{"id":1499,"date":"2015-12-01T19:58:49","date_gmt":"2015-12-01T19:58:49","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=1499"},"modified":"2022-11-18T19:59:16","modified_gmt":"2022-11-18T19:59:16","slug":"decembre-2015-desir-deffet-holographique-et-inachevement-du-regard","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/decembre-2015-desir-deffet-holographique-et-inachevement-du-regard\/","title":{"rendered":"D\u00e9cembre 2015 – D\u00e9sir d’effet holographique et inach\u00e8vement du regard"},"content":{"rendered":"\n

\u00c9vanescence des images, intangibilit\u00e9 spatiale et pr\u00e9carit\u00e9 du visible<\/h2>\n\n\n\n

L\u2019\u00e9vanescence des images, l\u2019intangibilit\u00e9 spatiale et la pr\u00e9carit\u00e9 du visible sont des effets que certains artistes visuels, m\u00e9diatiques ou sc\u00e9niques cherchent aujourd\u2019hui \u00e0 atteindre par d\u2019autres moyens que les \u00ab\u00a0vrais\u00a0\u00bb proc\u00e9d\u00e9s d\u2019enregistrement holographique (utilisant la micro-optique et la lumi\u00e8re laser). En observant quelques productions r\u00e9centes, non holographiques mais y faisant penser, on s\u2019aper\u00e7oit bien qu\u2019il existe un regain d\u2019int\u00e9r\u00eat pour la fragilit\u00e9 du statut de l\u2019image, les figures d\u2019instabilit\u00e9 des choses, les structures invisibles, les \u00e9tats d\u2019apparition et disparition lumineuse, l\u2019\u00e9vanescence ou l\u2019insaisissabilit\u00e9 des apparences\u00a0; c\u2019est-\u00e0-dire pour bien des qualit\u00e9s qui sont typiquement holographiques. Ayant moi-m\u00eame largement explor\u00e9 le m\u00e9dium holographique1<\/sup>\u00a0en tant que chercheur-cr\u00e9ateur, je me suis attard\u00e9 \u00e0 mieux comprendre la dynamique sp\u00e9cifique de ces images\u00a0apparaissantes<\/em>, toujours coextensives \u00e0 l\u2019acte m\u00eame de \u00ab\u00a0regarder\u00a0\u00bb. Je propose dans ce texte d\u2019en faire une interpr\u00e9tation esth\u00e9tique dans laquelle notre d\u00e9sir de d\u00e9sincarnation des corps, d\u2019\u00e9vanescence de la r\u00e9alit\u00e9 et d\u2019immat\u00e9rialit\u00e9 du monde, pousserait imperceptiblement un pan de l\u2019art visuel et sc\u00e9nique d\u2019aujourd\u2019hui \u00e0 prendre les effets esth\u00e9tiques de l\u2019image holographique comme mod\u00e8le. Je sugg\u00e8re alors, en cons\u00e9quence, que notre \u00e9poque est d\u00e9j\u00e0 entr\u00e9e dans le r\u00e9gime d\u2019une esth\u00e9tique holographique des images2<\/sup>\u00a0\u2013 au moins au niveau m\u00e9taphorique \u2013 par association des technologies photo et vid\u00e9onum\u00e9riques \u00e0 celles d\u00eetes photoniques, et que cela correspond \u00e0 l\u2019\u00e9mergence d\u2019une expressivit\u00e9 embl\u00e9matique de l\u2019inach\u00e8vement du regard que l\u2019on pose dor\u00e9navant sur le monde dans sa complexit\u00e9 visible et invisible, mat\u00e9rielle et immat\u00e9rielle.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

Ce regard en train de faire apparaitre l\u2019image<\/h2>\n\n\n\n

L\u2019alternance d\u2019apparition et de disparition des images lumineuses holographiques correspond extr\u00eamement bien \u00e0 l\u2019id\u00e9e que l\u2019on se fait g\u00e9n\u00e9ralement de l\u2019\u00e9vanescent. Qu\u2019il soit lumineux, sonore, atmosph\u00e9rique, cr\u00e9pusculaire ou \u00e9nerg\u00e9tique, l\u2019\u00e9vanescent semble toujours se caract\u00e9riser par ce qui est sur un seuil, au bord t\u00e9nu d\u2019un \u00e9tat en devenir, dans le domaine de l\u2019\u00e9ph\u00e9m\u00e8re, de l\u2019intangible ou de l\u2019insaisissable.<\/p>\n\n\n\n

Or les qualit\u00e9s esth\u00e9tiques propres \u00e0 l\u2019image holographique sont principalement associ\u00e9es \u00e0 une voluminosit\u00e9 transparente, une co-\u00e9mergence dynamique du regard, \u00e0 une \u00e9manation purement lumineuse et \u00e0 une ambigu\u00eft\u00e9 spatiale des formes. Depuis la r\u00e9alisation de mon tout premier hologramme (Tranche d\u2019espace-temps<\/em>, 1984), apr\u00e8s avoir observ\u00e9 les r\u00e9actions mitig\u00e9es de bien du monde, j\u2019ai progressivement \u00e9mis l\u2019hypoth\u00e8se que l\u2019exp\u00e9rience perceptive donn\u00e9e par ce type d\u2019images d\u00e9voile sans doute trop bien la fugacit\u00e9 de nos impressions r\u00e9tiniennes, la pr\u00e9carit\u00e9 de nos perceptions sensorielles et, donc, l\u2019incertitude des images que nous construisons pour mieux repr\u00e9senter le monde. La perte de r\u00e9alit\u00e9 ressentie \u00e0 travers leur non tangibilit\u00e9, par exemple, vient troubler nos acquis cognitifs entrela\u00e7ant habituellement haptique et optique. Mais je crois, en revanche, qu\u2019elle \u00e9veille l\u2019esprit \u00e0 une compr\u00e9hension subtile de la r\u00e9alit\u00e9 que les sciences nous ont habitu\u00e9 \u00e0 concevoir \u00e0 partir de concepts d\u2019incertitude, d\u2019indissociabilit\u00e9 du temps et de l\u2019espace, de relativit\u00e9 des limites entre mati\u00e8re et \u00e9nergie, et de configuration multiples \u00e0 dimensions cach\u00e9es. Repensant \u00e0 l\u2019id\u00e9e de configuration, plut\u00f4t que celle de repr\u00e9sentation, utilis\u00e9e par\u00a0Erwin Schr\u00f6dinger\u00a0(1951)3<\/sup>\u00a0pour d\u00e9finir la nature transitoire et relative que la physique quantique apporte \u00e0 notre vision du monde, je con\u00e7ois parfaitement comment l\u2019espace \u00e9vanescent de l\u2019image holographique puisse servir de formidable m\u00e9taphore visuelle et conceptuelle pour faire ressentir les limites de notre appr\u00e9hension du monde, et par cons\u00e9quent la fragilit\u00e9 des images que nous en faisons. Les images que nous fabriquons \u00e0 un moment donn\u00e9 de l\u2019histoire des techniques pour repr\u00e9senter le monde, sont toujours des indications importantes de la mani\u00e8re dont on comprend celui-ci. En particulier, voir une image dans toutes ses modalit\u00e9s formelle, plastique et technique, c\u2019est aussi se laisser porter par la configuration cognitive que l\u2019on tisse collectivement entre la lumi\u00e8re, la conception que l\u2019on en a, la valeur qu\u2019on lui conf\u00e8re que l\u2019utilisation que l\u2019on en fait.<\/p>\n\n\n\n

Les vrais hologrammes, ceux qui agissent comme des lentilles de diffraction de la lumi\u00e8re blanche et dont l\u2019information tridimensionnelle est enregistr\u00e9e gr\u00e2ce aux interf\u00e9rences spatiotemporelles d\u2019ondes de lumi\u00e8re laser, portent d\u00e9j\u00e0 en eux une autre forme de repr\u00e9sentation conceptuelle du monde, celle h\u00e9rit\u00e9e des hypoth\u00e8ses de la physique quantique, celle qui nous parle d\u2019un espace-temps continu et non-localis\u00e9 en particulier. En ce sens, les images holographiques n\u2019ont rien \u00e0 voir avec la photographie, avec leur fragmentation spatiale et leur r\u00e9duction temporelle. Ainsi, l\u2019exp\u00e9rience esth\u00e9tique que nous donne \u00e0 vivre les images holographiques ne peuvent que nous aider \u00e0 nous projeter dans le futur, mais comment ? Je consid\u00e8rerai essentiellement ce \u00ab\u00a0regard en train de faire appara\u00eetre les images\u00a0\u00bb, ce qui correspond plus ou moins \u00e0 ce que\u00a0Georges Didi-Huberman\u00a0appelle les images apparaissantes (didi-Huberman, 1997), alors que l\u2019espace de perception holographique est v\u00e9ritablement expressif de la rencontre dynamique, active mais fragile, que notre regard effectue \u00e0 chaque instant avec le flux optique \u00e9manant.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

On ne peut nier, en effet, que l\u2019holographie poss\u00e8de dans son principe sp\u00e9cifique de visualisation quelque chose de purement ph\u00e9nom\u00e9nal. Et cette ph\u00e9nom\u00e9nalit\u00e9, en r\u00e9v\u00e9lant les limites de notre syst\u00e8me de perception visuelle, fait subtilement \u00e9merger \u00e0 notre conscience la face cach\u00e9e de la puissance d\u2019affichage num\u00e9rique\u00a0: la fragilit\u00e9 des images et l\u2019inach\u00e8vement constant du regard que celles-ci encouragent dor\u00e9navant \u00e0 porter sur le monde. Un monde de mutations et de fluctuations. Un monde devenu instable \u00e0 nos yeux. D\u00e9j\u00e0 en 1994,\u00a0Anne Sauvageot\u00a0d\u00e9tectait ce rapport ind\u00e9niable entre\u00a0l\u2019\u00e9volution des mani\u00e8res de faire des images et la physique de la lumi\u00e8re:\u00a0<\/p>\n\n\n\n

\u00ab\u00a0L\u2019image en investissant la forme de l\u2019onde, en \u00e9pouse les comportements. (\u2026) De m\u00eame que le rayon lumineux euclidien \u00e9tait au diapason d\u2019un logos et d\u2019une plastique de la mesure, que la dioptrique cart\u00e9sienne \u00e9tait en harmonie avec la perspective lin\u00e9aire, de m\u00eame la th\u00e9orie quantique de la lumi\u00e8re est \u00e0 son tour \u2013 au dernier terme de ce triptyque \u2013 exemplaire de l\u2019aventure du regard contemporain sur un monde d\u00e9sormais al\u00e9atoire. Au comportement \u00e9trange des photons, il n\u2019est sans doute pas incoh\u00e9rent d\u2019associer, ne serait-ce que de fa\u00e7on m\u00e9taphorique, les \u00ab\u00a0aberrations\u00a0\u00bb morphog\u00e9n\u00e9tiques d\u2019un nouvel imaginaire visuel.\u00a0\u00bb (Sauvageot, 1994, p. 184)<\/p>\n\n\n\n

Ainsi, on ne peut douter que les arts de l\u2019image num\u00e9rique, autant que de l\u2019image holographique, soient porteurs d\u2019une nouvelle ph\u00e9nom\u00e9nologie de la perception m\u00e9diatis\u00e9e. Dans ce contexte, l\u2019\u00e9vanescence propre \u00e0 l\u2019image holographique devient assez embl\u00e9matique d\u2019une sensibilit\u00e9 esth\u00e9tique contemporaine de l\u2019\u00e8re de l\u2019informationnel, c\u2019est-\u00e0-dire du signe toujoursinachev\u00e9 car constamment en phase d\u2019actualisation algorithmique (pour le num\u00e9rique), de d\u00e9ploiement diffractif (pour l\u2019holographique).<\/em> Mais alors que cet inach\u00e8vement visuel du signe info-\u00e9lectronique laisse sous-entendre que c\u2019est de la faute de la nature technologique du m\u00e9dium lui-m\u00eame, l\u2019ambivalence de la perception holographique et la sensation d\u2019inach\u00e8vement qui en r\u00e9sulte d\u00e9voile plut\u00f4t l\u2019imperfection de notre syst\u00e8me visuel et nos limites cognitives cons\u00e9quentes. En ce sens, on peut dire que l\u2019exp\u00e9rience visuelle, haptique et kinesth\u00e9sique des hologrammes est un d\u00e9clencheur esth\u00e9tique qui met en relief ce qui, en nous, est un peu fragile, l\u00e0 o\u00f9 les exp\u00e9riences physiques et psychologiques de la lumi\u00e8re s\u2019entrem\u00ealent et b\u00e2tissent en bonne partie notre relation cognitive avec le r\u00e9el. Si on y est attentif, l\u2019exp\u00e9rience de l\u2019\u00e9vanescence holographique peut r\u00e9v\u00e9ler (mettre en lumi\u00e8re) la facette vacillante et pr\u00e9caire que notre regard \u00e9tablit in\u00e9vitablement avec l\u2019espace du visible.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019image holographique imagin\u00e9e\u00a0:<\/h2>\n\n\n\n

On dit que l\u2019holographie comme forme d\u2019art a \u00e9t\u00e9 autant victime de son image fantasm\u00e9e, c\u2019est-\u00e0-dire d\u2019un imaginaire issu de la litt\u00e9rature et du cin\u00e9ma de science-fiction, que du formidable essor des technologies num\u00e9riques et de t\u00e9l\u00e9communication. Mais observons de plus pr\u00e8s leur\u00a0modus operandi<\/em>, du point de vue de la r\u00e9alit\u00e9 de leur r\u00e9ception visuelle autant que de l\u2019affabulation que l\u2019on en fait.<\/p>\n\n\n\n

\u00c9manation fantasmatique et archi-ressemblance<\/h2>\n\n\n\n

En regardant les hologrammes pr\u00e9sent\u00e9s dans les expositions, qu\u2019elles soient artistiques ou non, on s\u2019aper\u00e7oit rapidement qu\u2019il y a plus ou moins un rituel de visualisation qui lui est associ\u00e9, de m\u00eame qu\u2019il y en a un au cin\u00e9ma ou devant un \u00e9cran de t\u00e9l\u00e9vision. Tout d\u2019abord, l\u2019hologramme s\u2019adresse bien plus \u00e0 l\u2019individu qu\u2019au groupe, et la d\u00e9limitation restreinte du champ de visibilit\u00e9 de l\u2019image donne l\u2019impression au spectateur de regarder au travers d\u2019une fen\u00eatre ou d\u2019un trou dans une surface. Sauf que ce qui y est \u00e0 voir, d\u00e9borde bien souvent du cadre. De plus, on ne peut \u00e9viter de voir les limites de la zone d\u2019apparition de l\u2019image, derri\u00e8re ou autour, et donc le support. \u00c0 cela se rajoute la dynamique visuelle de va-et-vient, mouvements de corps, de t\u00eate et des yeux, rappelant l\u2019attitude du voyeur. Mais on s\u2019attend \u00e0 bien plus encore, en particulier au \u00ab\u00a0no limits\u00a0\u00bb du champ de visualisation. Il faut effectivement \u00eatre conscient de l\u2019existence d\u2019un imaginaire de l’image holographique provenant de l\u2019attente de ce que devrait \u00eatre un hologramme, lib\u00e9r\u00e9 de toute contrainte physique, et m\u00eame de tout dispositif d\u2019\u00e9clairage. Bizarrement, on s\u2019attend \u00e0 ce qu\u2019elle paraisse \u00ab\u00a0naturelle\u00a0\u00bb quoique fantomatique. Bien ancr\u00e9e dans l’esprit populaire de la culture de science-fiction, par le biais de la litt\u00e9rature et du cin\u00e9ma, cette holographie imagin\u00e9e est trop attendue. Ce faisant, celle-ci est d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9sente parmi nous sans que la technologie actuelle ne permette pourtant d’atteindre cette puissance r\u00eav\u00e9e d’une simulation tridimensionnelle, anim\u00e9e, et flottant totalement dans notre espace de perception visuelle. Le \u00ab\u00a0pas assez\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>de l\u2019holographie r\u00e9elle est alors point\u00e9 du doigt, car il confronte le regardeur \u00e0 son d\u00e9sir inassouvi et \u00e0 une esp\u00e8ce d\u2019incompl\u00e9tude, et le pousse vers des simili-hologrammes. Ce que\u00a0Nicolas A. Brun\u00a0(2007) appelle\u00a0l\u2019hologramme bidouill\u00e9\u00a0<\/em>en parlant du travail vid\u00e9ographique du Fran\u00e7ais\u00a0Pierrick Sorin\u00a0que lui-m\u00eame nomme plut\u00f4t \u00ab\u00a0th\u00e9\u00e2tre optique\u00a0\u00bb comme pour son \u0153uvre\u00a0Variable No 1 \u2013 le cousin.<\/em><\/p>\n\n\n\n

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Le cousin<\/em>, Pierrick Sorin, vid\u00e9o, optique, bois, miroir, tourne-disque, \u00e9cran de t\u00e9l\u00e9vision, 2008<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

L\u2019hologramme sert bien souvent de leitmotiv publicitaire. M\u00e9connu du grand public, le mot \u00ab\u00a0hologramme\u00a0\u00bb effraie, \u00e9tonne, provoque l\u2019admiration, la fascination, et il est trop souvent utilis\u00e9 pour qualifier tout et parfois n\u2019importe quoi. L\u2019art n\u2019\u00e9chappe pas \u00e0 la r\u00e8gle et fabrique \u00e0 pr\u00e9sent nombre de simulacres des illusions qu\u2019il cr\u00e9a jadis. (Brun, 2007, p. 117)\u00a0<\/p>\n\n\n\n

David Pizanelli\u00a0(1992) souligne bien \u00e0 quel point l\u2019hologramme, tel qu\u2019il est per\u00e7u par le grand public, est devenu mythique. Un mythe correspondant \u00e0 un besoin psychologique de masse mais qui s\u2019enracine de plus en plus dans la vision d\u2019une esth\u00e9tique contemporaine, alors que les technologies utilis\u00e9es proviennent plut\u00f4t des effets illusionnistes par projection d\u2019images 2D sur \u00e9cran semi-transparent, ou d\u2019effets sp\u00e9ciaux cin\u00e9matographiques, ou encore des montages optiques comportant verres, miroirs ou ac\u00e9tates en multicouches. Il existe donc bien une\u00a0image de l\u2019image holographique<\/em>. Et cet imaginaire, devenu dor\u00e9navant culturel, signifie quelque chose de fort int\u00e9ressant. Prenant appui sur quelques exemples cin\u00e9matographiques, et m\u00eame t\u00e9l\u00e9visuels, Pizanelli parle clairement\u00a0du besoin psychologique qui serait combl\u00e9 par les hologrammes fictionnels hors de toute imposition d\u2019authenticit\u00e9 technique. L\u2019hologramme serait alors comme l\u2019avion et la fus\u00e9e, c\u2019est-\u00e0-dire un m\u00e9dium moderne au sens donn\u00e9 par\u00a0McLuhan\u00a0\u00e0 ce terme, dont l\u2019invention aura \u00e9t\u00e9 pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 par le r\u00eave que les humains en ont fait\u00a0:<\/p>\n\n\n\n

The striking agreement and consistency within the different portrayals of fictional holograms in different films and programs on TV, and the large number that have been represented, has resulted in a notion of a mythical hologram, which has, in recent years, become subtly infused into the popular concept of what constitutes a real hologram, so that the word \u00ab\u00a0Hologram\u00a0\u00bb has a cultural significance over and beyond the literal dictionary definition (…). (Pizzanelli, 1992, p. 430-437)\u00a0<\/p>\n\n\n\n

D\u2019ailleurs, c\u2019est surtout lorsque l\u2019holographie plonge dans des explorations figuratives proches de la photographie r\u00e9aliste qu\u2019elle est devanc\u00e9e par son effigie fantasmatique.\u00a0Jacques Ranci\u00e8re\u00a0(2003), r\u00e9fl\u00e9chissant au\u00a0destin des images<\/em>, nous met d\u2019ailleurs sur une piste fort int\u00e9ressante en essayant de d\u00e9m\u00ealer ce qui, dans la photographie face aux notions de ressemblance et de non ressemblance, semble poser probl\u00e8me \u00e0 nos contemporains si obnubil\u00e9s par l\u2019indicialit\u00e9 des objets et de leurs traces tangibles. Ombres, reflets, fum\u00e9es, empreintes, photographies et hologrammes analogiques\u2026 proc\u00e8dent de ce m\u00eame app\u00e9tit pour le t\u00e9moignage du r\u00e9el comme autant de ready-made de l\u2019image.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

L\u2019archi-ressemblance, c\u2019est la ressemblance originaire, la ressemblance qui ne donne pas la r\u00e9plique d\u2019une r\u00e9alit\u00e9 mais t\u00e9moigne imm\u00e9diatement de l\u2019ailleurs d\u2019o\u00f9 elle provient. Cette archi-ressemblance, c\u2019est cela l\u2019alt\u00e9rit\u00e9 que nos contemporains revendiquent au compte de l\u2019image ou dont ils d\u00e9plorent qu\u2019elle ne se soit \u00e9vanouie avec elle [\u2026]. Et elle [la photographie] est d\u00e9sormais per\u00e7ue, face aux artifices picturaux, comme l\u2019\u00e9manation m\u00eame d\u2019un corps, comme une peau d\u00e9tach\u00e9e de sa surface, rempla\u00e7ant positivement les apparences de la ressemblance et d\u00e9routant les entreprises du discours qui veut lui faire exprimer une signification. (Ranci\u00e8re, 2003, p. 17)<\/p>\n\n\n\n

La r\u00e9ception esth\u00e9tique de l\u2019image holographique se trouve ainsi confront\u00e9e au d\u00e9sir, profond\u00e9ment enfoui dans notre inconscient, d\u2019une image qui serait l\u2019\u00e9manation lumineuse et parfaite du r\u00e9el \u00ab\u00a0comme une peau d\u00e9tach\u00e9e de sa surface\u00a0\u00bb. Cette ressemblance originaire t\u00e9moignant de l\u2019ailleurs, fascine encore plus en holographie qu\u2019en photographie car elle prend une apparence ectoplasmique. Cette archi-ressemblance ectoplasmique a d\u2019ailleurs \u00e9t\u00e9 intelligemment, et simplement, mise en valeur dans le pavillon italien de la 54i\u00e8me Biennale de Venise qui, en 2011, a pr\u00e9sent\u00e9 parmi ses jeunes artistes l\u2019\u0153uvre de l\u2019Italienne Dora Tassinari. Celle-ci a en effet tr\u00e8s justement exploit\u00e9 ce potentiel d\u2019\u00e9manation d\u2019un ailleurs originaire en combinant des hologrammes de type Desnisyuk4<\/sup>\u00a0\u00e0 des artefacts techniques obsol\u00e8tes. Dans\u00a0Perturbing Objects<\/em>, Dora Tassinari juxtapose des parties d\u00e9coup\u00e9es ou d\u00e9tach\u00e9es de vieilles machines \u00e0 \u00e9crire, imprimantes ou t\u00e9l\u00e9phones, \u00e0 l\u2019image tridimensionnelle de la portion manquante. La partie manquante holographi\u00e9e de ces oeuvres, tel un membre fant\u00f4me, faisait effectivement \u00e9merger une \u00e9trange impression de \u00ab\u00a0d\u00e9j\u00e0-l\u00e0 pas tout-\u00e0-fait-l\u00e0\u00a0\u00bb, tel un presque ready-made.<\/p>\n\n\n\n

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Perturbing Objects<\/em>, Dora Tassinari, Hologramme et machine \u00e0 \u00e9crire, 54i\u00e8me Biennale de Venise, 2011<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Un d\u00e9sir inavou\u00e9 d\u2019effet holographique<\/h2>\n\n\n\n

Il arrive de plus en plus souvent qu\u2019un ou plusieurs aspects de l\u2019esth\u00e9tique propre aux images holographiques se retrouvent dans des productions contemporaines visuelles, lumineuses et tridimensionnelles,\u00a0bien qu\u2019elles n\u2019en poss\u00e8dent aucunement les caract\u00e8res intrins\u00e8ques \u2013 physiques et optiques \u2013 de leurs proc\u00e9d\u00e9s. On assiste alors \u00e0 une int\u00e9ressante tendance de simulation holographique que l\u2019on peut interpr\u00e9ter comme une qu\u00eate inconsciente ou consciente d\u2019une forme d\u2019image qui serait embl\u00e9matique de la d\u00e9sincarnation impliqu\u00e9e par notre relation num\u00e9rique \u00e0 l\u2019espace, au temps, aux gens, et au monde en g\u00e9n\u00e9ral.<\/p>\n\n\n\n

Coexistence lumineuse et dynamique du regard<\/h2>\n\n\n\n

Cela se v\u00e9rifie aupr\u00e8s d\u2019artistes de l\u2019art contemporain \u2013 dont Pierrick Sorin \u2013 qui n\u2019entretiennent que tr\u00e8s peu de rapports avec la technologie holographique, et, bien s\u00fbr, aupr\u00e8s de cr\u00e9ateurs li\u00e9s au spectacle th\u00e9\u00e2tral, au design \u00e9v\u00e8nementiel ou \u00e0 la mus\u00e9ologie grand public. Ces derniers, en revanche, sont clairement plus conscients de la simulation holographique recherch\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

Marcel Duchamp\u00a0aurait s\u00fbrement \u00e9t\u00e9 fascin\u00e9 par ce m\u00e9dium si proche de l\u2019infra-mince, tout en \u00e9tant bien d\u00e9rang\u00e9 par son c\u00f4t\u00e9 si r\u00e9tinien. Quoiqu\u2019il en soit, on ne peut \u00e9viter de remarquer que notre \u00e9poque du num\u00e9rique et de la photonique renvoie de plus en plus vers un monde de l\u2019image, avec ou sans pouvoir d\u2019\u00e9manation, vers des images fluides se manifestant sur \u00e9crans \u00e0 DEL et \u00e9voquant extr\u00eamement bien les impressions lumineuses et \u00e9ph\u00e9m\u00e8res du fond de notre r\u00e9tine. Le rappel de cette fugacit\u00e9 du visible, que les hologrammes et autres productions lumineuses contemporaines drainent avec elles, signale d\u2019ailleurs toute l\u2019ins\u00e9parabilit\u00e9 de la lumi\u00e8re de l\u2019espace et du temps, de l\u2019\u00e9nergie et de la mati\u00e8re, du per\u00e7u et du percevant. En relisant Anne Sauvageot qui \u00e9crivait (1994) dans son essai sur la sociologie du regard, que \u00ab\u00a0le rapport spatial est un rapport de\u00a0coexistence<\/em>: c’est l’\u00eatre avec\u00a0\u00bb et que \u00ab\u00a0c’est la forme la plus simple et la plus essentielle de tout rapport au monde, celle qui est \u00e0 la base de tous les autres modes relationnels: existentiels, symboliques \u2026\u00bb (Sauvageot, 1994, p. 221), on en d\u00e9duit aujourd\u2019hui que la qu\u00eate de coexistence spatiale du spectateur dans une lumi\u00e8re immersive (avec image flottante et son ambiant d\u00e9localis\u00e9) signifie une recherche de contact matriciel, de globalit\u00e9 multisensorielle, qui se distingue bien des travaux d\u2019art optique et cin\u00e9tique de l\u2019\u00e9poque du mouvement\u00a0Light<\/em>\u00a0& Space<\/em>, tr\u00e8s influenc\u00e9 par l\u2019art minimaliste et l\u2019abstraction g\u00e9om\u00e9trique. Nous sommes plut\u00f4t arriv\u00e9s dans une perspective de globalit\u00e9 spatiotemporelle, psychosensorielle autant qu\u2019existentielle.<\/p>\n\n\n\n

Les images holographiques n\u2019en proposent pas autant, il est vrai, mais leur dynamique d\u2019apparition\/disparition d\u2019images s\u2019entrela\u00e7ant avec les mouvements des yeux et du corps, cr\u00e9e toutefois une sensation de coexistence perceptuelle qui interpelle cet\u00a0\u00eatre avec<\/em>\u00a0de la coexistence spatiale dont parle Anne Sauvageot. Les images holographiques, en effet, n\u2019existent que dans une \u00e9trange adh\u00e9rence \u00e0 notre regard\u00a0: les flux temporels de l\u2019image et de l\u2019action regardante sont identiques. Cela est encore plus \u00e9vident dans des installations d\u2019envergure o\u00f9 les hologrammes sont dispos\u00e9s autour du spectateur, comme dans mon installation holographique et interactive5<\/sup>\u00a0de 1992\u00a0La conscience des limites\u00a0: Ga\u00efa<\/em>. Le regard et le corps se trouvent alors impr\u00e9gn\u00e9s d\u2019un effet d\u2019adh\u00e9rence visuelle rappelant l\u2019effet d\u2019attraction et r\u00e9pulsion de deux aimants se faisant face. Cette coexistence particuli\u00e8re avec l\u2019image sugg\u00e8re une r\u00e9elle sensation de totalit\u00e9 form\u00e9e parl\u2019espaceimmat\u00e9riel se trouvant entre nos yeux et la surface illumin\u00e9e. Cet \u00ab\u00a0\u00eatre avec\u00a0\u00bb de la perception des images holographique est certainement une qualit\u00e9 esth\u00e9tique essentielle au m\u00e9dium. Il s\u2019agit, bien plus qu\u2019en r\u00e9alit\u00e9 virtuelle ou en cin\u00e9ma 3D, d\u2019une qualit\u00e9 esth\u00e9tique intrins\u00e8que \u2013 que j\u2019appellerai \u00ab\u00a0incorporation dynamique du regard\u00a0\u00bb \u2013 \u00e9tant donn\u00e9 que leur r\u00e9ception esth\u00e9tique n\u2019implique aucune technologie ou interface autres que la lumi\u00e8re et l\u2019\u0153il. On pourrait m\u00eame parler de force \u00e9mergentielle de la lumi\u00e8re.<\/p>\n\n\n\n

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La conscience des limites\u00a0: Ga\u00efa<\/em>, Philippe Boissonnet, installation holographique et interactive, 1992<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

C\u2019est aussi dans cet esprit que l\u2019on doit comprendre l\u2019int\u00e9r\u00eat renaissant qui se manifeste depuis une dizaine d\u2019ann\u00e9es en art contemporain pour \u00ab\u00a0un art de la lumi\u00e8re, du mouvement, de l\u2019espace et de la vision\u00a0\u00bb6<\/sup>. L\u2019exposition pr\u00e9sent\u00e9e \u00e0 Paris au Grand Palais au printemps 2013\u00a0:\u00a0Dynamo, un si\u00e8cle de lumi\u00e8re et de mouvement dans l\u2019art 1913-2013<\/em>\u00a0en est un bel exemple. Plusieurs r\u00e9trospectives mus\u00e9ales am\u00e9ricaines ont ainsi remis en valeur des oeuvres des ann\u00e9es de l\u2019Op Art<\/em>, de l\u2019art cin\u00e9tique ou du\u00a0Light & Space<\/em>. On remarque ainsi les expositions\u00a0Optic Nerve: Perceptual Art\u00a0of the 1960s\u00a0<\/em>au Columbus Museum of Art (2007),\u00a0The Optical Edge<\/em>\u00a0au Pratt Institute of Art \u00e0 New York (2007), et, en 2010,\u00a0Suprasensorial: Experiments\u00a0in Light<\/em>\u00a0au MOCA \u00e0 Los Angeles. M\u00eame le Canadien Michael Snow, ressortant ses premiers hologrammes de l\u2019atelier (1985) \u00e0 la\u00a0Jack Shainman Gallery\u00a0(New York, 2012), a r\u00e9ussi \u00e0 tisser un lien conceptuel intriguant entre ces hologrammes restituables \u00e0 la lumi\u00e8re laser (Exchange<\/em>, 1985) et une s\u00e9rie de nouvelles \u0153uvres vid\u00e9onum\u00e9riques (The Viewing of Six New Works<\/em>, 2012)7<\/sup>\u00a0avec lesquelles il examinait la variabilit\u00e9 des relations physiques et perceptuelles se formant temporairement entre l\u2019\u0153uvre murale, la lumi\u00e8re qui l\u2019\u00e9claire, son cadre de visualisation et l\u2019\u0153il subjectif du spectateur. L\u00e0 aussi, ce sont les limites des m\u00e9canismes de la vision et, par cons\u00e9quent, de l\u2019incertitude du visible et de notre perception, qui \u00e9taient \u00e0 nouveau questionn\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019effet holographique comme forme symbolique de l\u2019inach\u00e8vement du regard<\/h2>\n\n\n\n

Dans ce contexte, l\u2019\u00e9vanescence \u00e9mergentielle impliqu\u00e9e par la spatialisation holographique et leur dynamique appara\u00eessante, deviennent fortement embl\u00e9matique d\u2019un d\u00e9sir contemporain pour une esth\u00e9tique de l\u2019effet holographique. Ce d\u00e9sir, flottant de fa\u00e7on diffuse dans les interstices de l\u2019art contemporain, de l\u2019art sc\u00e9nique, des spectacles immersifs et des technologies de visualisation spatiale, se per\u00e7oit par exemple dans le monde plus populaire du divertissement \u00e0 grand d\u00e9ploiement.<\/p>\n\n\n\n

Une \u00e9mergence pseudo-holographique<\/h2>\n\n\n\n

On conna\u00eet tous maintenant, surtout depuis la sortie de film\u00a0Avatar<\/em>\u00a0de James Cameron (2009), le fort engouement pour le cin\u00e9ma 3D qui, non seulement, employait un nouveau proc\u00e9d\u00e9 3D convaincant mais de plus mettait en sc\u00e8ne des hologrammes imaginaires (ceux r\u00eav\u00e9s par l\u2019arm\u00e9e am\u00e9ricaine). Mais en dehors du domaine fictionnel du cin\u00e9ma, ou m\u00eame des avanc\u00e9es technologiques en t\u00e9l\u00e9vision 3D, il y a aussi toutes ces recherches d\u2019application sc\u00e9nique de l\u2019imagerie projective 3D, celles que l\u2019on appelle parfois des \u00ab\u00a0projections holographiques\u00a0\u00bb et que le tandem montr\u00e9alais, Victor Pilon et Michel Lemieux, a exploit\u00e9 \u00e0 merveille d\u00e8s le d\u00e9but des ann\u00e9es 90 dans ses productions th\u00e9\u00e2trales comme\u00a0Norman<\/em>\u00a0que le duo\u00a04DArt\u00a0inspir\u00e9e de\u00a0A Chairy Tale<\/em>\u00a0de Norman Maclaren (1957) a mis en sc\u00e8ne en 2007.<\/p>\n\n\n\n

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Norman<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Cette technologie d\u2019imagerie spatiale a m\u00eame trouv\u00e9 preneur dans d\u2019autres productions \u00e0 plus grande \u00e9chelle, comme dans des spectacles musicaux de Madona, Tupac ou d\u2019un Michael Jackson posthume. Ainsi que l\u2019\u00e9crit ironiquement l\u2019artiste australienne Paula Dawson, \u00ab\u00a0the ghost-like image of Tupac [Shakur] captured the imagination of concert-goers\u2026 imagine if they\u2019d seen a real hologram<\/em>\u00a0\u00bb. (Dawson, 2012)<\/p>\n\n\n\n

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