niveau du son : c\u2019est bien s\u00fbr la fa\u00e7on dont les techniciens \u00e0 la r\u00e9gie modifient le son en temps r\u00e9el, sa sonorit\u00e9, sa couleur, mais aussi de savoir qui a fait le son. Si je sais que c\u2019est B\u00e9atrice qui a produit ce son, et que ce son-l\u00e0 me revient, c\u2019est B\u00e9atrice qui m\u2019affecte. Ce n\u2019est pas juste le son en soi.<\/p>\n\n\n\n

I. C. : Ce n\u2019est pas juste une partie de son corps, c\u2019est aussi sa voix.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

B. T. : C\u2019est une question de toucher. Si moi je te touche ou si Laurie-Anne te touche, ce n\u2019est pas la m\u00eame chose. Donc si ma voix te revient ou si la voix de Laurie-Anne te revient, ce n\u2019est pas la m\u00eame chose.<\/p>\n\n\n\n

N. St-A. : Exactement, donc \u00e9nerg\u00e9tiquement cela va m\u2019affecter diff\u00e9remment. La dynamique n\u2019est pas la m\u00eame si c\u2019est un son de B\u00e9atrice ou un son de Laurie-Anne.<\/p>\n\n\n\n

E. P. : Ce n\u2019est pas une question de \u00ab feedback \u00bb direct du son ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

I. C. : C\u2019est le \u00ab feedback \u00bb d\u2019une autre danseuse qui va les affecter. Tu voudrais qu\u2019elle discute aussi de la question du \u00ab feedback \u00bb direct de leur voix sur elles ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

E. P. : Oui, peut-\u00eatre aussi, car la question de la perception m\u2019int\u00e9resse \u00e9galement. Cela change la dimension de la spatialisation du mouvement, de la voix, etc., qui interagit sur la perception.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

B. T. : Cette remarque ouvre sur tellement de choses. Je ne sais pas si je r\u00e9ponds \u00e0 la question, mais quelquefois, lorsqu\u2019on fait des tests, le micro n\u2019est m\u00eame pas ouvert et on dirait que lorsque l\u2019on fait un son, le son reste l\u00e0, deviens plus dense. Mais le fait que le son est propuls\u00e9 par le micro, \u00e7a nous donne l\u2019impression qu\u2019il y a plus d\u2019air, plus d\u2019espace, c\u2019est difficile \u00e0 expliquer.<\/p>\n\n\n\n

F. F. : Lorsque nous produisons un son, le son part voyager quelque part avant de revenir \u00e0 nous ou \u00e0 quelqu\u2019un d\u2019autre. Donc ce n\u2019est pas comme si je faisais un son dans ton oreille, cela ne va pas te toucher directement m\u00eame si le son nous arrive rapidement. Dans la sonorisation, le son bouge beaucoup, mais l\u2019espace qu\u2019il prend avant de revenir \u00e0 nous, cr\u00e9er aussi une diff\u00e9rence dans la perception que l\u2019on en a.<\/p>\n\n\n\n

E. P. : Avez-vous aussi la sensation de contr\u00f4ler le son ? D\u2019entrer dans une relation directe entre le son, sa spatialisation et son retour.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

B. T. : En effet.<\/p>\n\n\n\n

I. C. : Mais l\u00e0, je pense qu\u2019il faut y attacher une attention particuli\u00e8re. Car premi\u00e8rement, il y a la fa\u00e7on dont le son vous transforme int\u00e9rieurement. Ensuite il y a le retour du son, par rapport \u00e0 vous, mais aussi par rapport \u00e0 l\u2019entit\u00e9 que vous devenez. Je pense qu\u2019il y a ces trois dimensions \u00e0 retenir.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

E. P. : Oui parce que ce n\u2019est pas un retour direct. Car ce n\u2019est pas l\u2019\u00e9mission de mon son et pourtant il revient vers moi.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

I. C. : C\u2019est parce qu\u2019elles utilisent le son aussi pour sentir l\u2019autre. Il n\u2019y a pas juste la relation du toucher corporel, il y a aussi la relation de la tactilit\u00e9 du son qui touche et qui affecte ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : Par rapport \u00e0 cela, mon \u00ab feeling \u00bb concernant l\u2019utilisation du son comme tu l\u2019expliquais B\u00e9atrice, ce n\u2019est pas juste un son que l\u2019on entend, mais bien le son qui se d\u00e9place dans l\u2019espace, c\u2019est autre chose. C\u2019est un son amplifi\u00e9. En tant que danseuse\/performeuse, je sens toujours l\u2019importance de mon corps. Mais dans cette cr\u00e9ation avec ma voix amplifi\u00e9e, c\u2019est comme si elle avait autant d\u2019importance que mon corps. Je me mets donc en lien avec les autres ainsi qu\u2019avec ma voix, c\u2019est comme si j\u2019avais un pouvoir de plus. Comme exp\u00e9rience personnelle, c\u2019est tr\u00e8s enrichissant et r\u00e9v\u00e9lateur.<\/p>\n\n\n\n

E. P. : Il y a aussi la dimension potentielle du corps, du geste.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : Oui exactement. Et par rapport \u00e0 l\u2019espace, vu que le son est amplifi\u00e9, mon corps aussi en ressent les effets. J\u2019\u00e9prouve de la vibration quand j\u2019\u00e9mets un son, mais quand je le re\u00e7ois de l\u2019ext\u00e9rieur et d\u2019une autre fa\u00e7on, c\u2019est comme si tout mon corps se met en r\u00e9action \u00e0 ce son.<\/p>\n\n\n\n

I. C. : Lorsque tu re\u00e7ois ce son, est-ce que tu sens que ton int\u00e9riorit\u00e9 change ? Comment vis-tu cela au niveau de tes perceptions ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : Ce que je sens, c\u2019est comme si cette int\u00e9riorit\u00e9 s\u2019ouvrait, prenait de l\u2019expansion. Souvent ce n\u2019est qu\u2019une fraction de seconde : le son que je fais, je le sens et je le fais en m\u00eame temps que je bouge. C\u2019est comme si l\u2019impact de mon son et de mon mouvement \u00e9tait plus grand que toi-m\u00eame. C\u2019est comme cela que le sens. Je ne sais pas si c\u2019est clair.<\/p>\n\n\n\n

E. P. : Si je comprends bien vous commencez ainsi \u00e0 avoir une perception plus subtile de votre corps, de l\u2019organisation de votre corps, de la projection de votre corps dans l\u2019espace.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

I. C. : Avez-vous l\u2019impression d\u2019avoir diff\u00e9rents niveaux de perception dans votre corps, quand vous le projetez ? Quand vous recevez le son ? Est-ce que cette r\u00e9ception joue sur votre organisation interne sensori-perceptuelle ? Avez-vous l\u2019impression que vous vous complexifiez ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

N. St-A. : Il est certain que cela affine la sensorialit\u00e9 et l\u2019\u00e9coute et que cela nous donne acc\u00e8s \u00e0 plus de niveaux de conscience. Auparavant je n\u2019avais pas vraiment conscience de mon corps sonore dans l\u2019espace. Mais maintenant je me rends mieux compte qu\u2019il existe plusieurs niveaux. De plus, nous pouvons utiliser cr\u00e9ativement ces diff\u00e9rents niveaux d\u2019\u00e9coute durant la pi\u00e8ce. Quelques fois, c\u2019est plus au niveau du mouvement que je suis \u00e0 l\u2019\u00e9coute, \u00e0 d\u2019autres moments, c\u2019est plut\u00f4t au niveau du son que j\u2019acc\u00e8de \u00e0 ces niveaux.<\/p>\n\n\n\n

B. T. : Mon intervention va appuyer celle de Nad\u00e8ge. J\u2019ai l\u2019impression que l\u2019on ne choisit pas vraiment. D\u00e9j\u00e0 au d\u00e9but, il y a un tout. Nous devons, d\u00e8s le d\u00e9part, \u00eatre dans un \u00e9tat d\u2019\u00e9coute total, soit d\u2019ouverture du corps, d\u2019ouverture envers le son et c\u2019est \u00e0 partir de ce moment-l\u00e0 que nous avons la sensation de devenir un tout. \u00c9videmment, cela \u00e9volue d\u00e9pendamment des s\u00e9quences de la cr\u00e9ation. Il y a des moments o\u00f9 nous ressentons le son comme un \u00e9l\u00e9ment extr\u00eamement puissant, c\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019il occupe beaucoup plus de place. Nous devons nous y adapter. Mais durant toute la cr\u00e9ation, l\u2019ensemble des \u00e9l\u00e9ments sont pr\u00e9sents et nous ne faisons que jouer avec eux. Par exemple, parfois, les sons sont infimes.<\/p>\n\n\n\n

N. St-A. : Je peux \u00e9galement, t\u00e9moigner que nous sommes des interpr\u00e8tes avec une grande sensibilit\u00e9, donc que nous sommes tr\u00e8s r\u00e9ceptives alors que nous n\u2019avons pas n\u00e9cessairement intellectualis\u00e9 le processus. Nos point de r\u00e9f\u00e9rence sont dans le ressenti, dans la sensation, et donc par le fait m\u00eame, dans nos perceptions. Ainsi lorsque nous avons la sensation que le son nous touche, nous sommes affect\u00e9es physiologiquement et psychologiquement en m\u00eame temps. Nous n\u2019essayons pas d\u2019intellectualiser ce qui se passe.<\/p>\n\n\n\n

B. T. : Nous nous mettons dans un \u00e9tat d\u2019ouverture pour \u00eatre en mesure d\u2019int\u00e9grer ces informations, ensuite, ces informations agissent sur nous directement.<\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : Ce travail s\u2019\u00e9labore dans un rapport au sens et ceux sont eux qui guident la performance. Le fait que l\u2019on ressente les autres corps, par le toucher et la respiration, cela nous renvoie \u00e0 notre propre ressenti. \u00c0 un moment donn\u00e9 de la cr\u00e9ation, nous exp\u00e9rimentons l\u2019int\u00e9gration de certains objets \u2013 soit des surfaces en plastique que nous manipulons. Les plastiques se r\u00e9v\u00e8lent \u00e0 nous comme une autre texture, un corps ext\u00e9rieur \u00e0 soi qui est diff\u00e9rent et de nature non organique. Nous r\u00e9pondons corporellement \u00e0 cette autre mat\u00e9rialit\u00e9 d\u2019une fa\u00e7on diff\u00e9rente, ainsi qu\u2019au son qu\u2019il \u00e9met qui parall\u00e8lement et simultan\u00e9ment est modifi\u00e9 en temps r\u00e9el par les techniciens \u00e0 la r\u00e9gie. C\u2019est donc une situation o\u00f9 nos sens s\u2019ouvrent qui nous am\u00e8ne \u00e0 nous investir dans une transformation de nous-m\u00eame.<\/p>\n\n\n\n

E. P. : Ceci est vrai, mais c\u2019est \u00e9galement une fa\u00e7on d\u2019\u00e9tendre les possibilit\u00e9s imaginatives du corps. \u00c0 partir de ce moment, vous entrez dans une nouvelle gestuelle, car vous avez la possibilit\u00e9 d\u2019organiser la perception dans une dimension que je qualifierais de plus \u00e9largie. Pour travailler, vous avez des \u00e9l\u00e9ments et des outils \u00e0 la fois plus forts et plus subtils, car vous n\u2019\u00eates pas toujours dans la m\u00eame condition perceptive. Vous \u00eates en fait constamment dans une variation de la dimension perceptuelle qui agit un peu comme le mouvement de va et vient d\u2019une vague.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

N. St-A. : \u00c0 chaque fois qu\u2019on interpr\u00e8te cette performance, c\u2019est toujours diff\u00e9rent. C\u2019est un espace instable que nous investissons sans cesse. Nous ne nous disons jamais : \u00ab nous sommes rendus l\u00e0 \u00bb ou \u00ab \u00e0 ce moment-l\u00e0 il faut qu\u2019il se produise telle chose \u00bb. Concernant la mani\u00e8re dont notre corps va ressentir les diff\u00e9rentes stimulations, c\u2019est comme \u00eatre devant une page blanche. Il y a toujours un vide dans lequel on peut s\u2019abandonner et qui nous permet de ressentir de nouvelles choses.<\/p>\n\n\n\n

E. P. : C\u2019est un outil tr\u00e8s puissant pour \u00e9viter la r\u00e9p\u00e9tition.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : La r\u00e9p\u00e9tition fait en sorte que souvent nous ne sommes plus \u00e0 \u00e9coute de ce que nous sommes en train de faire, de ce qui se passe de fondamental. Dans le processus qu\u2019Isabelle a mis en place, nous sommes \u00e0 100% dans la performance, dans ce que nous sommes en train de vivre dans le moment pr\u00e9sent. Nous ne sommes pas dans une exp\u00e9rience pr\u00e9d\u00e9termin\u00e9e ou dans des habitudes soient gestuelles ou performatives. Il y a bien une mini-structure qui nous guide, mais nous avons une grande libert\u00e9 pour \u00e9voluer cr\u00e9ativement dedans. Nous devons nous mettre sensoriellement et constamment \u00e0 l\u2019\u00e9coute des r\u00e9actions des autres, vu que nous sommes interd\u00e9pendantes car les sons (voix, respirations) que nous allons cr\u00e9er et donner \u00e0 manipuler aux techniciens-compositeurs sont diff\u00e9rents \u00e0 chaque fois. Toutes ces composantes se jouant et se modifiant en temps r\u00e9el font que nous nous retrouvons dans un \u00e9tat de conscience, d\u2019\u00e9veil aiguis\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

I. C. : Donc ce retour sonore vous am\u00e8ne \u00e0 vivre votre geste d\u2019une mani\u00e8re diff\u00e9rente ? Est-ce que c\u2019est ce qui nourrit le processus ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

E. D. : C\u2019est bien cela. Nous sommes influenc\u00e9s par le corps physique et sonore des autres. Nous nous r\u00e9organisons en relation au corps et au son que font les autres. Il est certain que ce processus nous fait sortir compl\u00e8tement de notre zone de confort. Nous avons toutes nos fa\u00e7ons personnelles de bouger et qui nous caract\u00e9risent. Pour illustrer ceci, je voudrais donner un exemple. Disons que je suis dans la premi\u00e8re s\u00e9quence de la cr\u00e9ation, au centre du groupe et coinc\u00e9e par le corps des autres et que j\u2019avais comme intentionnalit\u00e9 de sortir mon bras, mais que cela me soit impossible. Je vais donc \u00eatre oblig\u00e9 d\u2019aller explorer ailleurs\/autre chose d\u00e9pendamment de ma position par rapport aux autres danseuses et de ce qui m\u2019est permis de faire. C\u2019est donc un processus qui va m\u2019obliger de sortir de mes habitudes gestuelles\/corporelles. Le corps des autres danseuses, ainsi que les sons qu\u2019elles \u00e9mettent vont devenir alors une autre stimulation au niveau cr\u00e9atif en me for\u00e7ant \u00e0 d\u00e9couvrir d\u2019autres chemins, gestes, rythmes, etc.<\/p>\n\n\n\n

B. T. : Je suis totalement d\u2019accord et j\u2019insiste sur le fait que ce n\u2019est pas seulement le \u00ab feedback \u00bb des sons des autres danseuses qui influence, c\u2019est \u00e9galement leur corps qui en fait, devient une partie du n\u00f4tre. Il est certain que le son nous influence \u00e9norm\u00e9ment, car cela fait partie de ce travail. Il agit sur ce que l\u2019on est en train de faire. Si la dimension sonore n\u2019existait pas, cela serait compl\u00e8tement un autre travail. Le fait qu\u2019on interagisse ensemble se fait \u00e0 cause et par le son, mais aussi par le geste, le toucher et la sensation du son. Cette sensation que provoque le son est aussi importante que la sensation du toucher, ainsi tactilit\u00e9 et sonorit\u00e9 sont de fait intimement li\u00e9s. Le son que l\u2019on entend, \u00e9manant directement de l\u2019autre, n\u2019est en rien vaporeux ou a\u00e9rien.<\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : Je voudrais rajouter quelque chose sur les \u00e9l\u00e9ments qui ont un impact sur nous dans la performance. Lorsque nous sommes arriv\u00e9es en Allemagne, nous avons eu le choc de constater que l\u2019espace \u00e9tait totalement diff\u00e9rent des lieux o\u00f9 nous avions cr\u00e9\u00e9 et pr\u00e9sent\u00e9 la cr\u00e9ation au Qu\u00e9bec o\u00f9 l\u2019espace d\u2019Hexagram \u00e9tait compos\u00e9 de murs noirs d\u2019o\u00f9 son nom de Black Box et avait une hauteur de plafond d\u2019environ 5 m\u00e8tres de haut. En Allemagne, le plafond \u00e9tait plus de 2 fois plus haut, l\u2019espace d\u00e9limit\u00e9 par des rideaux qui laissaient filtrer la lumi\u00e8re et entendre les bruits environnants. Cela nous a vraiment d\u00e9stabilis\u00e9s. M\u00eame si notre groupe \u00e9tait le m\u00eame les sons se diffusaient diff\u00e9remment et l\u2019\u00e9nergie que nous projetions \u00e9tait presque perdue dans cet espace trop grand pour ce genre de performance. Nous avions la sensation que notre pr\u00e9sence \u00e9tait plus faible, car elle n\u2019\u00e9tait pas contenue dans ce fameux \u00ab d\u00f4me \u00bb que nous formions au paravent. Nous avons \u00e9t\u00e9 oblig\u00e9es de nous organiser diff\u00e9remment. Cela a \u00e9t\u00e9 difficile, car les \u00e9l\u00e9ments nous affectaient diff\u00e9remment. Ce travail demande \u00e9norm\u00e9ment de concentration pour habiter\/communiquer\/\u00eatre en symbiose avec le corps de l\u2019autre, et pour faire abstraction de tout ce qui se passe ailleurs. Avec le public aussi l\u2019exp\u00e9rience a \u00e9t\u00e9 diff\u00e9rente car il doit lui aussi entrer dans un espace de concentration et de communication avec nous. Ainsi la configuration de l\u2019espace avait affect\u00e9 la relation que nous avions avec lui.<\/p>\n\n\n\n

E. P. : Quel r\u00f4le a le regard dans la composition de votre relation ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

F. F. : Ce qui est tr\u00e8s particulier dans cette cr\u00e9ation \u2013 et qui est diff\u00e9rent de ce qu\u2019on nous a habitu\u00e9 et entra\u00een\u00e9 \u00e0 faire dans le milieu de la danse \u2013, c\u2019est que la relation avec le public ne se fait pas d\u2019une fa\u00e7on conventionnelle, pas dans un rapport frontal ni dans une perspective habituelle comme dans une salle \u00e0 l\u2019italienne. Dans une relation plus conventionnelle, nous cherchons \u00e0 cr\u00e9er une relation directe avec le public par le regard (m\u00eame entre nous). Mais dans cette cr\u00e9ation, sp\u00e9cialement dans la premi\u00e8re partie, c\u2019est vraiment par le ressenti, la sensation, le toucher et l\u2019ou\u00efe que nous cr\u00e9ons une relation entre nous et le public. Nous avons conscience du public autour de nous, mais nous ne le voyons pas. Nous d\u00e9veloppons une conscience int\u00e9rieure et nous ne cherchons pas \u00e0 le voir et encore moins le regarder. \u00c0 la fin de la cr\u00e9ation, nous nous levons dans une sensation de symbiose. Nous avons l\u2019impression que tous les \u00e9l\u00e9ments sont interreli\u00e9s. C\u2019est donc vraiment par le mouvement et la sensation que nous arrivons \u00e0 nous mettre en relation et \u00e0 composer ce corps collectif.<\/p>\n\n\n\n

B. T. : Mais le regard, lorsqu\u2019il est pr\u00e9sent, fais partie de la m\u00eame ouverture que tout le reste. Dans une des s\u00e9quences que nous avons test\u00e9es \u00e0 la fin, je pouvais voir, cela me d\u00e9stabilisait de voir les spectateurs. Mais ensuite, je me suis mise dans le m\u00eame \u00e9tat que pour l\u2019ensemble de la cr\u00e9ation et sentir \u00ab un tout \u00bb. \u00ab Ce tout \u00bb quand je vois et j\u2019entends, c\u2019est celui que je ressens et qui est possible par cet \u00e9tat de connexion dans lequel j\u2019arrive \u00e0 me mettre.<\/p>\n\n\n\n

N. St-A. : \u00c9tant donn\u00e9 que nous ne cherchons pas \u00e0 cr\u00e9er un lien plus externe avec le regard vis-\u00e0-vis du public \u2013 nous nous retrouvons vraiment dans une exp\u00e9rience r\u00e9elle, dans un moment v\u00e9cue, authentique, dispensant une forte une pr\u00e9sence aupr\u00e8s du public.<\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : C\u2019est exactement ce que je voulais dire. Habituellement, comme performeuse, nous sentons qu\u2019il y a un genre de filtre pour atteindre le spectateur, mais dans ce travail, il n\u2019y a pas de filtre, car nous sommes dans l\u2019exp\u00e9rience avec eux, et ils sont dans l\u2019exp\u00e9rience avec nous, ils font partie de ce ressenti kinesth\u00e9sique. \u00c9tant donn\u00e9 que nous vivons vraiment profond\u00e9ment ces \u00e9tats, nous avons la sensation de nous dilater, de sortir de notre corps, et de toucher les spectateurs, c\u2019est un genre de tactilit\u00e9 invisible, mais qui fait qu\u2019ils vivent une exp\u00e9rience. Plut\u00f4t que d\u2019\u00eatre dans une dynamique de repr\u00e9sentation, je suis plut\u00f4t dans un moment de v\u00e9cu intense, car je vis cet instant et je le fais vivre au public au m\u00eame moment. Donc le regard \u2013 dans ce contexte \u2013 devient un regard interne, qui se situe dans la profondeur de notre corps, surtout dans la s\u00e9quence du d\u00e9but. Et quand nous performons avec le film de plastique il se produit un changement, qui est de l\u2019ordre aussi de la d\u00e9couverte. Une d\u00e9couverte autant de notre int\u00e9riorit\u00e9 que de l\u2019objet lui-m\u00eame et cette d\u00e9couverte se renouvelle sans cesse \u00e0 chaque r\u00e9p\u00e9tition.<\/p>\n\n\n\n

E. P. : Une sorte de rencontre avec l\u2019ext\u00e9rieur ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : Oui vraiment. Ce qui amplifie cette sensation, c\u2019est le fait que le mat\u00e9riau utilis\u00e9 n\u2019est pas de nature organique et qu\u2019il prend son espace\/forme \u00e0 travers nous, et produit des sons quand on manipule sa texture. Il perd alors son identit\u00e9 premi\u00e8re et participe \u00e0 l\u2019exp\u00e9rience du toucher.<\/p>\n\n\n\n

B. T. : Ce processus m\u2019a fait r\u00e9aliser que lorsque j\u2019assiste \u00e0 un spectacle, lorsque je le regarde, je n\u2019ai jamais acc\u00e8s \u00e0 la sensation que les danseurs exp\u00e9rimentent. Mais dans Flesh Waves (Phase #4, c\u2019est comme si les spectateurs faisaient partie d\u2019une exp\u00e9rience commune avec la n\u00f4tre et ils re\u00e7oivent la voix spatialis\u00e9e de Laurie-Anne, par exemple, de la m\u00eame mani\u00e8re que moi.<\/p>\n\n\n\n

E. P. : Ceci m\u2019int\u00e9resse particuli\u00e8rement, car je crois que le regard n\u2019est pas le point de d\u00e9part du mouvement. C\u2019est comme une sorte de condition physiologique. Nous \u00e9prouvons une sensation, nous sommes en premier touch\u00e9 par quelque chose puis en un deuxi\u00e8me temps nous dirigeons le regard.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

I. C. : Oui et je pense qu\u2019il y a diff\u00e9rents types de toucher. Il y a le toucher physique, il y a le toucher sonore, il y a le toucher de la \u00ab pr\u00e9sence \u00bb \u2013 qui est plus large.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

E. P. : Par rapport \u00e0 la question de l\u2019espace, ce \u00ab corps collectif \u00bb est-il pour vous comme une sorte de territoire ? Est-ce qu\u2019on y entre et on en sort ? Est-ce qu\u2019il agit comme un espace ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

N. St-A : En fait c\u2019est le \u00ab corps collectif \u00bb qui se d\u00e9place \u00e0 travers l\u2019espace. Il est beaucoup trop dense pour qu\u2019on puisse, nous, se d\u00e9placer dans\/au travers de ce \u00ab corps collectif \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : C\u2019est plut\u00f4t comme si on faisait une partie de ce \u00ab corps collectif \u00bb. On n\u2019est pas \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de lui, mais on est une partie de ce puzzle. On ne peut pas en sortir et ensuite y revenir. Si on n\u2019est pas l\u00e0, si on ne fait pas partie de ce corps, cela devient une autre entit\u00e9, un autre \u00ab corps collectif \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

F. F. : Ce qui est int\u00e9ressant par rapport \u00e0 l\u2019espace, c\u2019est que nous sommes d\u00e9sorient\u00e9s tout au long de la performance parce que les rep\u00e8res ne sont pas les m\u00eames qu\u2019habituellement sur une sc\u00e8ne qui est carr\u00e9e, ou dans une configuration plus conventionnelle. Comme nous l\u2019avons dit, nous sommes comme sous un d\u00f4me. Et les rep\u00e8res physiques sont alors diff\u00e9rents : au d\u00e9but nous sommes dans le noir, nous avons l\u2019impression d\u2019\u00eatre dans le vide. Nous n\u2019avons pas l\u2019impression de cr\u00e9er un espace. Nous vivons l\u2019espace au fur et \u00e0 mesure et nous le d\u00e9couvrons dans cette m\u00eame modalit\u00e9. Dans certaine s\u00e9quence o\u00f9 nous sommes debout, je suis moi-m\u00eame surprise de ma position dans l\u2019espace et par rapport aux autres. L\u2019espace se r\u00e9organise au fur et \u00e0 mesure qu\u2019on l\u2019exp\u00e9rimente.<\/p>\n\n\n\n

E. D. : Il en est de m\u00eame pour moi. Je ne me rep\u00e8re pas par rapport \u00e0 l\u2019espace autour de nous, mais bien par rapport \u00e0 l\u2019espace entre nous.<\/p>\n\n\n\n

I. C. : Comment ressentez-vous votre corps, comment cela vous affecte-t-il ou affecte votre gestuelle ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

F. F. : Il y a une esp\u00e8ce d\u2019ouverture \u00e0 l\u2019abandon, au l\u00e2cher-prise. Une sensation myst\u00e9rieuse. Il est certain que cela m\u2019affecte, car m\u00eame si je voulais me cr\u00e9er un rep\u00e8re pr\u00e9cis, je ne pourrais pas, je me perdrais et deviendrais trop c\u00e9r\u00e9brale. Je ne peux pas me le permettre car toute la performance est b\u00e2tie sur la strat\u00e9gie du senti. On ne doit pas essayer de r\u00e9fl\u00e9chir sur notre position dans l\u2019espace, il faut vivre le moment pr\u00e9sent (go with the flot).<\/p>\n\n\n\n

N. St-A. : Je ne sais pas si je vais pouvoir m\u2019exprimer clairement, mais lorsque nous sommes dans un \u00e9tat de d\u00e9couverte, il n\u2019y a plus de priorit\u00e9. Tout est important parce que nos rep\u00e8res n\u2019existent pas ou n\u2019ont pas \u00e9t\u00e9 mis en place. Au niveau du corps, c\u2019est la m\u00eame chose. Sans rep\u00e8res il n\u2019y a aucune partie du corps qui est plus importante que l\u2019autre. C\u2019est int\u00e9ressant, car nous sentons vraiment la tridimensionnalit\u00e9 de l\u2019espace. Comme il n\u2019y a pas de r\u00e9f\u00e9rence, il n\u2019y a rien \u00e0 mettre en priorit\u00e9 ou plus en valeur qu\u2019une autre chose. C\u2019est vraiment une exploration.<\/p>\n\n\n\n

E. P. : C\u2019est alors une forme d\u2019espace qui se dessinera par le corps. La chose qui est tr\u00e8s importante ici et que je veux souligner, c\u2019est que l\u2019espace n\u2019existe pas \u00e0 priori. Il n\u2019y a pas un espace donn\u00e9.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

I. C. : Est-ce que tu parles de l\u2019espace du corps ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

E. P. : Non, je parle de l\u2019espace de la salle. Cet espace n\u2019est pas un espace donn\u00e9 dans le sens o\u00f9 tu dois l\u2019habiter avec le corps, mais aussi tu dois l\u2019explorer avec le corps. Donc tu dois le parcourir. Est-ce que vous avez un parcours pr\u00e9d\u00e9termin\u00e9 ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

N. St-A. : Dans la forme, peut-\u00eatre, mais dans le ressenti, absolument pas. En fait, nous ne dessinons pas l\u2019espace.<\/p>\n\n\n\n

I. C. : Dans la premi\u00e8re s\u00e9quence du \u00ab corps collectif \u00bb elles se laissent emport\u00e9s par leurs sensations. Donc \u00e7a veut dire que le ressenti kinesth\u00e9sique va les amener \u00e0 se d\u00e9placer dans l\u2019espace en raison des r\u00e9actions de l\u2019une par rapport \u00e0 l\u2019autre. C\u2019est l\u2019auto-organisation de l\u2019une envers l\u2019autre qui va les amener \u00e0 se d\u00e9placer dans l\u2019espace. Il n\u2019y a donc aucune pr\u00e9d\u00e9termination d\u2019une figure chor\u00e9graphique dans l\u2019espace.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : Comme nous l\u2019avons d\u00e9j\u00e0 dit, c\u2019est plus sur les autres que sur l\u2019espace que nous allons nous appuyer. Notre r\u00f4le est juste d\u2019\u00eatre l\u00e0, de se comprendre et de se connecter l\u2019une avec l\u2019autre. Les spectateurs, quant \u00e0 eux, ont une exp\u00e9rience totalement diff\u00e9rente l\u2019un par rapport \u00e0 l\u2019autre \u00e9tant donn\u00e9 qu\u2019ils sont plac\u00e9s dans un cercle autour de nous, \u00e0 des endroits diff\u00e9rents.<\/p>\n\n\n\n

I. C. : Il faut aussi consid\u00e9rer que le poids de la masse corporelle en mouvement varie et vous contraint \u00e0 tel ou tel d\u00e9placement. Par ailleurs dans la s\u00e9quence o\u00f9 vous \u00eates couch\u00e9es sur le dos, c\u2019est l\u2019exploration de l\u2019espace qui se fait par le mouvement des jambes. Cela non plus n\u2019est pas pr\u00e9d\u00e9termin\u00e9, car le mouvement se cr\u00e9\u00e9 en relation avec la r\u00e9partition de votre poids dans l\u2019\u00e9tirement de vos jambes sous l\u2019espace qui est, \u00e0 ce moment-l\u00e0, au-dessus de vous.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : Je dirais justement que l\u2019on n\u2019explore pas l\u2019espace. Nous explorerons l\u2019espace des hanches, le contact avec l\u2019une ou avec l\u2019autre. Par exemple si ma jambe va rentrer en contact avec l\u2019autre, imaginer comment ouvrir les hanches, comment respirer dans diff\u00e9rentes facettes de notre corps.<\/p>\n\n\n\n

I. C. : Donc ce n\u2019est pas l\u2019espace \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur de vous, mais c\u2019est votre espace interne que vous sollicitez.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : En effet, c\u2019est notre espace interne.<\/p>\n\n\n\n

E. P. : Est-ce un micromouvement \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du corps ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : Je ne sais pas si on peut dire cela, mais \u00e7a se passe \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du corps.<\/p>\n\n\n\n

B. T. : J\u2019ai plut\u00f4t l\u2019impression que je flotte quelque part dans l\u2019espace et que je suis juste l\u00e0. Je n\u2019ai pas la sensation que je suis sur le dos et sur le plancher. Je me sens dans un non-lieu.<\/p>\n\n\n\n

E. P. : Avez-vous la sensation d\u2019\u00eatre en apesanteur ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : Je dirais plut\u00f4t que nous perdons nos r\u00e9f\u00e9rences quant au plafond, aux murs. En fait, nous n\u2019y pensons pas, il n\u2019y a pas de pens\u00e9e qui nous traverse, nous ne pensons \u00e0 rien et nous sommes seulement dans la sensation.<\/p>\n\n\n\n

I. C. : Je ne sais pas si c\u2019est une partie de la r\u00e9ponse, mais au d\u00e9but du processus, nous avons eu de la difficult\u00e9 lorsqu\u2019on travaillait la s\u00e9quence des jambes. Il y en avait plusieurs qui travaillaient \u00e0 partir des muscles externes, elles \u00ab for\u00e7aient \u00bb dans l\u2019espace. \u00c0 ce stade-l\u00e0, je pense qu\u2019on \u00ab dessinait \u00bb plus dans l\u2019espace. Je voulais plut\u00f4t qu\u2019elles aillent chercher la sensation \u2013 comme lorsque l\u2019on d\u00e9couvre le psoas ou le muscle interne \u2013, une sensation vraiment interne et de flottement. Peut-\u00eatre aussi que c\u2019est votre processus de projection qui change ? La sensation de \u00ab flotter \u00bb, le travail quant \u00e0 l\u2019ouverture du bassin, la relation avec l\u2019autre qui vous incite\/oblige \u00e0 bouger\/vous d\u00e9placer. Tous ces \u00e9l\u00e9ments et consignes changent compl\u00e8tement la mani\u00e8re que vous habitez votre corps dans l\u2019espace, comment vous vous projetez dans l\u2019espace lorsque vous avez l\u2019impression de flotter ? Est-ce que cela d\u00e9crit ce que vous vivez ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

B. T. : C\u2019est subtil. Nous ne nous sentons plus comme notre corps physique : notre tronc, nos bras\u2026<\/p>\n\n\n\n

L-A. L. : Nous explorons des textures.<\/p>\n\n\n\n

B. T. : Nous nous sentons seulement remplis d\u2019air.<\/p>\n\n\n\n

E. D. : Nous en parlions quelquefois. Nous nous sentions comme dans un ut\u00e9rus et nous nous imaginions comme des b\u00e9b\u00e9s qui explorent, qui flottent. Dans cette s\u00e9quence plus particuli\u00e8rement, j\u2019essayais de m\u2019imaginer comme un b\u00e9b\u00e9 dans le ventre de sa m\u00e8re, qui flotte, qui nage. C\u2019est \u00e0 cette image, ou sensation, \u00e0 laquelle je me r\u00e9f\u00e8re quand j\u2019explore les mouvements, bien plus qu\u2019\u00e0 l\u2019espace de mes hanches. Le r\u00e9sultat \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur peut sembler le m\u00eame, mais le processus est diff\u00e9rent.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

I. C. : Nous commencerons par la question du souffle en relation avec vos mouvements. Comment ce lien s\u2019est-il d\u00e9velopp\u00e9 dans votre gestuelle ? Est-ce que cette relation s\u2019est d\u00e9velopp\u00e9e d\u2019abord individuellement puis collectivement ? Comment cela s\u2019est-il pass\u00e9 au niveau de votre perception ? L-A. L. : Le travail de respiration que nous investissons … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[1],"tags":[70],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1043"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=1043"}],"version-history":[{"count":5,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1043\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":1050,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1043\/revisions\/1050"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=1043"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=1043"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=1043"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}