{"id":1668,"date":"2015-05-01T18:25:21","date_gmt":"2015-05-01T18:25:21","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=1668"},"modified":"2022-11-25T18:25:37","modified_gmt":"2022-11-25T18:25:37","slug":"mai-2015-conclusion","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/mai-2015-conclusion\/","title":{"rendered":"Mai 2015 – Conclusion"},"content":{"rendered":"\n

La production d\u2019objet esth\u00e9tique repr\u00e9sente une part fondamentale de l\u2019activit\u00e9 humaine. C\u2019est de fa\u00e7on tout \u00e0 fait significative qu\u2019elle est contemporaine du processus d\u2019hominisation qui marque le d\u00e9veloppement de l\u2019\u00eatre humain dont notre esp\u00e8ce constitue actuellement la derni\u00e8re forme. D\u00e8s le Pal\u00e9olithique sup\u00e9rieur, on note l\u2019\u00e9mergence d\u2019une production esth\u00e9tique dans le m\u00eame temps qu\u2019une organisation sociale qui se complexifie et une production d\u2019outils de plus en plus \u00e9labor\u00e9e. L\u2019\u00e9volution biologique qui a permis le d\u00e9veloppement du cortex pr\u00e9frontal a permis dans le m\u00eame temps, et de ce fait, \u00e0 l\u2019esp\u00e8ce humaine le d\u00e9veloppement de r\u00e9seaux neuronaux qui lui donnent acc\u00e8s \u00e0 des comp\u00e9tences cognitives tr\u00e8s complexes. L\u2019Homme acc\u00e8de \u00e0 des modes de pens\u00e9e symbolique qui parach\u00e8vent en quelque sorte la dissociation engag\u00e9e par l\u2019apparition de l\u2019industrie lithique qui voit \u00ab\u00a0la sociologie [prendre] le relais de la zoologie\u00a0\u00bb (Leroi-Gourhan, 1964, p. 129) comme le dit Leroi-Gourhan.<\/p>\n\n\n\n

Leroi-Gourhan associe art figuratif et langage comme deux faces d\u2019un m\u00eame ph\u00e9nom\u00e8ne cognitif qui permettent conjointement le d\u00e9veloppement de la pens\u00e9e symbolique. Pour lui\u00a0: \u00ab\u00a0Cette pens\u00e9e r\u00e9fl\u00e9chie, qui s’exprimait concr\u00e8tement dans le langage vocal et mimique des Anthropiens probablement d\u00e8s leur origine, acquiert au Pal\u00e9olithique sup\u00e9rieur le maniement de repr\u00e9sentations permettant \u00e0 l’homme de s’exprimer au-del\u00e0 du pr\u00e9sent mat\u00e9riel.\u00a0\u00bb (Leroi-Gourhan, 1964, p. 270) Loin de n\u2019\u00eatre qu\u2019un passe-temps pour privil\u00e9gi\u00e9 d\u00e9s\u0153uvr\u00e9, la production d\u2019objets esth\u00e9tiques, et l\u2019exp\u00e9rience esth\u00e9tique qu\u2019elle induit, s\u2019av\u00e8re \u00eatre un \u00e9l\u00e9ment fondamental dans le processus de complexification cognitive de l\u2019humain que Jouary d\u00e9crit tr\u00e8s bien quand il explique\u00a0:<\/p>\n\n\n\n

\u00ab\u00a0Pour participer \u00e0 la gen\u00e8se des pens\u00e9es conceptuelles, l\u2019art pal\u00e9olithique a d\u00fb fondre dans un m\u00eame v\u00e9cu mental tout ce qui \u00e9tait alors\u00a0senti-cru-pens\u00e9<\/em>, ce qui supposait une non-distinction de l\u2019objectif et du subjectif. Les savoirs et les croyances n\u2019\u00e9tant pas du tout sp\u00e9cifi\u00e9s [\u2026], et n\u2019\u00e9tant pas plus d\u00e9li\u00e9s des objets sensibles, il faut bien concevoir la gen\u00e8se des formes symboliques pr\u00e9-conceptuelles \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de ce tout non sp\u00e9cifi\u00e9.\u00a0Et nous avan\u00e7ons l\u2019id\u00e9e que cette sp\u00e9cification ult\u00e9rieure n\u2019a \u00e9t\u00e9 rendue possible que par l\u2019irruption et la g\u00e9n\u00e9ralisation des pratiques artistiques, et singuli\u00e8rement plastiques<\/em>.\u00a0\u00bb (Jouary, 2012, p. 195) <\/p>\n\n\n\n

Il appert donc que le d\u00e9veloppement de la pens\u00e9e symbolique est le corollaire de la pratique esth\u00e9tique. Les op\u00e9rations cognitives telles que l\u2019\u00e9criture, le calcul\u2026 et les manifestations beaucoup plus complexes qu\u2019elles ont permises par la suite, telles que ce qu\u2019on appelle maintenant la recherche scientifique. C\u2019est d\u2019ailleurs la raison pour laquelle c\u2019est un non-sens complet d\u2019\u00e9tablir un rapport hi\u00e9rarchique entre ces deux activit\u00e9s humaines. Art et sciences proc\u00e8dent tous deux, avec des outils diff\u00e9rents, des protocoles propres \u00e0 chacun de ces domaines, mais avec la m\u00eame intensit\u00e9, d\u2019une m\u00eame entreprise de construction du monde. C\u2019est ce que pr\u00e9cise Goodman lorsqu\u2019il dit\u00a0: \u00ab\u00a0Des fa\u00e7ons r\u00e9ellement nouvelles de voir, d’entendre ou de ressentir, aussi bien que des conceptions et th\u00e9ories scientifiques r\u00e9ellement nouvelles sont des aspects d’un d\u00e9veloppement dans la fabrication et la saisie de nos mondes.\u00a0\u00bb (Goodman, 2009, p. 72) Art et sciences sont donc compl\u00e9mentaires. Il y a quelques temps, une tribune est parue dans\u00a0L\u2019Humanit\u00e9\u00a0<\/em>\u00e0 propos de la saillie d\u2019un ancien pr\u00e9sident sur\u00a0La Princesse de Cl\u00e8ves<\/em>\u00a0o\u00f9 est d\u00e9velopp\u00e9e l\u2019id\u00e9e sous forme de m\u00e9taphore que les travaux sur l\u2019isolation du photon n\u2019auraient pas pu avoir lieu si\u00a0La Princesse de Cl\u00e8ves<\/em>n\u2019avait pas \u00e9t\u00e9 \u00e9crite (Lambert, 2012). L\u2019id\u00e9e g\u00e9n\u00e9rale en est que la cr\u00e9ation artistique et la cr\u00e9ation scientifique proc\u00e8dent d\u2019un substrat commun qui leur permet de se nourrir mutuellement en m\u00eame temps que d\u2019alimenter une culture collective. Et cette culture collective, \u00e0 son tour, directement ou indirectement, va fa\u00e7onner nos repr\u00e9sentations du monde.\u00a0<\/p>\n\n\n\n

Aussi, quand Goodman nous dit\u00a0: \u00ab\u00a0D\u00e9velopper la discrimination sensorielle est aussi cognitif que d’inventer des concepts num\u00e9riques complexes ou de d\u00e9montrer des th\u00e9or\u00e8mes.\u00a0\u00bb (Goodman, 2009, p. 70), il \u00e9nonce par l\u00e0 m\u00eame que l\u2019exp\u00e9rience esth\u00e9tique est une exp\u00e9rience cognitive. Les sciences de la cognition constituent actuellement un ensemble d\u2019outils qui ont pour propos de tenter de comprendre, voire de mod\u00e9liser, les processus mentaux et neurologiques qui interviennent dans la construction des dispositifs d\u2019appr\u00e9hension et de compr\u00e9hension du monde. Si un certain nombre de chercheurs se sont pench\u00e9s sur le fait artistique, l\u2019exp\u00e9rience esth\u00e9tique, pour d\u00e9finir plus globalement le sujet, les travaux restent relativement peu nombreux. Pourtant, il semble qu\u2019il s\u2019agisse d\u2019un objet particuli\u00e8rement f\u00e9cond m\u00eame si la chose ne semble pas \u00eatre des plus ais\u00e9es, comme le remarque Roberto Casati\u00a0: \u00ab\u00a0Etablir pr\u00e9cis\u00e9ment le r\u00f4le que jouent les \u0153uvres d\u2019art dans notre vie cognitive n\u2019est pas simple. Il n\u2019en reste pas moins que, comme tout art\u00e9fact, elles sont essentiellement li\u00e9es \u00e0 notre vie cognitive.\u00a0\u00bb (Casati, 2010, p. 3-4) Mais il ajoute\u00a0: \u00ab\u00a0L\u2019\u00e9tude des art\u00e9facts artistiques en tant que produits cognitifs peut nous permettre d\u2019acc\u00e9der \u00e0 des m\u00e9canismes de l\u2019esprit qui passent inaper\u00e7us dans la cognition normale.\u00a0\u00bb (Casati, 2010, p. 4) \u00a0\u00a0<\/p>\n\n\n\n

L\u2019objectif de cet ouvrage a \u00e9t\u00e9 de proposer une approche de l\u2019exp\u00e9rience esth\u00e9tique : \u00e0 la troisi\u00e8me personne, qui analyse les m\u00e9canismes de r\u00e9ception et en premi\u00e8re personne qui propose d\u2019analyser les processus de cr\u00e9ation \u00e0 partir d\u2019une pratique personnelle. Ces analyses s\u2019appuient sur des travaux d\u2019un certain nombre de th\u00e9oriciens des sciences de la cognition avec un angle plut\u00f4t ph\u00e9nom\u00e9nologiste, mais elles ont ceci de singulier, c\u2019est qu\u2019elles sont le fait de deux th\u00e9oriciens et praticiens de l\u2019art. Or, si les sciences de la cognition peuvent \u00e9ventuellement tenter de comprendre ce qu\u2019est l\u2019exp\u00e9rience esth\u00e9tique, \u00e9tant admis qu\u2019il s\u2019agit d\u2019un dispositif de cognition, on peut aussi s\u2019interroger pour savoir ce que la compr\u00e9hension de l\u2019exp\u00e9rience esth\u00e9tique peut apporter globalement aux sciences de la cognition. C\u2019est ce que laisse entendre Jean Vion-Dury :<\/p>\n\n\n\n

\u00ab\u00a0Poser le probl\u00e8me des rapports entre l\u2019art et la cognition nous semble impliquer (non exhaustivement) :
\u2022 [\u2026] d\u2019expliciter comment la confrontation \u00e0 l\u2019art est moyen de connaissance ou exp\u00e9rience cognitive \u00e9ventuellement sp\u00e9cifique, et de quoi. En d\u2019autres termes, que se passe-t-il d\u2019irr\u00e9versible ou de r\u00e9versible, dans le cerveau (ou le syst\u00e8me cognitif) en pr\u00e9sence d\u2019un objet dont on convient qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une \u0153uvre d\u2019art. [\u2026]\u00a0\u00bb (Vion-Dury, 2013)<\/p>\n\n\n\n

Mais nous avons pris garde tout au long de la r\u00e9daction de cet ouvrage, bien que la r\u00e9f\u00e9rence aux dispositifs neuronaux soit incontournable, \u00e0 \u00e9viter tout r\u00e9ductionnisme qui limiterait l\u2019exp\u00e9rience esth\u00e9tique \u00e0 un fonctionnement biologique. Si les processus de cognition reposent sur des donn\u00e9es biologiques, l\u2019\u00eatre humain est avant tout un \u00eatre biologique, si ces donn\u00e9es biologiques permettent de comprendre un certain nombre de ph\u00e9nom\u00e8nes dans leur interaction, on sait qu\u2019un organisme est plus que la somme de ses composants organiques. C\u2019est sans doute d\u2019autant plus vrai de l\u2019Homme en tant qu\u2019\u00eatre biologique si on admet comme on l\u2019a vu que ses fonctions neurologiques lui ont petit \u00e0 petit permis d\u2019acc\u00e9der \u00e0 une pens\u00e9e symbolique. Et nous pouvons rejoindre Jouary lorsqu\u2019il nous dit\u00a0: \u00ab\u00a0L\u2019art pal\u00e9olithique nous offre donc [\u2026] la preuve aussi que c\u2019est par l\u2019art que nous sommes devenus pleinement humains.\u00a0\u00bb (Jouary, 2013, p. 117)<\/p>\n\n\n\n

*Les processus de r\u00e9ception et de cr\u00e9ation des \u0153uvres d\u2019art.
Approches \u00e0 la premi\u00e8re et \u00e0 la troisi\u00e8me personne (partie 6)<\/p>\n\n\n\n

Bibliographie<\/h2>\n\n\n\n

\u2013\u00a0Casati, Roberto, \u00ab\u00a0L’unit\u00e9 du genre \u0153uvre d’art\u00a0\u00bb,\u00a0Art et cognition, conf\u00e9rence virtuelle <\/em>de novembre 2002 \u00e0 f\u00e9vrier 2003,\u00a0 p. 3-4\u00a0<\/p>\n\n\n\n

\u2013\u00a0Goodman,\u00a0Nelson, L\u2019art en th\u00e9orie et en action<\/em>, Paris, Gallimard, \u00a02009, 192 p. <\/p>\n\n\n\n

\u2013\u00a0Jouary,\u00a0Jean-Paul, Pr\u00e9histoire de la beaut\u00e9\u00a0: Et l\u2019art cr\u00e9a l\u2019homme<\/em>, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2012, 234 p. <\/p>\n\n\n\n

\u2013\u00a0Lambert, Xavier, \u00abAccumulation dialectique et transversalit\u00e9, ou la princesse de Cl\u00e8ves et le photon\u00bb,\u00a0L\u2019Humanit\u00e9<\/em>, 16 novembre 2012, en ligne, http:\/\/www.humanite.fr\/tribunes\/accumulation-dialectique-et-transversalite-ou-la-princesse-de-cleves-et-le-photon-508778#sthash.abO5TWuA.dpuf\u00a0<\/p>\n\n\n\n

\u2013\u00a0Leroi-Gourhan,\u00a0Andr\u00e9, Le geste\u00a0et\u00a0la parole\u00a0–\u00a0<\/strong>Technique et langage<\/em>, Paris, Albin Michel, 1964, 285 p. <\/p>\n\n\n\n

\u2013\u00a0Vion-Dury, Jean, \u00ab\u00a0Art, histoire de l\u2019art et cognition ou l\u2019impasse du r\u00e9ductionnisme en neurosciences cognitives\u00a0\u00bb, 16 mars 2013, en ligne, https:\/\/sites.google.com\/site\/jeanviondury\/home\/epistemologie-et-phenomenologie<\/a>, consult\u00e9 le 17\/07\/2014, p. 2<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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