{"id":1652,"date":"2015-05-01T14:43:12","date_gmt":"2015-05-01T14:43:12","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=1652"},"modified":"2022-11-25T14:43:27","modified_gmt":"2022-11-25T14:43:27","slug":"mai-2015-de-nouveaux-paradigmes","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/mai-2015-de-nouveaux-paradigmes\/","title":{"rendered":"Mai 2015 – De nouveaux paradigmes*"},"content":{"rendered":"\n

La question de l\u2019\u0153uvre d\u2019art est une question qui fait d\u00e9bat depuis longtemps d\u00e9j\u00e0, notamment dans le champ de la philosophie. Du fait de son statut particulier dans l\u2019ensemble des productions artefactuelles de l\u2019\u00eatre humain, elle a donn\u00e9 lieu \u00e0 de multiples sp\u00e9culations, surtout \u00e0 partir de l\u2019\u00e9mergence de la modernit\u00e9 occidentale o\u00f9 l\u2019activit\u00e9 artistique a atteint un statut qui la diff\u00e9rencie des autres activit\u00e9s productrices de biens. Mise au rang des humanit\u00e9s au m\u00eame titre que l\u2019activit\u00e9 intellectuelle (scientifique, philosophique, th\u00e9ologique, etc.), elle a rapidement fait l\u2019objet de sp\u00e9culations qui tentent de l\u2019associer \u00e0 l\u2019aventure de l\u2019humanit\u00e9, dans ce qu\u2019elle est notamment pens\u00e9e dans le cadre d\u2019une sp\u00e9cificit\u00e9 ontique par rapport \u00e0 l\u2019animal1<\/sup>. L\u2019\u0153uvre d\u2019art, \u00e0 la fois dans le cadre du processus de cr\u00e9ation qui permet de la construire, la po\u00ef\u00e8se, que dans celui de sa r\u00e9ception par un public, repr\u00e9sente quelque part le paradigme de l\u2019humain par la capacit\u00e9 de cr\u00e9ation en propre qu\u2019elle implique. Il y a une dimension immanente dans cette repr\u00e9sentation de la cr\u00e9ation, qui s\u2019accorde tr\u00e8s bien avec le dualisme cart\u00e9sien. On sait que pour Descartes, en effet, le corps organique, c’est la machine, que l’humain partage avec l’ensemble du monde animal. Ce qui en fait l’exception, c’est l’\u00e2me, de nature divine. L’\u00e2me est donc, dans cette configuration, la caract\u00e9ristique de l’humain parce qu’elle seule permet d’avoir conscience de Dieu. L’\u00e2me en tant que lieu unique de la foi est donc ce qu’il y a d’humain dans l’homme. L\u2019acte cr\u00e9ateur, et par incidence l\u2019acte de r\u00e9ception de l\u2019\u0153uvre en ce qu\u2019il repr\u00e9sente une forme de d\u00e9l\u00e9gation par les \u00ab\u00a0embrayeurs temporels\u00a0\u00bb, est donc par excellence ce qui, chez l\u2019humain, est de l\u2019ordre du divin puisqu\u2019il le place \u00e0 l\u2019\u00e9gal de Dieu dans une posture d\u00e9miurgique. Il n\u2019est d\u2019ailleurs pas innocent que l\u2019autoportrait apparaisse, comme pratique revendiqu\u00e9e, avec la naissance de la modernit\u00e9 et que, rapidement, l\u2019image de l\u2019artiste repr\u00e9sent\u00e9 par lui-m\u00eame reprend, par rapport \u00e0 la situation dans l\u2019espace de la toile, les codes formels du Christ en majest\u00e9, en particulier du Christ Pantocrator.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019\u00e9mergence au XXe<\/sup>\u00a0si\u00e8cle de la pens\u00e9e syst\u00e9mique va petit \u00e0 petit bouleverser ce statut, pourtant solidement \u00e9tabli en occident depuis plusieurs si\u00e8cles. L\u2019humain se trouve confront\u00e9 \u00e0 une succession de blessures narcissiques qui remettent en cause sa centralit\u00e9, voire sa justification t\u00e9l\u00e9ologique. Subsum\u00e9 d\u2019abord par la psychanalyse et la linguistique, comme l\u2019explique Foucault dans\u00a0Les mots et les choses<\/em> (Foucault, 1966), il va progressivement se trouver dilu\u00e9 par des mod\u00e8les scientifiques qui l\u2019abordent, tout ou partie, d\u2019ailleurs, comme composant de syst\u00e8mes globaux. C\u2019est le cas, par exemple, de sciences telles que l\u2019informatique, la biologie contemporaine, l\u2019\u00e9thologie, les sciences de la cognition…, et, en particulier, \u00e0 travers une grille de lecture qui doit beaucoup au concept d\u2019\u00e9mergence.<\/p>\n\n\n\n

D\u00e8s lors, il est logique que la question du statut de l\u2019\u0153uvre d\u2019art, en tant qu\u2019objet de cr\u00e9ation autant que de contemplation, soit r\u00e9\u00e9valu\u00e9e \u00e0 l\u2019aune de ces nouveaux paradigmes. Les \u00e9crits sur l\u2019esth\u00e9tique sont nombreux, et de grands philosophes se sont pench\u00e9s sur la question. En ce qui concerne le processus de cr\u00e9ation aussi, des auteurs comme Ren\u00e9 Passeron en ont fait un v\u00e9ritable champ de recherche. Mais les travaux r\u00e9cents sur la physiologie et la cognition, souvent associ\u00e9s, d\u2019ailleurs, permettent une autre approche de l\u2019\u00e9motion esth\u00e9tique, et des processus de cr\u00e9ation.<\/p>\n\n\n\n

La conception m\u00eame de la place de l\u2019humain dans l\u2019ensemble du vivant a \u00e9t\u00e9 consid\u00e9rablement revue. L\u2019humain n\u2019est plus pens\u00e9 comme une esp\u00e8ce \u00e0 part. S\u2019il est une esp\u00e8ce singuli\u00e8re, il ne l\u2019est ni plus ni moins que toute autre esp\u00e8ce. Comme le souligne Jean-Marie Schaeffer\u00a0: \u00ab\u00a0[\u2026] toute forme de vie est irr\u00e9ductible \u00e0 toute autre forme de vie, et il y a donc autant d\u2019exceptions que de formes de vie. \u00bb (Foucault, 1966, p. 27) De fait, les fronti\u00e8res qui semblaient jusqu\u2019alors d\u00e9limiter de fa\u00e7on immuable l\u2019humain par rapport aux autres esp\u00e8ces du vivant deviennent de plus en plus poreuses. D\u2019un\u00a0 point de vue g\u00e9n\u00e9tique, d\u00e9j\u00e0. Notre patrimoine g\u00e9n\u00e9tique poss\u00e8de beaucoup plus de g\u00e8nes en commun avec nombre d\u2019esp\u00e8ces y compris les plus primitives (notre ADN est commun \u00e0 soixante-quinze pour cent avec celui du n\u00e9matode2<\/sup>). Nous poss\u00e9dons plus de quatre-vingt dix-huit pour cent de g\u00e8nes en commun avec le chimpanz\u00e9, notre plus proche parent du point de vue de l\u2019\u00e9volution des esp\u00e8ces.<\/p>\n\n\n\n

Cela ne veut certes pas dire que nous sommes des chimpanz\u00e9s. Les moins de deux pour cent qui nous diff\u00e9rencient sont loin d\u2019\u00eatre n\u00e9gligeables, surtout lorsqu\u2019on sait l\u2019importance du milieu dans le d\u00e9veloppent des individus, notamment dans le cas d\u2019esp\u00e8ces comme l\u2019humain o\u00f9 la donn\u00e9e culturelle est tr\u00e8s fortement pr\u00e9gnante. C\u2019est le cas aussi des esp\u00e8ces mammif\u00e8res sociales, comme les singes en g\u00e9n\u00e9ral et les grands singes en particulier, mais c\u2019est le cas encore des certains oiseaux, les corvid\u00e9s par exemple.<\/p>\n\n\n\n

Des syst\u00e8mes comportementaux complexes<\/h2>\n\n\n\n

On sait qu\u2019en situation naturelle, les chimpanz\u00e9s sont capables de d\u00e9velopper des comportements qui exigent un certain mode de cognition relativement \u00e9labor\u00e9, dans la capacit\u00e9 de cr\u00e9er des outils, d\u2019une part, mais aussi dans celle de transmettre leur invention au groupe, sp\u00e9cialement par la m\u00e8re. Mais on sait aussi l\u2019\u00e9tendue importante des dispositifs de communication dans le groupe, vocaux notamment, qui ne se limitent pas \u00e0 des situations d\u2019alerte.<\/p>\n\n\n\n

Par ailleurs, plac\u00e9s dans un milieu exp\u00e9rimental, les singes ont la capacit\u00e9 d\u2019utiliser des concepts abstraits. On l’a constat\u00e9 chez certaines esp\u00e8ces de babouins, comme en t\u00e9moigne cette vid\u00e9o\u00a0Monkey see, monkey read<\/em>3<\/sup>, o\u00f9 on voit une esp\u00e8ce de babouins, dans le cadre d\u2019un protocole scientifique, capable de reconna\u00eetre des mots, anglais et courts, parmi un ensemble de combinaisons lexicales dont beaucoup n\u2019ont aucun sens.<\/p>\n\n\n\n

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