{"id":1098,"date":"2016-12-01T16:23:27","date_gmt":"2016-12-01T16:23:27","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=1098"},"modified":"2022-11-10T16:25:31","modified_gmt":"2022-11-10T16:25:31","slug":"decembre-2016-pour-une-approche-mediologique-de-lart-transmission-et-systeme-de-lart-partie-1","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/decembre-2016-pour-une-approche-mediologique-de-lart-transmission-et-systeme-de-lart-partie-1\/","title":{"rendered":"D\u00e9cembre 2016 – Transmission et syst\u00e8me de l’art (partie 1)"},"content":{"rendered":"\n
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Projection d\u2019une \u0153uvre des \u00e9tudiants de l\u2019UQAM sur la fa\u00e7ade de la BANQ dans le cadre de Nuit Blanche, 2016<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

En quoi, le n\u00e9oclassicisme incarne-t-il l\u2019esprit des Lumi\u00e8res ? Quelles sont les cons\u00e9quences de l\u2019utilisation de la reproductibilit\u00e9 technique par Andy Warhol ? Que se passe-t-il lorsqu\u2019un Helmut Lachenmann, compositeur de musique concr\u00e8te instrumentale, d\u00e9construit les rep\u00e8res d\u2019\u00e9coute propres au piano ? Comment le cin\u00e9ma permet-il au r\u00e9alisateur Godfrey Reggio de critiquer le syst\u00e8me technicien ? Pourquoi Eduardo Kac a-t-il choisi la transg\u00e9n\u00e8se pour aborder la communication entre les esp\u00e8ces biologiques ? Pourquoi Bill Viola con\u00e7oit-il des dispositifs m\u00e9diatiques complexes en dialogue avec leur contexte d\u2019exposition pour susciter les sensations premi\u00e8res du sacr\u00e9 et du sacril\u00e8ge, comme dans Crossing<\/em> ou Martyr<\/em>, o\u00f9 il utilise les \u00e9l\u00e9ments naturels comme l\u2019eau ou le feu ? Pourquoi certains artistes se servent des fa\u00e7ades d\u2019immeubles ou de monuments comme support pour m\u00e9diatiser publiquement leurs \u0153uvres que l\u2019on nomme media facades<\/em> ? Pourquoi Nam Jun Paik d\u00e9tourne-t-il de sa fonction usuelle le t\u00e9l\u00e9viseur au moyen d\u2019un \u00e9lectroaimant ?<\/p>\n\n\n\n

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Bill Viola, Crossing, 1995<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Ce genre de question pr\u00e9occupe le chercheur en arts qui s\u2019int\u00e9resse aux rapports entre les id\u00e9es et leurs traductions mat\u00e9rielles, dans la perspective de leur transmission. Cette intuition, c\u2019est que le choix d\u2019un medium<\/em>particulier a une influence certaine sur ce que l\u2019artiste peut<\/em> cr\u00e9er et que, par cons\u00e9quent, le medium<\/em> influe sur la nature du message. On peut la formuler ainsi : comment une id\u00e9e s\u2019incarne-t-elle pour se transmettre ? La r\u00e9ponse n\u2019a rien d\u2019\u00e9vident mais les solutions plastiques abondent. Comment ces solutions-l\u00e0 s\u2019expliquent-elles th\u00e9oriquement ? Nous souhaitons attirer l\u2019attention de ceux et celles qui sont en qu\u00eate de m\u00e9thodes sur la fa\u00e7on dont l\u2019esprit du temps conditionne la nature de son ontophanie (c\u2019est-\u00e0-dire la mani\u00e8re dont l\u2019esprit du temps va se manifester, en l\u2019occurrence, dans la nature de sa m\u00e9diation artistique). L\u2019id\u00e9e mod\u00e8le assur\u00e9ment le mat\u00e9riau mais nous aimerions proposer le concept que le mat\u00e9riau mod\u00e8le aussi l\u2019id\u00e9e. Que la mati\u00e8re conditionne l\u2019objet de la transmission. Et cela dans une relation tripartite o\u00f9 le milieu d\u2019existence de l\u2019\u0153uvre conditionne et le message et sa m\u00e9diation. Cet article a pour but de sugg\u00e9rer une posture pour la recherche et la cr\u00e9ation, celle de la m\u00e9diologie de l\u2019art. Apr\u00e8s avoir rappel\u00e9 les fondamentaux de la jeune m\u00e9diologie, nous soumettrons ce que peut \u00eatre la m\u00e9diologie de l\u2019art, nous en discuterons la pertinence et nous en proposerons quelques applications \u00e0 l\u2019analyse d\u2019\u0153uvres d\u2019art.<\/p>\n\n\n\n

Qu\u2019est-ce que la m\u00e9diologie ?<\/h2>\n\n\n\n

Le medium<\/em> : transmettre<\/h2>\n\n\n\n

Dissipons tout de suite un malentendu : la m\u00e9diologie n\u2019est pas l\u2019\u00e9tude exclusive des m\u00e9dias que l\u2019on entend notamment comme organes de presse. \u00ab Dans m\u00e9diologie, \u201cm\u00e9dio\u201d ne dit pas m\u00e9dia ni m\u00e9dium mais m\u00e9diations, soit l’ensemble dynamique des proc\u00e9dures et corps interm\u00e9diaires qui s’interposent entre une production de signes et une production d’\u00e9v\u00e9nements. \u00bb (Debray, 1994, p. 29). La m\u00e9diologie \u00e9tudie les faits de transmission. Dans cette perspective, elle s\u2019int\u00e9resse aux interm\u00e9diaires, aux ponts, aux canaux : aux media<\/em>, pluriel latin de medium<\/em>. Autrement dit \u00e0 tout ce qui permet non seulement \u00e0 une communication (deux amis s\u2019\u00e9changent de la musique via le Web, c\u2019est une communication dans l\u2019espace) mais aussi \u00e0 une transmission (pendant longtemps, l\u2019Odyss\u00e9e est pass\u00e9e de g\u00e9n\u00e9ration en g\u00e9n\u00e9ration par l\u2019oralit\u00e9, c\u2019est une communication dans le temps) d\u2019avoir lieu.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 cet \u00e9gard, un post sur un \u00ab r\u00e9seau social \u00bb est un medium au m\u00eame titre que le \u00ab t\u00e9l\u00e9phone intelligent \u00bb qui permet de l\u2019envoyer. Un billet de 100 ringgits comme un Airbus A380. Il en va de m\u00eame pour le Viaduc de Millau, la biblioth\u00e8que, un himene polyn\u00e9sien, une voiture \u00e9lectrique Tesla, le tableau dans la salle de classe, la fl\u00e8che d\u2019une \u00e9glise, le corps du Christ en tant que Parole incarn\u00e9e. Comment cela se peut-il ? Il n\u2019est qu\u2019\u00e0 consid\u00e9rer le fait que le medium<\/em> se place comme interm\u00e9diaire, qu\u2019il met en relation aussi bien des hommes que des id\u00e9es pour permettre une transmission dans l\u2019espace et dans le temps. Devant cet inventaire \u00e0 la Pr\u00e9vert, il n\u2019est pas \u00e9vident de comprendre la fonction du medium<\/em> et son r\u00f4le de transmetteur de culture. Notre compr\u00e9hension commence \u00e0 s\u2019\u00e9clairer lorsqu\u2019on consid\u00e8re que le medium<\/em> a, selon Debray, double nature : une mati\u00e8re organis\u00e9e (que l\u2019on sigle par commodit\u00e9 \u00ab MO \u00bb) articul\u00e9e \u00e0 une organisation mat\u00e9rialis\u00e9e (\u00ab OM \u00bb).<\/p>\n\n\n\n

Cette articulation para\u00eetra \u00e9vidente une fois \u00e9nonc\u00e9s quelques exemples : pas de tweet<\/em> (MO) sans Twitter (OM). Pas de ringgit<\/em> imprim\u00e9 ou forg\u00e9 sans gouvernement qui en consacre et param\u00e8tre l\u2019usage). Pas de tableau dans la classe sans \u00e9cole avec son corps enseignant et son programme. Pas de fl\u00e8che gothique sans \u00c9glise avec sa th\u00e9ologie, ses eccl\u00e9siastiques et sa liturgie qui en justifie l\u2019esth\u00e9tique.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 l\u2019inverse, pas d\u2019organisation mat\u00e9rialis\u00e9e qui soit justifi\u00e9e en l\u2019absence de mati\u00e8re organis\u00e9e : pas d\u2019Association internationale du transport a\u00e9rien (IATA, OM) s\u2019il n\u2019y a d\u2019avion. Pas besoin de ma\u00eetre d\u2019ouvrage (le minist\u00e8re de l\u2019\u00e9quipement, OM), d\u2019ing\u00e9nieurs, ni de concessionnaire (la Compagnie Eiffage du Viaduc de Millau, OM) sans voitures \u00e9lectriques (MO). Pas de biblioth\u00e8ques, avec ses biblioth\u00e9caires, ses m\u00e9thodes de classement et ses syst\u00e8mes d\u2019archivage et de pr\u00eats, sans livres. Pas de f\u00eate annuelle ni de culte religieux sans himene<\/em>. Pas d\u2019\u00c9glise sans Incarnation.<\/p>\n\n\n\n

La m\u00e9diologie remarque aussi que le medium agit sur ses usagers pour fabriquer des habitus<\/em>, de la m\u00e9moire, c\u2019est-\u00e0-dire pour faire culture. Reprenons notre floril\u00e8ge : le statut que l\u2019on met \u00e0 jour sur les r\u00e9seaux sociaux num\u00e9riques nous met en relation avec les autres de nouvelles fa\u00e7ons. Le \u00ab t\u00e9l\u00e9phone intelligent \u00bb mod\u00e8le la nature des messages que l\u2019on envoie puisqu\u2019il impose un traitement sp\u00e9cifique (dactylographie, traitement de texte, nombre de caract\u00e8res, c\u00e9l\u00e9rit\u00e9 de transmission…). Le ringgit<\/em> mat\u00e9rialise l\u2019id\u00e9e d\u2019une unit\u00e9 f\u00e9d\u00e9rale Malaisienne pr\u00e9valant sur le pouvoir des \u00c9tats, districts et sultanats et des communaut\u00e9s ethniques et religieuses. Si l\u2019Airbus transporte l\u2019homme d\u2019affaire d\u2019un endroit \u00e0 un autre de la Terre dans un temps qui, pour le kazakh des steppes mongoles, rel\u00e8ve de l\u2019ubiquit\u00e9, il inspire aussi le sentiment que les anciennes fronti\u00e8res administratives sont caduques pour ceux qui parcourent le monde pour investir, b\u00e2tir, exploiter. La route qui passe par le viaduc de Millau v\u00e9hicule aux collectivit\u00e9s l\u2019id\u00e9al r\u00e9publicain de la nation fran\u00e7aise \u00e0 travers une d\u00e9monstration technique et esth\u00e9tique de coordination et de puissance. La biblioth\u00e8que ne se contente pas de consigner des livres, elle permet \u00e0 une culture de prendre corps en mat\u00e9rialisant son instance \u00e9pist\u00e9mique (la connaissance du monde par une mise en r\u00e9seau de savoirs construits). Ce lieu de stockage de la m\u00e9moire culturelle assure la p\u00e9rennit\u00e9 d\u2019une identit\u00e9 collective en suscitant des vocations d\u2019auteurs et de chercheurs. Le himene<\/em> soude le peuple polyn\u00e9sien autour de la repr\u00e9sentation de ses racines ancestrales qui ressurgissent pendant le Heiva i Tahiti (f\u00eate traditionnelle se d\u00e9roulant \u00e0 Tahiti en juillet et r\u00e9unissant des artistes et artisans de tous les archipels de la Polyn\u00e9sie Fran\u00e7aise), mais rappelle aussi, lorsqu\u2019il est chant\u00e9 par les M\u0101m\u0101<\/em>, habill\u00e9es en robes \u00ab mission \u00bb, \u00ab pomare \u00bb ou \u00ab purotu \u00bb, chaque dimanche \u00e0 l\u2019\u00e9glise, l\u2019influence du christianisme dans lequel l\u2019identit\u00e9 insulaire s\u2019est renouvel\u00e9e. Une Tesla 3 offre \u00e0 la personne ais\u00e9e qui la conduit l\u2019exp\u00e9rience d\u2019un mode de vie alternatif dans sa version deluxe<\/em> ; et, sans pour autant susciter le sentiment d\u2019urgence, convainc les passants qui la voient passer que des bouleversements climatiques se produisent, que les changements dans nos habitudes de vie sont n\u00e9cessaires non seulement, mais qu\u2019ils sont d\u00e9j\u00e0 pris en charge par la technique et que, finalement, \u00e7a peut \u00eatre cool<\/em>. \u00c0 l\u2019\u00e9cole, le tableau noir \u00e9tait, le tableau blanc est, et le tableau interactif sera le medium de transmission par excellence du savoir dans les classes, la surface d\u2019une m\u00e9moire temporaire n\u00e9cessaire \u00e0 l\u2019agr\u00e9gation des connaissances \u2013 \u00e0 moins que ce ne soit un \u00ab wiki \u00bb, interm\u00e9diaire interactif et participatif entre internautes et communaut\u00e9s d\u2019\u00e9rudits, qu\u2019on consulte au moyen d\u2019une plateforme multim\u00e9dia portative (un \u00ab t\u00e9l\u00e9phone intelligent \u00bb) faisant autorit\u00e9 \u2013 dont la copie doit \u00eatre rapide, puisque son contenu dispara\u00eet dans l\u2019heure et \u00e0 jamais, suscitant le sentiment qu\u2019il doit \u00eatre gard\u00e9 pr\u00e9cieusement. Il en va ainsi pour le style gothique dont l\u2019architecture s\u2019\u00e9l\u00e8ve en fl\u00e8ches h\u00e9riss\u00e9es d\u2019arabesques pour mieux glorifier Dieu : \u00ab les lignes ascendantes des \u00e9difices sont le symbole de la pens\u00e9e chr\u00e9tienne, de l\u2019\u00e9lan des \u00e2mes vers le ciel. \u00bb (Henry Martin, 1927, p. 7). Car \u00ab l\u2019art gothique est rationnel. […] il y a dans un \u00e9difice gothique une concordance absolue entre la structure et la forme. \u00bb (H. M. p. 6) Pour les Chr\u00e9tiens, le Christ, seul m\u00e9diateur entre Dieu et les hommes, est le medium du message divin en sa qualit\u00e9 de \u00ab Logos fait chair \u00bb et de chemin. Ici, le fameux aphorisme de McLuhan s\u2019applique m\u00eame parfaitement : le medium est le message, puisque le fid\u00e8le doit accepter le Christ comme Sauveur et Seigneur pour acc\u00e9der au P\u00e8re.<\/p>\n\n\n\n

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Robe mission, Pomare ou Purotu, Pr\u00e9sentation d\u2019une collection de la couturi\u00e8re Jeannette, retra\u00e7ant l\u2019histoire de la robe \u00e0 Tahiti et dans les \u00eeles de 1840 \u00e0 1960. Cr\u00e9dit : M.S. & Christian Durocher<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Il n\u2019y a pas de transmission de m\u00e9moire qui ne soit m\u00e9diatique, c\u2019est-\u00e0-dire libre d\u2019un medium<\/em>. Le medium<\/em>d\u00e9termine fortement le type de message transmis, aussi \u00e9trange que cela puisse para\u00eetre. L\u2019id\u00e9e n\u2019est-elle pas ind\u00e9pendante du support sur lequel la main vient la coucher ? Ne peut-on pas dire la m\u00eame chose par lettre manuscrite ou par tweet<\/em> ? La feuille de papier n\u00e9cessite une table, donc une chaise pour qu\u2019on s\u2019y attable : qu\u2019on y mette un peu de temps. On ne peut laisser vide ce grand espace sur lequel la taille de l\u2019\u00e9criture a \u00e9t\u00e9 calibr\u00e9e et on finit par s\u2019y \u00e9pancher, choisir ses mots, se prendre au jeu. Le tweet<\/em>, en revanche, d\u00e9termine la longueur de l\u2019\u00e9criture : ses 144 caract\u00e8res bloqu\u00e9s sous une police d\u00e9termin\u00e9e et destin\u00e9s \u00e0 une audience plurielle encouragent n\u00e9cessairement la vitesse et la comp\u00e9tition, qui entra\u00eenent elles-m\u00eames les formules percutantes dans une \u00e9conomie plus large de l\u2019omnipr\u00e9sence. En r\u00e9sum\u00e9, si de deux messages le contenu est le m\u00eame, le manuscrit n\u2019a pas le m\u00eame effet que le dactylographi\u00e9 et cette diff\u00e9rence est due au type de medium<\/em>.<\/p>\n\n\n\n

Les milieux<\/h2>\n\n\n\n

La transmission a lieu dans un espace-temps m\u00e9diatique o\u00f9 se glissent une compr\u00e9hension et une pratique du monde influenc\u00e9e par l\u2019usage d\u2019outils de transmission, de communication, de transport, d\u2019observation\u2026 \u00ab On ne peut s\u00e9parer une op\u00e9ration de pens\u00e9e, \u00e0 quelque \u00e9poque que ce soit, des conditions techniques d\u2019inscription, de transmission et de stockage qui la rendent possible (l\u2019\u00e9criture alphab\u00e9tique, la lecture, \u00e9tant en ce sens des techniques). \u00bb (R\u00e9gis Debray, 1991, p. 313) Mais l\u2019organisation des m\u00e9diations n\u2019a lieu que si les conditions techniques de \u00ab transmission et de transport des messages et des hommes, avec les m\u00e9thodes d\u2019\u00e9laboration et de diffusion intellectuelles qui lui correspondent \u00bb (R. D. p. 313), y sont propices.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 chaque \u00e9poque m\u00e9diatique sa \u00ab m\u00e9diasph\u00e8re \u00bb. Pour les m\u00e9diologues, en Occident, il y en a quatre : la logosph\u00e8re, la graphosph\u00e8re, la vid\u00e9osph\u00e8re et l\u2019hypersph\u00e8re. Chacune r\u00e9unit des conditions \u00e9conomiques, politiques, sociales et culturelles propres n\u00e9cessaires \u00e0 l\u2019av\u00e8nement d\u2019innovations techniques et vice versa<\/em> : ces innovations techniques cr\u00e9ent les conditions propices \u00e0 l\u2019\u00e9mergence de ces diff\u00e9rents milieux. Voici les caract\u00e9ristiques de chacune d\u2019elles.<\/p>\n\n\n\n

La logosph\u00e8re<\/h2>\n\n\n\n

Comme son nom ne l\u2019indique pas, la logosph\u00e8re<\/strong> est l\u2019\u00e8re de l\u2019\u00e9criture manuscrite, c\u2019est-\u00e0-dire de la copie manuelle \u2013 dur labeur \u2013 donc de la tradition et des temps longs, des dogmes immuables, des temps cycliques. Son nom indique en revanche l\u2019autorit\u00e9 du Verbe et du t\u00e9moignage verbal. Elle repr\u00e9sente une \u00e9pist\u00e9mique de la Parole de Dieu transmise de proche en proche.<\/p>\n\n\n\n

Par exemple, lorsqu\u2019un nom est cit\u00e9 dans un texte, il se r\u00e9f\u00e8re \u00e0 un t\u00e9moin oculaire vivant et avec qui le lecteur pourrait litt\u00e9ralement entrer en dialogue (Richard Bauckham, 2006) . La logosph\u00e8re s\u2019organise autour d\u2019un principe organisateur invisible qui exige une confiance aveugle. Le dogme catholique est dispens\u00e9 au sein d\u2019institutions qui mat\u00e9rialisent le contenu sacr\u00e9 du message divin tout en sugg\u00e9rant une \u00e9l\u00e9vation, en asseyant et centralisant le pouvoir du clerg\u00e9 : l\u2019\u00e9glise est au centre du village dont elle organise la vie. La connaissance est poss\u00e9d\u00e9e par les hommes d\u2019\u00e9glise. Orale (anciennement, on ne lisait pas dans sa t\u00eate : dans Une histoire de la lecture<\/em>, Alberto Manguel montre que ce n\u2019est que depuis le 10e si\u00e8cle que la lecture silencieuse se pratique en Occident), celle-ci est transmise parcimonieusement de haut au bas, \u00e0 l\u2019image des cath\u00e9drales qui dominent le fid\u00e8le. D\u00e8s qu\u2019il est canonis\u00e9, le saint repr\u00e9sente l\u2019id\u00e9al identitaire de l\u2019individu et incarne les vertus du christianisme. Les communaut\u00e9s trouvent leur unit\u00e9 dans la personne du roi.<\/p>\n\n\n\n

La graphosph\u00e8re<\/h2>\n\n\n\n

La graphosph\u00e8re<\/strong> est n\u00e9e de l\u2019imprimerie qui impulse des temps lin\u00e9aires, articul\u00e9s autour de la notion de progr\u00e8s scientifique. L\u2019imprimerie entra\u00eene l\u2019alphab\u00e9tisation de masse et la cr\u00e9ation d\u2019institutions acad\u00e9miques qui forment le tissu de l\u2019\u00c9tat-nation. De plus en plus accessible, la connaissance est aux mains de p\u00e9dagogues, de pr\u00e9cepteurs. Elle est transmise dans de nouveaux lieux consacr\u00e9s \u00e0 l\u2019\u00e9tude silencieuse du contenu des livres : les biblioth\u00e8ques et les \u00e9coles, \u00e9difices qui s\u2019abaissent et rappellent que le savoir, d\u00e9sormais, se distribue \u00e0 l\u2019horizontale, de citoyen \u00e0 citoyen. On \u00e9tablit un projet politique, moul\u00e9 dans les langues nationales qu\u2019on enseigne, con\u00e7u pour les chemins de fer qu\u2019on pose pour quadriller, agr\u00e9ger le territoire, faciliter la coh\u00e9sion d\u2019un \u00e9tat, d\u2019une nation. Le h\u00e9ros romanesque devient le mod\u00e8le de l\u2019individu qui surgit au travers des id\u00e9aux d\u2019autonomie et de libert\u00e9 provoqu\u00e9s par la naissance d\u2019institutions d\u00e9mocratiques en accord avec cette vision plate des distributions.<\/p>\n\n\n\n

La vid\u00e9osph\u00e8re <\/h2>\n\n\n\n

Les avanc\u00e9es exponentielles de la technique que conna\u00eet le 20e<\/sup> si\u00e8cle sont redevables aux technologies de la vapeur et de l\u2019\u00e9lectricit\u00e9 qui r\u00e9pondent \u00e0 des savoir-faire con\u00e7us pour elles. L\u2019\u00e9lectricit\u00e9 produit les ondes de la radio et de la t\u00e9l\u00e9 et engendre la vid\u00e9osph\u00e8re<\/strong>. En vid\u00e9osph\u00e8re, on allonge les ponts, \u00e9largit les routes, construit des barrages, pose les pyl\u00f4nes \u00e9lectriques, distribue le courant aux villages les plus recul\u00e9s, y achemine les discours t\u00e9l\u00e9visuels mais aussi des centres d\u2019alimentations comme les supermarch\u00e9s. Gr\u00e2ces aux ondes radio, on trace les lignes a\u00e9riennes pour r\u00e9duire les dur\u00e9es, on envoie des hommes-fus\u00e9es dans l\u2019espace pour contr\u00f4ler les flux visibles et invisibles qui parcourent le monde et propager dans l\u2019instant et \u00e0 l\u2019\u00e9chelle plan\u00e9taire des images anim\u00e9es. La t\u00e9l\u00e9 diffuse le savoir. Le monde s\u2019internationalise. En p\u00e8lerinage au temple mondial et d\u00e9centralis\u00e9 de l\u2019image, les touristes prennent l\u2019avion pour retrouver la colline d\u2019Hollywood dans le viseur de leur appareil photo. La transmission de la m\u00e9moire a moins lieu par les lettres que par les photos d\u2019album et les films de famille. Le leader<\/em> impose un r\u00e9gime totalitaire \u00e0 travers l\u2019esth\u00e9tisation de la politique. La star<\/em> fa\u00e7onne son image en fonction du public cible et instaure un mod\u00e8le bas\u00e9 sur les qualit\u00e9s techniques de son apparition : l\u2019important est d\u2019\u00eatre reconnu.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019hypersph\u00e8re<\/h2>\n\n\n\n

L\u2019hypersph\u00e8re<\/strong> na\u00eet du code, de son mode d\u2019apparition (informatique). L\u2019ubiquit\u00e9 caract\u00e9rise son mode de communion. La ligne du temps est \u00e9vacu\u00e9e au profit du point de l\u2019instant. Le savoir est partag\u00e9 en r\u00e9seau via des terminaux num\u00e9riques. Sur la toile aux serveurs expatri\u00e9s, invisibles pour l\u2019internaute, l\u2019hypersph\u00e8re interroge les fronti\u00e8res administratives et tisse son dogme : \u00ab anyone can say anything about any topic \u00bb. La connaissance ne se transmet plus ; l\u2019information circule : si t\u00f4t apparue, si t\u00f4t \u00e9cras\u00e9e et perdue dans les m\u00e9andres du Web<\/em>, nouvelle extension (substitut) de notre m\u00e9moire qui incite \u00e0 y d\u00e9charger davantage. Les multinationales g\u00e8rent le sens des flux et pr\u00e9sident \u00e0 mots couverts aux d\u00e9cisions politiques nationales et internationales. Tous les proc\u00e9d\u00e9s de communication, de fabrication, de (pro)cr\u00e9ation, de contr\u00f4le, de d\u00e9fense, de recherche, de transaction, de divertissement se num\u00e9risent, s\u2019automatisent. Le pouvoir se trouve dans la r\u00e9alit\u00e9 seconde, celle des m\u00e9dias, de la m\u00e9diation, de la m\u00e9diatisation. La nation se fractionne en tribus dont les (in)dividus parcourent le village plan\u00e9taire \u00e0 la recherche d\u2019un alter-ego, hybride, constamment r\u00e9actualis\u00e9, simul\u00e9 par un avatar. L\u2019\u00e9cran devient le dispositif d\u2019individuation.<\/p>\n\n\n\n

Corr\u00e9lations fonctionnelles entre syst\u00e8mes<\/h2>\n\n\n\n

Comment se fait-il que la technique, en produisant des habitus<\/em>, suscite un ancrage culturel \u2013 c\u2019est-\u00e0-dire le lieu d\u2019une transmission ? La m\u00e9diologie est n\u00e9e de nombreuses observations de rapports tr\u00e8s serr\u00e9s entre un milieu, un medium<\/em> et un message. Elle s\u2019alimente de ces rapports et s\u2019appuie sur eux pour \u00e9tablir des corr\u00e9lations fonctionnelles, qui ont une influence, selon diff\u00e9rents niveaux de techniques, sur un mode de transmission. R\u00e9gis Debray en distingue trois.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019intra-syst\u00e8me <\/h2>\n\n\n\n

Tout d\u2019abord, la plus \u00e9vidente peut-\u00eatre, est la dimension des corr\u00e9lations \u00e0 l\u2019\u00e9chelle de l\u2019\u00ab intra-syst\u00e8me<\/strong> \u00bb : une r\u00e9ciprocit\u00e9 induite entre des techniques \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur d\u2019un champ de pratiques. On portera notre attention sur ce qu\u2019une invention nouvelle \u00ab fait \u00e0 \u00bb une discipline qui l\u2019accueille ou une mani\u00e8re de faire traditionnelle : comment elle l\u2019organise (pour comprendre ces corr\u00e9lations, proposons un exemple pour chaque m\u00e9diasph\u00e8re).<\/p>\n\n\n\n

En logosph\u00e8re,<\/strong> la Parole est chant\u00e9e, psalmodi\u00e9e. \u00c9tant donn\u00e9 que les Psaumes, dont les figures de style servant \u00e0 la rem\u00e9moration, sont \u00e9crits pour la louange, l\u2019adoration, la c\u00e9l\u00e9bration, l\u2019inauguration d\u2019un temple et la comm\u00e9moration, pour \u00eatre entonn\u00e9s par le ch\u0153ur et le peuple et accompagn\u00e9s par des instruments, on mobilise des figures de style comme dans un processus mn\u00e9motechnique comme par exemple,<\/p>\n\n\n\n

– des parall\u00e9lismes antith\u00e9tiques : \u00ab En effet l\u2019\u00c9ternel conna\u00eet la voie des justes mais la voie des m\u00e9chants m\u00e8ne \u00e0 la ruine. \u00bb (Bible d\u2019\u00e9tude Semeur, Psaumes 1 : 6), <\/p>\n\n\n\n

– synonymiques : \u00ab \u00c9ternel, que mes ennemis sont nombreux ! Beaucoup se dressent contre moi. \u00bb (Bible d\u2019\u00e9tude Semeur, Psaumes 3 : 2) et <\/p>\n\n\n\n

– synth\u00e9tiques :\u00ab Il ressemble \u00e0 un arbre plant\u00e9 pr\u00e8s d\u2019un courant d\u2019eau : il donne son fruit en sa saison, et son feuillage ne se fl\u00e9trit pas. \u00bb (Bible d\u2019\u00e9tude Semeur, Psaumes 1 : 3)  <\/p>\n\n\n\n

En graphosph\u00e8re : le papier, support du livre, invention des Chinois, import\u00e9 en Occident par les Arabes au 12e<\/sup>si\u00e8cle, a entra\u00een\u00e9 la diminution, puis la disparition progressive de la copie faite main et facilit\u00e9 l\u2019av\u00e8nement de l\u2019imprimerie, car il est moins on\u00e9reux \u00e0 produire que les parchemins faits de peaux de mouton : il en faut trois cents pour recopier une seule Bible. En fait, le papier, quoique plus fragile, est sept \u00e0 huit fois moins cher que la peau 1<\/sup><\/a> (Chaunu, 1975\/1984). On peut aussi se demander ce que l\u2019imprimerie fait au roman ? \u00ab L\u2019imprimerie modifie la mani\u00e8re m\u00eame d\u2019apprendre, lib\u00e9rant la m\u00e9moire, d\u00e9barrassant le p\u00e9dagogue de l\u2019obligation encyclop\u00e9dique. \u00bb (Chaunu et Bedouelle, 1991, p. 104)<\/p>\n\n\n\n

En vid\u00e9osph\u00e8re : l\u2019enregistrement analogique (le disque souple, le magn\u00e9tophone, la bande magn\u00e9tique) contribueront \u00e0 la naissance de la musique concr\u00e8te. Pierre Schaeffer th\u00e9orisa cette musique apr\u00e8s en avoir d\u00e9couvert les potentialit\u00e9s lorsqu\u2019il travaillait pour une station de radio.<\/p>\n\n\n\n

En hypersph\u00e8re : d\u00e9veloppement de l\u2019offre de lecture en ligne de films en transit (streaming<\/em>) au d\u00e9triment des vid\u00e9oclubs.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019inter-syst\u00e8me<\/h2>\n\n\n\n

Un peu moins \u00e9vidente est la sph\u00e8re des interactions inter-syst\u00e8me<\/strong>, o\u00f9 un type de stockage de la m\u00e9moire induit une organisation ad\u00e9quate des disciplines et de la transmission des savoirs.<\/p>\n\n\n\n

En <\/strong>Logosph\u00e8re :<\/strong> Il n\u2019y a pas de matrice qui permette la reproduction m\u00e9canis\u00e9e des livres : l\u2019\u00e9criture passe par des copistes. Le probl\u00e8me c\u2019est qu\u2019avec des copies de copies, le nombre de fautes est g\u00e9n\u00e9ralement \u00e9lev\u00e9. On d\u00e9veloppe alors un syst\u00e8me d\u2019exemplar<\/em>, manuscrit mod\u00e8le qui limite la perdition dans le copiage. Les scribes l\u2019utilisent pour transcrire l\u2019original. L\u2019exemplar<\/em> est un manuscrit qu\u2019il faut consigner. Moyennant une taxe, ce manuscrit est pr\u00eat\u00e9 par les stationnaires (marchands de livres), habilit\u00e9s \u00e0 en multiplier les copies, pour en s\u00e9curiser le texte. Par cons\u00e9quent, on met en place des institutions qui pr\u00eatent les manuscrits mod\u00e8les (moyennant la taxe que nous venons de mentionner). En assurant la qualit\u00e9 du texte, on en renforce la fiabilit\u00e9. (Pierre Chaunu)<\/p>\n\n\n\n

En Graphosph\u00e8re :<\/strong> \u00ab l\u2019expansion de l\u2019imprimerie, dont on a pu dresser une carte tr\u00e8s pr\u00e9cise de Strasbourg, Cologne, Augsbourg, Nuremberg \u00e0 l\u2019Italie en 1467, \u00e0 la France et aux Pays-Bas en 1470, puis au reste de l\u2019Europe, correspond \u00e0 l\u2019expansion de la population urbaine et \u00e0 la diffusion de l\u2019alphab\u00e9tisation parmi les la\u00efcs depuis le d\u00e9but du Moyen Age. \u00bb (Pierre Chaunu et Guy Bedouelle, p. 103)<\/p>\n\n\n\n

En Vid\u00e9osph\u00e8re : <\/strong>Ce que le cin\u00e9ma change \u00e0 la philosophie : Bergson emprunte au cin\u00e9matographe le mod\u00e8le m\u00e9canique du d\u00e9filement des images qu\u2019il associe au mouvement de la pens\u00e9e, pour exemplifier sa m\u00e9thode philosophique : \u00ab qu\u2019il s\u2019agisse de penser le devenir, ou de l\u2019exprimer, ou m\u00eame de le percevoir, nous ne faisons gu\u00e8re autre chose qu\u2019actionner une esp\u00e8ce de cin\u00e9matographe int\u00e9rieur. \u00bb (Henri Bergson, 1907, p. 178) Ce type de rapprochement entre la philosophie et le cin\u00e9ma influencera la m\u00e9thode de Walter Benjamin o\u00f9 \u00e9criture et montage (focalisation et raccords) se rencontrent.<\/p>\n\n\n\n

En Hypersph\u00e8re :<\/strong> le Web permet la t\u00e9l\u00e9chirurgie, chirurgie assist\u00e9e \u00e0 tr\u00e8s longue distance par des machines, parangon de l\u2019op\u00e9rationnalit\u00e9 globalisante de l\u2019informatique.<\/p>\n\n\n\n

Le trans-syst\u00e8me<\/h2>\n\n\n\n

Enfin, <\/strong>les interactions <\/strong>trans-syst\u00e8me, d\u2019un univers technique \u00e0 un univers symbolique, sont les moins \u00e9videntes \u00e0 rep\u00e9rer.<\/p>\n\n\n\n

En <\/strong>logosph\u00e8re :<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Le christianisme v\u00e9cu au sein de cultures purement orales est guid\u00e9 par un encadrement de clercs, qui, dans leur large majorit\u00e9, jusqu\u2019\u00e0 la fin du XVe si\u00e8cle, \u00e9mergent \u00e0 peine au niveau de l\u2019\u00e9crit ; ils sont, au sens plein, des m\u00e9tis culturels. Car un christianisme sans livre, un christianisme o\u00f9 la Parole vivante n\u2019est jamais une Parole \u00e9crite, o\u00f9 interviennent la plasticit\u00e9 de la transmission orale et le support de l\u2019image peinte et sculpt\u00e9e, avec l\u2019usage de la mn\u00e9motechnie et des sch\u00e9matismes indispensables \u00e0 une m\u00e9morisation auditive sans le secours correctif du texte, ce christianisme subit n\u00e9cessairement le point et le fa\u00e7onnement du milieu. (Pierre Chaunu, 1975\/1984, p. 167)<\/p>\n\n\n\n

En Graphosph\u00e8re :<\/strong> Le livre imprim\u00e9 et l\u2019humanisme. L\u2019humanisme est totalement tributaire du livre imprim\u00e9 dans sa survivance.  <\/p>\n\n\n\n

L\u2019imprim\u00e9, c\u2019est le multiplicateur, et beaucoup plus fondamentalement, le fixateur, une technique qui emp\u00eache les textes de se d\u00e9faire de copie en copie, qui d\u00e9place, \u00e0 temps \u00e9gal, l\u2019investissement du travail humain de la simple reproduction \u00e0 la confrontation entre le mod\u00e8le et la copie par le jeu de la correction des \u00e9preuves. (P. C. p. 317)<\/p>\n\n\n\n

Mais, l\u2019inverse est aussi vrai ; le livre imprim\u00e9 est tributaire de l\u2019humanisme. Celui-ci <\/p>\n\n\n\n

a jou\u00e9 un r\u00f4le […] dans l\u2019ensemble des facteurs qui ont pouss\u00e9 \u00e0 la mutation innovatrice du caract\u00e8re mobile. Cet ensemble modificateur, […] c\u2019est le nombre des hommes capables de lire et d\u2019\u00e9crire, l\u2019existence d\u2019un support abondant, le papier, le besoin religieux de l\u2019image et la technique du xylographe. (P. C. p. 316)<\/p>\n\n\n\n

En Vid\u00e9osph\u00e8re :<\/strong> \u00ab l\u2019esth\u00e9tisation de la politique \u00bb, que pratiquera le nazisme, s\u2019origine dans la capacit\u00e9 du dispositif filmique \u00e0 rendre visibles les mouvements humains (\u00ab dans les grands cort\u00e8ges de f\u00eates, dans les monstrueux meetings<\/em>, dans les manifestations sportives qui rassemblent des masses enti\u00e8res, dans la guerre […]. \u00bb (Walter Benjamin, 1939\/2000, p. 51) Ces repr\u00e9sentations monumentales diffus\u00e9es massivement, donnent corps, essence et puissance aux id\u00e9es politiques.<\/p>\n\n\n\n

En Hypersph\u00e8re : <\/strong>l\u2019approche g\u00e9n\u00e9tique des organismes biologiques sous l\u2019angle du code recombinable (ADN\/ARN) ouvre la voie posthumaniste \u00e0 l\u2019id\u00e9e de l\u2019\u00eatre humain comme assemblage d\u00e9sacralis\u00e9, ind\u00e9finiment modulable.<\/p>\n\n\n\n

La m\u00e9diation, souvent imperceptible<\/h2>\n\n\n\n

Si la m\u00e9diologie s\u2019int\u00e9resse tant au r\u00f4le jou\u00e9 par le medium<\/em>, c\u2019est que son influence sur le contenu du message est souvent minimis\u00e9e, sinon ignor\u00e9e des humanit\u00e9s alors qu\u2019il est essentiel \u00e0 la transmission des Id\u00e9es <\/strong>: \u00ab la m\u00e9diologie \u00e9largit le mouvement et prolonge la commande mat\u00e9rielle du domaine graphique \u00e0 l\u2019univers moral et symbolique. L\u2019outil d\u2019inscription modifie l\u2019esprit du trac\u00e9 mais aussi les traits de l\u2019esprit d\u2019un temps, le style d\u2019un Zeitgeist. \u00bb (R\u00e9gis Debray, 1991, p. 269) Aurions-nous pu \u00e9crire cet article dans un bloc de marbre ? Pas vraiment : le marbre est fait pour construire les palais des puissants, en assoir le pouvoir dans la dur\u00e9e par la repr\u00e9sentation de la gr\u00e2ce, de la magnificence et de la force, en transmettre l\u2019id\u00e9e et en laisser le souvenir. Avec le marbre, pas de touche \u00ab annuler et r\u00e9tablir\u00bb \u2013 ctrl (ou cmd) + z  \u2013 possible, de plaque dont on puisse disposer ais\u00e9ment commune banale feuille de papier sur laquelle on griffonne un message, que l\u2019on froisse et jette \u00e0 la corbeille pour en saisir une nouvelle et reformuler, remettre en question notre id\u00e9e. S\u2019il est difficile de distinguer l\u2019influence du medium<\/em> sur le contenu de son message c\u2019est qu\u2019il se soustrait souvent \u00e0 notre conscience : \u00ab quand vous avez tous les moyens de l\u2019\u00e9coute et de l\u2019influence \u00e0 votre disposition, vous devenez m\u00e9diologiquement aveugles. \u00bb (R. D. p. 46) Or la transmission rev\u00eat souvent des formes qui \u00e9chappent \u00e0 celles d\u2019un dispositif de communication \u00ab traditionnel \u00bb : il est \u00e9vident de d\u00e9signer le medium<\/em> de la communication t\u00e9l\u00e9phonique, beaucoup moins de distinguer celui d\u2019une discussion entre deux interlocuteurs qui peuvent avoir l\u2019illusion de se parler sans interm\u00e9diaire, \u00ab directement \u00bb, comme on dit, alors que le fait de se parler \u00ab en personne \u00bb signifie que les media<\/em> de la communication \u00e0 l\u2019\u0153uvre sont ici la \u00ab personne \u00bb qui emprunte le medium<\/em> de la langue, manifest\u00e9 par l\u2019usage des cordes vocales, l\u2019articulation de signes vocaux et la production d\u2019ondes sonores. Un medium<\/em> est un outil de transmission du point de vue technique (comme le t\u00e9l\u00e9phone) mais aussi un outil de transmission du point de vue culturel (comme la fl\u00e8che d\u2019une \u00e9glise). C\u2019est la raison pour laquelle il y a du medium<\/em> autant dans les moyens de communication que dans les \u0153uvres d\u2019art : la transmission a lieu dans les mat\u00e9riaux d\u2019un artefact, dans ses formes, son mode d\u2019incarnation ou son lieu de manifestation. Toutes les composantes de l\u2019objet participent \u00e0 la transmission d\u2019une intention de sens non seulement, mais aussi des pens\u00e9es et des pr\u00e9suppos\u00e9s d\u2019une \u00e9poque.<\/p>\n\n\n\n

Notes<\/h2>\n\n\n\n

[1] \u00c0 titre indicatif, cinq mille peaux furent n\u00e9cessaires \u00e0 la production des trente exemplaires sur parchemin de la Bible de Gutenberg.<\/p>\n\n\n\n

Bibliographie<\/h2>\n\n\n\n

\u2013 Agamben, Giorgio, Qu\u2019est-ce qu\u2019un dispositif ?<\/em>, Paris, Payot & Rivages, 2007, 49 p. <\/p>\n\n\n\n

\u2013 Bauckham, Richard, Jesus and the eyewitnesses<\/em>, Grand Rapids, William B. Eerdmans, Pub. Co., 2006, 538 p. <\/p>\n\n\n\n

\u2013 Benjamin, Walter, L\u2019\u0153uvre d\u2019art \u00e0 l\u2019\u00e9poque de sa reproductibilit\u00e9 technique<\/em>, Paris, Gallimard, 1939 [1935], 176 p. <\/p>\n\n\n\n

\u2013 Bergson, Henri, L\u2019\u00e9volution cr\u00e9atrice <\/em>(9e<\/sup> \u00e9d.), Paris, Presses Universitaires de France. 2001 [1907], 241 p. <\/p>\n\n\n\n

\u2013 Cauquelin L\u2019art contemporain<\/em>. Paris, Presses Universitaires de France, 2001 [1992], 128 p. <\/p>\n\n\n\n

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En quoi, le n\u00e9oclassicisme incarne-t-il l\u2019esprit des Lumi\u00e8res ? Quelles sont les cons\u00e9quences de l\u2019utilisation de la reproductibilit\u00e9 technique par Andy Warhol ? Que se passe-t-il lorsqu\u2019un Helmut Lachenmann, compositeur de musique concr\u00e8te instrumentale, d\u00e9construit les rep\u00e8res d\u2019\u00e9coute propres au piano ? Comment le cin\u00e9ma permet-il au r\u00e9alisateur Godfrey Reggio de critiquer le syst\u00e8me technicien ? Pourquoi Eduardo Kac a-t-il choisi la transg\u00e9n\u00e8se pour aborder … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[1],"tags":[4],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1098"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=1098"}],"version-history":[{"count":4,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1098\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":1105,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1098\/revisions\/1105"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=1098"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=1098"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=1098"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}