{"id":1447,"date":"2016-02-01T21:45:21","date_gmt":"2016-02-01T21:45:21","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=1447"},"modified":"2022-11-17T21:45:40","modified_gmt":"2022-11-17T21:45:40","slug":"fevrier-2016-les-emotions-de-la-thermodynamique-ou-lamour-suicidaire","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/fevrier-2016-les-emotions-de-la-thermodynamique-ou-lamour-suicidaire\/","title":{"rendered":"F\u00e9vrier 2016 – Les \u00e9motions de la thermodynamique Ou l\u2019amour suicidaire"},"content":{"rendered":"\n
\"\"
Anna Thairs,\u00a0Entropy<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Qu\u2019avons-nous fait\u00a0?<\/h2>\n\n\n\n

Le climat maniaco-d\u00e9pressif, les oc\u00e9ans exsangues, les for\u00eats saccag\u00e9es, les champs en cours de st\u00e9rilisation, les esp\u00e8ces v\u00e9g\u00e9tales et animales disparaissant plus vite que nous parvenons \u00e0 les r\u00e9pertorier ? Nous n\u2019avons jamais voulu cela ! Comment expliquer que le monde nous \u00e9chappe \u00e0 ce point, quand nous avons le sentiment de ne l\u2019avoir jamais autant ma\u00eetris\u00e9 ?<\/p>\n\n\n\n

Nous devons envisager que quelque chose nous d\u00e9passe, que nous n\u2019avons peut-\u00eatre m\u00eame pas invent\u00e9, ni Dieu, ni les \u00e9quations de la physique ni aucune m\u00e9taphysique, quelque chose d\u2019autre encore, peut-\u00eatre un principe universel simple et d\u00e9j\u00e0 inscrit en nous mais si r\u00e9v\u00e9lateur de notre v\u00e9rit\u00e9 que nous ne pouvions l\u2019identifier que lorsque cette v\u00e9rit\u00e9 deviendrait incontournable.<\/p>\n\n\n\n

La solitude nous angoisse et l\u2019apaisement pour notre c\u0153ur n\u2019est pas sans effet sur le monde.<\/p>\n\n\n\n

\u00ab La nuit \u00e9tait velout\u00e9e et flottante. Elle claquait doucement contre les joues comme une \u00e9toffe, puis elle s\u2019en allait avec son soupir et on l\u2019entendait se balancer dans les arbres. Les \u00e9toiles remplissaient le ciel. Ce n\u2019\u00e9taient plus les \u00e9toiles d\u2019hiver, s\u00e9par\u00e9es, brillantes. C\u2019\u00e9tait comme du frai de poisson. Il n\u2019y avait plus rien de form\u00e9 dans le monde, pas m\u00eame de choses adolescentes. Rien que du lait, ces bourgeons laiteux, des graines laiteuses dans la terre, des semences de b\u00eates et du lait d\u2019\u00e9toiles dans le ciel. Les arbres avaient l\u2019odeur puissante de quand ils sont en amour. \u00bb<\/p>\n\n\n\n

Jean Giono, Que ma joie demeure. (Giono, 1973, p. 100)<\/p>\n\n\n\n

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Anna Thairs<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Thermodynamique de l\u2019\u00e9volution<\/h2>\n\n\n\n

\u00ab Il est impressionnant de constater qu\u2019un \u00eatre humain dissipe par unit\u00e9 de masse dix mille fois plus d\u2019\u00e9nergie que le Soleil. \u00bb
\u00ab La troisi\u00e8me loi de la thermodynamique implique que l\u2019Univers s\u2019auto-organise de fa\u00e7on \u00e0 maximiser son taux de production d\u2019entropie. Il cr\u00e9e des structures dissipatives capables de produire de l\u2019\u00e9nergie libre et de dissiper cette \u00e9nergie de plus en plus efficacement. \u00bb<\/p>\n\n\n\n

Fran\u00e7ois Roddier, Thermodynamique de l\u2019\u00e9volution (Roddier, 2012, p. 50)<\/p>\n\n\n\n

La dissipation de l\u2019\u00e9nergie. Telle pourrait \u00eatre, selon la physique contemporaine, la raison ultime du grand ordonnancement du monde. Les structures, au fil du temps, depuis les premiers objets \u00e9l\u00e9mentaires jusqu\u2019\u00e0 notre brillant cerveau d\u2019humain en passant par les plus riches syst\u00e8mes galactiques ne seraient motiv\u00e9s \u00e0 \u00eatre que par la n\u00e9cessit\u00e9 de toujours \u00ab\u00a0consommer\u00a0\u00bb plus d\u2019\u00e9nergie par unit\u00e9 de masse.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019astrophysicien am\u00e9ricain\u00a0\u00c9ric Chaisson\u00a0a montr\u00e9 en 2001 qu\u2019au fil de l\u2019histoire de l\u2019univers sont apparues des structures capables de dissiper l\u2019\u00e9nergie toujours plus efficacement, en rapportant leur production d\u2019\u00e9nergie libre \u00e0 leur masse\u00a0:\u00a0<\/p>\n\n\n\n

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\u00c9ric Chaisson<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Lire aussi l\u2019article de\u00a0Matthieu Auzanneau,\u00a0Daech, le climat et le pic p\u00e9trolier\u00a0: aper\u00e7u des \u00ab\u00a0temp\u00eates parfaites\u00a0\u00bb de demain\u00a0?<\/em>\u00a0et celui de Fran\u00e7ois Roddier,\u00a0Par-del\u00e0 l\u2019effet de la Reine Rouge<\/em>.<\/p>\n\n\n\n

Le principe de \u00ab maximisation de la dissipation de l\u2019\u00e9nergie \u00bb (qui sera pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 \u00e0 \u00ab troisi\u00e8me loi de la thermodynamique \u00bb, appel\u00e9 aussi MEP pour Maximum Entropy Production) pourrait \u00eatre ce Graal de la physique, tant attendu, qui donnerait sens \u00e0 l\u2019existence. Il semble \u00eatre actuellement le meilleur pour encadrer \u00e0 la fois les questions sur l\u2019\u00e9volution de l\u2019Univers en g\u00e9n\u00e9ral, mais aussi sur l\u2019\u00e9volution humaine et en particulier sur ses probl\u00e8mes \u00e9cologiques contemporains. Elabor\u00e9 \u00e0 partir du langage sp\u00e9cifique de la physique il para\u00eet toutefois suffisamment performant pour \u00eatre adapt\u00e9 \u00e0 la compr\u00e9hension des subtils modes d\u2019adaptation humains collectifs, qui seraient structurellement toujours compris entre la n\u00e9cessit\u00e9 de constituer une organisation la plus complexe possible (la plus dissipatrice d\u2019\u00e9nergie) et la contrainte de la disponibilit\u00e9 m\u00eame de l\u2019\u00e9nergie par l\u2019interm\u00e9diaire de ressources sp\u00e9cifiques (depuis l\u2019alimentation jusqu\u2019au p\u00e9trole ou au nucl\u00e9aire).<\/p>\n\n\n\n

Pour plus d\u2019informations, \u00e9couter la conf\u00e9rence en ligne de Fran\u00e7ois Roddier,\u00a0La thermodynamique des transitions \u00e9conomiques<\/em>, mars 2015.<\/p>\n\n\n\n

Dissiper un maximum d\u2019\u00e9nergie. Les calculs et les mesures sur le r\u00e9el semblent confirmer le mod\u00e8le. Mais en quoi fait-il sens pour nous, humains, qui n\u2019\u00e9prouvons rien du monde qui s\u2019\u00e9crit en Watts par Kilogrammes ? Et quand bien m\u00eame la dissipation de l\u2019\u00e9nergie serait la motivation \u00e0 la complexification des syst\u00e8mes, qu\u2019en est-il du pourquoi ? Pourquoi faut-il dissiper cette \u00e9nergie ?<\/p>\n\n\n\n

Impossible solitude et angoisse existentielle<\/h2>\n\n\n\n

\u00ab L’irr\u00e9versibilit\u00e9 ne peut plus \u00eatre attribu\u00e9e \u00e0 une simple apparence qui dispara\u00eetrait si nous acc\u00e9dions \u00e0 une connaissance parfaite. Elle est une condition essentielle de comportements coh\u00e9rents de milliards de milliards de mol\u00e9cules. Selon une formule que j’aime \u00e0 r\u00e9p\u00e9ter, la mati\u00e8re est aveugle \u00e0 l’\u00e9quilibre l\u00e0 o\u00f9 la fl\u00e8che du temps ne se manifeste pas ; mais lorsque celle-ci se manifeste, loin de l’\u00e9quilibre, la mati\u00e8re commence \u00e0 voir ! Sans la coh\u00e9rence des processus irr\u00e9versibles de non \u00e9quilibre, l’apparition de la vie sur la Terre serait inconcevable. La th\u00e8se selon laquelle la fl\u00e8che du temps est seulement ph\u00e9nom\u00e9nologique est absurde. Ce n’est pas nous qui engendrons la fl\u00e8che du temps. Bien au contraire, nous sommes ses enfants. \u00bb<\/p>\n\n\n\n

Ilya Prigogine,\u00a0La Fin des Certitudes<\/em> (Prigogine, 1996)<\/p>\n\n\n\n

Abordant la question de la n\u00e9cessit\u00e9 et du d\u00e9terminisme \u00e0 partir d\u2019autres hypoth\u00e8ses que la seule thermodynamique, l\u2019Essai Sur la Raison de Tout<\/em> (Mignerot, 2014), (deuxi\u00e8me version, not\u00e9 ESRTV), propose une justification \u00e0 l\u2019existence et \u00e0 l\u2019\u00e9volution de l\u2019Univers non pas construite sur la dissipation de l\u2019\u00e9nergie mais sur la complexification du lien. Cette proposition permet d\u2019envisager une cause initiale, ce que ne permettent pas les mod\u00e8les physiques d\u2019aujourd\u2019hui, hypoth\u00e8se causale toutefois compatible avec ces mod\u00e8les. L\u2019annulation de la solitude, consid\u00e9r\u00e9e comme une impossibilit\u00e9 absolue justifierait toute existence, toute liaison entre tout objet possible (ESRTV, parties 1 et 2).<\/p>\n\n\n\n

D\u2019ailleurs, nous, humains, en tant qu\u2019objets singuliers, si nous sommes bien les enfants de la thermodynamique, nous n\u2019h\u00e9ritons pas du langage de la physique, nous h\u00e9ritons du langage du lien. Personne ne s\u2019exprime, personne n\u2019\u00e9coute, personne ne travaille, joue, fait l\u2019amour ou contemple les \u00e9toiles pour dissiper de l\u2019\u00e9nergie. En revanche tout le monde fait tout pour cr\u00e9er et entretenir des liens qui tiennent accroch\u00e9s \u00e0 l\u2019autre, au plaisir, au monde. Si l\u2019Univers n\u2019est qu\u2019une grande horloge, nous, les \u00e9ph\u00e9m\u00e8res observateurs que nous sommes ne suivons pas sa cadence seulement comme de simples engrenages. Ce sont les envies, les \u00e9motions et les sentiments qui nous m\u00e8nent. Tentons alors une relecture de la thermodynamique avec un autre vocabulaire moins sp\u00e9cifique et en acceptant qu\u2019il soit possible d\u2019estimer d\u2019un \u00ab pourquoi ? \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019articulation serait simple\u00a0: la seule motivation \u00e0 l\u2019existence, celle de l\u2019Univers dans son entier autant que de chacun de ses \u00e9l\u00e9ments, y compris humains, serait l\u2019\u00e9tablissement et le maintien du lien, quelle que soit la nature de ce lien. Cette dynamique serait inarr\u00eatable, tout arr\u00eat \u00e9tant la disparition du lien, la fin de l\u2019existence. Sans arr\u00eat possible, la seule voie est la cr\u00e9ation perp\u00e9tuelle de liens, soit une complexification de ces liens. L\u2019impossible arr\u00eat de la complexification implique une autre contrainte\u00a0: la qu\u00eate de stabilit\u00e9. S\u2019il ne faut jamais perdre le lien, ce sont les liens les plus stables au final qui seront les plus p\u00e9rennes, les autres dispara\u00eetront. La dissipation de l\u2019\u00e9nergie (la complexit\u00e9) et l\u2019entropie (la stabilit\u00e9) se trouvent alors \u00eatre des effets de la motivation \u00e0 l\u2019existence\u00a0: la cr\u00e9ation de lien \u00ab\u00a0consomme\u00a0\u00bb du lien potentiel, l\u2019\u00e9quivalent de l\u2019\u00e9nergie en physique (dont\u00a0la nature reste encore inconnue, voir\u00a0Th\u00e9orie de tout<\/em>). La thermodynamique serait comprise dans un principe plus vaste et qui ferait sens, en tant qu\u2019il y aurait une finalit\u00e9\u00a0: faire du lien, absolument.<\/p>\n\n\n\n


\n\n\n\n

Extraits d\u2019Essai Sur la Raison de Tout<\/em><\/strong><\/p>\n\n\n\n

1.1.7 La solitude est impossible<\/strong>
Le non-li\u00e9 est impossible, la solitude est impossible.<\/p>\n\n\n\n

1.3.11 Principe d\u2019\u00c9volution<\/strong>
Le principe d\u2019\u00e9volution est l\u2019annulation de la solitude de l\u2019Univers par \u00e9ternelle complexification du lien entre tous les objets dont l\u2019existence est possible.<\/p>\n\n\n\n

2.4.18 Thermodynamique<\/strong>
Tout syst\u00e8me de relation d\u2019objets est contraint de constituer la plus grande complexit\u00e9 possible au regard de ses capacit\u00e9s \u00e0 cr\u00e9er de la complexit\u00e9. Toutefois, selon les contraintes de l\u2019\u00e9volution, seules les configurations de relation d\u2019objets les plus stables peuvent \u00eatre conserv\u00e9es.
L\u2019\u00e9volution choisit toujours les plus stables des solutions les plus complexes.<\/p>\n\n\n\n

Rien de plus. Le principe de l\u2019\u00e9tablissement et du maintien du lien suffit, et la tension existentielle pour tout objet est de devoir en permanence participer au projet global de liaison, autant pour exister lui que pour que l\u2019alt\u00e9rit\u00e9 existe, tout en visant la stabilit\u00e9 des liens \u00e9tablis. Pour l\u2019humain\u00a0: travailler, se reposer. Jouer, contempler. Crier, chuchoter, alerter, rassurer, offenser, aimer. Une thermodynamique de l\u2019action et de l\u2019\u00e9prouv\u00e9. \u00catre individuellement et collectivement une structure dissipative (lire l\u2019article de\u00a0La Recherche\u00a0:<\/em>\u00a0La thermodynamique de la vie<\/em>) par\u00a0\u00a0Ilya Prigogine) parfaitement op\u00e9ratoire, agir en tant que corps consommateur d\u2019\u00e9nergie (cr\u00e9ateur de complexit\u00e9), mais surtout en tant que corps \u00e9motionnel cherchant en l\u2019autre, sous toutes ses formes, celles qui conviennent, la possibilit\u00e9 de partager un temps d\u2019existence, un temps esp\u00e9r\u00e9 fiable et stable.
Ne pas y parvenir\u00a0? Ne pas atteindre la stabilit\u00e9\u00a0? Rester en suspens et devoir sans cesse fuir le lien insatisfaisant et rester en qu\u00eate toujours du lien rassurant\u00a0?
Craindre la solitude, qui doit \u00eatre absolument \u00e9vit\u00e9e parce que pour nous, l\u2019absence de lien, c\u2019est la mort\u00a0?<\/p>\n\n\n\n

6.1.11 Angoisse et origine<\/strong>
L\u2019angoisse, par manquement \u00e0 la fonction de repr\u00e9sentation, est ce qui exprime dans le corps vivant l\u2019impossible solitude qui d\u00e9finit l\u2019ordre de toute chose et justifie l\u2019\u00e9volution universelle. L\u2019absence de lien traitable par les fonctions cognitives entre les objets qui d\u00e9finissent un \u00eatre humain le met face \u00e0 l\u2019absurdit\u00e9 universelle qui unifie toute chose : la solitude est impossible. La puissance de l\u2019angoisse est un indice de ce que l\u2019absence absolue de lien est une stricte impossibilit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Comment pallions-nous cette grave angoisse, puisque manifestement, pour la plupart d\u2019entre nous, nous ne sommes pas accabl\u00e9s et parvenons malgr\u00e9 tout \u00e0 concevoir un monde agr\u00e9able et \u00e0 y vivre ? Comme tous les organismes depuis certainement les unicellulaires filtrant s\u00e9lectivement les \u00e9l\u00e9ments qui traversent leur paroi ou ceux dot\u00e9s d\u2019un flagelle permettant la mobilit\u00e9, nous exer\u00e7ons notre emprise sur le monde, nous agissons sur lui afin de ne pas seulement le subir.<\/p>\n\n\n\n

3.4.8 Emprise<\/strong>
La capacit\u00e9 pour un \u00eatre vivant d\u2019agir positivement sur les d\u00e9faillances de la relation qui le d\u00e9finit autorise l\u2019augmentation de ses performances adaptatives dans l\u2019\u00e9volution.<\/p>\n\n\n\n

6.1.12 Angoisse structurante<\/strong>
La lutte contre l\u2019angoisse est l\u2019orientation premi\u00e8re du comportement de tout \u00eatre humain, qui est contraint d\u2019op\u00e9rer l\u2019emprise sur son environnement afin d\u2019en extraire des repr\u00e9sentations valides pour contrer l\u2019absence de lien et ainsi construire une pens\u00e9e du r\u00e9el compatible avec son adaptation.<\/p>\n\n\n\n


\n\n\n\n

La thermodynamique n\u2019est plus innocente. Elle agit en nous, elle nous fait agir. Nous op\u00e9rons sur le monde et cela consomme de l\u2019\u00e9nergie, mais non sans que cela nous serve aussi : nous sommes rass\u00e9r\u00e9n\u00e9s par notre action lorsque celle-ci nous r\u00e9compense d\u2019avoir renforc\u00e9 nos liens existentiels, d\u2019avoir servi la cause soutenue par notre communaut\u00e9 d\u2019appartenance qui est celle, oui, de dissiper un maximum d\u2019\u00e9nergie, mais cela ne nous dit rien, bien moins en tout cas que la r\u00e9compense d\u2019avoir r\u00e9ussi \u00e0 maintenir la coh\u00e9rence du lien avec nos proches, nos partenaires, nos complices dans la lutte contre la solitude, nos complices dans l\u2019exercice de l\u2019emprise.<\/p>\n\n\n\n

Combien de fois avons-nous avou\u00e9 que la solitude nous pesait ? Ne l\u2019avons pas chant\u00e9 depuis toujours, clam\u00e9 sur les sc\u00e8nes de th\u00e9\u00e2tre et sublim\u00e9 dans les po\u00e8mes ? La lutte contre la solitude est notre motivation \u00e0 l\u2019existence, la seule, celle que nous avons en commun avec des objets pourtant inertes mais qui font comme nous du lien, de plus en plus au fur et \u00e0 mesure qu\u2019ils sont plus complexes, et le principe de dissipation maximale se voit potentiellement confirm\u00e9 et justifi\u00e9 par le principe de la liaison. Nous ne minaudons pas avec le monde seulement parce qu\u2019il nous pla\u00eet d\u2019en consommer les ressources. Nous le provoquons pour ce qu\u2019il peut pallier la solitude premi\u00e8re.<\/p>\n\n\n\n

Plaisir et complexit\u00e9<\/h2>\n\n\n\n
\"\"
Paysage sonore<\/em>, Vincent Mignerot<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Le lien fait et satisfait l\u2019objet, le non lien l\u2019annule. L\u2019humain satisfait pulsion et \u00e2me \u00e0 \u00e9tablir et maintenir la liaison, il se navre et s\u2019angoisse du d\u00e9litement. Les principes de plaisir et de d\u00e9plaisir trouveraient encadrement \u00e0 leurs manifestations pour le corps et pour l\u2019esprit. Les attracteurs comportementaux, ceux qui nous font nous lever le matin, choisir nos habits pour la prochaine soir\u00e9e et pr\u00e9f\u00e9rer les plages ensoleill\u00e9es au bitume des villes pourraient bien n\u2019\u00eatre que des guides vers l\u2019optimisation, orientant nos choix non vers ce qui nous conviendrait id\u00e9alement, mais vers ce qui servirait la complexit\u00e9, peut-\u00eatre aveugl\u00e9ment, sans m\u00eame s\u2019inqui\u00e9ter de notre avis. Et notre esprit docile nous rassurerait a posteriori de ce que ces choix seraient bien n\u00f4tres, quand ceux-ci ne feraient que suivre, en amont de nous-m\u00eames et sans grande d\u00e9licatesse, l\u2019implacable machinerie thermodynamique (Lire\u00a0Synesth\u00e9sie et probabilit\u00e9 conditionnelle<\/em>, V. Mignerot, Editions SoLo, 2014).<\/p>\n\n\n\n

Le plaisir et le d\u00e9plaisir, premiers dans la conduite et imp\u00e9riaux devant le libre arbitre pourraient \u00eatre simplement index\u00e9s \u00e0 la dissipation d’\u00e9nergie, plut\u00f4t et comme nous l\u2019avons vu \u00e0 la constitution et \u00e0 l\u2019enrichissement du lien. C’est alors toute la richesse, la versatilit\u00e9 de nos comportements et de nos \u00e9motions que nous pouvons raccrocher \u00e0 la froide et rigide physique.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

Irons-nous jusqu\u2019\u00e0 proposer que si nous ne comprenons pas certaines de nos irrationalit\u00e9s, de nos impulsions, de nos choix indisciplin\u00e9s ou absurdes, souvent aussi notre impuissance \u00e0 changer ce qui nous disconvient comme nous le souhaiterions, cela pourrait ne provenir que de ce que notre cerveau suit les injonctions et les int\u00e9r\u00eats existentiels d\u2019un syst\u00e8me dissipatif bio anthropotechnique bien plus puissant que n\u2019importe quelle d\u00e9cision suppos\u00e9e volontaire\u00a0? Il est bien possible que les plus d\u00e9licates r\u00e9alisations techniques, les plus hauts degr\u00e9s de la passion, les plus fines expressions artistiques, la joie de l\u2019enfant et le souffle empress\u00e9 de l\u2019\u00eatre aim\u00e9 ne trouvent motivation que dans l\u2019expression physico-chimique de nos corps soumis \u00e0 une destin\u00e9e sup\u00e9rieure, ce qui ne rend pour autant pas l\u2019\u00e9prouv\u00e9 ni moins saisissant, ni moins beau. Serions-nous d\u2019ailleurs capables de ne pas honorer notre mission de simple structure dissipative\u00a0qui serait de participer \u00e0 l\u2019optimisation de la consommation de toutes ressources disponibles pour le b\u00e9n\u00e9fice de la complexit\u00e9\u00a0? Aurions-nous m\u00eame le d\u00e9sir de ne pas le faire\u00a0? Rien n\u2019est moins s\u00fbr. Face \u00e0 l\u2019adversit\u00e9 \u00e9cologique en particulier, s’il est encore possible de croire au libre arbitre et en la possibilit\u00e9 de \u00ab\u00a0changer les choses\u00a0\u00bb (les croyances seront toujours possibles, et m\u00eame n\u00e9cessaires), une analyse honn\u00eate de l’effet sur l\u2019environnement des choix esp\u00e9r\u00e9s libres pourrait indiquer qu’ils sont toujours r\u00e9gul\u00e9s et que leur influence pour modifier positivement l’orientation du monde serait totalement nulle (lire\u00a0La loi de la dichotomie \u00e0 l\u2019axe<\/em>).<\/p>\n\n\n\n

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Interface en d\u00e9veloppement<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

\u00catre la complexit\u00e9<\/h2>\n\n\n\n

Des ressources, un principe existentiel, celui du lien et de la complexit\u00e9, l\u2019humanit\u00e9 qui \u00e9prouve, pense, agit. Et parfois, l\u2019abjection. L\u2019horreur, l\u2019ignominie.<\/p>\n\n\n\n

La guerre.<\/p>\n\n\n\n

Nous comm\u00e9morons nos morts la main au c\u0153ur sans aucunement penser \u00e0 la v\u00e9ritable raison des guerres, qui pourrait n\u2019\u00eatre que celle de la ma\u00eetrise ou de la spoliation de territoires et de ressources pour optimiser la circulation des flux au b\u00e9n\u00e9fice du vainqueur et de la complexit\u00e9 de sa soci\u00e9t\u00e9. De la complexit\u00e9 de sa soci\u00e9t\u00e9. De son \u00e9conomie. De celle qui pourvoit au bien-\u00eatre de ses citoyens, qui d\u00e9fend leurs int\u00e9r\u00eats en leur garantissant au mieux nourriture, acc\u00e8s au soin, d\u00e9fense contre une prochaine attaque d\u2019un prochain ennemi, \u00e9galement toute satisfaction moins \u00e9l\u00e9mentaire\u00a0: loisirs, repos\u2026 les meilleures conditions possibles pour exister, simplement. La guerre comme optimisation de la circulation des flux d\u2019\u00e9nergie et de mati\u00e8re vers ce vainqueur qui aura prouv\u00e9, chair et\u00a0 char en avant, qu\u2019il serait au final la meilleure structure dissipative, celle qui pourvoira au mieux au renforcement des liens existentiels des individus qui la constituent (Lire\u00a0L\u2019avenir de l\u2019humanit\u00e9, la paix absolue\u00a0?<\/em>). Tous et chacun, la plume ou l\u2019arme \u00e0 la main, d\u00e9cisionnaire ou acteur du pire, participant pleinement \u00e0 l\u2019enjeu de la construction du lien, du meilleur lien possible, parce que nous sommes toujours motiv\u00e9s \u00e0 combattre pour d\u00e9fendre notre fa\u00e7on d\u2019\u00eatre en lien, notre culture de la relation \u00e0 l\u2019alt\u00e9rit\u00e9 (\u00e0 la nature, aux Dieux\u2026) \u00e9tant \u00e9videmment consid\u00e9r\u00e9e meilleure que celle de l\u2019ennemi.<\/p>\n\n\n\n

La guerre comme simple instrument de l\u2019optimisation, dont l\u2019aveuglement du mouvement entropique est dissimul\u00e9 derri\u00e8re divers pr\u00e9textes moraux toujours factices et partiaux. Peu importe. Nous les aimions, les h\u00e9ros des tranch\u00e9es, nous avons raison de les honorer et nous nous battrons demain encore pour nos familles.<\/p>\n\n\n\n

Pour leur s\u00e9curit\u00e9, pour leur sant\u00e9, pour les valeurs d\u00e9fendues en commun ? Bien s\u00fbr, mais si cela est d\u00e9j\u00e0 acquis et p\u00e9renne pour certains vainqueurs et que la paix s\u2019impose, que leur reste-t-il \u00e0 d\u00e9velopper ? Quelle serait la motivation d\u2019une soci\u00e9t\u00e9 dont les besoins essentiels, et plus encore, sont tous assouvis ? Comment \u00e9tablir le lien, comment exister mieux encore ? Quelle complexit\u00e9 ?<\/p>\n\n\n\n

La tension reste. Si la stabilit\u00e9 est souhait\u00e9e par tous, la comp\u00e9tition est inarr\u00eatable et le confort ne suffit pas, le risque \u00e9tant qu\u2019un autre devienne peu \u00e0 peu plus puissant, en tout cas peu \u00e0 peu capable de d\u00e9tourner \u00e0 son avantage ces ressources qui lui permettront peut-\u00eatre \u00e0 son tour de devenir la meilleure structure dissipative, au d\u00e9triment des vainqueurs pr\u00e9c\u00e9dents.<\/p>\n\n\n\n

C\u2019est la guerre \u00e9conomique. Nous nous encombrons de r\u00e9flexions complexes sur la productivit\u00e9 de nos entreprises, sur les quantit\u00e9s de CO2 \u00e9mises, sur la performance du management des salari\u00e9s\u2026 mais les calculs m\u00e8nent toujours au m\u00eame r\u00e9sultat : le syst\u00e8me \u00e9conomique est toujours aussi complexe qu\u2019il peut l\u2019\u00eatre en fonction de sa capacit\u00e9 \u00e0 \u00eatre complexe. Nous produirons toujours un maximum de voitures en fonction de la capacit\u00e9 des industries \u00e0 en produire et des march\u00e9s \u00e0 les \u00e9couler. Et nous ne pouvons pas nous en emp\u00eacher !<\/p>\n\n\n\n

Le verrouillage contemporain du moteur \u00e9conomique sur le paradigme de la croissance, alors m\u00eame qu\u2019il condamne structurellement tout avenir en garantissant l\u2019\u00e9puisement des ressources semble pouvoir trouver explication par la tension existentielle de l\u2019obligatoire \u00e9tablissement du lien avant d\u2019atteindre la stabilit\u00e9. Alors qu\u2019autrefois, dans un monde ouvert, \u00e9voluant peu ou lentement, l\u2019humanit\u00e9 a su maintenir des mod\u00e8les \u00e9conomiques relativement p\u00e9rennes, dans un monde globalis\u00e9, ferm\u00e9 sur lui-m\u00eame et aux flux de ressources tendus \u00e0 leur maximum la comp\u00e9tition pour l\u2019existence condamne l\u2019\u00e9conomie \u00e0 l\u2019emballement autodestructeur (lire\u00a0Le syndrome de la reine rouge<\/em>, Fran\u00e7ois Roddier, Institut Momentum).<\/p>\n\n\n\n

Notons que d\u2019aucuns esp\u00e8rent que les progr\u00e8s technologiques parviennent \u00e0 maintenir le niveau de vie des plus riches d\u2019entre nous gr\u00e2ce \u00e0 une augmentation telle de la performance de nos outils que ceux-ci parviendraient \u00e0 s\u2019extraire progressivement d\u2019une trop grande d\u00e9pendance aux ressources, ce qui permettrait de les \u00e9conomiser sur le long terme. Mais cette efficacit\u00e9 \u00e9nerg\u00e9tique esp\u00e9r\u00e9e salvatrice n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 constat\u00e9e, et le\u00a0paradoxe de Jevons<\/em>\u00a0pourrait trouver sens gr\u00e2ce \u00e0 la lecture par le lien que nous op\u00e9rons ici (Paradoxe de Jevons<\/em>: malgr\u00e9 les am\u00e9liorations technologiques qui augmentent l’efficacit\u00e9 avec laquelle une ressource est employ\u00e9e, la consommation totale de cette ressource peut augmenter au lieu de diminuer).<\/p>\n\n\n\n

Pour une soci\u00e9t\u00e9 pleine de bonnes intentions, ralentir volontairement la circulation des flux serait imm\u00e9diatement laisser libres des potentialit\u00e9s de d\u00e9veloppement \u2013 des potentialit\u00e9s d\u2019existence, des liens potentiels \u2013 pour une autre soci\u00e9t\u00e9 qui risquerait alors de se les octroyer afin de progresser dans la comp\u00e9tition et obliger la premi\u00e8re \u00e0 reculer dans l\u2019avanc\u00e9e globale vers la complexit\u00e9. L\u2019optimisation technologique subit ainsi une s\u00e9lection drastique : les seuls produits \u00ab verts \u00bb ou consommant moins de ressources qui puissent \u00eatre d\u00e9velopp\u00e9s et vendus sont ceux qui, parce qu\u2019ils satisfont mieux les demandes des consommateurs en bonne conscience \u00e9cologique, ou parce qu\u2019ils sont plus \u00e9conomiques, peuvent se vendre suffisamment plus que les produits moins performants pour ne jamais atteindre \u00e0 la quantit\u00e9 d\u2019\u00e9nergie globalement consomm\u00e9e, dissip\u00e9e par le syst\u00e8me.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019effet rebond, qui montre que toute optimisation technologique qui pourrait rendre l\u2019industrie plus propre est contrebalanc\u00e9e par un surcro\u00eet de consommation, n\u2019est pas un effet ind\u00e9sirable sur lequel il serait possible d\u2019avoir de l\u2019influence. Il est structurel, il est la cons\u00e9quence directe du fait que les syst\u00e8mes sont contraints d\u2019\u00eatre toujours aussi complexes que possible en fonction de leur capacit\u00e9 \u00e0 \u00eatre complexes, sans quoi ils sont simplement en d\u00e9faut voire \u00e9limin\u00e9s dans la comp\u00e9tition pour l\u2019existence.<\/p>\n\n\n\n

Le d\u00e9couplage entre le d\u00e9veloppement technologique et la consommation de ressources n\u2019est pas possible, nous le comprenons en rapprochant thermodynamique et comp\u00e9tition existentielle. Tout autre questionnement sur la protection de l’environnement est r\u00e9solu de la m\u00eame fa\u00e7on, rien de ce qui remettrait en cause la complexit\u00e9 ne peut advenir car si la stabilit\u00e9 est bien le but \u00e0 atteindre, elle n’est possible que lorsque dans la comp\u00e9tition toutes les solutions complexes sont \u00e9puis\u00e9es, sans quoi, \u00e9videmment, la stabilit\u00e9 pourrait \u00eatre contrari\u00e9e \u00e0 tout moment. Toute \u00e9conomie qui organiserait une d\u00e9croissance volontaire sans avoir consomm\u00e9 d\u2019abord tout ce qui lui est accessible risquerait la d\u00e9croissance forc\u00e9e par une autre qui profiterait des potentiels laiss\u00e9s libres.Le mod\u00e8le \u00e9conomique comp\u00e9titionnel<\/em> ne peut que continuer jusqu’\u00e0 ce que la d\u00e9croissance soit provoqu\u00e9e par ce qui d\u00e9passe toute forme d’\u00e9conomie : les forces de la nature.<\/p>\n\n\n\n

Globalement, tout espoir de moduler l\u2019\u00e9conomie ou les modalit\u00e9s de gouvernance pour \u00e9ventuellement modifier favorablement le cours de notre \u00e9volution est sp\u00e9culatif et construit sur une appr\u00e9ciation partielle du r\u00e9el\u00a0: ceux qui promeuvent la r\u00e9duction volontaire de la consommation \u00a0de ressources ou d\u2019\u00e9nergie oublient que cela atteindrait directement \u00e0 tout ou partie d\u2019une communaut\u00e9 humaine qui est demandeuse de ces ressources pour d\u00e9fendre sa propre existence. Les mod\u00e8les optimistes ou m\u00eame simplement volontaristes ne fonctionnent que dans leur communication, parce que dans le r\u00e9el la morale (emp\u00eacher intentionnellement des humains d\u2019exister pleinement\u00a0?) autant que l\u2019\u00e9quilibre des forces emp\u00eachent strictement une r\u00e9gulation b\u00e9n\u00e9fique sur le long terme (lire\u00a0Ecologie et totalit\u00e9<\/em>). Le verrouillage socio-technique n\u2019a aucune nature intentionnelle, la seule comp\u00e9tition existentielle l\u2019explique et les bonnes intentions ne r\u00e9futent pas la thermodynamique.<\/p>\n\n\n\n

Mais l\u2019analyse reste froide. Cette lecture m\u00e9caniste de la complexit\u00e9 dit trop peu encore du sentiment, de l\u2019expression int\u00e9rieure, subjective du g\u00e9n\u00e9ral qui prend la d\u00e9cision d\u2019envoyer ses troupes vers le front, de ce grand patron qui lance ce fameux nouveau produit r\u00e9volutionnaire qui va sauver la plan\u00e8te, du consommateur qui va acheter ce produit et qui, en toute sinc\u00e9rit\u00e9, aura l\u2019impression d\u2019avoir fait une bonne action.<\/p>\n\n\n\n

Nous n’avons pas d\u00e9velopp\u00e9 une \u00e9conomie du p\u00e9trole particuli\u00e8rement polluante pour servir les int\u00e9r\u00eats des grandes compagnies p\u00e9troli\u00e8res, ni pour cr\u00e9er aveugl\u00e9ment de la complexit\u00e9 ou parce que nos gesticulations \u00e9nergivores confirmaient que nous \u00e9tions de bons op\u00e9rateurs de la mission entropique universelle. Nous avons d\u00e9sir\u00e9<\/em> d\u00e9velopper cette \u00e9conomie.<\/p>\n\n\n\n

Nous nous sommes d\u2019abord r\u00e9jouis d’\u00eatre plus nombreux \u00e0 manger mieux. Nous avons \u00e9t\u00e9 ensuite rassur\u00e9s que nos enfants ne d\u00e9c\u00e8dent pas de maladies b\u00e9nignes, que nous puissions vivre plus longtemps que nos a\u00efeuls et nous avons investi comme mission morale d\u2019ordre sup\u00e9rieur l\u2019am\u00e9lioration de la sant\u00e9 de l\u2019humanit\u00e9 dans son ensemble. Nous avons \u00e9t\u00e9 fiers des cit\u00e9s nouvelles que nous avons b\u00e2ties, parfaitement et sinc\u00e8rement heureux de conduire notre nouvelle voiture, d\u2019offrir son nouveau jouet au petit dernier. Le d\u00e9veloppement des arts et de la culture sont pour nous les \u00e9tendards de notre accomplissement : nous, humains, sommes diff\u00e9rents, singuliers, rien de ce que nous op\u00e9rons ne saurait provenir d\u2019une autre motivation que celle de servir le projet intellectuel, moral et spirituel de l\u2019humanit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Et les formes de nos d\u00e9sirs sont aussi multiples que les plaisirs sinc\u00e8res que nous avons eus \u00e0 nous \u00e9lever gr\u00e2ce \u00e0 la disponibilit\u00e9 des ressources en liens potentiels.<\/p>\n\n\n\n

Qu\u2019ont ressenti notamment les explorateurs, lorsqu\u2019ils ont atteint les derni\u00e8res terres ignor\u00e9es, conquis les plus hostiles sommets, franchi la fronti\u00e8re de l\u2019espace ? N\u2019ont-ils pas chacun v\u00e9cu un moment de gr\u00e2ce, d\u2019orgueil honn\u00eate, non d\u2019avoir gagn\u00e9 quelque chose, mais d\u2019avoir ouvert une voie vers l\u2019esp\u00e9rance ? Avaient-t-ils seulement vu ou compris auparavant qu\u2019ils n\u2019entra\u00eenaient pas avec eux que la noblesse de l\u2019\u00e2me humaine, mais aussi son int\u00e9ressement narcissique ? Les financements des missions d\u2019exploration ne proviennent-ils pas souvent de ces m\u00eames qui vont ensuite exploiter industriellement ces territoires vierges autrefois ?<\/p>\n\n\n\n

La d\u00e9couverte de l\u2019inconnu \u2013 y compris le recensement des esp\u00e8ces vivantes, qui n\u2019ont que faire en v\u00e9rit\u00e9 que nous leur donnions des noms \u2013 reste la manifestation d\u2019une bienveillance humaniste, il s\u2019agit bien et encore d\u2019informer l\u2019humanit\u00e9 de ce que la complexit\u00e9 qui l\u2019entoure lui est potentiellement accessible, qu\u2019elle peut avec elle tisser un lien \u00e0 sa fa\u00e7on, s\u2019en enrichir, s\u2019en \u00e9merveiller perp\u00e9tuellement. Toujours lier, muer l\u2019inconnu en intelligence. Et qu\u2019importe si l\u2019intelligence qui perdure ne le peut que par l\u2019emprise et que de la beaut\u00e9 naturelle du monde nous en faisons syst\u00e9matiquement l\u2019instrument de la beaut\u00e9 artificielle telle que nous l\u2019attendons. C\u2019est bien l\u2019angoisse qui a motiv\u00e9 l\u2019explorateur, l\u2019angoisse inh\u00e9rente \u00e0 l\u2019absence de lien : que nous dit l\u2019ailleurs, que nous dit cet insu de l\u2019environnement ? N\u2019est-il pas hostile ? Ou s\u2019il est bienveillant peut-il nous aider \u00e0 pallier notre crainte de ne jamais \u00eatre assez s\u00fbrs de la qualit\u00e9 de notre inscription existentielle dans le monde ? Saurons-nous ma\u00eetriser l\u2019inconnu ?<\/p>\n\n\n\n

L\u2019explorateur est un instrument de la thermodynamique et apr\u00e8s le d\u00e9sir de l\u2019exploration, le bonheur qu\u2019il ressent \u00e0 la victoire n\u2019est que l\u2019expression d\u2019une demande globale qui ne lui appartient pas, il aura particip\u00e9 \u00e0 la maximisation de la dissipation de l\u2019\u00e9nergie en augmentant la quantit\u00e9 d\u2019information circulant dans le syst\u00e8me bio-anthropo-technique qui le glorifie d\u00e9sormais pour sa d\u00e9couverte.<\/p>\n\n\n\n

La qu\u00eate du savoir et du beau sont aussi des espoirs d\u2019apaisement, de stabilisation de la relation. La tension existentielle motive \u00e0 toute conqu\u00eate : tenter d\u2019atteindre la complexit\u00e9, quelle qu\u2019elle soit, pour s\u2019assurer ensuite de la stabilit\u00e9 des liens dans la comp\u00e9tition. Dans l\u2019ensemble la complexit\u00e9 physique du projet \u00e9conomique, social, culturel, l\u2019utopie qui nous attache \u00e0 ce projet en tant que nous attendons de lui \u00e0 la fois qu\u2019il soit performant et rassurant dans le lien pourrait effectivement trouver m\u00e9diation \u00e0 travers nos d\u00e9sirs, nos passions.<\/p>\n\n\n\n

Les tableaux des plus grands peintres, les musiques les plus envo\u00fbtantes, les romans les plus bouleversants, tout ce qui nous \u00ab\u00a0touche du dedans<\/em>\u00a0\u00bb, sans un mot et qui abolit la pr\u00e9sence \u00e0 soi au profit parfois de l\u2019envo\u00fbtement hypnotique n\u2019est-il pas aussi ce qui unit les c\u0153urs et les corps\u00a0? L\u2019ic\u00f4ne de la passion picturale ne motive-t-elle pas le monde entier \u00e0 voyager pour elle\u00a0? Le sourire ambivalent de Mona Lisa n\u2019est-il pas investi par une communaut\u00e9 humaine exceptionnellement r\u00e9unie non cette fois autour de valeurs mais autour d\u2019un absolu, d\u2019un attracteur aussi incompr\u00e9hensible que sublime\u00a0? L\u00e9onard de Vinci a peint l\u2019amour. Celui qu\u2019il avait pour le mod\u00e8le, sans doute, mais celui surtout qui s\u2019est transmis au-del\u00e0 de l\u2019atelier, pour plusieurs si\u00e8cles, \u00e0 des millions d\u2019humains. Ce portrait, dont la valeur est au-del\u00e0 de toute possible estimation est aussi un objet \u00e9conomique. Et si la Joconde est embl\u00e9matique, c\u2019est tout l\u2019art qui se joue dans la tentative de toucher directement au c\u0153ur pour exalter le geste d\u2019emprise, le geste de transformation du monde. Nous sommes en demande du d\u00e9tachement de la n\u00e9cessaire et finalement oppressante ma\u00eetrise au b\u00e9n\u00e9fice du transport de l\u2019\u00e2me. Nous portons lourd la relation \u00e0 l\u2019autre, \u00e0 la terre, aux ressources, nous savons, notre corps sait que rien de ce que nous op\u00e9rons n\u2019est sans impact. Notre demande envers l\u2019artiste n\u2019est pas sans attendre aussi quelqu\u2019absolution, au moins de nous tenir un instant au-del\u00e0 de nous, de nous affranchir de nous, des effets de ce que nous sommes. L\u2019offre, la demande, l\u2019\u00e9conomie de l\u2019art et de la culture se jouent dans un motif de complexification. Les \u0153uvres les plus ch\u00e8res ou les plus populaires \u2013 celles qui ont le plus de valeur pour l\u2019existence \u2013 sont possiblement celles qui participent le mieux \u00e0 la motivation humaine d\u2019agir sur le monde, en sublimant l\u2019agir. L\u2019\u0153uvre d\u2019art en devient l\u2019horizon de tout projet pour une communaut\u00e9. Si la guerre est motiv\u00e9e par l\u2019optimisation de la circulation des flux, chaque guerre a vis\u00e9 d\u2019abord en l\u2019autre combattu non de d\u00e9truire son art mais de se l\u2019approprier, de lui voler (lire\u00a0Isis profits from destruction of antiquities by selling relics to dealers<\/em>,\u00a0The Independant<\/em>). L\u2019artiste est un acteur politique, m\u00eame s\u2019il s\u2019en d\u00e9fend. Sa communaut\u00e9 d\u2019appartenance ne s\u2019appropriera son \u0153uvre que si elle participe \u00e0 la mise en valeur de l\u2019utopie, toujours celle de d\u00e9fendre la relation et de la valoriser au nom de sa performance. L\u2019artiste fait du lien, de la complexit\u00e9, l\u2019artiste est un dissipateur d\u2019\u00e9nergie.<\/p>\n\n\n\n

Les cars de touristes \u00e0 l\u2019entr\u00e9e du Louvre, les millions de CD de musique classique grav\u00e9s et distribu\u00e9s de par le monde et la foule de fans \u00e0 l\u2019entr\u00e9e du dernier festival de Rock Indus\u2019<\/em>, c\u2019est de la thermodynamique. La guitare \u00e9lectrique n\u2019est-elle pas le plus court chemin entre l\u2019extase et la centrale thermonucl\u00e9aire ?<\/p>\n\n\n\n

Nous pouvons d\u00e9cliner \u00e0 l\u2019infini la lecture thermodynamique de l\u2019\u00e9motion et, en g\u00e9n\u00e9ral, de la motivation \u00e0 vivre. Tout emballement du corps et de l\u2019esprit n\u2019aurait pour objectif que de cr\u00e9er et maintenir le lien, ce processus s\u2019op\u00e9rant toujours dans son optimisation afin d\u2019apaiser l\u2019angoisse, de fuir la solitude.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019ing\u00e9nieur qui a d\u00e9couvert comment concevoir des moteurs plus performants y a pris un authentique et sinc\u00e8re plaisir. C\u2019est m\u00eame la qu\u00eate de la satisfaction int\u00e9rieure qui l\u2019a pouss\u00e9 \u00e0 optimiser l\u2019agencement et la mobilit\u00e9 des pistons et des soupapes. Il n\u2019y a aucune ranc\u0153ur \u00e0 avoir contre lui. Si nous en avions eu les comp\u00e9tences, \u00e0 l\u2019\u00e9poque o\u00f9 (quasiment) personne ne se doutait des risques li\u00e9s au d\u00e9veloppement des moteurs thermiques, nous l\u2019aurions aid\u00e9 dans son travail, nous l\u2019avons fait d\u2019ailleurs en achetant des v\u00e9hicules toujours plus performants et en y prenant, nous aussi, \u00e0 chaque fois un plus grand plaisir. Le moteur thermique fait du lien, nous avons tous investi son d\u00e9veloppement pour ce que son utilisation palliait une part de notre angoisse existentielle en facilitant nos d\u00e9placements vers les diff\u00e9rentes alt\u00e9rit\u00e9s qui nous d\u00e9finissent et nous compl\u00e8tent.<\/p>\n\n\n\n

Si nos champions sportifs sont si vaillants et si nous les admirons pour leurs exploits, \u00e7a n\u2019est pas tant parce que nous voyons en eux des joules se d\u00e9grader, mais parce que nous saluons leur ma\u00eetrise de l\u2019emprise, cette emprise qui est notre seul acc\u00e8s \u00e0 ces ressources dont nous avons tant besoin. Et nous les accompagnons, nos sportifs, nous sommes fiers d\u2019eux, nous nous identifions \u00e0 eux, et tous ensemble, ces h\u00e9ros de l\u2019effort et nous-m\u00eames, peut-\u00eatre moins vaillants mais \u00f4 combien fascin\u00e9s, nous faisons lien, nous faisons corps. Alli\u00e9s, nous voyons notre communaut\u00e9 renforc\u00e9e, plus solide, plus fi\u00e8re, plus motiv\u00e9e pour travailler, en attendant avec f\u00e9brilit\u00e9 les prochains Jeux Olympiques ou la prochaine coupe du Monde, qui viendront peut-\u00eatre attester de notre capacit\u00e9 \u00e0 rester forts, solidaires, li\u00e9s par notre mainmise commune sur le r\u00e9el pour qu\u2019il ne nous \u00e9chappe pas et ne brise pas nos liens, tant symboliques que concrets.<\/p>\n\n\n\n

Nos ordinateurs, smartphones, tablettes, ne sont pas pour nous les n\u0153uds d\u2019un grand r\u00e9seau de circulation d\u2019information qui constitueraient des points de circulation de data. Ils sont des interfaces que nous avons d\u00e9sir\u00e9es \u2013 ou qui nous ont domestiqu\u00e9s \u2013 pour ce qu\u2019elles nous permettent de faire mieux encore ce que nous avons toujours appr\u00e9ci\u00e9 faire (et que nous h\u00e9ritons de nos anc\u00eatres animaux) : exercer un ascendant sur le monde en nous le rendant disponible et suppos\u00e9ment avili tout en le tenant \u00e0 distance, l\u2019interface nous prot\u00e9geant physiquement de l\u2019\u00e9ventuel d\u00e9saccord de ce monde quant \u00e0 ce que nous lui demandons d\u2019ex\u00e9cuter. L\u2019autre, gr\u00e2ce \u00e0 nos outils de communication, est toujours l\u2019autre que nous aimons (notre famille, nos amis, nos relations professionnelles\u2026), mais l\u2019interface nous prot\u00e8ge de nos erreurs respectives dans l\u2019\u00e9tablissement et le maintien du lien.<\/p>\n\n\n\n

Le territoire num\u00e9rique, dans son ensemble, peut \u00eatre vu comme une extension du territoire o\u00f9 notre \u00e9prouv\u00e9 se d\u00e9ploie naturellement, d\u00e9velopp\u00e9 pour son principal avantage : il \u00e9loigne l’autre sur lequel on agit, rendant moins risqu\u00e9 l’exercice de l’emprise. Ses principaux d\u00e9fauts \u00e9tant la d\u00e9pendance, si en effet nous sommes domestiqu\u00e9s, et le potentiel limit\u00e9 : l’\u00e9nergie, les ressources n\u00e9cessaires au maintien des r\u00e9seaux de communication vont manquer. Les fronti\u00e8res des territoires num\u00e9riques seront moins fiables et moins p\u00e9rennes que les remparts m\u00e9di\u00e9vaux.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019\u00e9criture de ce texte participe aussi au processus dissipatif. Il y a bien intention d\u2019alimenter le syst\u00e8me en informations afin d\u2019inscrire une d\u00e9marche dans un contexte de relation qui pourrait valider ce qu\u2019est son auteur en tant qu\u2019humain participant au processus, auteur d\u2019autant moins craintif de la perte du lien que son texte trouverait \u00e9cho et validit\u00e9. La critique des propositions faites participerait aussi \u00e0 la complexification, de m\u00eame que leur rejet, auquel cas l\u2019auteur serait d\u2019ailleurs motiv\u00e9 \u00e0 perfectionner son travail pour rester au mieux acteur de la complexit\u00e9. Il s\u2019agirait bien toujours, dans la comp\u00e9tition et pour entretenir l\u2019hom\u00e9ostasie \u00e9motionnelle de l\u2019auteur et du lecteur, d\u2019optimiser la circulation des informations (le flux \u00e9nerg\u00e9tique) en ne s\u00e9lectionnant que les meilleures, les plus performantes pour maintenir ensemble le syst\u00e8me parfaitement tendu entre la complexit\u00e9 et la stabilit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Tenter de s\u2019opposer au processus le renforce donc \u00e9galement. Ce que nous\u00a0d\u00e9sirons<\/em>\u00a0le plus au monde, emp\u00eacher l\u2019entropie, la perte de complexit\u00e9, le d\u00e9litement des informations\u00a0d\u00e9finissantes<\/em>\u00a0soit la fin du monde humain \u00e0 terme, cela tout autant semble r\u00e9gul\u00e9 de l\u2019ext\u00e9rieur, et nos d\u00e9sirs dans la comp\u00e9tition nous entra\u00eeneraient tous contre notre gr\u00e9 dans le\u00a0pi\u00e8ge de l\u2019existence<\/em>.<\/p>\n\n\n\n

Sauver le monde\u00a0?<\/h2>\n\n\n\n

Nous sommes angoiss\u00e9s de notre d\u00e9couverte, si tardive, qu’un d\u00e9veloppement infini dans un monde fini ne soit pas possible. Nous sommes angoiss\u00e9s parce que le r\u00e9el montre la fin de la potentialit\u00e9 de liaison, r\u00e9exposant le risque de la solitude absolue, le risque de la mort. Et nous essayons de comprendre, mesurer, modifier nos comportements, ce qui produit aussi de l’information et de la complexit\u00e9, qui participe autant que toute autre activit\u00e9 \u00e0 la dissipation de l’\u00e9nergie, \u00e0 l\u2019exploitation des ressources.<\/p>\n\n\n\n

Effectuer de la recherche fondamentale, parfaitement th\u00e9orique, qui para\u00eet aussi gratuite pour la nature qu\u2019elle n\u00e9cessite l\u2019abn\u00e9gation du chercheur, c\u2019est encore complexifier le syst\u00e8me. C’est exercer une emprise sur le r\u00e9el, sur l\u2019information qui le constitue, qui n\u2019en est pas extraite sans effet sur lui. Concevoir de nouveaux cadres th\u00e9orique, de nouveaux mod\u00e8les plus performants, c\u2019est participer \u00e0 l\u2019enrichissement des motifs de composition du lien. \u00c7a n\u2019est pas r\u00e9duire ni l\u2019activit\u00e9 ni l\u2019impact de l\u2019humanit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Ne nous trompons pas. Nous ne parlons pas d\u2019\u00e9cologie pour tenter de sauver quoi que ce soit. Nous nous accrochons aux informations qui nous proviennent du monde et qui nous disent que les potentialit\u00e9s de lien vont se r\u00e9duire. Nous avons entropis\u00e9<\/em> la biosph\u00e8re, elle ne peut plus assumer notre complexification, pour autant nous devons traiter les donn\u00e9es disponibles, en subalternes structures dissipatives que nous sommes. M\u00eame si notre intention est juste, les informations passent malgr\u00e9 tout par des cerveaux d\u2019autant plus intelligents qu\u2019ils sont bien nourris, cultiv\u00e9s, appartenant \u00e0 des soci\u00e9t\u00e9s riches et destructrices, utilisant des outils de communication d\u2019autant plus performants qu\u2019ils consomment p\u00e9trole et charbon. Produire du contenu, quelles que soient sa forme et sa qualit\u00e9, sur le risque \u00e9cologique participe au risque \u00e9cologique, le simple fait de consid\u00e9rer l\u2019information que la fin est potentiellement proche participe au processus dissipatif qui fait approcher la fin. La culture de l\u2019\u00e9cologie est un \u00e9v\u00e8nement de l\u2019histoire mais elle n\u2019en change pas les r\u00e8gles, et ses acteurs y trouvent b\u00e9n\u00e9fice : celui de la noblesse d\u2019\u00e2me d\u2019avoir expertis\u00e9 le pire, d\u2019avoir pr\u00e9venu l\u2019humanit\u00e9, quitte \u00e0 endosser le r\u00f4le d\u2019inaudible Cassandre, mais toujours, toujours pour conserver le lien, malmen\u00e9 par la prise de conscience mais possible encore et r\u00e9compens\u00e9 par la gloriole d\u2019avoir dit la v\u00e9rit\u00e9\u2026 c\u2019est peut-\u00eatre d\u2019ailleurs aujourd\u2019hui la seule et derni\u00e8re fa\u00e7on de se lier au monde de fa\u00e7on honn\u00eate : dire la v\u00e9rit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Pour \u00ab sauver la plan\u00e8te \u00bb, nous devrions (nous aurions d\u00fb), retrouver et maintenir un niveau de vie au plus proche de celui des chasseurs cueilleurs que nous \u00e9tions autrefois. Mais qui saurait r\u00e9duire son niveau de vie et ses potentialit\u00e9s d\u2019existence au c\u0153ur d\u2019une soci\u00e9t\u00e9 globale qui, elle, ne modifie en rien sa trajectoire ? Que signifierait aujourd\u2019hui \u00eatre un chasseur cueilleur \u2013 ou m\u00eame un permaculteur<\/em> \u2013 sans autre revenu vivrier que celui du labeur puisque le commerce avec le monde moderne et polluant serait proscrit, au c\u0153ur d\u2019un r\u00e9seau de m\u00e9gapoles qui taillade d\u2019autoroutes une campagne percluse de monoculture ?<\/p>\n\n\n\n

Il y aura toujours des plus motiv\u00e9s que d\u2019autres pour clamer qu\u2019il faut \u00ab\u00a0changer les choses\u00a0\u00bb et \u00eatre persuad\u00e9s que les choses changeront. Cela se dit beaucoup en ce moment, de plus en plus, \u00e0 tous les niveaux de la soci\u00e9t\u00e9. Cela se disait d\u00e9j\u00e0 il y a cinq ans. Il y a vingt ans, trente ans aussi,\u00a0Dennis Meadows\u00a0l\u2019a demand\u00e9 au monde d\u00e8s 1972 et quand\u00a0Jean-Baptiste de Lamarck\u00a0le souhaitait d\u00e8s 1820. Mais rien n\u2019a jamais chang\u00e9. Nos discours n\u2019ont potentiellement rien \u00e0 voir avec la r\u00e9alit\u00e9 et ce texte, comme\u00a0l\u2019Essai Sur La Raison de Tout<\/em>, participeront \u00e9ventuellement \u00e0 comprendre pourquoi. L\u2019espoir n\u2019est pas une ouverture vers des possibles salvateurs, il est le catalyseur de possibles in\u00e9luctablement destructeurs (lire\u00a0:\u00a0L\u2019espoir, ce nouvel obscurantisme<\/em>).<\/p>\n\n\n\n

Le postulat que l\u2019humanit\u00e9 soit capable de d\u00e9cision rationnelle devant la probl\u00e9matique environnementale n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 d\u00e9montr\u00e9 et il faut se garder de lui faire confiance. Si notre passion \u00e0 demander le changement n\u2019est pas r\u00e9compens\u00e9e c\u2019est peut-\u00eatre parce que la motivation de nos passions n\u2019est pas de nous sauver mais de valoriser notre existence, immanquablement consommatrice de liens potentiels, dont la disponibilit\u00e9 est indubitablement limit\u00e9e. L\u00e2cher prise volontairement serait bien plus angoissant qu\u2019attendre que des \u00e9l\u00e9ments ext\u00e9rieurs nous y contraignent, et face au risque d\u2019\u00eatre exclus du syst\u00e8me, que nous sommes pourtant si nombreux \u00e0 bl\u00e2mer exclusivement pour une responsabilit\u00e9 que nous partageons pourtant tous, il semble bien que nous ayons simplement tous\u00a0\u00ab\u00a0beaucoup moins peur de mourir que de ne pas exister.\u00a0\u00bb<\/em>\u00a0(Le pi\u00e8ge de l\u2019existence<\/em>, page 63).<\/p>\n\n\n\n

Renoncer\u00a0?<\/h2>\n\n\n\n

Bien que je me soumette intellectuellement aux implacables lois de la thermodynamique, aux lois de l\u2019\u00e9volution et que je sois convaincu que toute activit\u00e9 et pens\u00e9e humaine est exactement et parfaitement d\u00e9termin\u00e9e par ces lois, je ne me r\u00e9sous pas, ni ne parviens de toute fa\u00e7on \u00e0 m\u2019affranchir de mes sentiments, de mes \u00e9motions.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019acceptation de la soumission \u00e0 des lois sup\u00e9rieures n\u2019est par ailleurs en rien l\u2019abandon pusillanime de toute ligne de conduite. C\u2019est au contraire retrouver dans la Loi l\u2019ordre naturel des choses, la place, la l\u00e9gitimit\u00e9 de chaque chose. C\u2019est accepter que si le combat est vain devant l\u2019entropie, il est noble pour la complexit\u00e9, pour la richesse, pour la beaut\u00e9. C\u2019est lire, relire dans les r\u00e8gles de la communaut\u00e9 qu\u2019il en est de plus honorables que d\u2019autres et que si la\u00a0dichotomie \u00e0 l\u2019axe<\/em>\u00a0implique de ne jamais pouvoir atteindre la r\u00e9alisation compl\u00e8te des projets moraux les plus louables cela n\u2019interdit pas, restaure peut-\u00eatre m\u00eame la possibilit\u00e9 de l\u2019honn\u00eatet\u00e9, de la dignit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019admission d\u2019un absolu solide, parfaitement ordonn\u00e9, non th\u00e9ologique mais qui comprend et l\u00e9gitime la foi (lire\u00a0Essai Sur la Raison de Tout<\/em>, chapitre 8\u00a0:\u00a0M\u00e9taphysique et illusions<\/em>) s\u2019oppose au d\u00e9litement contemporain des valeurs, au confusionnisme conceptuel et politique, \u00e0 la m\u00e9diocrit\u00e9 intellectuelle et culturelle. Nous ne construirons jamais le monde parfait que nous d\u00e9sirons, c\u2019est ce qui est \u00e9crit, mais le combat reste juste. La fatalit\u00e9 rend la morale insipide pour le monde mais ne l\u2019abolit pas pour l\u2019individu, pas pour l\u2019humain, pas pour l\u2019humanit\u00e9. Les forces du bien et les forces du mal s\u2019opposeront toujours autour d\u2019un imperturbable projet universel qui n\u2019a que faire du bien et du mal. Pour autant, mon choix est fait et je choisis des possibles qui restent ceux qui procureront quelque fiert\u00e9. Si, en particulier et comme je le pense, expliquer notre incapacit\u00e9 constat\u00e9e \u00e0 nous sauver de l\u2019\u00e9cueil \u00e9cologique est la voie vers notre v\u00e9rit\u00e9, participer \u00e0 cette ambition ne sera pas un d\u00e9shonneur.<\/p>\n\n\n\n

Aucun renoncement, au contraire m\u00eame, l\u2019acceptation de ce que nous sommes* et l’adaptation au d\u00e9finitif d\u00e9clin sont les plus grands d\u00e9fis qui se pr\u00e9senteront jamais.<\/p>\n\n\n\n

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