{"id":1658,"date":"2015-05-01T15:37:10","date_gmt":"2015-05-01T15:37:10","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=1658"},"modified":"2022-11-25T15:38:57","modified_gmt":"2022-11-25T15:38:57","slug":"le-processus-de-creation-comme-systeme-cognitif","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/le-processus-de-creation-comme-systeme-cognitif\/","title":{"rendered":"Mai 2015 – Le processus de cr\u00e9ation comme syst\u00e8me cognitif*"},"content":{"rendered":"\n
En tant qu’entreprise de mise en forme du monde, l’\u0153uvre d’art proc\u00e8de davantage d’un dispositif d’appr\u00e9hension cognitive de la nature que d’un constat contemplatif de ses merveilles, y compris avec la dimension t\u00e9l\u00e9ologique que cela peut supposer \u00e0 travers l\u2019id\u00e9e d\u2019un grand architecte, d\u2019un super d\u00e9miurge. Mais cette entreprise de mise en forme formalisation du monde n’a pas pour seul objectif d’en faire l’inventaire. En tant que techn\u00ea<\/em>, la cr\u00e9ation artistique s’inscrit dans une perspective de transformation du monde, et donc de soi, qui, de ce fait, n’est pas qu’un donn\u00e9, mais aussi un \u00e0-venir. L’artiste cr\u00e9ateur, dans la ma\u00eetrise de son art et les techniques qu’il convoque, construit des possibles qui s’actualiseront plus ou moins directement (plut\u00f4t moins que plus d’ailleurs) dans les paradigmes \u00e9mergents. C’est la raison pour laquelle la cr\u00e9ation artistique s’est souvent associ\u00e9e aux \u00e9volutions technologiques. Non pas par esprit de mode, ce serait m\u00e9sestimer \u00e0 la fois le caract\u00e8re r\u00e9current du ph\u00e9nom\u00e8ne \u00e0 travers l’histoire de l’art et le fait que leur rapport au monde se d\u00e9finit pour l\u2019un comme pour l\u2019autre, et conjointement, dans une tr\u00e8s grande implication \u00e0 la soci\u00e9t\u00e9 qui les porte. L\u2019\u0153uvre d’art induit des sch\u00e9mas mentaux, autant du point de vue du cr\u00e9ateur que du r\u00e9cepteur, qui instaurent des ruptures paradigmatiques dans les repr\u00e9sentations du monde dans un rapport qui proc\u00e8de d’une construction analogue au rapport technesth\u00e9sique que Couchot (Couchot, 1998) d\u00e9finit comme \u00e9tant le fait que toute nouvelle technique induit un nouveau rapport sensible au monde. <\/p>\n\n\n\n L’art, comme la technique, est un dispositif d’artificialisation de la nature, du monde plus largement, intrins\u00e8que \u00e0 la condition m\u00eame de l’humain, m\u00eame s’il semble de plus en plus \u00e9vident qu’il n’en a pas l’exclusivit\u00e9. On peut m\u00eame \u00e9mettre l’hypoth\u00e8se que le vivant ne peut se d\u00e9velopper sans un minimum d’artificialisation de la nature en fonction du principe d’\u00e9naction<\/em> propos\u00e9 par Varela (Varela, Thompson, Rosch, 1993) qui veut que tout organisme co-\u00e9volue dialectiquement avec son milieu, induisant donc l’\u00e9volution de son milieu par sa propre \u00e9volution, \u00e9tant entendu que cette artificialisation n\u2019implique pas n\u00e9cessairement un dispositif technique. Si, dans ce cadre l\u00e0, on accepte le postulat de l’\u00e9mergence de la complexit\u00e9, art et technique constitueraient alors une forme particuli\u00e8rement \u00e9volu\u00e9e de la complexit\u00e9 \u00e9mergente. Significativement, ce sont les esp\u00e8ces les plus \u00e9volu\u00e9es du r\u00e8gne animal, humain compris, qui artificialisent leur r\u00e9el par la technique d’une part, mais aussi par l’art comme en t\u00e9moigne les constructions savantes des oiseaux-berceaux1<\/sup>.<\/p>\n\n\n\n Ce sch\u00e9ma est op\u00e9rationnel lorsque l’artificialisation s’effectue dans le cadre d’un projet de transformation, d\u00e9lib\u00e9r\u00e9 ou non, de la nature dans le but de l’adapter aux n\u00e9cessit\u00e9s de l’individu, du groupe, de la soci\u00e9t\u00e9 qui doit se colleter avec le r\u00e9el produit par la nature. Mais ce qui se dessine depuis quelques ann\u00e9es est d’un tout autre ordre. Il ne s’agit plus tant d’accompagner la nature pour la transformer comme un judoka accompagne le corps de son adversaire par la prise qui le fera choir. Il s’agit de produire<\/strong> de la nature. Et non pas au sens agricole du terme c’est-\u00e0-dire par reproduction d’esp\u00e8ces animales ou v\u00e9g\u00e9tales \u00e0 partir des semences que produisent ces esp\u00e8ces, mais par l’utilisation des processus g\u00e9n\u00e9siques fondamentaux soit en les mod\u00e9lisant, soit en les modifiant. <\/p>\n\n\n\n L’\u00eatre humain est capable depuis fort longtemps d’intervenir sur les processus g\u00e9n\u00e9tiques par croisement d’esp\u00e8ces pour des raisons \u00e9conomiques d’abord, cr\u00e9er des esp\u00e8ces plus productives par exemple, puis pour des raisons ludiques ensuite, comme certaines plantes d\u00e9coratives ou certaines esp\u00e8ces d’animaux de compagnie. Si on ma\u00eetrisait les processus, il a fallu attendre Mendel pour en comprendre l’explication scientifique. Or les technologies contemporaines, que ce soient les technologies du num\u00e9rique ou les biotechnologies, ont introduit une donne compl\u00e8tement nouvelle. <\/p>\n\n\n\n Si l\u2019on prend les technologies du num\u00e9rique dans un premier temps, \u00e0 partir notamment de ce qu’on appelle la seconde cybern\u00e9tique, la puissance de computation grandissante des machines permet de r\u00e9aliser des programmes qui construisent du vivant de synth\u00e8se, autrement dit de la vie artificielle. Bas\u00e9s sur un principe d’\u00e9volution darwinienne de s\u00e9lection, r\u00e9compense, reproduction, ces programmes sont constitu\u00e9s d’agents logiciels qui, de g\u00e9n\u00e9ration en g\u00e9n\u00e9ration vont, par apprentissages successifs, d\u00e9velopper des comportements proches de ceux du vivant. Bas\u00e9s sur des algorithmes \u00e9volutifs ou g\u00e9n\u00e9tiques, ou sur des mod\u00e8les auto-organisateurs, ces programmes fonctionnent sur un principe bottom-up <\/em>de complexit\u00e9 \u00e9mergente. C’est ce que Marvin Minsky (Minsky, 1988) a th\u00e9oris\u00e9 sous le concept de Soci\u00e9t\u00e9 de l’esprit <\/em> selon lequel un syst\u00e8me vivant ou artificiel constitu\u00e9 d’un tr\u00e8s grand nombre d’agents destin\u00e9s \u00e0 une fonction minimale ne n\u00e9cessitant aucune forme d’intelligence, est intelligent en tant que syst\u00e8me par le produit des interactions multiples de ses agents entre eux, ind\u00e9pendamment de ce qui constitue la singularit\u00e9, ou l’absence de singularit\u00e9, de chacun d’entre eux. C’est le principe de la fourmili\u00e8re. <\/p>\n\n\n\n Ces algorithmes g\u00e9n\u00e9ratifs, utilis\u00e9s comme outils dans le champ de la cr\u00e9ation artistique, induisent de facto<\/em> une red\u00e9finition des rapports entre l’art et la nature. Une des donn\u00e9es d\u00e9terminantes qui \u00e9mergent de cette nouvelle situation est le fait que l’art n’a plus un r\u00f4le de r\u00e9-pr\u00e9sentation de la nature contrairement \u00e0 celui qu\u2019il avait dans la culture occidentale notamment. Il ne s’agit plus \u00e0 proprement parler d’artificialiser la nature \u00e0 travers les repr\u00e9sentations qu’on en fait puisque ce qui est en jeu est la cr\u00e9ation mod\u00e9lis\u00e9e de processus naturels eux-m\u00eames. Nous sommes donc, et c’est ceci qui est fonci\u00e8rement nouveau, dans une pr\u00e9sentation<\/strong>, c’est-\u00e0-dire dans l’actualisation d’un processus qui se g\u00e9n\u00e8re en temps r\u00e9el. <\/p>\n\n\n\n La question de l’art comme espace de pr\u00e9sentation plut\u00f4t que de repr\u00e9sentation n’est pas nouvelle en soi puisque l’\u00e9mergence de l’art de l’instant dans les ann\u00e9es soixante (happening<\/em>, event<\/em>, performance…<\/em>) inscrivait d\u00e9j\u00e0 le processus de cr\u00e9ation dans l’actualit\u00e9 de la monstration, avec ce que \u00e7a suppose d’unique et d’al\u00e9atoire. Mais nous sommes plus ici dans un d\u00e9placement que dans une rupture. Nous restons malgr\u00e9 tout dans le sch\u00e9ma d’artificialisation de la vie. Or, la vie artificielle n’est pas l’artificialisation de la vie. On est dans un tout autre registre conceptuel. C’est tout ce qui fait la diff\u00e9rence entre les automates du XVIIIe<\/sup> si\u00e8cle, par exemple, comme le fameux canard de Vaucanson, et les cr\u00e9atures de Karl Sims. Dans un cas nous sommes face \u00e0 un dispositif ferm\u00e9, fini et non \u00e9volutif, dans l’autre cas, nous sommes face \u00e0 un syst\u00e8me ouvert, qui \u00e9volue par lui-m\u00eame \u00e0 partir des conditions g\u00e9n\u00e9siques qui ont \u00e9t\u00e9 mises en place programmatiquement. Le canard ne fait que r\u00e9p\u00e9ter m\u00e9caniquement, dans tous les sens du terme, les actions pour lesquelles il a \u00e9t\u00e9 con\u00e7u, aussi complexes fussent-elles. Les cr\u00e9atures de Karl Sims \u00e9voluent par apprentissage autonome sans que rien ne leur ait \u00e9t\u00e9 attribu\u00e9 initialement d’un point de vue comportemental, si ce n’est la n\u00e9cessit\u00e9 intrins\u00e8que \u00e0 chaque organisme vivant de r\u00e9soudre les difficult\u00e9s r\u00e9sultant de sa confrontation au r\u00e9el, f\u00fbt-il virtuel en l’occurrence. <\/p>\n\n\n\n Il va de soi que, du point de vue de la cr\u00e9ation artistique elle-m\u00eame, cela va avoir des enjeux importants dont nous commen\u00e7ons peut-\u00eatre \u00e0 percevoir les premi\u00e8res manifestations, notamment au regard du d\u00e9bat actuel sur la question du post humain qu’on ne peut pas r\u00e9sumer \u00e0 un effet de mode malgr\u00e9 le caract\u00e8re particuli\u00e8rement exotique que peut parfois prendre ce d\u00e9bat. On peut en voir l\u2019expression \u00e0 partir de mouvements comme les extropiens qui envisagent le remplacement complet du corps biologique par l\u2019ordinateur, avec, donc, la possibilit\u00e9 de t\u00e9l\u00e9charger enti\u00e8rement le contenu de son cerveau sur support num\u00e9rique. Depuis les d\u00e9buts de la modernit\u00e9 occidentale, l’art, en tant que dispositif d’artificialisation de la nature, c’est-\u00e0-dire avec tous les enjeux cognitifs que cela suppose, \u00e9tait consid\u00e9r\u00e9 comme une activit\u00e9 intrins\u00e8que \u00e0 l’humanit\u00e9, voire \u00e0 l’esp\u00e8ce humaine. On peut consid\u00e9rer l’\u0153uvre d’art comme un artefact esth\u00e9tique r\u00e9sultant d’un certain nombre de processus mentaux, sensibles, \u00e9motionnels, g\u00e9n\u00e9ralement non verbaux, qui, par l’approche singuli\u00e8re sur le monde dont il t\u00e9moigne, permet d’enrichir le champ cognitif, mais aussi le champ \u00e9motionnel, le champ des r\u00e9sonnances intersubjectives, le champs des artefacts constituant un des fonds essentiels de la culture, etc., de l’humain par rupture de ses habitus <\/em>perceptifs.C’est ce qui permet de diff\u00e9rencier l’\u0153uvre d’art d’autres objets esth\u00e9tiques comme ceux produits par la nature, \u00e9tant entendu que la nature ne produit pas d’objets esth\u00e9tiques en soi, mais que c’est le regard de l’humain, avec tout ce que \u00e7a suppose de culture, qui leur conf\u00e8re ce caract\u00e8re esth\u00e9tique. On sait, par exemple, que la beaut\u00e9 d’un paysage est un jugement esth\u00e9tique construit par la repr\u00e9sentation picturale \u00e0 partir, en occident, de la Renaissance en particulier. S\u2019il est vrai que le rapport esth\u00e9tique \u00e0 certains objets produits par la nature traverse les cultures au point qu\u2019on le retrouve chez les pal\u00e9anthropiens, et m\u00eame chez certaines esp\u00e8ces animales, il reste n\u00e9anmoins d\u2019ordre cognitif, en tout cas, si ce n\u2019est d\u2019ordre culturel2<\/sup>.<\/p>\n\n\n\n D\u00e8s lors, comment analyser des \u0153uvres comme Evolved Virtual Creatures <\/em> dont j’ai parl\u00e9 plus haut, ou Ant Swarm <\/em> de Leonel Moura ? S’il est g\u00e9n\u00e9ralement admis que pour faire \u0153uvre d’art, les art\u00e9facts dont je viens de parler doivent \u00eatre produits par l’\u00eatre humain, ce qui n’est pas si simple comme on l’a vu par exemple avec les oiseaux-berceaux, dans le cadre d’une d\u00e9marche plus ou moins consciente de faire \u0153uvre, qu’en est-il lorsque l’\u0153uvre est produite par la machine, par exemple ? Non pas que la machine serve d’outil \u00e0 la production humaine, les dispositifs machiniques sont utilis\u00e9s depuis longtemps dans la po\u00ef\u00e8se de l’\u0153uvre, comme par exemple les \u00ab\u00a0machines de vision\u00a0\u00bb qu’utilisaient \u00e0 partir de la Renaissance les peintres pour la perspective. Mais des machines qui produisent des objets esth\u00e9tiques en tant que tels dans une situation de relatif d\u00e9couplage au corps de l\u2019artiste, au moins dans le temps de l\u2019effectuation, il faut attendre les machines \u00e0 peindre ou \u00e0 dessiner de Tinguely (comme M\u00e9tamatics<\/em>, 1959), ou, un peu plus tard des \u0153uvres comme Zen for film<\/em> (1962-1964) de Nam June Paik, par exemple. Zen for film<\/em> est une \u0153uvre compos\u00e9e d\u2019un projecteur film sur lequel tourne en boucle un morceau de pellicule de film transparente. Le principe de l\u2019\u0153uvre est que le rectangle blanc d\u00e9fini par la projection va petit \u00e0 petit faire appara\u00eetre une image du fait de l\u2019usure m\u00e9canique du film passant dans l\u2019objectif du projecteur (rayures) et de l\u2019accumulation de poussi\u00e8re du fait de l\u2019\u00e9lectricit\u00e9 statique.<\/p>\n\n\n\n Mais dans un cas comme dans l’autre, l’objet esth\u00e9tique produit, m\u00eame quand c’est le r\u00e9sultat d’un dispositif processuel, comme c’est le cas chez Paik, est attendu dans la forme qu’il prendra, le processus n’ayant pour objet que de permettre la mise en forme de cette attente. Nous sommes ici dans des processus compl\u00e8tement d\u00e9terministes o\u00f9 le r\u00e9sultat est le produit quasiment in\u00e9vitable, hors la dimension al\u00e9atoire, des \u00e9l\u00e9ments mis en \u0153uvre par le dispositif.<\/p>\n\n\n\n Chez Karl Sims et Leonel Moura, pour ne citer qu’eux, nous sommes dans une configuration tr\u00e8s diff\u00e9rente. Chez l’un ni chez l’autre, le r\u00e9sultat n’est pr\u00e9vu autrement que sous la forme d’une hypoth\u00e8se tr\u00e8s g\u00e9n\u00e9rale. Si Sims donne les moyens programmatiques de l’\u00e9volution de ses cr\u00e9atures, il ne sait d\u00e8s le d\u00e9part quelle \u00e9volution singuli\u00e8re elles vont suivre, ni m\u00eame si elles vont \u00e9voluer. Il met en place les conditions programmatiques de l’\u00e9volution au m\u00eame titre que n’importe quel organisme vivant est g\u00e9n\u00e9tiquement programm\u00e9 pour vivre, sachant que cette programmation g\u00e9n\u00e9tique ne pr\u00e9juge en aucune fa\u00e7on du mode de vie singulier de chaque individu. L\u2019\u00e9volution est le r\u00e9sultat de la production des variations (al\u00e9atoires) de formes par le programme et de la s\u00e9lection par l\u2019interacteur des configurations qui lui plaisent. <\/p>\n\n\n\n En ce qui concerne Leonel Moura, particuli\u00e8rement les \u0153uvres de la s\u00e9rie Ant Swarm Paintings <\/em>(2001), le syst\u00e8me est diff\u00e9rent. Bien que fond\u00e9 aussi sur des algorithmes g\u00e9n\u00e9ratifs, le propos n’est pas de donner vie \u00e0 des cr\u00e9atures virtuelles, mais d’utiliser des comportements animaux mod\u00e9lis\u00e9s pour faire \u0153uvre. Ant Swarm Paintings<\/em> signifie Peintures d\u2019essaimsde Fourmis. Il a \u00e9t\u00e9 \u00e9tabli que les trajets parcourus par les fourmis \u00e0 la recherche de nourriture se font selon un processus qui va successivement du hasard le plus total \u00e0 une organisation m\u00e9thodique sur des trajets communs. Nous sommes typiquement dans un processus d’action, \u00e9limination, r\u00e9compense. Aucune des fourmis ne sait a priori<\/em> o\u00f9 se situe la nourriture. La seule chose qu’elles savent, c’est comment rejoindre la fourmili\u00e8re \u00e0 partir de l’endroit o\u00f9 elles se trouvent, par un moyen bien simple, celui du d\u00e9p\u00f4t de ph\u00e9romones au fur et \u00e0 mesure du parcours sur le principe du Petit Poucet. Lorsqu’une fourmi trouve de la nourriture, elle rejoint directement \u00e0 la fourmili\u00e8re pour en rapporter un morceau, puis elle va retourner sur le lieu de la nourriture, laissant \u00e0 chaque fois un peu plus de ph\u00e9romones sur itin\u00e9raire. Petit \u00e0 petits d\u2019autres fourmis, attir\u00e9es par la quantit\u00e9 de ph\u00e9romones d\u00e9pos\u00e9e, finissent par suivre le m\u00eame itin\u00e9raire jusqu’\u00e0 ce que, bon an mal an, toutes les fourmis se retrouvent \u00e0 la queue leu-leu sur le m\u00eame chemin. Nous sommes ici caract\u00e9ristiquement devant un syst\u00e8me auto-organisateur de type fort.<\/p>\n\n\n\n Leonel Moura utilise ce syst\u00e8me pour faire appara\u00eetre des formes graphiques \u00e0 partir des trajets des fourmis virtuelles. Il connecte une machine CAD (Computer Aided Design<\/em>, Dessin Assist\u00e9 par Ordinateur) qui est une sorte de table tra\u00e7ante dont le bras est prolong\u00e9 par un pinceau et obtient des ‘tableaux’. Moura3<\/sup> d\u00e9finit le processus de la mani\u00e8re suivante :<\/p>\n\n\n\n \u00ab […] ces travaux \u00e9mergent de fourmis artificielles, par un processus de d\u00e9position\/\u00e9vaporation de ph\u00e9romone. Quelques-uns dessinent des traces (plus de ph\u00e9romone, \u00e9gal plus de peinture), d’autres d\u00e9finissent des taches ou organisent des objets 3d. […] Une colonie de fourmis capable d’enregistrer son activit\u00e9 existentielle, dans un environnement d\u00e9limit\u00e9 et pendant un certain p\u00e9riode de temps. Le produit d’un comportement global fait de diff\u00e9rents comportements multiples et simples. Une approche ascendante. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Ce qui est int\u00e9ressant dans les \u0153uvres de Moura comme de Sims, mais rappelons que ce ne sont que des exemples, c’est que l’\u0153uvre d’art change de statut. D’objet artificiel dont l’objectif est de r\u00e9-pr\u00e9senter la nature, elle devient ‘art\u00e9fact naturel’. Cette expression qui rel\u00e8ve de l’oxymore, signifie que l’objet est de l’ordre de l’art\u00e9fact, puisque produit par l’humain, mais que les processus qu’il convoque pour sa r\u00e9alisation sont des processus naturels, mod\u00e9lis\u00e9s dans le cadre des \u0153uvres que je viens de d\u00e9crire, ou non quand nous sommes dans le domaine de l’art biotech’. <\/em>Il y a donc une rupture paradigmatique importante quant au statut de l’\u0153uvre. Leonel Moura parle d’art non-humain en ce qui concerne ses Ant Swarm Paintings<\/em>. Il nous explique :<\/p>\n\n\n\n \u00ab […] dans cette premi\u00e8re \u00e9tape tous les travaux de l’essaim artificiel sont aid\u00e9s par des humains. Mais bient\u00f4t ils cesseront de l\u2019\u00eatre. Quoi qu’il en soit, on peut d\u00e9j\u00e0 affirmer que ces \u2018peintures\u2019 ont tr\u00e8s peu de caract\u00e9ristiques humaines. Elles n’en partagent pratiquement aucune des conditions de la qualit\u00e9 d’auteur (d’humain). Elles ne se r\u00e9f\u00e8rent pas \u00e0 une repr\u00e9sentation pr\u00e9-commise, n’assument aucune pr\u00e9tention sentimentale ou n’expriment pas une sensibilit\u00e9 particuli\u00e8re, et d’ailleurs ne s’attendent pas ni \u00e0 une identification esth\u00e9tique ou morale. \u00c9galement elles n’affirment un go\u00fbt, ni une tendance et aucun message. Les similitudes avec des \u0153uvres d\u2019art reconnues sont dues au contexte de production. C’est-\u00e0-dire, elles sont des d\u00e9fauts et pas des qualit\u00e9s, in\u00e9vitables \u00e0 cette phase initiale o\u00f9 mon ing\u00e9rence est encore consid\u00e9rable. Moins d\u2019ing\u00e9rence, plus l’autonomie se d\u00e9veloppera. Demain nous pourrons \u2018donner naissance\u2019 \u00e0 une vie artificielle enti\u00e8rement consacr\u00e9e \u00e0 son \u2018art\u2019.4<\/sup> \u00bb<\/p>\n\n\n\n L’art cesse-t-il d’\u00eatre humain parce que l’objet esth\u00e9tique est, non pas produit par la machine, on le fait depuis longtemps comme on l’a vu pr\u00e9c\u00e9demment, mais con\u00e7u <\/strong>par la machine ? C’est une question qui ne peut pas amener une r\u00e9ponse simple. Duchamp nous avait d\u00e9j\u00e0 avertis, avec le Ready Made<\/em>, que l’\u0153uvre d’art pouvait exister sans qu’elle soit le r\u00e9sultat d’une activit\u00e9 de fabrication de l’artiste, en tout cas pas au sens artisanal du terme. Mais c’est quand m\u00eame l’artiste qui produit l’\u0153uvre du fait du geste artistique qui fait d\u00e9marche, m\u00eame si par ailleurs Duchamp introduit une dimension syst\u00e9mique dans son \u0153uvre (au masculin) par le recours au hasard en tant qu’\u00e9l\u00e9ment de production de l’\u0153uvre. Incontestablement, dans l’\u0153uvre de Moura, c’est le dispositif programmatique qui fait \u0153uvre du point de vue de son effectuation. D’un point de vue strictement mat\u00e9riel, \u00e9videmment, mais aussi d’un point de vue conceptuel puisque c’est ce dispositif qui va g\u00e9n\u00e9rer l’organisation plastique de l’\u0153uvre. Reste que ni la machine, ni m\u00eame les fourmis qu’elle mod\u00e9lise, n’ont projet de faire \u0153uvre et que si Moura n’avait pas organis\u00e9 l’ensemble du dispositif, aussi bien programmatiquement que techniquement, m\u00eame en se revendiquant d’un niveau d’intervention z\u00e9ro comme il le fait, l’\u0153uvre n’existerait pas. Des millions de fourmis arpentent quotidiennement le sol en cr\u00e9ant des figures invisibles sans qu’il y ait \u0153uvre pour autant.<\/p>\n\n\n\n S’il y a \u0153uvre, c’est donc bien parce que Moura \u00e0 d\u00e9cid\u00e9 que les images produites autant que le processus de leur production proc\u00e9dait de l’artistique, et que nous m\u00eames dans un contexte culturel donn\u00e9, avec un savoir sur l’art, acceptons le fait qu’il y ait \u0153uvre. Comme on le voit, rien que de tr\u00e8s humain dans tout cela. Mais l’enjeu de cette artificialit\u00e9-l\u00e0 ne r\u00e9side peut \u00eatre pas tant dans la volont\u00e9 d’\u00e9carter l’humain des processus de cr\u00e9ation, ni m\u00eame, peut-\u00eatre, de pr\u00e9tendre que la machine peut cr\u00e9er, dans un niveau d’artificialit\u00e9 total, mais de permettre de s’interroger plut\u00f4t les conditions phylog\u00e9n\u00e9tiques de la cr\u00e9ation animale. Ce que mod\u00e9lisent les fourmis de Moura, tout compte fait, serait davantage les protom\u00e9canismes de la cr\u00e9ation humaine dans son processus d’artificialisation de la nature. Pierre-Yves Oudeyer tente de retrouver les formations archa\u00efques du langage en programmant ses chiens \u00e9lectrocybern\u00e9tiques de telle sorte qu’ils construisent \u00e0 partir de rien un v\u00e9ritable langage, certes rudimentaire, mais suffisamment efficace pour qu’ils puissent \u00eatre communicants entre eux, m\u00eame si le chercheur ne peut que constater cette efficacit\u00e9 communicante sans pouvoir acc\u00e9der au contenu des cette communication5<\/sup>. L\u00e0 encore, nous sommes dans un dispositif g\u00e9n\u00e9ratif o\u00f9 les chiens, dot\u00e9s d’un r\u00e9seau neuronal artificiel, d\u00e9veloppent ce r\u00e9seau par une s\u00e9rie d’input<\/em> et d’output<\/em> comme le ferait n’importe quel organisme vivant \u00e0 l’\u00e9volution suffisamment complexe. Les peintures d’essaim de Moura comme les cr\u00e9atures de Sims pourraient ainsi fournir les pistes de ce qui pourrait \u00eatre une approche cognitiviste des processus de cr\u00e9ation. Ainsi, cette m\u00e9ta-artificialit\u00e9 que constituent les dispositifs num\u00e9riques g\u00e9n\u00e9ratifs, par le fait qu’ils ne reproduisent pas la nature mais les processus qui lui sont intrins\u00e8ques, pour reprendre la pens\u00e9e de Paul Ric\u0153ur disputant sur La Physique<\/em> d\u2019Aristote dans La m\u00e9taphore vive<\/em>6<\/sup>, permet de mieux comprendre en quoi l’humain fait partie de la nature ce qui, \u00e0 la fois l’exalte et le relativise. L’exalte, car il c\u00f4toie les dieux. Contrairement \u00e0 Pygmalion, il n’a pas besoin de leur secours pour donner vie autrement que par l’accouplement. Le relativise, car dans le m\u00eame temps il se trouve subsum\u00e9 dans un m\u00e9ta-syst\u00e8me, dilu\u00e9 en tant que syst\u00e8me lui-m\u00eame parmi d’autres syst\u00e8mes. Situation que ne vont pas arranger des sciences comme la g\u00e9n\u00e9tique ou l’\u00e9thologie, ou plus globalement, la cybern\u00e9tique prise comme science des syst\u00e8mes.<\/p>\n\n\n\n Mais si on peut admettre que l\u2019humain peut s\u2019appr\u00e9hender de fa\u00e7on syst\u00e9mique, on doit pouvoir consid\u00e9rer qu\u2019a fortiori<\/em> l\u2019\u0153uvre d\u2019art, notamment dans sa phase po\u00ef\u00e9tique, est elle aussi de l\u2019ordre du syst\u00e8me. Les sciences de la cognition doivent nous permettre d\u2019appr\u00e9hender cette dimension syst\u00e9mique \u00e0 travers l\u2019analyse des processus de cr\u00e9ation, la po\u00ef\u00e8se de l\u2019\u0153uvre.<\/p>\n\n\n\n Dans sa phase instauratrice, l\u2019\u0153uvre proc\u00e8de d\u2019une confrontation singuli\u00e8re de l\u2019artiste au r\u00e9el qui, \u00e0 travers notamment l\u2019articulation percepts\/affects et la fa\u00e7on dont ils s\u2019articulent \u00e0 son imaginaire, l\u2019oblige \u00e0 se d\u00e9partir des routines pour tenter d\u2019appr\u00e9hender ce qui lui pose probl\u00e8me. C\u2019est parce que les op\u00e9rations cognitives qu\u2019il met en \u0153uvre ne trouvent pas de r\u00e9ponses satisfaisantes, dans le substrat que construisent les routines, \u00e0 la pr\u00e9gnance in\u00e9dite du r\u00e9el qu\u2019il se trouve en situation d\u2019op\u00e9rer des connexions extraordinaires, au sens premier du terme. <\/p>\n\n\n\n Henri Atlan d\u00e9finit le processus de cr\u00e9ation scientifique de la mani\u00e8re suivante :<\/p>\n\n\n\n \u00ab Toute hypoth\u00e8se scientifique vraiment nouvelle est en fait de l\u2019ordre du d\u00e9lire du point de vue de son contenu, en ce qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une projection de l\u2019imaginaire sur le r\u00e9el. Ce n\u2019est que parce qu\u2019elle accepte \u00e0 priori la possibilit\u00e9 d\u2019\u00eatre transform\u00e9e ou m\u00eame abandonn\u00e9e sous l\u2019effet de confrontations avec de nouvelles observations et exp\u00e9riences qu\u2019elle s\u2019en s\u00e9pare finalement. \u00bb (Atlan, 1979, p. 147)<\/p>\n\n\n\n Je pense que cette d\u00e9finition s\u2019accorde tout \u00e0 fait \u00e0 la cr\u00e9ation artistique. C\u2019est parce que l\u2019artiste a cette capacit\u00e9 \u00e0 imaginer le r\u00e9el, \u00e0 transformer les perceptions qu\u2019il en a en des images mentales in\u00e9dites, qu\u2019il instaure l\u2019\u0153uvre qui \u00e9merge de ce proc\u00e8s. Mais ce qui fait \u00e0 la fois la force et la difficult\u00e9 de ce proc\u00e8s, c\u2019est l\u2019articulation dialectique qu\u2019il exige entre la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019aller au-del\u00e0, voire en de\u00e7\u00e0 des strates accumul\u00e9es par les routines, qui l\u2019ont construit en tant qu\u2019individu, et celle d\u2019instaurer son dessein dans un parcours relativement balis\u00e9 sur lequel il est malgr\u00e9 tout oblig\u00e9 de s\u2019appuyer pour faire \u0153uvre (la p\u00e9rennit\u00e9 de ses choix esth\u00e9tiques, techniques, etc., m\u00eame si son d\u00e9passement n\u2019est pas exceptionnel).<\/p>\n\n\n\n La d\u00e9ssaissement de soi est une donn\u00e9e constituante du dispositif computationnel qui permet d\u2019imaginer (au sens, aussi, de mettre en image) le r\u00e9el. Si nous admettons, comme le font les psychanalystes par exemple, que le r\u00e9el est de l\u2019ordre de ce qui advient, il ressortit donc \u00e0 l\u2019indicible, \u00e0 ce pour quoi il n\u2019y a pas de mots qui puissent en faire la description. Toute tentative de sa description ne peut \u00eatre que parcellaire, a fortiori <\/em>si on admet que son apperception s\u2019instaure a priori<\/em> dans des strates qui ne sont pas encore m\u00e9diatis\u00e9es par le langage articul\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Le premier outil d\u2019apperception du r\u00e9el est tr\u00e8s probablement l\u2019\u00e9motion. Loin de se limiter \u00e0 une r\u00e9action affective qui va de soi \u00e0 soi, l\u2019\u00e9motion est avant tout un outil cognitif. Alain Berthoz et Jean-Luc Petit nous l\u2019expliquent bien : \u00ab [\u2026] l’\u00e9motion est un outil d\u00e9couvert par l’\u00e9volution pour pr\u00e9parer le futur, pour organiser l’action en fonction de l’exp\u00e9rience pass\u00e9e7<\/sup>. \u00bb L\u2019\u00e9motion est donc l\u2019outil dont dispose le corps, le cerveau, plus pr\u00e9cis\u00e9ment, et tout l\u2019appareil neurov\u00e9g\u00e9tatif et thymique, pour appr\u00e9hender la complexit\u00e9 du r\u00e9el tel qu\u2019il se manifeste dans la confrontation. Mais c\u2019est aussi un outil instaurateur des processus cognitifs qui vont permettre au cerveau de construire la r\u00e9ponse la mieux adapt\u00e9e \u00e0 la situation probl\u00e9matique.<\/p>\n\n\n\n De ce constat, je tirerai deux hypoth\u00e8ses du point de vue de l\u2019artistique. La premi\u00e8re est que le langage articul\u00e9 du discours n\u2019est qu\u2019une solution pour mettre en forme ce processus. Et une solution n\u00e9cessairement r\u00e9ductrice puisque nommer, c\u2019est forc\u00e9ment r\u00e9duire le champ de la complexit\u00e9. De ce point de vue, le champ des arts, et singuli\u00e8rement des arts plastiques en ce qui nous concerne, est un domaine o\u00f9 la mise en forme du r\u00e9el est au moins compl\u00e9mentaire \u00e0 celle du discours articul\u00e9. La plurivocit\u00e9 de l\u2019image (physique, sonore, po\u00e9tique…) est certainement beaucoup moins r\u00e9ductrice que l\u2019univocit\u00e9 de la nomination.<\/p>\n\n\n\n La deuxi\u00e8me est que l\u2019\u00e9motion est par d\u00e9finition du domaine de l\u2019intime. M\u00eame s\u2019il y a n\u00e9cessairement des constantes li\u00e9es aux donn\u00e9es ontog\u00e9n\u00e9tiques et phylog\u00e9n\u00e9tiques de l\u2019\u00e9volution de chaque individu, il n\u2019y a pour autant pas de grille de r\u00e9f\u00e9rence aux manifestations de l\u2019\u00e9motion. C\u2019est donc \u00e0 chaque fois une exp\u00e9rience singuli\u00e8re qui convoque ce qu\u2019il y a de plus profond chez chacun de nous. Mais, remarque le physiologiste Marc Jeannerod, les \u00e9motions \u00ab jouent aussi un r\u00f4le capital dans la communication interindividuelle \u00bb (Jeannerod, 2002, p. 106), car elles nous permettent d\u2019acc\u00e9der aux \u00e9motions des autres. \u00ab L\u2019\u00e9motion est l\u2019ext\u00e9riorisation d\u2019un \u00e9tat mental interne par des stimuli<\/em> visuels (expression du visage, attitudes corporelles) ou sonores (flexions de la voix, cris, exclamations, onomatop\u00e9es, bruits divers) commun \u00e0 toute l\u2019esp\u00e8ce humaine. L\u2019organisation du cerveau est ainsi faite que percevoir une \u00e9motion sur le visage de quelqu\u2019un d\u2019autre (ou dans son comportement corporel) nous fait entrer en communication avec lui et ressentir \u00e0 notre tour l\u2019\u00e9motion de celui que nous observons. \u00bb (Jeannerod, 2002, p. 106) L\u2019\u00e9motion est un vecteur puissant d\u2019intersubjectivit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Par la capacit\u00e9 intrins\u00e8que \u00e0 s\u2019extraire des routines que suppose l\u2019acte de cr\u00e9ation, l\u2019artiste est peut-\u00eatre parmi ceux qui ont une r\u00e9ceptivit\u00e9 \u00e9motionnelle \u00e9lev\u00e9e, c\u2019est-\u00e0-dire non seulement du fait de ses connexions avec le r\u00e9el, mais surtout des projection \u00e0 partir de ces connexions. Comme le remarquent encore Alain Berthoz et Jean-Luc Petit : \u00ab [\u2026] le pouvoir de l’abstraction [\u2026] permet d’\u00e9chapper au flux du v\u00e9cu pour inventer de nouvelles solutions. \u00bb (Jeannerod, 2002, p. 108) L\u2019artiste, en tant que cr\u00e9ateur, s\u2019inscrit donc dans un proc\u00e8s qui va du plus intime \u00e0 l\u2019abstraction de cette intimit\u00e9 \u00e9motionnelle pour la mise en \u0153uvre d\u2019une repr\u00e9sentation formalis\u00e9e de ce qu\u2019il aura su extraire des op\u00e9rations computationnelles instaur\u00e9es par le rapport au r\u00e9el.<\/p>\n\n\n\n Mais ce proc\u00e8s inscrit un autre niveau d\u2019intimit\u00e9, celui de la mati\u00e8re inform\u00e9e par le geste artistique (pictural, graphique\u2026) et du rapport n\u00e9cessairement singulier que l\u2019artiste entretient avec elle. Le travail de colletage de l\u2019artiste avec la mati\u00e8re dans ce qu\u2019elle a de plus intime (ses caract\u00e9ristiques physiques, chimiques, notamment ce que Passeron appelle \u00ab l\u2019endogen\u00e8se picturale \u00bb (Passeron, 1989) \u2026) reproduit \u00e0 un autre niveau, et pour des raisons similaires, l\u2019intimit\u00e9 \u00e9motionnelle de la phase instauratrice.<\/p>\n\n\n\n Reste que les pratiques actuelles, dans le champ des arts plastiques notamment, rel\u00e8vent de plus en plus de dispositifs processuels, qu\u2019ils soient num\u00e9riques ou biotechnologiques. Les technologies contemporaines, en particulier les technologies du num\u00e9rique et les biotechnologies, interrogent de fa\u00e7on sp\u00e9cifique les processus po\u00ef\u00e9tiques de l\u2019\u0153uvre d\u2019art. La dimension syst\u00e9mique et processuelle qu\u2019elles induisent par n\u00e9cessit\u00e9 obligent l\u2019artiste \u00e0 mettre en place de nouvelles strat\u00e9gies face \u00e0 l\u2019\u0153uvre en train de se faire. L\u2019artiste n\u2019intervient plus sur de la mati\u00e8re, qu\u2019il transforme, ou de l\u2019\u00e9nergie, qu\u2019il canalise (Couchot) mais sur du code, qu\u2019il soit num\u00e9rique ou g\u00e9n\u00e9tique. La science et les technologies ont permis, depuis le XIXe<\/sup> si\u00e8cle notamment et l\u2019\u00e9mergence de la photographie, un principe de d\u00e9coupage conceptuel syst\u00e9matique du r\u00e9el en entit\u00e9s discr\u00e8tes jusqu\u2019\u00e0 l\u2019intimit\u00e9 la plus profonde de ses constituants, on pense au microscope \u00e9lectronique par exemple, ou, plus r\u00e9cemment, le s\u00e9quen\u00e7age du g\u00e9nome. C\u2019est dans cet esprit qu\u2019on pourrait situer certaines pratiques artistiques contemporaines comme Corps \u00e9tranger<\/em> (1994) de Mona Hatoum. <\/p>\n\n\n\n Cette \u0153uvre proc\u00e8de d\u2019une recomposition du corps en un territoire virtuel par le d\u00e9couvrement de l\u2019intimit\u00e9 la plus profonde du corps de l\u2019artiste. La cam\u00e9ra endoscopique, en r\u00e9v\u00e9lant le corps \u00e0 travers une succession continue de tr\u00e8s tr\u00e8s gros plans \u00e0 une \u00e9chelle quasiment microm\u00e9trique, supprime toute r\u00e9f\u00e9rence topographique. \u00c0 travers la succession ininterrompue du grain de la peau, du syst\u00e8me pileux individu\u00e9, de la texture des muqueuses \u2026, c\u2019est un corps infini qui appara\u00eet, tel un anneau de M\u0153bius. Un corps qui, malgr\u00e9 les attaches organiques des parcelles d\u00e9couvertes proc\u00e8de davantage d\u2018une organisation param\u00e9trable, programmable par la manipulation de ses composants dans l\u2019espace, que d\u2019une entit\u00e9 finie et situable id\u00e9ologiquement et symboliquement du fait m\u00eame de sa finitude.<\/p>\n\n\n\n Cette \u0153uvre, contemporaine des premi\u00e8res recherches sur les cultures tissulaires, \u00e9voque de fa\u00e7on pr\u00e9monitoire les pratiques artistiques li\u00e9es \u00e0 la culture de cellules dermiques de TC&A<\/em> ou de Art Orient\u00e9 objet<\/em>. Le principe du codage autopo\u00ef\u00e9tique des cellules dermiques fait qu\u2019elles peuvent se d\u00e9velopper d\u2019elles-m\u00eames jusqu\u2019\u00e0 couvrir des surfaces th\u00e9oriquement infinies.<\/p>\n\n\n\n Mais les \u0153uvres de TC&A<\/em> et de Art Orient\u00e9 objet<\/em> rel\u00e8vent d\u2019une autre logique po\u00ef\u00e9tique. L\u2019\u0153uvre de Mona Hatoum r\u00e9sulte d\u2019un corps \u00e0 corps, non pas avec la mati\u00e8re, ici, puisqu\u2019il s\u2019agit de vid\u00e9o, mais avec l\u2019outil, la cam\u00e9ra endoscopique. Elle n\u2019est donc pas dans un processus de transformation de la mati\u00e8re, mais d\u2019utilisation du rapport lumi\u00e8re\/\u00e9nergie o\u00f9 la lumi\u00e8re r\u00e9fl\u00e9chie par le corps est encod\u00e9e en un signal \u00e9lectronique. N\u00e9anmoins, c\u2019est elle qui dirige la cam\u00e9ra et c\u2019est l\u2019incidence de son geste qui va d\u00e9terminer la nature de l\u2019encodage.<\/p>\n\n\n\n En ce qui concerne TC&A<\/em> par exemple, que ce soit pour Cuir sans victime<\/em> ou Les poup\u00e9es du souci semi-vivantes<\/em>, nous sommes dans une d\u00e9l\u00e9gation compl\u00e8te de l\u2019effectuation concr\u00e8te de l\u2019\u0153uvre \u00e0 un codage biologique. Si, dans un cas comme dans l\u2019autre, la forme de l\u2019objet obtenu (le v\u00eatement ou la poup\u00e9e) est d\u00e9termin\u00e9e par la structure en polym\u00e8re biod\u00e9gradable qu\u2019ils on fabriqu\u00e9e, le processus de d\u00e9veloppement des tissus dermiques est totalement ind\u00e9pendant de leur action. Il ob\u00e9it \u00e0 des lois propres d\u00e9termin\u00e9es par le code g\u00e9n\u00e9tique des cellules.<\/p>\n\n\n\n Dans les pratiques artistiques li\u00e9es aux technologies contemporaines, le code devient l\u2019\u00e9l\u00e9ment le plus intime de l\u2019\u0153uvre d\u2019art. Il repr\u00e9sente la base m\u00eame de tous les processus mis en \u0153uvre. C\u2019est lui qui va constituer le point de d\u00e9part informationnel de l\u2019\u0153uvre en train de se faire, y compris dans son actualisation par interaction avec le spectateur. Lorsque, dans le cadre du projet Edunia<\/em>, d\u2019Eduardo Kac, les bio-ing\u00e9nieurs manipulent le code g\u00e9n\u00e9tique du p\u00e9tunia en introduisant dans la s\u00e9quence g\u00e9nomique de la plante un g\u00e8ne extrait d\u2019une s\u00e9quence ADN de l\u2019artiste, ils sont dans une manipulation biotechnologique du plus intime de la mati\u00e8re biologique, dans sa dimension essentielle, m\u00eame. Et c\u2019est cet encodage primordial qui va d\u00e9terminer l\u2019\u00e9volution de la \u00ab mati\u00e8re biologique \u00bb en fonction des processus qui sont normalement ceux du vivant. Ils ne sont donc pas dans la transformation d\u2019une mati\u00e8re constitu\u00e9e, mais dans celle d\u2019une mati\u00e8re virtuelle, \u00e0 venir, car leur intervention ne porte finalement pas sur la mati\u00e8re elle-m\u00eame, tout au plus sur ses pr\u00e9mices.<\/p>\n\n\n\n Le processus est comparable en ce qui concerne les pratiques artistiques li\u00e9es au num\u00e9rique, et particuli\u00e8rement celles qui utilisent des dispositifs programmatiques auto-organisateurs L\u2019artiste intervient non pas sur de la mati\u00e8re, m\u00eame virtuelle au sens o\u00f9 je l\u2019ai d\u00e9fini pr\u00e9c\u00e9demment, mais sur du langage symbolique, le langage algorithmique. C\u2019est ce langage qui va lui permettre d\u2019entrer dans une relation dialogique avec ce qui constitue le plus intime de la machine num\u00e9rique, le code. Le colletage que j\u2019ai \u00e9voqu\u00e9 pr\u00e9c\u00e9demment n\u2019a de ce fait pas la m\u00eame r\u00e9alit\u00e9. L\u2019artiste n\u2019est plus confront\u00e9 \u00e0 l\u2019autonomie de l\u2019\u00ab endogen\u00e8se picturale \u00bb mais \u00e0 la logique d\u2019une syntaxe dans laquelle la moindre erreur rend le programme inop\u00e9rant.<\/p>\n\n\n\n Exit, donc, la question du corps \u00e0 corps avec l\u2019\u0153uvre en train de se faire. Exit, donc aussi le repentir comme trace, t\u00e9moignage du combat de l\u2019artiste avec l\u2019\u0153uvre en train de se faire. Olivier Auber, en \u00e9non\u00e7ant le concept de \u00ab code de fuite8<\/sup> \u00bb \u00e0 partir de son \u0153uvre G\u00e9n\u00e9rateur Po\u00ef\u00e9tique<\/em>, met clairement en \u00e9vidence le r\u00f4le central du code dans l\u2019\u00e9mergence de l\u2019\u0153uvre. Certes, ce concept est \u00e9nonc\u00e9 dans le cadre tr\u00e8s pr\u00e9cis d\u2019une \u0153uvre participative par l\u2019Internet. Le \u00ab code de fuite \u00bb renvoie ici \u00e0 la d\u00e9territorialisation g\u00e9ographique puisque chaque intervenant n\u2019est plus identifi\u00e9 \u00e0 partir d\u2019une adresse g\u00e9ographique, mais \u00e0 partir de l\u2019adresse IP (Internet Protocol) de son ordinateur, m\u00eame si ce code IP permet de spatialiser g\u00e9ographiquement l\u2019ordinateur connect\u00e9. Comme il l\u2019explique lui-m\u00eame : \u00ab ce code de fuite est simplement le seul point commun entre tous les membres d’un groupe livr\u00e9 \u00e0 une forme ou une autre d’interaction collective9<\/sup>. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Mais je pense qu\u2019on peut \u00e9largir l\u2019acception de ce concept. Le rapport au code que d\u00e9gagent les pratiques li\u00e9es aux technologies du num\u00e9rique autant qu\u2019aux biotechnologies d\u00e9place territorialement le rapport de l\u2019artiste \u00e0 l\u2019\u0153uvre dans sa po\u00ef\u00e8se. Il le d\u00e9place temporellement, bien s\u00fbr, puisque l\u2019intervention de l\u2019artiste ne se situe que dans la puissance de l\u2019\u0153uvre, avant, donc, son av\u00e8nement (que celui-ci soit le fait d\u2019un processus biologique ou d\u2019une interaction avec spectateur). Mais il le d\u00e9place aussi du point de vue de l\u2019artistique puisque l\u2019intervention de l\u2019artiste ne rel\u00e8ve plus d\u2019un geste, d\u2019un ensemble d\u2019actions sp\u00e9cifiques exigeant une technique, voire une dext\u00e9rit\u00e9, intrins\u00e8quement li\u00e9e \u00e0 la singularit\u00e9 de l\u2019artiste lui-m\u00eame et \u00e0 son rapport intime avec l\u2019\u0153uvre.<\/p>\n\n\n\n Ce n\u2019est ni nouveau ni sp\u00e9cifique en tant que tel, Duchamp l\u2019avait d\u00e9j\u00e0 introduit avec les Ready Made<\/em>, pour lesquels il s\u2019appuyait sur un syst\u00e8me processuel ind\u00e9pendant du domaine de l\u2019art, la production industrielle. Mais ce qui diff\u00e8re peut-\u00eatre, c\u2019est qu\u2019ici, l\u2019artiste est initiateur du processus, que ce processus ne peut se mettre en \u0153uvre qu\u2019\u00e0 partir d\u2019\u00e9l\u00e9ments symboliques formalis\u00e9s, et que ces \u00e9l\u00e9ments symboliques formalis\u00e9s, la structure syntaxique du code, deviennent la matrice m\u00eame de l\u2019\u0153uvre. <\/p>\n\n\n\n Ce n\u2019est ni nouveau ni sp\u00e9cifique en tant que tel, Duchamp l\u2019avait d\u00e9j\u00e0 introduit avec les Ready Made<\/em>, pour lesquels il s\u2019appuyait sur un syst\u00e8me processuel ind\u00e9pendant du domaine de l\u2019art, la production industrielle. Mais ce qui diff\u00e8re peut-\u00eatre, c\u2019est qu\u2019ici, l\u2019artiste est initiateur du processus, que ce processus ne peut se mettre en \u0153uvre qu\u2019\u00e0 partir d\u2019\u00e9l\u00e9ments symboliques formalis\u00e9s, et que ces \u00e9l\u00e9ments symboliques formalis\u00e9s, la structure syntaxique du code, deviennent la matrice m\u00eame de l\u2019\u0153uvre. <\/p>\n\n\n\n L\u2019artiste n\u2019est plus dans la logique du point de fuite o\u00f9 il se situe en tant qu\u2019\u00e9l\u00e9ment central unique dans la po\u00ef\u00e8se de l\u2019\u0153uvre, mais dans un dispositif o\u00f9 c\u2019est le code, en tant que matrice \u00e0 la fois technique et symbolique, qui devient cet \u00e9l\u00e9ment central. Et ce qui caract\u00e9rise aussi le code, et qui le renvoie \u00e9galement \u00e0 la question de l\u2019intime, c\u2019est qu\u2019il repr\u00e9sente la partie cach\u00e9e du dispositif, celle \u00e0 laquelle seuls l\u2019artiste et\/ou le programmeur ont acc\u00e8s dans l\u2019\u00e9laboration informationnelle du processus. Et il s\u2019agit finalement d\u2019une intimit\u00e9 irr\u00e9ductible, car m\u00eame dans le cas o\u00f9 le spectateur est auteur de l\u2019actualisation de l\u2019\u0153uvre (voir le concept d\u2019auteur-amont chez Couchot), il n\u2019a pas acc\u00e8s \u00e0 cette intimit\u00e9, n\u2019ayant pas acc\u00e8s au code. Et c\u2019est peut-\u00eatre l\u00e0 aussi que r\u00e9side la diff\u00e9rence avec les pratiques relevant du corps \u00e0 corps avec la mati\u00e8re. Autant ce corps \u00e0 corps laisse des traces, des t\u00e9moignages, par la pr\u00e9sence de la touche, par exemple, qui raconte au spectateur combine ce combat fut \u00e9pique. Autant le code, contraint dans son intimit\u00e9 inaccessible, ne laisse rien para\u00eetre d\u2019un combat qui n\u2019a pas eu lieu. Cela n\u2019enl\u00e8ve rien aux qualia <\/em>de l\u2019\u0153uvre et Passeron note opportun\u00e9ment que : \u00ab Le XXe si\u00e8cle a cr\u00e9\u00e9 des arts nouveaux, dont les qualia<\/em>sensibles restent certes diff\u00e9rents, mais dont les instruments sont pratiquement identiques, au niveau \u00e9lectronique et cybern\u00e9tique. \u00bb (Passeron, 1989, p. 34) Notons toutefois que le combat de l\u2019artiste avec le num\u00e9rique n\u2019est pas pour autant un combat d\u00e9sincarn\u00e9 et encore moins virtuel. Si l\u2019artiste ne se collette pas avec la mati\u00e8re physique, il se collette avec le code, ce qui n\u2019est pas non plus chose simple quand on sait, d\u2019une part, que la moindre erreur de syntaxe peut tout bloquer, mais aussi qu\u2019il y a en permanence n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019allers et retours entre ce qui est attendu des op\u00e9rations programm\u00e9es et ce qui ressort effectivement de la mise en \u0153uvre de ces programmations.<\/p>\n\n\n\n L\u2019analyse que je propose s\u2019appuie sur une production personnelle qui revisite le principe du dessin automatique. Cette production porte le nom de Tentative de lecture cristalline <\/em>et est constitu\u00e9e de dessins en noir et blanc.Le propos consiste \u00e0 m\u2019interroger dans une approche \u00e0 la premi\u00e8re personne, sur les processus de cr\u00e9ation mis en \u0153uvre dans ce contexte partant de l\u2019hypoth\u00e8se que ce type de pratique ne suppose pas de dessein initial mais que la figure se construit par \u00e9mergence \u00e0 partir de ce qui peut \u00eatre consid\u00e9r\u00e9 comme un chaos initial. La figure se pr\u00e9cise au fur et \u00e0 mesure \u00e0 partir de processus de choix qui proc\u00e8dent autant de la logique interne du dessin que d\u2019une interpr\u00e9tation des formes \u00e9mergentes \u00e0 partir des codes du dessin (model\u00e9, d\u00e9grad\u00e9\u2026). <\/p>\n\n\n\n *Les processus de r\u00e9ception et de cr\u00e9ation des \u0153uvres d\u2019art. [1] Ces oiseaux ont la particularit\u00e9 de construire des structures architecturales complexes. Pendant la saison de la reproduction, les m\u00e2les construisent une esp\u00e8ce de passage couvert en arceaux avec des brindilles. Les brindilles sont peintes en bleu \u00e0 l\u2019aide d\u2019un m\u00e9lange de salive et de jus de baies. Le passage d\u00e9bouche sur une sorte de sc\u00e8ne circulaire pav\u00e9e de cailloux plats ou de petits objets (tessons de bouteilles, capsules) r\u00e9cup\u00e9r\u00e9s. Le pavage a ceci de particulier que les mat\u00e9riaux sont dispos\u00e9 dans un ordre pr\u00e9cis et progressif o\u00f9 les plus petits sont devant et les plus grands derri\u00e8re afin d\u2019obtenir depuis l\u2019entr\u00e9e l\u2019impression d\u2019une taille homog\u00e8ne, ce qui a pour effet de rabattre l\u2019arri\u00e8re-plan. Le dispositif, et sa complexit\u00e9, a pour objectif de mettre en valeur la parade nuptiale du m\u00e2le qui se met v\u00e9ritablement en sc\u00e8ne en imitant toute une vari\u00e9t\u00e9 de chants d\u2019oiseaux allant jusqu\u2019\u00e0 se parodier lui-m\u00eame. La femelle assiste au spectacle depuis l\u2019entr\u00e9e du dispositif et fait son choix en fonction de la qualit\u00e9 esth\u00e9tique de l\u2019ensemble, aussi bien du point de vue de l\u2019architecture que de la performance. Les \u00e9tudes semblent montrer que nous ne sommes pas dans la simple reproduction d\u2019un comportement acquis g\u00e9n\u00e9tiquement mais qu\u2019il y a un certain libre-arbitre.<\/p>\n\n\n\n [2] Si la nature n\u2019est pas une artiste, certaines formes rencontr\u00e9es dans la nature (sym\u00e9trie, rythmes sonores, certaines courbes et lignes) ont un retentissement d\u2019ordre esth\u00e9tique sur l\u2019esp\u00e8ce humaine et certaines esp\u00e8ces animales. En revanche, l\u2019appr\u00e9ciation d\u2019un beau paysage pourrait \u00eatre d\u2019ordre culturel.<\/p>\n\n\n\n [3] Leonel Moura, http:\/\/www.lxxl.pt\/aswarm\/fr_aswarm.html<\/a>, consult\u00e9 le 10\/07\/2012.<\/p>\n\n\n\n [4] Leonel Moura, op. cit.<\/em>.<\/p>\n\n\n\n [5] http:\/\/www.pyoudeyer.com\/ouest-france.pdf<\/a>, consult\u00e9 le 30\/06\/2013. <\/p>\n\n\n\n [6] Paul Ric\u0153ur, \u00ab \u2026 c\u2019est de la nature que l\u2019art tire d\u2019avoir une fin. De cela m\u00eame l\u2019art re\u00e7oit son autonomie, car ce qui est imitable dans la nature ce ne sont pas les choses produites que l\u2019on aurait \u00e0 copier, mais la production m\u00eame et son ordre t\u00e9l\u00e9ologique\u2026 \u00bb, La m\u00e9taphore vive<\/em>, Paris, Seuil Points-Essais, 1975, p. 60 (note de bas de page). \u00c0 souligner toutefois que nous ne suivons absolument pas Ric\u0153ur dans la dimension t\u00e9l\u00e9ologique qu\u2019il pr\u00eate \u00e0 l\u2019art. L\u2019art, en tant qu\u2019il repose sur des conduites h\u00e9rit\u00e9es de la phylog\u00e9n\u00e8se de notre esp\u00e8ce n\u2019a pas de finalit\u00e9 \u00ab naturelle \u00bb, mais il a des effets. C\u2019est notre culture occidentale qui lui attribue des finalit\u00e9s. <\/p>\n\n\n\n [7] Alain Berthoz, Jean-Luc Petit, Ph\u00e9nom\u00e9nologie et physiologie de l’action<\/em>, op. cit.<\/em>, p.15.<\/p>\n\n\n\n [8] Olivier Auber, \u00ab Perspective num\u00e9rique et cartographie s\u00e9mantique #2 \u00bb, [9] Ibid.<\/em><\/p>\n\n\n\n \u2013 Atlan, Henri, Entre le cristal et la fum\u00e9e, Essai sur l’organisation du vivant<\/em>, Paris, Seuil, 1979, 288 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Couchot, Edmond, La technologie dans l\u2019art, de la photographie \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 virtuelle<\/em>, N\u00eemes, Jacqueline Chambon, 1998, 271 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Jeannerod, Marc, La nature de l\u2019esprit,<\/em> Odile Jacob, 2002, 256 p. <\/strong> <\/p>\n\n\n\n \u2013 Minsky, Marvin, La soci\u00e9t\u00e9 de l\u2019esprit<\/em>, Paris, InterEditions, 1988, 653 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Passeron, Ren\u00e9, Pour une philosophie de la cr\u00e9ation<\/em>, Paris, Klincksieck, 1989, 264 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Varela, Francisco, Evan Thompson et Eleanor Rosch, L\u2019inscription corporelle de l\u2019esprit<\/em>–Sciences cognitives et exp\u00e9rience humaine<\/em>, Paris, Seuil, 1993, 464 p. <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" En tant qu’entreprise de mise en forme du monde, l’\u0153uvre d’art proc\u00e8de davantage d’un dispositif d’appr\u00e9hension cognitive de la nature que d’un constat contemplatif de ses merveilles, y compris avec la dimension t\u00e9l\u00e9ologique que cela peut supposer \u00e0 travers l\u2019id\u00e9e d\u2019un grand architecte, d\u2019un super d\u00e9miurge. 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L\u2019\u0153uvre comme syst\u00e8me<\/h2>\n\n\n\n
Le code de l\u2019\u0153uvre<\/h2>\n\n\n\n
Approches \u00e0 la premi\u00e8re et \u00e0 la troisi\u00e8me personne (partie 3)<\/p>\n\n\n\nNotes<\/h2>\n\n\n\n
http:\/\/perspective-numerique.net\/wakka.php?wiki=CodeDeFuite<\/a> consult\u00e9 le 4\/02\/10.<\/p>\n\n\n\nBibliographie<\/h2>\n\n\n\n