{"id":1308,"date":"2016-04-01T23:17:43","date_gmt":"2016-04-01T23:17:43","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=1308"},"modified":"2022-11-16T23:17:59","modified_gmt":"2022-11-16T23:17:59","slug":"avril-2016-lecologie-de-lart","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/avril-2016-lecologie-de-lart\/","title":{"rendered":"Avril 2016 – L’\u00e9cologie de l’art"},"content":{"rendered":"\n
Deux mots hantent notre monde, notre histoire, notre esprit : \u00e9conomie<\/em>, \u00e9cologie<\/em>. Un m\u00eame radical les unit, qui vient du grec ancien oikos<\/em> d\u00e9signant \u00ab la maison, l\u2019habitat, le milieu en tant qu\u2019il nous est familier, familiale m\u00eame, dans lequel on se rassemble et se ressemble \u00bb. Il est \u00e9troitement apparent\u00e9 au verbe eiko<\/em>, qui veut dire justement \u00ab ressembler, \u00eatre semblable \u00bb \u2013 comme l\u2019eikon<\/em>, l\u2019ic\u00f4ne, ressemble \u00e0 ce qu\u2019elle d\u00e9signe ou repr\u00e9sente \u2013 et sa racine indoeurop\u00e9enne renvoie \u00e0 l\u2019id\u00e9e de \u00ab clan \u00bb, soit \u00e0 ceux qui habitent sous un m\u00eame toit. Il ne s\u2019agit donc pas de n\u2019importe quel \u00ab environnement \u00bb : c\u2019est celui que nous fr\u00e9quentons, qui nous est proche, tel un abri, une demeure, un foyer. C\u2019est le lieu de notre s\u00e9jour, qui nous est consubstantiel et imm\u00e9diat : notre enveloppe, notre seconde peau, ce qui nous entoure, nous prot\u00e8ge, nous d\u00e9fend. <\/p>\n\n\n\n C\u2019est \u00e0 un tel lieu qu\u2019on associe tant\u00f4t la notion de nomos<\/em> (la loi, l\u2019usage, la norme, les m\u0153urs, l\u2019habitude) tant\u00f4t celle de logos<\/em>(la parole, l\u2019expression, le rapport, la pens\u00e9e, la connaissance) : il y aurait donc d\u2019un c\u00f4t\u00e9 les \u00ab lois et usages de la maison \u00bb, qui concernent son maintien, son entretien, sa gestion, son administration, bref, son \u00ab \u00e9conomie \u00bb, et de l\u2019autre l\u2019 \u00ab expression \u00bb m\u00eame de ce lieu qu\u2019on habite, ce qu\u2019il nous dit, ce dont il nous parle, ce qu\u2019on en pense, ce qu\u2019on en sait, soit sa manifestation en tant que syst\u00e8me de signes et de rapports ou de symboles et de liens qui rassemblent ce qui se ressemble, au sein de quoi nous vivons et survivons, bref, son \u00ab \u00e9cologie \u00bb. Ainsi les deux mots, \u00e9conomie<\/em> et \u00e9cologie<\/em>, sont si apparent\u00e9s l\u2019un \u00e0 l\u2019autre, par leur commune \u00e9tymologie, qu\u2019on peut difficilement comprendre qu\u2019ils puissent avoir \u00e9t\u00e9 s\u00e9par\u00e9s pendant si longtemps, au point qu\u2019ils ne cessent aujourd\u2019hui de s\u2019opposer : les lois qui permettent de g\u00e9rer l\u2019entretien du monde, soit l\u2019\u00c9conomie, paraissent en effet contredire de plus en plus l\u2019expression ou la parole m\u00eame du milieu qu\u2019il est, soit l\u2019\u00c9cologie, dont le maintien ne d\u00e9pend pas tant de normes domestiques cens\u00e9es administrer les biens qu\u2019on y trouve que de rapports ou de liens ou encore de signes et de manifestations par lesquels un tel environnement nous parle, nous entretient, notamment de la Vie, de l\u2019Existence, de l\u2019\u00catre, et de sa maintenance, de sa tenue entre nos mains. <\/p>\n\n\n\n L\u2019\u00e9cologie n\u2019est pas la \u00ab science de l\u2019environnement \u00bb \u2013 le discours qu\u2019on tient sur lui, le logos<\/em> proprement humain qui le prend pour objet \u2013, mais la \u00ab parole du lieu ou du milieu que nous habitons \u00bb, la voix de la Nature en tant que telle, dont nous faisons partie, au sein de laquelle notre voix reste faible, souvent amu\u00efe, assourdie, comme le montrent les innombrables et tonitruantes catastrophes qui \u00e9branlent la plan\u00e8te, devant lesquelles nous restons sans voix. Nous n\u2019entendons plus notre milieu, nous n\u2019\u00e9coutons plus notre monde, notre voix n\u2019est plus au diapason de celle de cette Nature naturante, qui parle d\u00e9sormais une langue \u00e9trang\u00e8re, avec laquelle nous ne sommes plus familiers, m\u00eame si l\u2019oikos<\/em> d\u00e9signait \u00e0 l\u2019origine cette \u00ab maison familiale \u00bb dont nous prenions soin en accordant notre voix \u00e0 la sienne, en conjuguant nos paroles et nos pens\u00e9es \u00e0 celles qu\u2019elle \u00e9mettait elle-m\u00eame en se manifestant \u00e0 nous par des liens \u00e9troits, des rapports intimes, nous faisant signe dans l\u2019imm\u00e9diat, le pr\u00e9sent proche, la plus grande proximit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n L\u2019oikos<\/em>\u00a0est l\u2019une des manifestations les plus pr\u00e9gnantes de l\u2019Unheimlich<\/em>, de l\u2019\u00ab\u00a0inqui\u00e9tante \u00e9tranget\u00e9\u00a0\u00bb, comme on dit, de l\u2019\u00ab\u00a0inqui\u00e9tude famili\u00e8re\u00a0\u00bb ou, mieux, de la \u00ab\u00a0familiarit\u00e9 avec l\u2019\u00e9trange\u00a0\u00bb. C\u2019est le \u00ab\u00a0tout autre\u00a0\u00bb dont on fait un \u00ab\u00a0chez soi\u00a0\u00bb, non pas en se l\u2019appropriant, l\u2019accaparant comme on fait des \u00ab\u00a0ressources naturelles\u00a0\u00bb dans l\u2019\u00e9conomie de march\u00e9 \u2013 cet \u00ab\u00a0usage de la maison\u00a0\u00bb qui r\u00e9duit tout \u00e0 une marchandise, un bien \u00e0 \u00e9changer, \u00e0 th\u00e9sauriser, sur lequel on veut capitaliser, dont on veut tirer profit \u2013, non, mais en se d\u00e9sappropriant, en s\u2019expropriant m\u00eame, en s\u2019alt\u00e9rant, soit en abandonnant toute forme de propri\u00e9t\u00e9 personnelle, individuelle, priv\u00e9e, toute propri\u00e9t\u00e9 strictement humaine, pour \u00eatre capable d\u2019entendre et de parler cette langue\u00a0autre<\/em>\u00a0dans laquelle s\u2019exprime ce qui nous entoure, avec quoi on ne veut pas seulement dialoguer mais parler en ch\u0153ur, \u00e0 l\u2019unisson, d\u2019une seule et m\u00eame voix, avec ses registres et tessitures si vari\u00e9s qu\u2019on dirait parfois une gigantesque cacophonie.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Je voudrais \u00e9voquer aujourd\u2019hui la mani\u00e8re dont l\u2019eikon<\/em>\u00a0ou l\u2019eidolon<\/em>, l\u2019ic\u00f4ne ou l\u2019idole en quoi consiste toute \u0153uvre d\u2019art, participent d\u2019un\u00a0oikos<\/em>\u00a0ou d\u2019un milieu dans lequel le\u00a0nomos<\/em>\u00a0et le\u00a0logos<\/em>, soit la loi et la parole, la gestion et l\u2019expression, la maintenance et la manifestation de notre \u00ab\u00a0monde\u00a0\u00bb\u00a0sont \u00e9troitement\u00a0accord\u00e9s<\/em>, au sens musical du terme, m\u00eame quand on a affaire \u00e0 des dissonances, \u00e0 un tintamarre, \u00e0 un brouhaha. Je vais donc tenter de montrer comment les formes symboliques de l\u2019\u00e9conomie et de l\u2019\u00e9cologie profondes de notre Temps, en jeu dans les pratiques artistiques d\u2019aujourd\u2019hui, et notamment dans l\u2019art\u00a0innu\u00a0qu\u2019on trouve au nord-est du Qu\u00e9bec, entre\u00a0Mashteuiatsh\u00a0et\u00a0Betsiamites, soit de la r\u00e9gion du Lac Saint-Jean \u00e0 celle de la basse C\u00f4te-Nord, donnent lieu \u00e0 une\u00a0autre<\/em>\u00a0vision de la \u00ab\u00a0Maison-Monde\u00a0\u00bb, comme disent les\u00a0Premi\u00e8res nations, o\u00f9 les r\u00e8gles et les habitudes d\u2019\u00e9change (\u00e9conomiques) sont celles m\u00eames dans lesquelles notre milieu ou notre habitat (\u00e9cologiques) nous parlent ou se manifestent, dans une \u00ab\u00a0langue\u00a0\u00bb ou un\u00a0logos<\/em>\u00a0que l\u2019\u0153uvre d\u2019art a pour mission de faire entendre, de r\u00e9percuter, de r\u00e9verb\u00e9rer, sa fonction n\u2019\u00e9tant pas de repr\u00e9senter la Nature, comme on l\u2019a longtemps cru dans l\u2019Occident europ\u00e9en, mais d\u2019en transmettre l\u2019\u00e9nergie, la force ou la puissance, d\u2019en emprunter le souffle et de l\u2019insuffler \u00e0 son tour afin de perp\u00e9tuer la \u00ab\u00a0vie\u00a0\u00bb dont elle s\u2019inspire en une nouvelle respiration qui nous inspire et nous donne ou redonne vie, fondement premier du cycle par lequel\u00a0oikologos<\/em>\u00a0(\u00e9cologie) et\u00a0oikonomos<\/em>\u00a0(\u00e9conomie) communient, se recyclant l\u2019un dans l\u2019autre plut\u00f4t qu\u2019ils ne s\u2019opposent l\u2019un \u00e0 l\u2019autre.<\/p>\n\n\n\nCirculation des forces<\/h2>\n\n\n\n