{"id":1499,"date":"2015-12-01T19:58:49","date_gmt":"2015-12-01T19:58:49","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=1499"},"modified":"2022-11-18T19:59:16","modified_gmt":"2022-11-18T19:59:16","slug":"decembre-2015-desir-deffet-holographique-et-inachevement-du-regard","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/decembre-2015-desir-deffet-holographique-et-inachevement-du-regard\/","title":{"rendered":"D\u00e9cembre 2015 – D\u00e9sir d’effet holographique et inach\u00e8vement du regard"},"content":{"rendered":"\n
L\u2019\u00e9vanescence des images, l\u2019intangibilit\u00e9 spatiale et la pr\u00e9carit\u00e9 du visible sont des effets que certains artistes visuels, m\u00e9diatiques ou sc\u00e9niques cherchent aujourd\u2019hui \u00e0 atteindre par d\u2019autres moyens que les \u00ab\u00a0vrais\u00a0\u00bb proc\u00e9d\u00e9s d\u2019enregistrement holographique (utilisant la micro-optique et la lumi\u00e8re laser). En observant quelques productions r\u00e9centes, non holographiques mais y faisant penser, on s\u2019aper\u00e7oit bien qu\u2019il existe un regain d\u2019int\u00e9r\u00eat pour la fragilit\u00e9 du statut de l\u2019image, les figures d\u2019instabilit\u00e9 des choses, les structures invisibles, les \u00e9tats d\u2019apparition et disparition lumineuse, l\u2019\u00e9vanescence ou l\u2019insaisissabilit\u00e9 des apparences\u00a0; c\u2019est-\u00e0-dire pour bien des qualit\u00e9s qui sont typiquement holographiques. Ayant moi-m\u00eame largement explor\u00e9 le m\u00e9dium holographique1<\/sup>\u00a0en tant que chercheur-cr\u00e9ateur, je me suis attard\u00e9 \u00e0 mieux comprendre la dynamique sp\u00e9cifique de ces images\u00a0apparaissantes<\/em>, toujours coextensives \u00e0 l\u2019acte m\u00eame de \u00ab\u00a0regarder\u00a0\u00bb. Je propose dans ce texte d\u2019en faire une interpr\u00e9tation esth\u00e9tique dans laquelle notre d\u00e9sir de d\u00e9sincarnation des corps, d\u2019\u00e9vanescence de la r\u00e9alit\u00e9 et d\u2019immat\u00e9rialit\u00e9 du monde, pousserait imperceptiblement un pan de l\u2019art visuel et sc\u00e9nique d\u2019aujourd\u2019hui \u00e0 prendre les effets esth\u00e9tiques de l\u2019image holographique comme mod\u00e8le. Je sugg\u00e8re alors, en cons\u00e9quence, que notre \u00e9poque est d\u00e9j\u00e0 entr\u00e9e dans le r\u00e9gime d\u2019une esth\u00e9tique holographique des images2<\/sup>\u00a0\u2013 au moins au niveau m\u00e9taphorique \u2013 par association des technologies photo et vid\u00e9onum\u00e9riques \u00e0 celles d\u00eetes photoniques, et que cela correspond \u00e0 l\u2019\u00e9mergence d\u2019une expressivit\u00e9 embl\u00e9matique de l\u2019inach\u00e8vement du regard que l\u2019on pose dor\u00e9navant sur le monde dans sa complexit\u00e9 visible et invisible, mat\u00e9rielle et immat\u00e9rielle.\u00a0<\/p>\n\n\n\n L\u2019alternance d\u2019apparition et de disparition des images lumineuses holographiques correspond extr\u00eamement bien \u00e0 l\u2019id\u00e9e que l\u2019on se fait g\u00e9n\u00e9ralement de l\u2019\u00e9vanescent. Qu\u2019il soit lumineux, sonore, atmosph\u00e9rique, cr\u00e9pusculaire ou \u00e9nerg\u00e9tique, l\u2019\u00e9vanescent semble toujours se caract\u00e9riser par ce qui est sur un seuil, au bord t\u00e9nu d\u2019un \u00e9tat en devenir, dans le domaine de l\u2019\u00e9ph\u00e9m\u00e8re, de l\u2019intangible ou de l\u2019insaisissable.<\/p>\n\n\n\n Or les qualit\u00e9s esth\u00e9tiques propres \u00e0 l\u2019image holographique sont principalement associ\u00e9es \u00e0 une voluminosit\u00e9 transparente, une co-\u00e9mergence dynamique du regard, \u00e0 une \u00e9manation purement lumineuse et \u00e0 une ambigu\u00eft\u00e9 spatiale des formes. Depuis la r\u00e9alisation de mon tout premier hologramme (Tranche d\u2019espace-temps<\/em>, 1984), apr\u00e8s avoir observ\u00e9 les r\u00e9actions mitig\u00e9es de bien du monde, j\u2019ai progressivement \u00e9mis l\u2019hypoth\u00e8se que l\u2019exp\u00e9rience perceptive donn\u00e9e par ce type d\u2019images d\u00e9voile sans doute trop bien la fugacit\u00e9 de nos impressions r\u00e9tiniennes, la pr\u00e9carit\u00e9 de nos perceptions sensorielles et, donc, l\u2019incertitude des images que nous construisons pour mieux repr\u00e9senter le monde. La perte de r\u00e9alit\u00e9 ressentie \u00e0 travers leur non tangibilit\u00e9, par exemple, vient troubler nos acquis cognitifs entrela\u00e7ant habituellement haptique et optique. Mais je crois, en revanche, qu\u2019elle \u00e9veille l\u2019esprit \u00e0 une compr\u00e9hension subtile de la r\u00e9alit\u00e9 que les sciences nous ont habitu\u00e9 \u00e0 concevoir \u00e0 partir de concepts d\u2019incertitude, d\u2019indissociabilit\u00e9 du temps et de l\u2019espace, de relativit\u00e9 des limites entre mati\u00e8re et \u00e9nergie, et de configuration multiples \u00e0 dimensions cach\u00e9es. Repensant \u00e0 l\u2019id\u00e9e de configuration, plut\u00f4t que celle de repr\u00e9sentation, utilis\u00e9e par\u00a0Erwin Schr\u00f6dinger\u00a0(1951)3<\/sup>\u00a0pour d\u00e9finir la nature transitoire et relative que la physique quantique apporte \u00e0 notre vision du monde, je con\u00e7ois parfaitement comment l\u2019espace \u00e9vanescent de l\u2019image holographique puisse servir de formidable m\u00e9taphore visuelle et conceptuelle pour faire ressentir les limites de notre appr\u00e9hension du monde, et par cons\u00e9quent la fragilit\u00e9 des images que nous en faisons. Les images que nous fabriquons \u00e0 un moment donn\u00e9 de l\u2019histoire des techniques pour repr\u00e9senter le monde, sont toujours des indications importantes de la mani\u00e8re dont on comprend celui-ci. En particulier, voir une image dans toutes ses modalit\u00e9s formelle, plastique et technique, c\u2019est aussi se laisser porter par la configuration cognitive que l\u2019on tisse collectivement entre la lumi\u00e8re, la conception que l\u2019on en a, la valeur qu\u2019on lui conf\u00e8re que l\u2019utilisation que l\u2019on en fait.<\/p>\n\n\n\n Les vrais hologrammes, ceux qui agissent comme des lentilles de diffraction de la lumi\u00e8re blanche et dont l\u2019information tridimensionnelle est enregistr\u00e9e gr\u00e2ce aux interf\u00e9rences spatiotemporelles d\u2019ondes de lumi\u00e8re laser, portent d\u00e9j\u00e0 en eux une autre forme de repr\u00e9sentation conceptuelle du monde, celle h\u00e9rit\u00e9e des hypoth\u00e8ses de la physique quantique, celle qui nous parle d\u2019un espace-temps continu et non-localis\u00e9 en particulier. En ce sens, les images holographiques n\u2019ont rien \u00e0 voir avec la photographie, avec leur fragmentation spatiale et leur r\u00e9duction temporelle. Ainsi, l\u2019exp\u00e9rience esth\u00e9tique que nous donne \u00e0 vivre les images holographiques ne peuvent que nous aider \u00e0 nous projeter dans le futur, mais comment ? Je consid\u00e8rerai essentiellement ce \u00ab\u00a0regard en train de faire appara\u00eetre les images\u00a0\u00bb, ce qui correspond plus ou moins \u00e0 ce que\u00a0Georges Didi-Huberman\u00a0appelle les images apparaissantes (didi-Huberman, 1997), alors que l\u2019espace de perception holographique est v\u00e9ritablement expressif de la rencontre dynamique, active mais fragile, que notre regard effectue \u00e0 chaque instant avec le flux optique \u00e9manant.\u00a0<\/p>\n\n\n\n On ne peut nier, en effet, que l\u2019holographie poss\u00e8de dans son principe sp\u00e9cifique de visualisation quelque chose de purement ph\u00e9nom\u00e9nal. Et cette ph\u00e9nom\u00e9nalit\u00e9, en r\u00e9v\u00e9lant les limites de notre syst\u00e8me de perception visuelle, fait subtilement \u00e9merger \u00e0 notre conscience la face cach\u00e9e de la puissance d\u2019affichage num\u00e9rique\u00a0: la fragilit\u00e9 des images et l\u2019inach\u00e8vement constant du regard que celles-ci encouragent dor\u00e9navant \u00e0 porter sur le monde. Un monde de mutations et de fluctuations. Un monde devenu instable \u00e0 nos yeux. D\u00e9j\u00e0 en 1994,\u00a0Anne Sauvageot\u00a0d\u00e9tectait ce rapport ind\u00e9niable entre\u00a0l\u2019\u00e9volution des mani\u00e8res de faire des images et la physique de la lumi\u00e8re:\u00a0<\/p>\n\n\n\n \u00ab\u00a0L\u2019image en investissant la forme de l\u2019onde, en \u00e9pouse les comportements. (\u2026) De m\u00eame que le rayon lumineux euclidien \u00e9tait au diapason d\u2019un logos et d\u2019une plastique de la mesure, que la dioptrique cart\u00e9sienne \u00e9tait en harmonie avec la perspective lin\u00e9aire, de m\u00eame la th\u00e9orie quantique de la lumi\u00e8re est \u00e0 son tour \u2013 au dernier terme de ce triptyque \u2013 exemplaire de l\u2019aventure du regard contemporain sur un monde d\u00e9sormais al\u00e9atoire. Au comportement \u00e9trange des photons, il n\u2019est sans doute pas incoh\u00e9rent d\u2019associer, ne serait-ce que de fa\u00e7on m\u00e9taphorique, les \u00ab\u00a0aberrations\u00a0\u00bb morphog\u00e9n\u00e9tiques d\u2019un nouvel imaginaire visuel.\u00a0\u00bb (Sauvageot, 1994, p. 184)<\/p>\n\n\n\n Ainsi, on ne peut douter que les arts de l\u2019image num\u00e9rique, autant que de l\u2019image holographique, soient porteurs d\u2019une nouvelle ph\u00e9nom\u00e9nologie de la perception m\u00e9diatis\u00e9e. Dans ce contexte, l\u2019\u00e9vanescence propre \u00e0 l\u2019image holographique devient assez embl\u00e9matique d\u2019une sensibilit\u00e9 esth\u00e9tique contemporaine de l\u2019\u00e8re de l\u2019informationnel, c\u2019est-\u00e0-dire du signe toujoursinachev\u00e9 car constamment en phase d\u2019actualisation algorithmique (pour le num\u00e9rique), de d\u00e9ploiement diffractif (pour l\u2019holographique).<\/em> Mais alors que cet inach\u00e8vement visuel du signe info-\u00e9lectronique laisse sous-entendre que c\u2019est de la faute de la nature technologique du m\u00e9dium lui-m\u00eame, l\u2019ambivalence de la perception holographique et la sensation d\u2019inach\u00e8vement qui en r\u00e9sulte d\u00e9voile plut\u00f4t l\u2019imperfection de notre syst\u00e8me visuel et nos limites cognitives cons\u00e9quentes. En ce sens, on peut dire que l\u2019exp\u00e9rience visuelle, haptique et kinesth\u00e9sique des hologrammes est un d\u00e9clencheur esth\u00e9tique qui met en relief ce qui, en nous, est un peu fragile, l\u00e0 o\u00f9 les exp\u00e9riences physiques et psychologiques de la lumi\u00e8re s\u2019entrem\u00ealent et b\u00e2tissent en bonne partie notre relation cognitive avec le r\u00e9el. Si on y est attentif, l\u2019exp\u00e9rience de l\u2019\u00e9vanescence holographique peut r\u00e9v\u00e9ler (mettre en lumi\u00e8re) la facette vacillante et pr\u00e9caire que notre regard \u00e9tablit in\u00e9vitablement avec l\u2019espace du visible.<\/p>\n\n\n\n On dit que l\u2019holographie comme forme d\u2019art a \u00e9t\u00e9 autant victime de son image fantasm\u00e9e, c\u2019est-\u00e0-dire d\u2019un imaginaire issu de la litt\u00e9rature et du cin\u00e9ma de science-fiction, que du formidable essor des technologies num\u00e9riques et de t\u00e9l\u00e9communication. Mais observons de plus pr\u00e8s leur\u00a0modus operandi<\/em>, du point de vue de la r\u00e9alit\u00e9 de leur r\u00e9ception visuelle autant que de l\u2019affabulation que l\u2019on en fait.<\/p>\n\n\n\n En regardant les hologrammes pr\u00e9sent\u00e9s dans les expositions, qu\u2019elles soient artistiques ou non, on s\u2019aper\u00e7oit rapidement qu\u2019il y a plus ou moins un rituel de visualisation qui lui est associ\u00e9, de m\u00eame qu\u2019il y en a un au cin\u00e9ma ou devant un \u00e9cran de t\u00e9l\u00e9vision. Tout d\u2019abord, l\u2019hologramme s\u2019adresse bien plus \u00e0 l\u2019individu qu\u2019au groupe, et la d\u00e9limitation restreinte du champ de visibilit\u00e9 de l\u2019image donne l\u2019impression au spectateur de regarder au travers d\u2019une fen\u00eatre ou d\u2019un trou dans une surface. Sauf que ce qui y est \u00e0 voir, d\u00e9borde bien souvent du cadre. De plus, on ne peut \u00e9viter de voir les limites de la zone d\u2019apparition de l\u2019image, derri\u00e8re ou autour, et donc le support. \u00c0 cela se rajoute la dynamique visuelle de va-et-vient, mouvements de corps, de t\u00eate et des yeux, rappelant l\u2019attitude du voyeur. Mais on s\u2019attend \u00e0 bien plus encore, en particulier au \u00ab\u00a0no limits\u00a0\u00bb du champ de visualisation. Il faut effectivement \u00eatre conscient de l\u2019existence d\u2019un imaginaire de l’image holographique provenant de l\u2019attente de ce que devrait \u00eatre un hologramme, lib\u00e9r\u00e9 de toute contrainte physique, et m\u00eame de tout dispositif d\u2019\u00e9clairage. Bizarrement, on s\u2019attend \u00e0 ce qu\u2019elle paraisse \u00ab\u00a0naturelle\u00a0\u00bb quoique fantomatique. Bien ancr\u00e9e dans l’esprit populaire de la culture de science-fiction, par le biais de la litt\u00e9rature et du cin\u00e9ma, cette holographie imagin\u00e9e est trop attendue. Ce faisant, celle-ci est d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9sente parmi nous sans que la technologie actuelle ne permette pourtant d’atteindre cette puissance r\u00eav\u00e9e d’une simulation tridimensionnelle, anim\u00e9e, et flottant totalement dans notre espace de perception visuelle. Le \u00ab\u00a0pas assez\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>de l\u2019holographie r\u00e9elle est alors point\u00e9 du doigt, car il confronte le regardeur \u00e0 son d\u00e9sir inassouvi et \u00e0 une esp\u00e8ce d\u2019incompl\u00e9tude, et le pousse vers des simili-hologrammes. Ce que\u00a0Nicolas A. Brun\u00a0(2007) appelle\u00a0l\u2019hologramme bidouill\u00e9\u00a0<\/em>en parlant du travail vid\u00e9ographique du Fran\u00e7ais\u00a0Pierrick Sorin\u00a0que lui-m\u00eame nomme plut\u00f4t \u00ab\u00a0th\u00e9\u00e2tre optique\u00a0\u00bb comme pour son \u0153uvre\u00a0Variable No 1 \u2013 le cousin.<\/em><\/p>\n\n\n\nCe regard en train de faire apparaitre l\u2019image<\/h2>\n\n\n\n
L\u2019image holographique imagin\u00e9e\u00a0:<\/h2>\n\n\n\n
\u00c9manation fantasmatique et archi-ressemblance<\/h2>\n\n\n\n