{"id":1665,"date":"2015-05-01T16:39:08","date_gmt":"2015-05-01T16:39:08","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=1665"},"modified":"2022-11-25T16:39:24","modified_gmt":"2022-11-25T16:39:24","slug":"mai-2015-la-dialectique-de-loeuvre","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/mai-2015-la-dialectique-de-loeuvre\/","title":{"rendered":"Mai 2015 – La dialectique de l\u2019\u0153uvre*"},"content":{"rendered":"\n
Il ressort de l\u2019ensemble que nous sommes dans un processus d\u2019\u00e9mergence chaotique o\u00f9 il appara\u00eet que le chaos, mais \u00e7a tout le monde le sait, n\u2019est pas l\u2019absence de codes, mais un \u00e9tat dont la complexit\u00e9 est telle que ces codes ne sont pas\u00a0a priori\u00a0<\/em>accessibles avec les outils conceptuels que nous utilisons pour d\u00e9crire habituellement le monde. Henri Atlan nous dit\u00a0: \u00ab\u00a0[\u2026] la complexit\u00e9 est un ordre dont on ne connait pas le code.\u00a0\u00bb (Atlan, 2011, p. 78) Je ne pr\u00e9tends pas avoir \u00e9puis\u00e9 le code du chaos qui se met en \u0153uvre \u00e0 l\u2019occasion des \u0153uvres que je propose ici. Je propose une grille de lecture d\u2019un processus po\u00ef\u00e9tique particulier d\u2019o\u00f9 \u00e9merge un certain nombre de codes qui me paraissent op\u00e9rationnels comme tentative de formalisation de ce processus particulier.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Le dessin automatique, par le fait m\u00eame qu\u2019il s\u2019agit d\u2019un dessin sans desse<\/em><\/strong>in, est de l\u2019ordre de l\u2019\u00e9mergence. Cela peut para\u00eetre \u00e9vident, mais cela devient int\u00e9ressant lorsqu\u2019on se r\u00e9f\u00e8re \u00e0 la d\u00e9finition scientifique de l\u2019\u00e9mergence tel que le d\u00e9finissent Janine Guespin-Michel et Camille Ripoll :<\/p>\n\n\n\n \u00ab\u00a0Nous appelons \u00e9mergence l\u2019existence (et pas seulement l\u2019apparition vue comme un processus temporel, ce que le vocable pourrait sugg\u00e9rer) de\u00a0qualit\u00e9s singuli\u00e8res\u00a0<\/em>d\u2019un syst\u00e8me qui ne peuvent exister que dans certaines conditions\u00a0: elles peuvent \u00e9ventuellement s\u2019inter-convertir alors que le syst\u00e8me conserve les\u00a0m\u00eames\u00a0<\/em>constituants soumis \u00e0 l\u2019interaction de\u00a0m\u00eame\u00a0<\/em>nature, si un param\u00e8tre r\u00e9glant l\u2019intensit\u00e9<\/em>\u00a0de ces interactions franchit, lors de sa variation, un seuil\u00a0critique<\/em>.\u00a0\u00bb (Guespin-Michel et Ripoll, 2005, p. 42)<\/p>\n\n\n\n Si, incontestablement, il y a \u00e9mergence dans le dessin automatique par le fait qu\u2019il proc\u00e8de de l\u2019inattendu pour l\u2019artiste lui-m\u00eame dans sa po\u00ef\u00e8se, nous sommes aussi dans un processus de \u00ab\u00a0chaos d\u00e9terministe\u00a0\u00bb, en r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 l\u2019expression reprise par Lucien S\u00e8ve (S\u00e8ve, 2005, p. 63)\u00a0qui nous dit, par ailleurs,\u00a0\u00e0 propos des syst\u00e8mes non lin\u00e9aires : \u00ab\u00a0En trois \u00e9nonc\u00e9s prenant forme d’aporie\u00a0: le tout est et n’est pas la somme de ses parties ; la cause est et n’est pas l’ant\u00e9c\u00e9dent de l’effet ; le d\u00e9terminisme est et n’est pas synonyme de pr\u00e9dictibilit\u00e9.\u00a0\u00bb (S\u00e8ve, 2005, p. 69) \u00c0 l\u2019analyse des processus mis en \u0153uvre dans la po\u00ef\u00e8se du dessin automatique, celui que je pratique, en tout cas, il s\u2019av\u00e8re que cet \u00e9nonc\u00e9 est tout \u00e0 fait op\u00e9ratoire. L\u2019image qui \u00e9merge va bien au-del\u00e0 de la somme de ses \u00e9l\u00e9ments constituants, que ce soit d\u2019un point de vue mat\u00e9riel et formel, d\u00e9j\u00e0, dans la mesure o\u00f9 la dimension \u00e9motionnelle et esth\u00e9tique qui s\u2019en d\u00e9gage proc\u00e8de d\u2019un saut qualitatif qui l\u2019am\u00e8ne au statut d\u2019\u0153uvre d\u2019art. C\u2019est d\u2019ailleurs ce que nous proposent aussi Janine Guespin-Michel et Camille Ripoll lorsqu\u2019ils nous disent\u00a0: \u00ab\u00a0On peut penser [\u2026] \u00e0 l’\u00e9motion artistique \u00e9mergeant pour l’auditeur d’une certaine organisation de mots ou de notes.\u00a0\u00bb (Guespin-Michel et Ripoll, 2005, p. 45-46) en ajoutant que les formes, les valeurs, les couleurs, etc. proc\u00e8dent du m\u00eame sch\u00e9ma.<\/p>\n\n\n\n Mais la conduite de l\u2019\u0153uvre elle-m\u00eame, \u00e0 travers les op\u00e9rations mentales et physiques qui sont mises en \u0153uvre ressortissent de m\u00eame aux syst\u00e8mes non lin\u00e9aires dans la mesure o\u00f9 la main qui conduit le stylobille et le syst\u00e8me neuro-physiologique qui conduit la main sont confront\u00e9s \u00e0 chaque trait \u00e0 une multitude de possibles dont un seul, \u00e0 chaque fois, sera effectivement r\u00e9alis\u00e9. Mais, si d\u2019un point de vue imm\u00e9diatement temporel, on peut consid\u00e9rer que le trait trac\u00e9 est le r\u00e9sultat de l\u2019impulsion donn\u00e9e par la main qui actualise un ordre du cerveau, il n\u2019y a pas de d\u00e9terminisme dans ce trait. Il n\u2019est pas un \u00e9l\u00e9ment d\u2019un sch\u00e9ma globalement, et pr\u00e9alablement, construit ailleurs que dans le fait de faire un trait qui sera destin\u00e9, par une suite d\u2019associations accidentelles, \u00e0 construire avec d\u2019autres traits un ensemble visuel qui aura le statut d\u2019\u0153uvre d\u2019art. Ou, plus localement, \u00e0 une construction formelle qui sera plus ou moins signifiante en fonction de la lecture qu\u2019en fera le regardeur. Mais dans un cas comme dans l\u2019autre, c\u2019est la forme achev\u00e9e qui justifie le trait. Nous sommes donc bien l\u00e0 dans un ph\u00e9nom\u00e8ne dialectique o\u00f9 la cause n\u2019est pas \u00ab l\u2019ant\u00e9c\u00e9dent de l\u2019effet \u00bb puisque le trait en train d\u2019\u00eatre trac\u00e9 ne prend sens que r\u00e9troactivement, dans l\u2019esprit de l\u2019artiste qui le trace, dans son articulation \u00e0 un ensemble \u00e9mergent. Elle n\u2019est pas, mais elle est en m\u00eame temps, car c\u2019est bien la nature de ce trait, la fa\u00e7on dont il construit malgr\u00e9 tout l\u2019espace autour de lui qui va servir de d\u00e9clencheur \u00e0 la succession des autres traits.<\/p>\n\n\n\n De la m\u00eame fa\u00e7on, enfin, on retrouve le m\u00eame ph\u00e9nom\u00e8ne dialectique autour de la question du d\u00e9terminisme. Chaque trait ou groupe de trait, dans son trac\u00e9, \u00e9nonce une bifurcation potentielle. Et je ne parle pas ici des traits accidentels, dus \u00e0 un d\u00e9rapage du stylo dont la trajectoire \u00e9chappe au contr\u00f4le exerc\u00e9, m\u00eame dans la logique de laisser-aller qu\u2019implique ce genre de pratique, par le cerveau sur la main. Mais dans la mesure o\u00f9 chaque trait n\u2019a pas de finalit\u00e9 d\u00e9termin\u00e9e par un sch\u00e9ma global, il n\u2019implique pas a priori<\/em> le trait suivant, celui qui va \u00e9ventuellement le prolonger, le rejoindre, le c\u00f4toyer, le couper\u2026 N\u00e9anmoins, la fa\u00e7on dont ce premier trait va construire l\u2019espace va induire aussi, dans une certaine mesure, la fa\u00e7on dont le trait suivant va lui-m\u00eame occuper l\u2019espace. C\u2019est bien la raison pour laquelle on peut dire comme Lucien S\u00e8ve que dans ce processus, \u00ab le d\u00e9terminisme est et n’est pas synonyme de pr\u00e9dictibilit\u00e9 \u00bb. Il y a un d\u00e9terminisme global qui est celui du projet de l\u2019\u0153uvre et des conditions mises en place pour son \u00e9mergence. Mais ce d\u00e9terminisme ne d\u00e9finit pas chaque \u00e9tape de l\u2019\u0153uvre et ne permet donc pas d\u2019en pr\u00e9dire les \u00e9tapes successives, m\u00eame s\u2019il est pr\u00e9dictible qu\u2019un trait va en entra\u00eener un autre. Mais la pr\u00e9dictibilit\u00e9 n\u2019est pas l\u2019automaticit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Dans ce type de pratique, l’impr\u00e9vu fait syst\u00e8me, il va \u00eatre le moteur de construction de chaque dessin, de chaque ensemble compos\u00e9. La main ne sait pas a priori ce qu’elle dessine jusqu’\u00e0 ce qu’une forme \u00e9merge qui soit comprise par le cerveau comme forme, au moins potentielle, sans qu’elle\u00a0 renvoie n\u00e9cessairement, c’est m\u00eame g\u00e9n\u00e9ralement le cas, \u00e0 un proc\u00e8s figuratif. Quand je dis \u00ab\u00a0comprise\u00a0\u00bb, il ne s’agit en aucun cas de processus conscient. Le cerveau analyse les traits qui naissent sous le stylo essentiellement d’un point de vue vaguement connotatif qui renvoie \u00e0 des patterns routiniers, ceux de la dext\u00e9rit\u00e9 inconsciente, de la dext\u00e9rit\u00e9 qui doit son efficacit\u00e9 \u00e0 l’inconscience du geste. Nous sommes incontestablement dans un dispositif d’\u00e9volution g\u00e9n\u00e9rative, avec les processus de r\u00e9troaction que cela implique, y compris avec le principe de r\u00e9compense que cela induit. Il y a une co-\u00e9volution dialectique du local au global1<\/sup>\u00a0caract\u00e9ristique des boucles de r\u00e9troaction, comme l’explique Varela : \u00ab\u00a0C\u2019est cette notion de boucle qui fait que le local et le global ne sont pas s\u00e9parables. Le global va contraindre et m\u00eame d\u00e9finir les agents locaux et, en m\u00eame temps, les agents locaux sont les seuls responsables de l\u2019\u00e9mergence de la totalit\u00e9.\u00a0\u00bb (Varela, 2002)<\/p>\n\n\n\n Mais ce processus de co-\u00e9volution va se construire aussi par un processus d’\u00e9valuation locale sur le principe de la fonction\u00a0fitness<\/em>. \u00a0La fonction\u00a0fitness<\/em>\u00a0\u00a0est celle qui permet dans tout syst\u00e8me auto-\u00e9volutif, de s\u00e9lectionner les agents performants dans une population donn\u00e9e afin de les croiser entre eux pour obtenir une g\u00e9n\u00e9ration encore plus performante selon un principe bottom-up. Mis \u00e0 part ce processus de g\u00e9n\u00e9rations successives, qu’il conviendrait peut-\u00eatre d’analyser plus en d\u00e9tail, nous sommes bien dans un proc\u00e8s qui convoque la fonction\u00a0fitness<\/em>. Nous y sommes \u00e0 la fois parce que chaque trac\u00e9, chaque geste d\u00e9posant de l’encre sur la feuille, est le r\u00e9sultat d’une op\u00e9ration de s\u00e9lection du cerveau qui va comparer l’ensemble de ses connaissances, au moins dans le domaine de la production graphique de formes, pour commander l’action la mieux adapt\u00e9e aux besoins de l\u2019autonomie s\u00e9miotique de l\u2019\u0153uvre elle-m\u00eame. Par autonomie s\u00e9miotique, j\u2019entends que ce processus, en inscrivant des formes, fait aussi \u00e9merger des signes. Or, ces signes et la fa\u00e7on dont ils s\u2019organisent dans l\u2019\u0153uvre en proc\u00e8s, cr\u00e9ent une logique intrins\u00e8que avec laquelle l\u2019artiste doit se colleter comme avec du r\u00e9el \u00e9mergent. Cette expression a \u00e9t\u00e9 inspir\u00e9e par Ren\u00e9 Passeron qui parle, lui, d\u2019\u00ab\u00a0autonomie s\u00e9miologique\u00a0\u00bb (Passeron, 1989, p. 27) au sens o\u00f9 le public peut avoir une lecture de l\u2019\u0153uvre achev\u00e9e qui ne corresponde pas n\u00e9cessairement \u00e0 ce que l\u2019artiste a voulu y mettre. Passeron, par ailleurs, d\u00e9crit bien cette situation\u00a0: \u00ab\u00a0a\/ l’\u0153uvre \u00e0 faire \u201cpose et soutient une\u00a0situation questionnante<\/em>\u201d o\u00f9 l’artiste doit fournir \u00e0 chaque instant la r\u00e9ponse demand\u00e9e, – b\/ d’o\u00f9 l\u2019exploitation de l\u2019homme par l\u2019\u0153uvre.\u00a0\u00bb\u00a0(Passeron, 1989, p. 128)<\/p>\n\n\n\n Il y a incontestablement une articulation action\/r\u00e9compense qui se produit dans le cadre de cette fonction fitness<\/em>. Le bon geste, le bon trait, est celui qui s\u2019impose in fine<\/em>. Nous sommes dans le cadre d\u2019un dessin au stylobille, il n\u2019y a pas de repentir possible, seulement l\u2019urgence du risque. Le couple cerveau\/main n\u2019a droit ni \u00e0 l\u2019essai ni \u00e0 l\u2019erreur. Tout au plus peut-il r\u00e9intervenir pour complexifier des espaces laiss\u00e9s plus ou moins vierges. Et puisque nous sommes dans une situation de l\u00e2cher prise o\u00f9 le cerveau est en veille par rapport \u00e0 ce qui se d\u00e9roule sur la feuille de papier, l\u2019op\u00e9ration de r\u00e9compense qui s\u2019effectue dans le cadre de la boucle r\u00e9troactive n\u2019est \u00e9videmment pas de l\u2019ordre de la satisfaction consciente, mais se situe sans doute au niveau neuronal de la m\u00eame fa\u00e7on que, dans le cadre d\u2019un syst\u00e8me \u00e9volutif, la r\u00e9compense dans le cadre d\u2018une boucle r\u00e9troactive ne satisfait pas les agents s\u00e9lectionn\u00e9s par la fonction fitness<\/em>. La r\u00e9compense, c\u2019est l\u2019effectuation des op\u00e9rations performantes dans le cadre du syst\u00e8me lui-m\u00eame par rapport aux stimuli<\/em> provoqu\u00e9s par l\u2019impr\u00e9vu en ce qu\u2019elle permet la poursuite du processus en satisfaisant aux besoins intrins\u00e8ques du processus lui-m\u00eame.<\/p>\n\n\n\n N\u00e9anmoins, l\u2019\u00e9tat de veille du cerveau ne signifie pas, dans ce cas pr\u00e9cis, qu\u2019il soit priv\u00e9 de toute activit\u00e9. Si cette activit\u00e9 n\u2019est pas d\u2019ordre volitionnel, come nous l\u2019avons vu, il n\u2019en reste pas moins qu\u2019il est en situation d\u2019activit\u00e9 \u00e0 un niveau qui, m\u00eame s\u2019il ne renvoie pas une analyse formalis\u00e9e de la situation, \u00e0 chacun de ses n\u0153uds, \u00e0 chaque fois qu\u2019il y a un choix plastique \u00e0 faire, proc\u00e8de toutefois d\u2019un processus de d\u00e9cision. Et ce processus met en \u0153uvre le syst\u00e8me nerveux. Berthoz explique que\u00a0: \u00ab\u00a0\u2026nous devons nous rendre \u00e0 l\u2019\u00e9vidence que l’action est elle-m\u00eame inscrite dans le fonctionnement des capteurs sensoriels, du moins des premiers relais, car ceux-ci vont s\u00e9lectionner, filtrer, organiser l’information visuelle, par exemple, en fonction du r\u00e9pertoire d’actions possibles.\u00a0\u00bb (Berthoz, 2002, p. 133)<\/p>\n\n\n\n Il va de soi, nous l\u2019avons vu plus haut, que la forme qui \u00e9merge, d\u2019un simple trait ou d\u2019un ensemble plus complexe, est interpr\u00e9t\u00e9e par le cerveau qui d\u00e9cide. Et, comme le dit encore Berthoz\u00a0: \u00ab\u00a0Percevoir, ce n\u2019est pas seulement combiner, pond\u00e9rer, c\u2019est s\u00e9lectionner. C\u2019est\u00a0dans la masse des informations disponibles,\u00a0choisir<\/em>\u00a0celles qui sont pertinentes par rapport \u00e0 l\u2019action envisag\u00e9e. C\u2019est lever des ambigu\u00eft\u00e9s, c\u2019est donc d\u00e9cider.\u00a0\u00bb (Berthoz, 2002, p. 10-11) La d\u00e9cision qui est prise \u00e0 chaque fois par le cerveau se fait donc n\u00e9cessairement \u00e0 partir d\u2019un r\u00e9pertoire pr\u00e9d\u00e9fini de possibles qui sont d\u00e9j\u00e0 contraints par les contraintes techniques et formelles du dispositif. Le processus de computation qui s\u2019exerce alors op\u00e8re des choix qui sont d\u2019ordre infime, essentiellement local, puisque le global n\u2019existe th\u00e9oriquement m\u00eame pas \u00e0 l\u2019\u00e9tat de projet formalis\u00e9. Et je pense que l\u2019analyse de Berthoz est particuli\u00e8rement adapt\u00e9e \u00e0 la situation, m\u00eame si elle renvoie \u00e0 un processus beaucoup plus g\u00e9n\u00e9ral\u00a0: \u00ab\u00a0\u2026 le cerveau ne travaille pas sur des valeurs absolues mais sur des erreurs ou des diff\u00e9rences, [\u2026] la comp\u00e9tition excitation-inhibition [\u2026] joue un r\u00f4le fondamental dans la prise de d\u00e9cision.\u00a0\u00bb (Berthoz, 2002, p. 131) Et on peut se demander si le couple excitation\/inhibition dont parle Berthoz n\u2019int\u00e8gre pas la fonction\u00a0fitness<\/em>\u00a0dont je parle plus haut.<\/p>\n\n\n\n Un monde complexe \u00e9merge donc sur la feuille. Le trait inchoatif est un trait jet\u00e9, c\u2019est \u00e0 dire qu\u2019il est produit par une certaine gestualit\u00e9 qui fait intervenir une certaine fulgurance, puis, rapidement, ce trait est r\u00e9investi par d\u2019autres dispositifs graphiques qui vont l\u2019\u00e9toffer, y compris d\u2019ailleurs au sens qu\u2019on donne \u00e0 ce verbe dans la pratique sculpturale qui est, \u00e0 propos d\u2019une statue, de\u00a0: \u00ab\u00a0Lui donner plus d’ampleur, en l’agr\u00e9mentant de draperies flottantes2<\/sup>\u00a0\u00bb, la plissure \u00e9tant une donn\u00e9e r\u00e9currente des compositions qui \u00e9mergent. Pas seulement la plissure textile, d\u2019ailleurs. On est m\u00eame plut\u00f4t dans le pli cutan\u00e9, organique, et, peut-\u00eatre hercynien. Voire, en fin de compte, d\u2019un pli organique lithifi\u00e9, pour reprendre l\u2019expression. En fait, la gestuelle de la po\u00ef\u00e8se pourrait \u00e9voquer certains types de pratiques musicales o\u00f9 le rythme varie entre\u00a0staccato<\/em>\u00a0et\u00a0legato<\/em>.<\/p>\n\n\n\n Mais il est important de noter que cette \u00e9mergence n\u2019est en rien le fruit\u00a0 d\u2019une projection d\u00e9j\u00e0\u00a0 formalis\u00e9e en tant qu\u2019image consciente pr\u00e9alable. Nous sommes, je l\u2019ai dit, dans le domaine du dessin automatique. Cela signifie que si, par d\u00e9finition, l\u2019image produite est le r\u00e9sultat de l\u2019activit\u00e9 du cerveau, nous ne sommes pas v\u00e9ritablement dans une production consciente et d\u00e9lib\u00e9r\u00e9e en tant que telle. Encore faut-il pr\u00e9ciser, me semble-t-il, le champ de cette conscience ou de cette absence de conscience. Il va de soi que ces op\u00e9rations ne peuvent s\u2019effectuer dans une totale absence de conscience. Damasio (Damasio, 2012)\u00a0distingue trois niveaux de conscience, ou de non conscience. Il y a l\u2019\u00e9tat de non-conscience qui correspond par exemple \u00e0 l\u2019\u00e9tat endormi. Puis l\u2019\u00e9tat de conscience, tout court, que l\u2019on pourrait aussi appeler conscience primordiale, et qui caract\u00e9rise tout \u00eatre vivant, comme l\u2019amibe, par exemple, qui se r\u00e9tracte lorsqu\u2019elle est agress\u00e9e par un objet. Pour qu\u2019elle se r\u00e9tracte, il faut qu\u2019elle ait conscience, m\u00eame \u00e0 un niveau tr\u00e8s primitif, de former une entit\u00e9. Vient enfin ce que Damasio appelle la conscience r\u00e9flexive qu\u2019on pourrait r\u00e9sumer par le fait d\u2019\u00eatre conscient d\u2019\u00eatre conscient. Si, effectivement, dans les productions qui ressortissent au dessin automatique, il n\u2019y a pas v\u00e9ritablement convocation de la conscience r\u00e9flexive, il doit n\u00e9cessairement y avoir un niveau de conscience minimal du corps, ne serait-ce que pour permettre d\u2019\u00eatre dans un \u00e9tat dessinant. En fait, cet exercice suppose deux niveaux de conscience, un niveau de conscience primordiale et un niveau de conscience r\u00e9flexive, dans le m\u00eame temps. Pour pr\u00e9ciser encore les choses, peut-\u00eatre peut-on convoquer le concept de \u00ab\u00a0conscience pr\u00e9-r\u00e9flexive\u00a0\u00bb que propose Jean Vion-Dury\u00a0:<\/p>\n\n\n\n \u00ab\u00a0Un second niveau de conscience est celui d\u2019une vigilance ouverte, d\u2019un accueil panoramique, d\u2019une conscience de base minimale, graduelle et ouverte. C\u2019est ce que l\u2019on d\u00e9nomme \u201cawareness<\/em>\u201d. Ce second niveau, cette conscience pr\u00e9-r\u00e9flexive, couche profonde de notre conscience r\u00e9flexive est multimodale, pr\u00e9-conceptuelle et pr\u00e9-cognitive. Elle est pr\u00e9sente avant toute s\u00e9paration de nos modalit\u00e9s sensorielles.\u00a0\u00bb (Vion-Dury, 2010, p. 99)<\/p>\n\n\n\n Jean Vion-Dury propose par ailleurs, mais en articulation avec celui de conscience pr\u00e9-r\u00e9flexive, le concept de \u00ab\u00a0veille paradoxale\u00a0\u00bb (Vion-Dury, 2010, p. 101) qu\u2019il associe aux techniques bouddhistes de m\u00e9ditation mais aussi \u00e0 l\u2019hypnose, partant du fait que dans les deux cas les caract\u00e9ristiques EEG3 <\/sup>sont du m\u00eame ordre. Le niveau de conscience r\u00e9flexive est celui qui est convoqu\u00e9 pour \u00eatre attentif au contenu de la r\u00e9union, aux propose des intervenants. Et le niveau de conscience pr\u00e9-r\u00e9flexive est celui qui, nous l\u2019avons vu, est convoqu\u00e9 par le dessin automatique, sachant qu\u2019en outre, par un m\u00e9canisme que je ne connais pas, la mobilisation de la conscience pr\u00e9-r\u00e9flexive pour le dessin automatique permet de renforcer la mobilisation de la conscience r\u00e9flexive.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Cela dit, la question de la qualit\u00e9 de cette conscience paradoxale m\u00e9rite d\u2019\u00eatre pos\u00e9e. On ne peut pas la r\u00e9duire, dans la s\u00e9quence qui nous int\u00e9resse ici, \u00e0 une conscience de type r\u00e9flexe comme dans le cas de l\u2019amibe cit\u00e9 pr\u00e9c\u00e9demment. Il y a n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019un minimum de comp\u00e9tences cognitives. Et ce, pour deux raisons. La premi\u00e8re, c\u2019est qu\u2019il faut une ma\u00eetrise de l\u2019outil qui requiert une dext\u00e9rit\u00e9 suffisante pour que le dessin, l\u2019acte graphique, soit signifiant aussi bien au regard de l\u2019ensemble que se construit que de la d\u00e9marche elle-m\u00eame. Jean-Pierre Changeux situe au niveau du cortex\u00a0: \u00ab\u00a0Les mouvements finement coordonn\u00e9s des doigts qui r\u00e8glent coups de crayon ou touches de pinceau sont sous la commande de cellules de r\u00e9gions sp\u00e9cialis\u00e9es du cortex c\u00e9r\u00e9bral, dites sensori-motrices, qui envoient leurs ordres (apr\u00e8s un relais au niveau de la moelle \u00e9pini\u00e8re) aux muscles qui les ex\u00e9cutent. Ce m\u00eame domaine c\u00e9r\u00e9bral contr\u00f4le les d\u00e9placements de la main et son orientation.\u00a0\u00bb (Changeux, 2008-2010, p. 147) Reste que les ordres transmis par les cellules du cortex sont d\u00e9termin\u00e9s par des patterns qui se construisent \u00e0 partir de connaissances acquises suffisamment construites pour que l\u2019ad\u00e9quation soit maximale entre l\u2019ordre donn\u00e9 par le cortex et son ex\u00e9cution par la main. C\u2019est la caract\u00e9ristique du geste technique.\u00a0<\/p>\n\n\n\n La deuxi\u00e8me, c\u2019est que ce geste technique n\u2019est pas une finalit\u00e9 en soi. Nous sommes ici dans le cadre de ce que Jean-Luc Nancy appelle\u00a0Tekn\u00e9 po\u00ef\u00e9tike\u00a0<\/em>: \u00ab\u00a0La po\u00e9sie, avant d\u2019\u00eatre le nom d\u2019un art particulier, est le nom g\u00e9n\u00e9rique de l\u2019art.\u00a0Tekn\u00e9 po\u00ef\u00e9tik\u00e9<\/em>\u00a0: technique productive. Cette technique, c\u2019est-\u00e0-dire cet art, cette op\u00e9ration calcul\u00e9e, ce proc\u00e9d\u00e9, cet artifice produit quelque chose non pas en vue d\u2019autre chose ni d\u2019un usage, mais de sa production m\u00eame.\u00a0\u00bb (Nancy, 1997, p. 6) Le geste ne peut donc pas \u00eatre uniquement machinal m\u00eame s\u2019il suppose l\u2019utilisation importante de routines. En fait, chaque trait est potentiellement un objet esth\u00e9tique qui sera investi en tant que tel par le cerveau \u00e0 partir de donn\u00e9es cognitives accumul\u00e9es par l\u2019exp\u00e9rience de la pratique artistique en m\u00eame temps que d\u2019une culture artistique. Cela ne veut pas dire que ces donn\u00e9es cognitives sont convoqu\u00e9es en terme de r\u00e9f\u00e9rences conscientes, formul\u00e9es sous la forme d\u2019images formalis\u00e9es. Changeux\u00a0souligne que :<\/p>\n\n\n\n \u00ab\u00a0[\u2026] l’id\u00e9e du tableau ne surgit pas du brouillard. La combinatoire cr\u00e9atrice travaille sur des \u00e9l\u00e9ments d\u00e9j\u00e0 structur\u00e9s. L’artiste fait appel \u00e0 des images et repr\u00e9sentations \u201dmn\u00e9moniques\u201d, \u00e0 un vocabulaire de formes et de figures qui se sont stabilis\u00e9es dans sa connectivit\u00e9 c\u00e9r\u00e9brale, au m\u00eame titre que sa langue maternelle, au cours d’un long processus d’\u00e9pigen\u00e8se par s\u00e9lection de synapses qui marque chaque individu d’une trace particuli\u00e8re.\u00a0\u00bb (Changeux, 2008-2010, p. 143)<\/p>\n\n\n\n En fait, l\u2019hypoth\u00e8se que je pose est qu\u2019il ne s\u2019agit pas v\u00e9ritablement d\u2019un vocabulaire de formes et de figures au sens achev\u00e9 que cela pourrait laisser supposer, mais plut\u00f4t de possibilit\u00e9s de connexions multiples de donn\u00e9es \u00e9l\u00e9mentaires \u00e0 partir desquelles l\u2019artiste va cr\u00e9er des combinaisons privil\u00e9gi\u00e9es en fonction des donn\u00e9es, li\u00e9es notamment \u00e0 sa fa\u00e7on d\u2019\u00eatre au monde, avec ce que cela suppose d\u2019acquis collectifs, et qui existent dans le cerveau sous forme dispositionnelle pour reprendre Damasio4<\/sup>. On sait la capacit\u00e9 du cerveau \u00e0 d\u00e9velopper des r\u00e9gions neuronales particuli\u00e8res en fonction d\u2019une activit\u00e9, professionnelle notamment, qui sollicite fr\u00e9quemment le m\u00eame type de connections synaptiques. On peut donc supposer que le cerveau de l\u2019artiste est sensible \u00e0 certains patterns qui lui serviront de base \u00e0 une pratique combinatoire. Borillo estime que\u00a0:<\/p>\n\n\n\n \u00ab\u00a0L\u2019information sensorielle est trait\u00e9e par un dispositif neurophysiologique associant des connaissances pr\u00e9alablement m\u00e9moris\u00e9es et des dispositions intentionnelles. Sur ce sch\u00e9ma de base, commune \u00e0 tous les individus, vient se greffer une \u201cvariabilit\u00e9\u201d qu\u2019il est difficile d\u2019attribuer \u00e0 tel ou tel organe mais qui assure la singularit\u00e9 de la perception individuelle.\u00a0\u00bb\u00a0(Borillo, p. 24)<\/p>\n\n\n\n Citant Zeki, il \u00e9met l\u2019hypoth\u00e8se que les artistes visuels d\u00e9veloppent particuli\u00e8rement des aptitudes lui permettant \u00ab\u00a0de \u201cstructurer intuitivement l\u2019espace au moyen d\u2019un vocabulaire de formes\u201d qui lui est propre\u2026\u00a0\u00bb (Borillo, p. 24-25) Mais ces dispositions ne sont pas inn\u00e9es, elles se construisent au fur et \u00e0 mesure de l\u2019exp\u00e9rience esth\u00e9tique de l\u2019artiste \u00e0 travers sa propre pratique en m\u00eame temps que la fa\u00e7on dont il se construit dans son rapport au monde qui l\u2019entoure. Thorpe pr\u00e9cise \u00e0 juste titre, \u00e0 propos des r\u00e9ponses neuronales qui interviennent dans la reconnaissance des objets que\u00a0: \u00ab\u00a0\u2026 leur existence apporte une preuve de l\u2019influence que peuvent avoir nos connaissances culturelles au niveau de la s\u00e9lectivit\u00e9 m\u00eame de nos neurones.\u00a0\u00bb (Thorpe, p. 142)\u00a0<\/p>\n\n\n\n L\u2019artiste aurait donc cette capacit\u00e9 de d\u00e9velopper des r\u00e9seaux neuronaux singuliers, singuliers \u00e0 chaque artiste. Les outils expressifs qu\u2019il d\u00e9veloppe s\u2019inscrivent dans une certaine variabilit\u00e9 par rapport aux patterns qu\u2019il a constitu\u00e9s et l\u2019acte po\u00ef\u00e9tique consisterait, en partie tout du moins, \u00e0 \u00e9valuer la performance euscopique5<\/sup>\u00a0des signes cr\u00e9\u00e9s par rapport \u00e0 ces patterns. On peut admettre effectivement que la construction du vocabulaire qui permet l\u2019\u00e9mergence des formes sous le stylo renvoie \u00e0 une fonction\u00a0fitness.\u00a0<\/em>Un processus de s\u00e9lection de type darwinien qui, par un processus de s\u00e9lection\/r\u00e9compense va finir par affiner progressivement le champ des combinaisons formelles.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Ces combinaisons ne se font pas \u00e0 partir d\u2019un registre pr\u00e9alable de formes \u00e9labor\u00e9es. C\u2019est vrai de fa\u00e7on g\u00e9n\u00e9rale dans les cr\u00e9ations visuelles, mais c\u2019est particuli\u00e8rement vrai dans le cadre du dessin automatique. Je ne pense pas, dans ma pratique en tout cas, que le dessin automatique permette de faire \u00e9merger des formes existant \u00e0 l\u2019\u00e9tat latent, en quelque sorte, dans l\u2019inconscient. Comme je le propose pr\u00e9c\u00e9demment, ces formes r\u00e9sulteraient plut\u00f4t de combinaisons de donn\u00e9es \u00e9l\u00e9mentaires. Berthoz rappelle que\u00a0: \u00ab\u00a0La m\u00e9moire contient des \u00e9l\u00e9ments simples appel\u00e9s \u201cg\u00e9ons\u201d.\u00a0\u00bb (Berthoz, 2002, p. 266) Les g\u00e9ons sont des formes \u00e9l\u00e9mentaires en deux ou en trois dimensions qui constituent la base analytique de toute forme, quelle que soit sa complexit\u00e9. Il estime qu\u2019une \u00ab\u00a0biblioth\u00e8que d’environ 36 g\u00e9ons permettrait d’identifier un nombre consid\u00e9rable d’objets.\u00a0\u00bb (Berthoz, 2002, p. 266) La reconnaissance des formes, aussi complexes soient-elles, s\u2019effectuerait par combinaison des g\u00e9ons contenus dans cette biblioth\u00e8que. Peut-on supposer alors que la construction de formes s\u2019effectue sur un principe identique en sens inverse\u00a0? C\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 partir d\u2019une biblioth\u00e8que r\u00e9duite, dans un registre donn\u00e9, de formes \u00e9l\u00e9mentaires qui, par combinaison, permettent de construire une composition complexe.<\/p>\n\n\n\n On peut ajouter d\u2019ailleurs d\u2019ailleurs que, du c\u00f4t\u00e9 du producteur comme du r\u00e9cepteur, la construction de l\u2019image en un ensemble coh\u00e9rent, ne serait-ce que d\u2019un point de vue visuel et quelle que soit la nature de cette \u0153uvre, ne fait pas intervenir aussi un dispositif un dispositif de globalisation tel que celui que d\u00e9crit Ramachandran :<\/p>\n\n\n\n \u00ab\u00a0[Wolf Singer et Charles Gray] trouv\u00e8rent que si un singe regarde un gros objet (disons un lion) dont les fragments seuls sont visibles, alors de nombreuse cellules d\u00e9chargent en parall\u00e8le \u2013 pour signaler les diff\u00e9rents fragments ; et c\u2019est ce que vous auriez attendu. Mais de fa\u00e7on surprenante, d\u00e8s que les caract\u00e9ristiques sont group\u00e9es en un seul objet (dans ce cas, un lion) toutes les successions d\u2019impulsions deviennent parfaitement synchronis\u00e9es. Nous ne savons pas encore comment cela arrive, mais Singer et Gray sugg\u00e8rent que c\u2019est cette synchronie qui dit que, quelque soit ce que \u00ab\u00a0lisent\u00a0\u00bb ces signaux plus hauts dans le cerveau, ces fragments appartiennent \u00e0 un seul objet. Je pousserais cet argument plus loin et sugg\u00e8rerais que cette synchronie permet aux successions d\u2019impulsions d\u2019\u00eatre encod\u00e9es de telle fa\u00e7on qu\u2019en r\u00e9sulte une sortie coh\u00e9rente qui est relay\u00e9e au centre \u00e9motionnel (ou limbique) du cerveau, cr\u00e9ant en vous un sursaut \u00ab\u00a0Ah \u2013 regarde l\u00e0 \u2013 c\u2019est un objet\u00a0\u00bb. Ce sursaut vous \u201cr\u00e9veille\u201d et vous fait tourner les yeux et vous diriger vers l\u2019objet. Ainsi vous pouvez faire attention \u00e0 celui-ci, l\u2019identifier et prendre une action. C\u2019est ce signal ah que l\u2019artiste exploite quand il utilise le groupement dans ses tableaux.\u00a0\u00bb (Ramachandran, 2002, p. 155)<\/p>\n\n\n\n Il est donc possible que ces donn\u00e9es neurologiques interviennent dans le fait qu\u2019une production esth\u00e9tique, m\u00eame si elle utilise des codes visuels ou sonores qui sont en rupture avec les routines, reste malgr\u00e9 tout per\u00e7ue dans une certaine coh\u00e9rence \u00e0 condition toutefois qu\u2019elle soit contextualis\u00e9e dans une \u00ab\u00a0situation d\u2019ancrage6<\/sup>\u00a0\u00bb, pour reprendre le concept de Maria Rossi, qui ajoute\u00a0: \u00ab\u00a0Il peut s\u2019agir de presque n\u2019importe quel \u00e9v\u00e9nement physique, pourvu que cet \u00e9v\u00e9nement physique soit \u2013 sous certaines conditions favorables \u2013 perceptible, interpr\u00e9table cognitivement et pr\u00e9sent\u00e9 dans un contexte o\u00f9 il sera li\u00e9 \u00e0 des intentions\/comportements artistiques7<\/sup>.\u00a0\u00bb Ce concept de situation d\u2019ancrage nous permet notamment de reconna\u00eetre comme \u0153uvre d\u2019art des compositions dissonantes ou dysharmoniques, par exemple. On peut penser \u00e0 une bonne partie de la musique du XXe<\/sup>\u00a0si\u00e8cle \u00e0 partir de la musique dod\u00e9caphonique.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Le cerveau reconstituerait donc comme \u2018composition\u2018 un ensemble de signes ou de sons plus ou moins discrets \u00e0 la fois gr\u00e2ce au dispositif neurologique d\u00e9crit par Ramachandran\u00a0et<\/strong>\u00a0aux donn\u00e9es, culturelles, celles-ci, de la \u00ab\u00a0situation d\u2019ancrage\u00a0\u00bb. Berthoz \u00e9met l\u2019hypoth\u00e8se de la capacit\u00e9 du cerveau \u00e0 construire par \u00e9mergence des ensembles complexes \u00e0 partir de donn\u00e9es \u00e9l\u00e9mentaires\u00a0: \u00ab\u00a0Il semble bien que les fonctions les plus \u00e9labor\u00e9es du cerveau sont peut-\u00eatre fond\u00e9es sur des principes au demeurant assez simples mais reproduits dans des \u201ccontextes\u201d neuronaux tr\u00e8s vari\u00e9s. L’activit\u00e9 apparemment complexe du cerveau, comme une fugue de Bach, est faite de variations multiples et subtiles de combinaisons sur un r\u00e9pertoire tr\u00e8s large mais limit\u00e9 et surtout susceptible d’associations tr\u00e8s nombreuses de principes comme ceux du\u00a0Clavecin bien temp\u00e9r\u00e9<\/em>. (Berthoz, 2002, p. 131-132)<\/p>\n\n\n\n On sait que des syst\u00e8mes hypercomplexes, comme les fourmili\u00e8res par exemple, ne sont en fait bas\u00e9s que sur une programmation tr\u00e8s simple de chacun des agents qui le constituent sans plan d\u2019ensemble. C\u2019est le principe de ce qu\u2019on appelle la \u00ab\u00a0stimergie8<\/sup>\u00a0\u00bb. Le concept d\u2019\u00e9mergence qui marque la science contemporaine, notamment du point de vue de la biologie et de l\u2019informatique, s\u2019appuie en grande partie sur ce principe qui peut se complexifier encore par le fait que des\u00a0valeurs initiales proches peuvent diverger, m\u00eame faiblement, et aboutir \u00e0 des r\u00e9sultats diff\u00e9rents. C\u2019est ce qui caract\u00e9rise le mod\u00e8le physique et math\u00e9matique du Chaos. Le processus cr\u00e9ateur serait alors \u00e0 la fois un processus stimergique et un processus chaotique. C\u2019est particuli\u00e8rement vrai, me semble-t-il, en ce qui concerne le mod\u00e8le de dessin automatique que je propose. Chaque trait peut \u00eatre la cause d\u2019une divergence, ph\u00e9nom\u00e8ne que connaissent bien les artistes et qui peut soit donner \u00e0 un repentir, soit \u00eatre assum\u00e9 pleinement comme dispositif expressif. C\u2019est le cas paradigmatique du fameux\u00a0grand verre<\/em>\u00a0de Duchamp. La diff\u00e9rence tient sans doute au fait que le principe de divergence est un principe de base du dessin automatique. Non seulement parce que l\u2019accident, le trait qui d\u00e9vie, par exemple, par rapport \u00e0 ce que le cerveau avait pr\u00e9vu, permet de faire \u00e9merger des sch\u00e9mas en rupture avec le projet imm\u00e9diat du geste (le fait d\u2019utiliser le stylobille est une mise en danger permanente). Mais aussi, et surtout, parce que l\u2019accident est en tant que tel une donn\u00e9e constitutive de l\u2019\u00e9mergence par le fait m\u00eame qu\u2019il n\u2019y a pas de sch\u00e9ma inchoatif.<\/p>\n\n\n\n N\u00e9anmoins, m\u00eame si les processus que je d\u00e9cris laissent appara\u00eetre une certaine absence de responsabilit\u00e9 de l\u2019artiste dans le processus, bien que Edmond Couchot remarque \u00e0 juste titre qu\u2019il est aussi responsable de sa non responsabilit\u00e9, il ne faudrait pas limiter l\u2019analyse du processus \u00e0 un r\u00e9ductionnisme biologique et syst\u00e9mique. M\u00eame si la po\u00ef\u00e8se de l\u2019\u0153uvre ne proc\u00e8de pas en tant que telle d\u2019un processus d\u00e9lib\u00e9r\u00e9 dans son d\u00e9roulement, m\u00eame si, par ailleurs, on peut rep\u00e9rer les dispositifs neuronaux qui pr\u00e9sident \u00e0 cette po\u00ef\u00e8se avec tout ce que j\u2019ai expliqu\u00e9 sur la fa\u00e7on dont ils inscrivent la sp\u00e9cificit\u00e9 de l\u2019artiste, l\u2019\u0153uvre ne r\u00e9sulte pas que d\u2019une seule fonction fitness<\/em>. Ou alors, il faut admettre que cette fonction repose sur des donn\u00e9es plus complexes que la simple satisfaction euscopique imm\u00e9diate. <\/p>\n\n\n\n Si on peut admettre que le processus que j\u2019ai d\u00e9crit, notamment en articulation avec la fonction\u00a0fitness<\/em>, s\u2019inscrit plus g\u00e9n\u00e9ralement dans la perspective d\u2019un \u00e9quilibre hom\u00e9ostatique qui caract\u00e9rise tout \u00eatre vivant, il faut admettre aussi que l\u2019humain n\u2019est pas qu\u2019un organisme biologique. Damasio nous explique que\u00a0: \u00ab\u00a0La m\u00eame impulsion hom\u00e9ostatique qui a fa\u00e7onn\u00e9 le d\u00e9veloppement des mythes et des religions \u00e0 jou\u00e9 pour faire \u00e9merger les arts, aid\u00e9e en cela par cette m\u00eame curiosit\u00e9 intellectuelle et cette m\u00eame pulsion d\u2019exploration.\u00a0\u00bb (Damasio, 2012, p. 356) La cr\u00e9ation artistique proc\u00e8de donc de cet \u00e9quilibre hom\u00e9ostatique par le fait qu\u2019en tant que lieu par excellence de la \u00ab\u00a0curiosit\u00e9\u00a0intellectuelle\u00a0\u00bb et de la \u00ab\u00a0pulsion d\u2019exploration\u00a0\u00bb, elle inscrit un \u00e9quilibre dynamique, c\u2019est-\u00e0-dire un \u00e9quilibre qui se construit par sa remise en cause permanente. Car la cr\u00e9ation artistique proc\u00e8de ontologiquement d\u2019un processus n\u00e9guentropique, nous l\u2019avons vu. Il est probable que cette caract\u00e9ristique s\u2019applique aussi \u00e0 la cr\u00e9ation scientifique, voire \u00e0 tout processus de cr\u00e9ation. Goodman note d\u2019ailleurs la tr\u00e8s grande parent\u00e9 qui existe entre art et science, notamment du point de vue du rapport cognitif au monde qu\u2019ils d\u00e9finissent\u00a0: \u00ab\u00a0Je suis devenu de plus en plus attentif au fait que ce que nous r\u00e9v\u00e8le la science (je parle de la\u00a0<\/strong>science th\u00e9orique) et ce que nous r\u00e9v\u00e8le l’art est tr\u00e8s semblable. Quand un scientifique fait pour la premi\u00e8re fois le lien entre chaleur et mouvement ou entre les mar\u00e9es et la lune, nos visions du monde sont modifi\u00e9es de fa\u00e7on radicale.\u00a0\u00bb (Goodman, 2009, p. 139) Cette modification est le r\u00e9sultante du fait que la cr\u00e9ation est substantiellement\u00a0 un acte n\u00e9guentropique par le fait qu\u2019elle rompt \u00e0 chaque fois l\u2019\u00e9quilibre des routines.<\/p>\n\n\n\n Nous avons vu aussi avec Dominique Lestel qu\u2019un chimpanz\u00e9 \u00e9tait en mesure de produire, exp\u00e9rimentalement, des structures visuelles fortement marqu\u00e9es par la sym\u00e9trie. Je ne sais pas si ce constat est extensible \u00e0 tous les chimpanz\u00e9s dans cette situation, mais il me semble qu\u2019on touche l\u00e0 un point nodal. Le chimpanz\u00e9 aurait tendance \u00e0 produire une image de type hom\u00e9ostatique dans sa composition alors que la cr\u00e9ation artistique, je ne parle pas ici de l\u2019art des fous qui est un domaine tout \u00e0 fait particulier, en tant que production humaine se situe plut\u00f4t dans la rupture hom\u00e9ostatique. La composition rel\u00e8ve par exemple plus g\u00e9n\u00e9ralement du contrepoint que de la sym\u00e9trie. Cette rupture hom\u00e9ostatique est une donn\u00e9e constituante du processus de cr\u00e9ation en ce que l\u2019\u00e9quilibre dynamique dont elle rel\u00e8ve participe du d\u00e9calage cognitif que l\u2019\u0153uvre d\u2019art doit n\u00e9cessairement entretenir avec le r\u00e9el dont elle est issue, dans le m\u00eame temps que c\u2019est cette dimension qui lui permet, je pense, d\u2019\u00eatre elle-m\u00eame productrice de r\u00e9el.<\/p>\n\n\n\n Je propose comme hypoth\u00e8se que le dessin automatique, par le fait qu\u2019il ne participe pas d\u2019un sch\u00e9ma programmatique, o\u00f9 il n\u2019a pas pour d\u2019autre projet de repr\u00e9sentation que sa propre pr\u00e9sentation, peut \u00eatre consid\u00e9r\u00e9 comme le paradigme du dessin. Une donn\u00e9e, d\u00e9j\u00e0, est \u00e0 prendre en compte. Nous avons admis que l\u2019exp\u00e9rience esth\u00e9tique supposait de d\u00e9jouer les routines, dans l\u2019acte de production, bien s\u00fbr, mais, par cons\u00e9quent au niveau du r\u00e9cepteur aussi. Le dessin automatique est un dispositif syst\u00e9mique qui repose sur le hasard, m\u00eame si nous avons vu qu\u2019il y avait des \u00e9l\u00e9ments d\u00e9terministes dans ce hasard. Maria Rossi propose la fonction suivante au hasard dans la cr\u00e9ation artistique\u00a0: \u00ab\u00a0Utiliser le hasard, c\u2019est stricto sensu utiliser une proc\u00e9dure pour d\u00e9jouer\/inhiber les routines.\u00a0\u00bb (Rossi, 2003, p. 217) De ce point de vue l\u00e0, donc, on pourrait donc consid\u00e9rer que le dessin automatique constitue, au m\u00eame titre que l\u2019ensemble des processus de cr\u00e9ation qui introduisent le hasard comme dispositif expressif, un paradigme de la cr\u00e9ation artistique. Mais, au-del\u00e0, les sch\u00e9mas \u00e0 partir desquels j\u2019ai propos\u00e9 d\u2019analyser les processus po\u00ef\u00e9tiques mis en \u0153uvre peuvent peut-\u00eatre servir de mod\u00e8le scientifique \u00e0 l\u2019analyse des processus graphiques en g\u00e9n\u00e9ral dans le cadre plus global de l\u2019analyse syst\u00e9mique des processus po\u00ef\u00e9tiques.<\/p>\n\n\n\n Peut-on \u00e9tendre cette analyse \u00e0 tout dispositif de cr\u00e9ation artistique ? Sans doute pas sous cette forme. Mais il est des d\u00e9marches de cr\u00e9ation qui, m\u00eame sans recours aux dispositifs num\u00e9riques ou bio-technologiques, sont explicitement d\u2019ordre syst\u00e9mique. C\u2019est le cas de l\u2019\u0153uvre de Michel Blazy, par exemple. Lorsqu\u2019il utilise des \u00e9l\u00e9ments biologiques pour r\u00e9aliser ses compositions et qu\u2019il laisse aux processus biologiques (champignons, insectes, etc.) le soin de faire \u00e9voluer l\u2019\u0153uvre \u00e0 partir des processus syst\u00e9miques qui les caract\u00e9risent, il met en place un v\u00e9ritable \u00e9cosyst\u00e8me qui va faire \u0153uvre par transformation de la mati\u00e8re. On le voit bien dans Sculptcure <\/em>(2001). Les oranges press\u00e9es sont petit \u00e0 petit envahies par la moisissure qui en transforme l\u2019aspect tant du point de vue de la couleur que de la texture.<\/p>\n\n\n\n On peut consid\u00e9rer que, bien que ne relevant pas du num\u00e9rique, ces \u0153uvres processuelles fonctionnent sur le m\u00eame syst\u00e8me que les processus num\u00e9riques que j\u2019ai analys\u00e9s. Ou, plus exactement, ce sont les processus num\u00e9riques qui fonctionnent sur le m\u00eame principe puisqu\u2019ils sont en eux-m\u00eames des mod\u00e9lisations des processus du vivant. Les algorithmes mis en \u0153uvre dans le cadre des processus num\u00e9riques \u00e9volutifs, en particulier dans le contexte des syst\u00e8mes de niches que d\u00e9veloppe McCormack, sont bas\u00e9s sur le m\u00eame principe de co-\u00e9volution structurelle quelles moisissures sur les sculptures de Blazy.<\/p>\n\n\n\n Mais je pense, au-del\u00e0, que, au moins dans le champ des arts plastiques, au moins lorsque le processus po\u00ef\u00e9tique s\u2019inscrit dans la transformation de la mati\u00e8re ou de l\u2019\u00e9nergie, il y a quelque chose dans ce processus qui rel\u00e8ve de l\u2019\u00e9naction. M\u00eame lorsque l\u2019\u0153uvre est l\u2019aboutissement d\u2019un projet initial, m\u00eame lorsque ce projet est relativement construit. Il serait illusoire de penser que l\u2019\u0153uvre en train de se faire, que ce soit une \u0153uvre peinte, sculpt\u00e9e, etc., n\u2019est que l\u2019application litt\u00e9rale du projet. <\/p>\n\n\n\n D\u2019abord, le projet lui-m\u00eame n\u2019est jamais compl\u00e8tement mis en forme, m\u00eame s\u2019il fait l\u2019objet de nombreuses \u00e9tudes pr\u00e9alables. Il ne l\u2019est jamais car on ne construit pas un tableau, par exemple, comme on construit un programme informatique ferm\u00e9. L\u2019image primordiale dont il proc\u00e8de est avant tout une image mentale dont le tableau ne repr\u00e9sente pas la projection au sens lumineux du terme. Une image mentale est une image relativement informelle, m\u00eame si Dal\u00ed tente d\u2019en fournir un contre-exemple avec sa m\u00e9thode \u00ab parano\u00efa-critique \u00bb. De ce fait m\u00eame, l\u2019\u0153uvre en train de se faire, si elle est une actualisation de cette image mentale primordiale, est par son processus la formalisation de cette image. Mais nous sommes bien dans un processus. Cela signifie que cette mise en forme se pr\u00e9cise au fur et \u00e0 mesure de son actualisation, avec tous les repentirs que cela suppose.<\/p>\n\n\n\n Et cette actualisation en proc\u00e8s ressortit elle-m\u00eame au dispositif d\u2019\u00e9change dialectique que j\u2019ai analys\u00e9 pr\u00e9c\u00e9demment \u00e0 propos de mes propres productions. L\u2019image qu\u2019est l\u2019\u0153uvre en train de se faire est une image qui a \u00e0 chaque instant sa coh\u00e9rence propre, son autonomie s\u00e9miotique qui fait qu\u2019elle oppose une r\u00e9sistance \u00e0 l\u2019action de l\u2019artiste et l\u2019oblige \u00e0 r\u00e9\u00e9valuer son intervention.<\/p>\n\n\n\n On peut donc consid\u00e9rer, \u00e0 mon avis, que cette r\u00e9sistance produit un \u00e9change d\u2019informations, pas n\u00e9cessairement conscient, entre l\u2019artiste et l\u2019\u0153uvre en train de se faire. On doit pouvoir alors consid\u00e9rer que cet \u00e9change d\u2019information induit une \u00e9volution r\u00e9ciproque de l\u2019artiste et de l\u2019image par un syst\u00e8me de boucle r\u00e9troactive qui modifie l\u2019intention de l\u2019artiste et son comportement pour s\u2019adapter \u00e0 ces donn\u00e9es \u00e9mergentes. Il y a n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019adaptation de l\u2019artiste aux n\u00e9cessit\u00e9s de l\u2019autonomie s\u00e9miotique au risque sinon de ne pas aboutir l\u2019\u0153uvre.<\/p>\n\n\n\n Il est probable que ce dispositif est valide m\u00eame dans le cas de l\u2019art conceptuel, tout au moins dans ses grandes lignes. On sait combien, aussi r\u00e9duite soit-elle, la production d\u2019objets esth\u00e9tique est importante dans la r\u00e9alit\u00e9 d\u2019une \u0153uvre d\u2019art conceptuel. D\u2019autant plus importante qu\u2019elle proc\u00e8de g\u00e9n\u00e9ralement d\u2019une \u00e9conomie de moyens. Aussi ma\u00eetris\u00e9e soit-elle, c\u2019est-\u00e0-dire aussi proche soit-elle du projet inchoatif de l\u2019artiste, dans la mesure o\u00f9 l\u2019objet produit n\u2019est en aucun cas la seule r\u00e9sultante d\u2019une pens\u00e9e qui rel\u00e8ve de la pens\u00e9e raisonnante, m\u00eame lorsque l\u2019objet produit s\u2019\u00e9nonce tout ou partie sous la forme du langage articul\u00e9. C\u2019est bien ce qui fait que l\u2019objet esth\u00e9tique pr\u00e9sent\u00e9 ressortit \u00e0 l\u2019\u0153uvre d\u2019art et non \u00e0 l\u2019expos\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Je pense, en conclusion, que tout dispositif po\u00ef\u00e9tique est un dispositif syst\u00e9mique, y compris donc lorsque cette po\u00ef\u00e8se est de l\u2019ordre de l\u2019artistique. Mais \u00e7a ne veut pas dire, loin s\u2019en faut, que l\u2019\u0153uvre qui en r\u00e9sulte est r\u00e9ductible \u00e0 ce dispositif, ni m\u00eame que ce dispositif suffit \u00e0 rendre compte de tout ce qui se passe dans le processus.<\/p>\n\n\n\n *Les processus de r\u00e9ception et de cr\u00e9ation des \u0153uvres d\u2019art [1] Le local \u00e9tant l\u2019espace et le moment pr\u00e9cis d\u2019inscription du trait et le global, \u00e0 la fois l\u2019ensemble s\u00e9miotique qui se construit en m\u00eame temps que le syst\u00e8me corporel dans lequel s\u2019inscrit le processus.\u00a0<\/p>\n\n\n\n [2] http:\/\/www.cnrtl.fr\/definition\/\u00e9toffer<\/a>, consult\u00e9 le 14\/02\/14\u00a0<\/p>\n\n\n\n [3] \u00c9lectro-Enc\u00e9phaloGraphiques\u00a0<\/p>\n\n\n\n [4] \u00ab\u00a0[\u2026] tous nos souvenirs, qu’ils nous aient \u00e9t\u00e9 l\u00e9gu\u00e9s par l’\u00e9volution, qu’ils soient de naissance ou bien qu’ils aient \u00e9t\u00e9 acquis ensuite \u2013 existent dans notre cerveau sous forme dispositionnelle, en attente de devenir des images ou des actions explicites\u2026\u00a0\u00bb Antonio Damasio,\u00a0op. cit.<\/em>, p. 180<\/p>\n\n\n\n [5] Le concept d\u2019euscopie a \u00e9t\u00e9 utilis\u00e9 par Christian Metz \u00e0 propos du film dans l\u2019article qu\u2019il a consacr\u00e9 \u00e0 \u00c9tienne Souriau, \u00ab\u00a0Sur un profil d\u2019\u00c9tienne Souriau\u00a0\u00bb,\u00a0Revue d\u2019esth\u00e9tique<\/em>, nos\u00a03-4, 1980, p. 150,\u00a0http:\/\/isites.harvard.edu\/fs\/docs\/icb.topic235120.files\/MetzProfilSouriau.pdf<\/a>\u00a0consult\u00e9 le 04\/03\/14<\/p>\n\n\n\n [6] Maria Rossi, \u00ab\u00a0Absence de distinction pertinente entre l\u2019artiste et le spectateur\u00a0\u00bb (7 janvier 2003),\u00a0Art et cognition, conf\u00e9rence virtuelle<\/em>,\u00a0op. cit.<\/em>, p. 186. Maria Rossi pr\u00e9cise qu\u2019elle entend par \u201csituation d\u2019ancrage\u201d\u00a0: \u00ab\u00a0\u201cCE\u201d que l\u2019artiste a fabriqu\u00e9\u00a0 pour l\u2019exposition ou la performance, et qui a une extension spatio-temporelle\u00a0: l\u2019agencement de mat\u00e9riaux, de corps ou de symboles qui a une exemplification dans l\u2019univers objectif \u2013 et qui a donc une certaine ind\u00e9pendance \u00e0 l\u2019\u00e9gard de l\u2019esprit et des cerveaux des observateurs (= ontologie r\u00e9aliste relativement \u00e0 ce que les situations contiennent).\u00a0\u00bb\u00a0<\/p>\n\n\n\n [7] Ibid.<\/em><\/p>\n\n\n\n [8] Le concept de stimergie a \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9 en 1959 par la biologiste Pierre-Paul Grass\u00e9. \u00ab\u00a0Des robots stimergiques\u00a0\u00bb,\u00a0Le Monde Science&m\u00e9decine<\/em>, 19\/02\/04, p. 6<\/p>\n\n\n\n \u2013 Atlan,\u00a0Henri, Le vivant post-g\u00e9nomique ou Qu\u2019est-ce que l\u2019auto- organisation ?,\u00a0<\/em>Paris, Odile Jacob, 2011, 336 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Berthoz, Alain,\u00a0La<\/em>\u00a0d\u00e9cision<\/em>, Paris, Odile Jacob, 2002, 400 p.<\/p>\n\n\n\n \u2013 Borillo, Mario, \u00ab\u00a0Art avec cognition, mille d\u00e9tours pour une rencontre\u00a0\u00bb,\u00a0Dans l\u2019atelier de l\u2019art, exp\u00e9riences cognitives, <\/em>Champ Vallon, 2010. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Changeux,\u00a0Jean-Pierre, Du Vrai, du beau, du bien. Une nouvelle approche neuronale<\/em>, Paris, Odile Jacob, 2008- 2010, 544 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Damasio,\u00a0Antonio,\u00a0L’autre moi-m\u00eame – Les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des \u00e9motions<\/em>, Paris, Odile Jacob, \u00a02012, 416 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Goodman,\u00a0Nelson, L’art en th\u00e9orie et en action<\/em>,\u00a0Paris, Gallimard, 1997, 192 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Guespin-Michel, Janine et Camille Ripoll, \u00ab\u00a0Syst\u00e8mes dynamique non lin\u00e9aires, une approche de la complexit\u00e9 et de l\u2019\u00e9mergence\u00a0\u00bb, dans Lucien S\u00e8ve,\u00a0\u00c9mergence, complexit\u00e9 et dialectique<\/em>, Paris, Odile Jacob, 2005, 304 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Nancy,\u00a0Jean-Luc, Techniques du pr\u00e9sent\u00a0: essai sur On Kawara<\/em>, Cahiers philosophiques, cycle de conf\u00e9rences organis\u00e9 par le Nouveau Mus\u00e9e\/Institut d\u2019Art Contemporain, Villeurbanne, Nouveau Mus\u00e9e, 1997, 32 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Passeron,\u00a0Ren\u00e9,\u00a0Pour une philosophie de la cr\u00e9ation<\/em>, Paris, Klincksieck, 1989, 264 p.\u00a0<\/p>\n\n\n\n \u2013 Ramachandran, Vilayanur S., \u00ab\u00a0Les bases neurologiques des universaux artistiques\u00a0\u00bb, (9 d\u00e9cembre 2002),\u00a0dans Art et cognition, conf\u00e9rence virtuelle<\/em>, Champ Vallon, 2010. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Rossi, Maria, \u00ab\u00a0R\u00e9ponse \u00e0 Bernard Gortais\u00a0\u00bb,\u00a0Art et cognition, conf\u00e9rence virtuelle<\/em>, Champ Vallon, 2010.<\/p>\n\n\n\n \u2013 S\u00e8ve, Lucien, \u00ab\u00a0De quelle culture logico-philosophique la pens\u00e9e du non-lin\u00e9aire a-t-elle besoin ?\u00a0\u00bb, dans Lucien S\u00e8ve,\u00a0\u00c9mergence, complexit\u00e9 et dialectique<\/em>, Paris, Odile Jacob, 2005, 304 p.<\/p>\n\n\n\n \u2013 Thorpe, Simon, \u00ab\u00a0L\u2019\u0153il, le cerveau et l\u2019art\u00a0\u00bb,\u00a0Dans l\u2019atelier de l\u2019art, exp\u00e9riences cognitives, <\/em>Champ Vallon, 2010. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Varela, Francisco, dans R\u00e9da Benkirane, La complexit\u00e9, vertiges et promesses<\/em>, Paris, Le Pommier, 2002, 416 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Vion-Dury, Jean, \u00ab\u00a0Peut-il exister une interpr\u00e9tation neurobiologique de l\u2019exp\u00e9rience esth\u00e9tique du sublime\u00a0?\u00a0\u00bb,\u00a0Mario Borillo, Dans l\u2019atelier de l\u2019art, exp\u00e9riences cognitives<\/em>, Champ Vallon, 2010. <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Il ressort de l\u2019ensemble que nous sommes dans un processus d\u2019\u00e9mergence chaotique o\u00f9 il appara\u00eet que le chaos, mais \u00e7a tout le monde le sait, n\u2019est pas l\u2019absence de codes, mais un \u00e9tat dont la complexit\u00e9 est telle que ces codes ne sont pas\u00a0a priori\u00a0accessibles avec les outils conceptuels que nous utilisons pour d\u00e9crire habituellement … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[1],"tags":[96],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1665"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=1665"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1665\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":1667,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1665\/revisions\/1667"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=1665"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=1665"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=1665"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}La conscience paradoxale<\/h2>\n\n\n\n
La performance euscopique<\/h2>\n\n\n\n
Le paradigme du dessin\u00a0?<\/h2>\n\n\n\n
Approches \u00e0 la premi\u00e8re et \u00e0 la troisi\u00e8me personne (partie 5)<\/p>\n\n\n\nNotes<\/h2>\n\n\n\n
Bibliographie<\/h2>\n\n\n\n