{"id":1771,"date":"2014-12-01T20:58:52","date_gmt":"2014-12-01T20:58:52","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=1771"},"modified":"2022-11-25T21:01:02","modified_gmt":"2022-11-25T21:01:02","slug":"decembre-2015-problematiques-discursives-de-la-postphotographie-avec-joan-fontcuberta","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/decembre-2015-problematiques-discursives-de-la-postphotographie-avec-joan-fontcuberta\/","title":{"rendered":"D\u00e9cembre 2014 – Probl\u00e9matiques discursives de la postphotographie avec Joan Fontcuberta"},"content":{"rendered":"\n

Votre parcours est ponctu\u00e9 autant d\u2019expositions de votre travail, de recherche th\u00e9orique sur la photographie, que de commissariats d\u2019expositions internationales. Ce n\u2019est donc pas nouveau pour vous d\u2019\u00eatre commissaire d\u2019une exposition ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

J\u2019ai consacr\u00e9 beaucoup de temps \u00e0 faire du commissariat d\u2019exposition car c\u2019est toujours en rapport avec mon travail, mais je me consid\u00e8re comme un commissaire amateur. Cette fonction me plait car c\u2019est une fa\u00e7on de r\u00e9fl\u00e9chir sur une probl\u00e9matique qui m\u2019int\u00e9resse. Dans mon travail je ne vois pas de diff\u00e9rence entre un projet de cr\u00e9ation personnel et un projet de commissariat parce que les concepts et les horizons se rejoignent.<\/p>\n\n\n\n

Il faut cependant composer avec d\u2019autres imaginaires<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Tout \u00e0 fait, mais de toutes les fa\u00e7ons cette question du d\u00e9ploiement d\u2019un discours se fait par les choix et les d\u00e9cisions qui g\u00e9n\u00e8rent des combinaisons de propos.<\/p>\n\n\n\n

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Googlegrama 04:11-S NY, 2005. Recherche de mots : \u00abYahv\u00e9\u00bb i \u00abAl\u00e0\u00bb, en espagnol, fran\u00e7ais et anglais.<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Le concept de postphotographie s\u2019inscrit dans un concept plus large celui de posthistoire qui prolonge celui de postmodernit\u00e9. Ce pr\u00e9fixe post laisse sous-entendre que l\u2019on se situe au bord de quelque chose qui s\u2019ach\u00e8ve ou au contraire \u00e0 l\u2019or\u00e9e de quelque chose de nouveau qui commence.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Je dois dire que je ne suis pas tr\u00e8s \u00e0 l\u2019aise avec le terme post<\/em> qui fait, en effet, r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 la fin. Ce serait comme dire adieu \u00e0 la photographie. Par contre, je pense que cela permet d\u2019ouvrir une porte pour entrer ou partir. Ce qui est important c\u2019est l\u2019aspect positif envisag\u00e9 \u00e0 partir de ce d\u00e9part. L\u2019id\u00e9e centrale c\u2019est que la photographie est un moyen d\u2019expression, de repr\u00e9sentation, de m\u00e9diation avec le monde. Elle est n\u00e9e dans un moment historique, au XIXe si\u00e8cle, moment de climatologie et d\u2019id\u00e9ologie particulier avec les d\u00e9buts de la r\u00e9volution industrielle et technocratique. Aujourd\u2019hui on est dans un autre moment historique bien diff\u00e9rent, car m\u00eame si on utilise les m\u00eames outils comme l\u2019appareil photo avec ses lentilles, la charge des valeurs id\u00e9ologiques de l\u2019image tel que les concepts de m\u00e9moire, de v\u00e9rit\u00e9, d\u2019identit\u00e9 sont partag\u00e9es avec d\u2019autres int\u00e9r\u00eats. La photographie est entr\u00e9e dans un circuit de communication plus quotidien, on l\u2019envoie puis l\u2019efface. Elle est entr\u00e9e dans un espace conversationnel. On l\u2019utilise comme un \u00e9l\u00e9ment de connectivit\u00e9 avec les autres. On ne lui attribue plus de devoir de m\u00e9moire comme ce fut le cas de la photographie traditionnelle pour laquelle se d\u00e9veloppait l\u2019obsession de la v\u00e9rit\u00e9.
Aujourd\u2019hui les choix sont multiples. On se demande si c\u2019est encore de la photographie ou si petit \u00e0 petit celle-ci se transforme en quelque chose d\u2019autre. Il y a encore le corps mais l\u2019\u00e2me n\u2019est plus ce qu\u2019elle \u00e9tait.
Dans le cadre du programme du Mois de la photo<\/em> il sera question d\u2019explorer ces sortes de consid\u00e9rations. La photographie devrait peut-\u00eatre \u00eatre rebaptis\u00e9e diff\u00e9remment, car on l\u2019utilise pour d\u2019autres fonctions. Il faut se demander ce qu\u2019est le rapport que nous entretenons avec l\u2019image. Le photojournalisme est en crise, alors pourquoi encore faire des photos aujourd\u2019hui. Il faut r\u00e9pondre \u00e0 cela par une perspective sociologique, anthropologique et esth\u00e9tique, savoir faire une transition, s\u2019arr\u00eater et r\u00e9fl\u00e9chir.<\/p>\n\n\n\n

Il y en a d\u00e9j\u00e0 qui oppose la photographie \u00e0 la postphotographie. Je pense \u00e0 William J. Mitchell qui le premier a amen\u00e9 ce concept il y a d\u00e9j\u00e0 quelques ann\u00e9es dans L’\u0152il reconfigur\u00e9 o\u00f9 il estime que ce sont  les images num\u00e9riques qui nous font entrer dans cette \u00e8re post-photographique ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

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Phantom, de la s\u00e9rie Pin Zuhang, 2001<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Je crois que l\u2019on ne peut pas consid\u00e9rer les technologies comme des \u00e9l\u00e9ments isol\u00e9s. La technologie appara\u00eet toujours en r\u00e9ponse \u00e0 un \u00e9tat d\u2019esprit de notre soci\u00e9t\u00e9, de notre situation historique et cela de fa\u00e7on concr\u00e8te. Il y a eu une \u00e9mergence, une r\u00e9action, un changement depuis les ann\u00e9es 90 qui a perturb\u00e9 l\u2019ontologie m\u00eame de la photographie parce que l\u2019argentique est pass\u00e9 au num\u00e9rique avec des outils diff\u00e9rents : des pixels des num\u00e9riseurs, des logiciels comme Photoshop qui ont d\u00e9plac\u00e9 la photo vers la peinture et l\u2019\u00e9criture, c\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019elle a \u00e9t\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 maintenant un \u00e9l\u00e9ment de production d\u2019images tr\u00e8s particuli\u00e8res. Je dirai que cela constitue une exception dans l\u2019\u00e9volution de la culture visuelle parce que la photographie est \u00e0 l\u2019origine une image qui se g\u00e9n\u00e8re sur toute sa surface. On d\u00e9place l\u2019obturateur sur une surface  et cela cr\u00e9e une image qu\u2019on peut modifier, on peut y intervenir, mais chaque op\u00e9ration va modifier l\u2019int\u00e9grit\u00e9 de la surface : le focus, la couleur… Par contre, avec le num\u00e9rique, on \u00e9volue vers une structure de l\u2019image qui se rapproche de celle de la peinture ou de l\u2019\u00e9criture, parce qu\u2019il y a des unit\u00e9s graphiques comme les pixels qui peuvent intervenir de fa\u00e7on isol\u00e9e sans que cela implique toute la surface. C\u2019est le principe du point ou de la ligne. \u00c7a donne un rendu compl\u00e8tement diff\u00e9rent. Et c\u2019est tr\u00e8s important, c\u2019est une premi\u00e8re r\u00e9volution technologique. On constate maintenant qu\u2019on est dans une deuxi\u00e8me vague, c\u2019est-\u00e0-dire au niveau des cons\u00e9quences technologiques, celle qui nous am\u00e8ne vers des images d\u00e9mat\u00e9rialis\u00e9es. Des images dont le support a pris moins d\u2019importance. Elles habitent l\u2019\u00e9cran de l\u2019ordinateur, elles sont ici, l\u00e0 et nulle part. Cette possibilit\u00e9 d\u2019ubiquit\u00e9 de l\u2019image se peut parce qu\u2019elle n\u2019a plus de mat\u00e9rialit\u00e9, c\u2019est ce qui permet sa circulation. Cette deuxi\u00e8me r\u00e9volution num\u00e9rique a \u00e9t\u00e9 la cons\u00e9quence de l\u2019importance de l\u2019internet, des r\u00e9seaux sociaux, de la t\u00e9l\u00e9phonie mobile, de l\u2019omnipr\u00e9sence des cam\u00e9ras de surveillance et bien s\u00fbr de la production massive d\u2019images. On en est arriv\u00e9 \u00e0 un tel point qu\u2019on fait des photos de tout et tout le temps avec le paradoxe qu\u2019on d\u00e9pense tout notre temps \u00e0 les faire et qu\u2019on ne dispose plus assez de temps pour les regarder. On a intervertit le processus parce que ce qui nous int\u00e9resse maintenant ce n\u2019est plus l\u2019image comme r\u00e9sultat mais le geste photographique comme acte relationnel de communication. Cela change le point de vue fonctionnel de la photo et sa nature m\u00eame. Avant la photographie \u00e9tait r\u00e9serv\u00e9e \u00e0 des moments solennels, historiques, par exemple, dans le domaine domestique, c\u2019\u00e9tait la c\u00e9l\u00e9bration des mariages, les moments qui composent la biographie narrative d\u2019une famille, les espaces d\u00e9cisifs de l\u2019histoire comme les photos de guerre, des ic\u00f4nes qui restent dans notre m\u00e9moire. Aujourd\u2019hui on en fait tellement qu\u2019elles se banalisent, il n\u2019y a plus cet instant d\u00e9cisif car on en fait sans arr\u00eat. Pourtant ce ne sont que des instants banals. \u00c7a nous m\u00e8ne \u00e0 une nouvelle situation o\u00f9 l\u2019on se demande quelle est sa fonction, son importance pour nous comme \u00eatre humain ou comme citoyen. L\u2019id\u00e9e de laisser une trace de notre moment historique, de notre m\u00e9moire, de nos int\u00e9r\u00eats, de nos passions n\u2019est plus. Ce sont toutes ces transformations et ces m\u00e9tamorphoses qui s\u2019op\u00e8rent dans le domaine de la culture visuelle qu\u2019il faut remettre en question.<\/p>\n\n\n\n

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Hydropitecus de Tanaron 2, 2001, de la s\u00e9rie Sir\u00e8nes de Joan Fontcuberta, \u00a9 Joan Fontcuberta<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Si on transpose ces ph\u00e9nom\u00e8nes d\u2019\u00e9volution et de r\u00e9volution de l\u2019acte photographique dans le contexte artistique, observez-vous des diff\u00e9rences notoires au niveau de l\u2019imaginaire ou de l\u2019esth\u00e9tique apport\u00e9es par ces nouvelles technologies ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Tout changement apporte des pertes et des avantages. Il y a toujours un prix \u00e0 payer. Je crois que la nouvelle situation va enrichir notre r\u00e9pertoire parce qu\u2019il y a plus d\u2019outils et d\u2019instruments. On ne serait pas capable d\u2019imaginer travailler sans ces logiciels et sans l\u2019internet, ils sont devenus des aides indispensables. Par contre, d\u2019un autre c\u00f4t\u00e9, il y a des pertes dans la cr\u00e9ation artistique. Avant on travaillait beaucoup avec le hasard. La technologie num\u00e9rique limite les effets du hasard. Par exemple, avec les technologies traditionnelles il y avait des accidents, notamment dans certains films. Mais cela produisait des erreurs merveilleuses, surtout pour les surr\u00e9alistes, qui aimaient \u00e7a. Aujourd\u2019hui si l\u2019image ne correspond pas aux canons esth\u00e9tiques attendus, on efface et on recommence. On n\u2019accepte que les photos qui r\u00e9p\u00e8tent ce qu\u2019on attend d\u2019elles, il nous manque ainsi cet \u00e9l\u00e9ment d\u2019impr\u00e9vu. Cependant de nouvelles avenues ouvrent vers des horizons plus vastes, on peut travailler dans le virtuel, par exemple avec Google Earth, on peut faire l\u2019exp\u00e9rience visuelle de voir la totalit\u00e9 de la surface de notre plan\u00e8te. Aujourd\u2019hui un reporter peut travailler sur le terrain ou bien rester face \u00e0 son \u00e9cran d\u2019ordinateur et choisir des captures d\u2019\u00e9cran. C\u2019est une autre exp\u00e9rience du r\u00e9el qui en multiplie les possibilit\u00e9s. Par exemple le syst\u00e8me de recherche d\u2019images avec cette grande disponibilit\u00e9 d\u2019images nous porte \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir sur la n\u00e9cessit\u00e9 de produire encore des images. Est-ce encore n\u00e9cessaire quand tout est disponible. De nombreux artistes y r\u00e9fl\u00e9chissent dans une perspective \u00e9cologique et d\u00e9veloppe des strat\u00e9gies. Bien s\u00fbr que cela semble absurde de continuer \u00e0 contribuer \u00e0 cette surabondance d\u2019images. Par contre, je peux r\u00e9cup\u00e9rer et recycler ce dont j\u2019ai besoin dans une direction pr\u00e9cise. Ce qui nous am\u00e8ne \u00e0 une consid\u00e9ration r\u00e9volutionnaire dans le domaine de l\u2019art, c\u2019est-\u00e0-dire que la fabrication m\u00eame de l\u2019image n\u2019est plus aussi importante. Ce qui devient important c\u2019est la gestion de l\u2019usage de l\u2019image. La valeur de l\u2019image passe par le sens, la signification ; la cr\u00e9ation n\u2019est pas une question de fabrication ou de production mais une question de prescription et projection du sens.<\/p>\n\n\n\n

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