{"id":1786,"date":"2014-12-01T21:22:38","date_gmt":"2014-12-01T21:22:38","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=1786"},"modified":"2022-11-25T21:22:52","modified_gmt":"2022-11-25T21:22:52","slug":"decembre-2014-le-chant-interieur-du-tonus-musculaire-performance-et-arts-mediatiques","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/decembre-2014-le-chant-interieur-du-tonus-musculaire-performance-et-arts-mediatiques\/","title":{"rendered":"D\u00e9cembre 2014 &#8211; Le chant int\u00e9rieur du tonus musculaire\u00a0: performance et arts m\u00e9diatiques"},"content":{"rendered":"\n<p>Dans les conceptions actuelles de l\u2019art et de la sensibilit\u00e9, la sensorialit\u00e9 s\u2019\u00e9mancipe du moule traditionnel suivant lequel nous disposerions de cinq sens dont seuls deux sont dits esth\u00e9tiques, soit la vue et l\u2019ou\u00efe. On trouve d\u00e9sormais de nombreux articles et ouvrages dans lesquels est d\u00e9fendue l\u2019id\u00e9e que le toucher, le go\u00fbt et m\u00eame l\u2019olfaction puissent \u00eatre consid\u00e9r\u00e9s comme sens esth\u00e9tiques, c\u2019est-\u00e0-dire par lesquels nous percevons des valeurs ou qualit\u00e9s esth\u00e9tiques. Longtemps, on entendait essentiellement par l\u00e0 beaut\u00e9, gr\u00e2ce et harmonie. Mais, il y a un si\u00e8cle, l\u2019art se posait tout \u00e0 coup au-del\u00e0 du beau et du laid, pour paraphraser Nietzsche, avec le&nbsp;<em>ready-made<\/em>&nbsp;duchampien. Apr\u00e8s ce v\u00e9ritable saut quantique, l\u2019art trouva de nouvelles avenues en se tournant du c\u00f4t\u00e9 de la perception, avec l\u2019art cin\u00e9tique, l\u2019art optique et l\u2019art minimaliste. Si, comme le soutient Frank Popper l\u2019objet artistique a commenc\u00e9 \u00e0 dispara\u00eetre progressivement au cours du XXe si\u00e8cle, ce processus de d\u00e9mat\u00e9rialisation aurait comme contrepartie la place grandissante occup\u00e9e par les arts de la lumi\u00e8re. La cons\u00e9cration du cin\u00e9ma en tant que septi\u00e8me art illustre sans \u00e9quivoque l\u2019importance qu\u2019ont rapidement pris la lumi\u00e8re et le mouvement, d\u2019ailleurs autant dans l\u2019art populaire que cultiv\u00e9. L\u2019assaut des technologies nouvelles a rapidement forc\u00e9 le syst\u00e8me des beaux-arts, jusque-l\u00e0 in\u00e9branl\u00e9 m\u00eame par la photographie, \u00e0 se r\u00e9ajuster.&nbsp;&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p>En s\u2019int\u00e9ressant \u00e0 la perception sensorielle et au corps, l\u2019art, la th\u00e9orie de l\u2019art et l\u2019esth\u00e9tique sont amen\u00e9s \u00e0 accorder plus d\u2019importance aux modalit\u00e9s sensorielles auparavant n\u00e9glig\u00e9es. Avec le num\u00e9rique, l\u2019art tend vers la d\u00e9mat\u00e9rialisation sinon la vise, ce que seul la prose philosophique pouvait accomplir, du moins selon Hegel. Le processus de d\u00e9mat\u00e9rialisation fut raviv\u00e9 par le num\u00e9rique,&nbsp; le centre d\u2019int\u00e9r\u00eat se d\u00e9tournant de la lumi\u00e8re et du mouvement pour se porter principalement sur la programmation informatique et les bases de donn\u00e9es. Cependant, des \u00ab&nbsp;objets&nbsp;\u00bb tels le jeu vid\u00e9o ou le&nbsp;<em>database art<\/em>n\u2019atteignent pas aussi facilement aujourd\u2019hui le statut d\u2019\u0153uvres d\u2019art que ne le laisserait supposer une quelconque cons\u00e9cration institutionnelle, mus\u00e9ale ou autre.<\/p>\n\n\n\n<p>Le dynamisme du futurisme s\u2019opposait au statisme que la tradition avait consacr\u00e9 comme valeur esth\u00e9tique cardinale. La stabilit\u00e9, la permanence et l\u2019inalt\u00e9rabilit\u00e9 devenaient synonymes d\u2019un monde que d\u2019aucuns estimaient r\u00e9volu, et ce d\u00e9j\u00e0 m\u00eame avant la Premi\u00e8re Grande Guerre mondiale. Puis, dans leur Manifeste R\u00e9aliste (1920), Naum Gabo et Anton Pevsner de rench\u00e9rir&nbsp;: \u00ab Nous affirmons dans l\u2019art plastique un nouvel \u00e9l\u00e9ment : les RYTHMES CIN\u00c9TIQUES comme formes essentielles de nos perceptions du temps r\u00e9el \u00bb. Aujourd\u2019hui, l\u2019art m\u00e9diatique a pris le relais des avant-gardes d\u2019hier et d\u2019avant hier en ce qu\u2019il est synonyme de mouvement, d\u2019\u00e9ph\u00e9m\u00e8re et d\u2019intangible. Il se centre sur celui que Duchamp appelait \u00ab&nbsp;le regardeur&nbsp;\u00bb et que l\u2019on a par la suite nomm\u00e9 inter-acteur, utilisateur, spect-acteur et immersant ; autant d\u2019\u00e9tiquettes pour d\u00e9signer un protagoniste qui engage sa subjectivit\u00e9 et son corps, et qui du coup prend une attitude qui n\u2019est pas exclusivement passive et contemplative, voire tr\u00e8s peu. L\u2019exemple paradigmatique ici est le&nbsp;<em>Very Nervous System<\/em>&nbsp;que le Canadien David Rokeby&nbsp;a d\u00e9velopp\u00e9 \u00e0 partir de 1983 : l\u2019\u0153uvre ne se manifeste que si quelqu\u2019un fait de m\u00eame.<\/p>\n\n\n\n<figure class=\"wp-block-embed aligncenter is-type-video is-provider-vimeo wp-block-embed-vimeo wp-embed-aspect-4-3 wp-has-aspect-ratio\"><div class=\"wp-block-embed__wrapper\">\n<iframe loading=\"lazy\" title=\"Very Nervous System (1987 version)\" src=\"https:\/\/player.vimeo.com\/video\/17231343?h=83c845d982&amp;dnt=1&amp;app_id=122963\" width=\"480\" height=\"360\" frameborder=\"0\" allow=\"autoplay; fullscreen; picture-in-picture\" allowfullscreen><\/iframe>\n<\/div><figcaption class=\"wp-element-caption\">David Rokeby\u00a0\u2013\u00a0<em>Very Nervous System<\/em>\u00a0(version 1987).<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n<p>Le\u00a0<em>Very Nervous System<\/em>\u00a0est un dispositif par lequel les mouvements du corps sont capt\u00e9s par une cam\u00e9ra et traduits en s\u00e9quences de sons par l\u2019informatique ; il suffit d\u2019entrer dans l\u2019aire de jeu pour devenir instrumentiste. D\u2019innombrables dispositifs, artistiques ou autres, d\u00e9clinent le principe du tandem capteur-effecteur. Un \u00e9quivalent biologique se trouve dans la relation entre inf\u00e9rence et eff\u00e9rence nerveuses, autrement dit entre perception et action, suivant Alain Berthoz. En cybern\u00e9tique, on parle d\u2019intrant et de produit de sortie (<em>input<\/em>\u00a0et\u00a0<em>output<\/em>).<\/p>\n\n\n\n<figure class=\"wp-block-embed aligncenter is-type-video is-provider-youtube wp-block-embed-youtube wp-embed-aspect-4-3 wp-has-aspect-ratio\"><div class=\"wp-block-embed__wrapper\">\n<iframe loading=\"lazy\" title=\"David Rokeby: Very Nervous System, Sound Responsive Environment 1986-90\" width=\"500\" height=\"375\" src=\"https:\/\/www.youtube.com\/embed\/SrawKucSSRw?feature=oembed\" frameborder=\"0\" allow=\"accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture\" allowfullscreen><\/iframe>\n<\/div><figcaption class=\"wp-element-caption\">David Rokeby\u00a0\u2013\u00a0<em>Very Nervous System, Sound Responsive Environment<\/em>.<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n<p>Dans l\u2019exploration de l\u2019imaginaire et de l\u2019\u00e9motion, il faut se tourner vers le corps et ses syst\u00e8mes sensoriels; se tourner vers les corr\u00e9lations entre le traitement de l\u2019information sensorielle et les \u00e9tats mentaux que sont susceptibles d\u2019\u00e9tablir les neurosciences et la psychologie. En 1992, l\u2019artiste autrichienne Ulrike Gabriel r\u00e9alise l\u2019installation interactive intitul\u00e9e\u00a0<em>Terrain_01<\/em>\u00a0dans laquelle des capteurs EEG (\u00e9lectro-enc\u00e9phalographie) permettent de moduler l\u2019\u00e9clairage de l\u2019installation selon le degr\u00e9 d\u2019activit\u00e9 c\u00e9r\u00e9brale de l\u2019inter-acteur. \u00c0 mesure que ce dernier se d\u00e9tend, l\u2019intensit\u00e9 lumineuse augmente. Ceci permet \u00e0 une trentaine de petits robots recouverts de cellules photovolta\u00efques de s\u2019activer \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du p\u00e9rim\u00e8tre. Il s\u2019agit donc d\u2019un dispositif r\u00e9troactif, plus pr\u00e9cis\u00e9ment de\u00a0<em>neuro-feedback<\/em>. D\u00e9j\u00e0 en 1976, David Rosenboom dirigeait la publication d&rsquo;un ouvrage intitul\u00e9\u00a0<em>Biofeedback and the arts: results of early experiments<\/em>\u00a0dans lequel le biofeedback appara\u00eet en tant que technique par laquelle des informations sur l\u2019\u00e9tat des processus biologiques d\u2019un organisme lui sont r\u00e9v\u00e9l\u00e9es \u00e0 travers ses canaux sensoriels, permettant ainsi d\u2019acqu\u00e9rir un degr\u00e9 de contr\u00f4le sur la r\u00e9gulation d\u2019un processus donn\u00e9.\u00a0<\/p>\n\n\n\n<figure class=\"wp-block-embed aligncenter is-type-video is-provider-vimeo wp-block-embed-vimeo wp-embed-aspect-4-3 wp-has-aspect-ratio\"><div class=\"wp-block-embed__wrapper\">\n<iframe loading=\"lazy\" title=\"Ars Electronica 1993 - &amp;quot;Terrain 01&amp;quot; by Ulrike Gabriel\" src=\"https:\/\/player.vimeo.com\/video\/7723230?h=b33b028e61&amp;dnt=1&amp;app_id=122963\" width=\"400\" height=\"300\" frameborder=\"0\" allow=\"autoplay; fullscreen; picture-in-picture\" allowfullscreen><\/iframe>\n<\/div><figcaption class=\"wp-element-caption\">Ulrike Gabriel\u00a0\u2013\u00a0<em>Terrain_01<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n<p>Les dispositifs centr\u00e9s sur le corps peuvent en saisir diverses donn\u00e9es auxquelles se rattachent les aspects de la sensorialit\u00e9 relatifs \u00e0 la perception que l\u2019on a de notre propre corps, notamment la proprioception et la kinesth\u00e9sie. Les dispositifs et installations dans lesquels le corps intervient par son mouvement pour d\u00e9clencher des \u00e9v\u00e8nements, principalement visuels et sonores, ou pour les moduler, impliquent n\u00e9cessairement une modification du sch\u00e9ma corporel de l\u2019utilisateur ou inter-acteur. Afin d\u2019illustrer ce que l\u2019on entend ici par sch\u00e9ma corporel, nous invitons le lecteur \u00e0 s\u2019engager momentan\u00e9ment dans l\u2019une ou l\u2019autre des activit\u00e9s suivantes afin qu\u2019il puisse constater comment la perception qu\u2019il a de lui-m\u00eame et de l\u2019espace dans lequel il se meut sont intimement li\u00e9es \u00e0 ses perceptions sensorielles ainsi qu\u2019\u00e0 son activit\u00e9 motrice. Par exemple, fermer les yeux et explorer l\u2019espace imm\u00e9diat en se fiant au sens tactile. Si on refait cet exercice, mais en se servant cette fois-ci d\u2019une baguette pour toucher les choses, on per\u00e7oit tactilement, mais \u00e0 distance&nbsp;: l\u2019espace proximal et l\u2019espace distal sont en quelque sorte reconfigur\u00e9s. Plus g\u00e9n\u00e9ralement, on se rend compte que la fa\u00e7on dont nous nous percevons en tant que corps dans l\u2019espace varie selon l\u2019activit\u00e9 dans laquelle nos sens comme nos muscles sont impliqu\u00e9s. La perception que l\u2019on a de notre corps est modifi\u00e9e d\u00e8s lors que la boucle perception-action est mise en jeu. Nous nous \u00e9prouvons diff\u00e9remment au volant d\u2019une voiture qu\u2019en nous d\u00e9pla\u00e7ant de nos propres moyens, que ce soit en bicyclette, en ski, en b\u00e9quilles ou \u00e0 pied. On peut donc concevoir le sch\u00e9ma corporel comme d\u00e9signant l\u2019unit\u00e9 synth\u00e9tique de l\u2019exp\u00e9rience du corps, de la forme qu\u2019il prend et de l\u2019espace qu\u2019il occupe. La proth\u00e8se, m\u00e9dicale ou autre, modifie le sch\u00e9ma corporel, de m\u00eame que le fait un outil, autre extension du corps.<\/p>\n\n\n\n<p>La r\u00e9alit\u00e9 virtuelle immersive est probablement la mani\u00e8re la plus dispendieuse et technologiquement sophistiqu\u00e9e qui ait \u00e9t\u00e9 d\u00e9velopp\u00e9e en art pour agir sur la perception du corps. Avec\u00a0<em>Osmose<\/em>\u00a0(1995), la Canadienne Char Davies fait de la perception du corps et de la conscience de l\u2019espace qu\u2019il d\u00e9ploie l\u2019objet m\u00eame de l\u2019\u0153uvre. Ce dispositif de r\u00e9alit\u00e9 virtuelle immersive int\u00e8gre des donn\u00e9es relatives \u00e0 la respiration et \u00e0 l\u2019\u00e9quilibre de l\u2019utilisateur (<em>immersant<\/em>).<\/p>\n\n\n\n<p>La conception de la sensorialit\u00e9 divis\u00e9e en cinq modalit\u00e9s est mal assortie quand il s\u2019agit de traiter des \u0153uvres o\u00f9 le corps est activement sollicit\u00e9. En art, on s\u2019int\u00e9resse de plus en plus \u00e0 ce que Charles Scott Sherrington, en 1906, a appel\u00e9 sensibilit\u00e9 proprioceptive, soit celle des muscles, tendons et articulations. Il la distinguait de la sensorialit\u00e9 ext\u00e9roceptive (vue, ou\u00efe, toucher, go\u00fbt, olfaction) et de la sensibilit\u00e9 int\u00e9roceptive (visc\u00e8res, vaisseaux et endoth\u00e9liums). De nos jours, on distingue g\u00e9n\u00e9ralement la kinesth\u00e9sie, ou sens du mouvement, de la proprioception, sensibilit\u00e9 par laquelle nous connaissons la position de nos membres sans avoir \u00e0 les regarder. Dans les environnements immersifs, comme en danse, la proprioception (incluant ici la kinesth\u00e9sie) joue un r\u00f4le majeur. Sans elle, le contr\u00f4le postural du corps est compromis. En fait, la proprioception est importante en de\u00e7\u00e0 de toute activit\u00e9 li\u00e9e \u00e0 la locomotion et \u00e0 la gestuelle. Le sentiment d\u2019individualit\u00e9 est profond\u00e9ment ancr\u00e9 dans la chair, comme l\u2019ont r\u00e9v\u00e9l\u00e9, chacun \u00e0 leur mani\u00e8re, et au grand public, des chercheurs \u00e9minents tels Oliver Sacks et Shaun Gallagher.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p>Prenons le toucher. Quand je joins les mains, je m\u2019\u00e9prouve \u00e0 la fois comme touchant et touch\u00e9, sujet et objet. Mais le toucher est un composite des sens tactile, thermique et haptique. Quand je saisis un objet, j\u2019en per\u00e7ois de mani\u00e8re synth\u00e9tique la texture, la consistance, la temp\u00e9rature, de m\u00eame que l\u2019effort fourni pour le manipuler. Des r\u00e9ajustements subtils et continuels me permettent de ne pas \u00e9craser l\u2019\u0153uf dans ma main, d\u2019ajuster correctement la force musculaire \u00e0 d\u00e9ployer. Action et perception se r\u00e9pondent. Sujet et objet s\u2019interp\u00e9n\u00e8trent.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p>Les Canadiens Doug Back et Norman Whiteexploraient d\u00e9j\u00e0 en 1986 avec un transducteur gestuel \u00e0 retour d&rsquo;effort de leur cru, qui leur permit alors de r\u00e9aliser l\u2019\u00e9v\u00e9nement\u00a0<em>Telephonic Arm Wrestling<\/em>\u00a0(<em>Le<\/em>\u00a0<em>Bras-de-fer transatlantique<\/em>). Il s\u2019agissait de communiquer \u00e0 distance sur un mode proprioceptif, au moyen de la r\u00e9sistance musculaire, et ce sans engager la vue, ni l\u2019ou\u00efe. En fait, le geste et le toucher ont toujours \u00e9t\u00e9 n\u00e9cessaires pour la production des \u0153uvres, qu\u2019il s\u2019agisse du travail du musicien, du peintre, du calligraphe ou du sculpteur. Les nouvelles technologies permettent d\u2019int\u00e9grer de plus en plus facilement aux \u0153uvres le geste et le toucher, alors qu\u2019avant le XXe si\u00e8cle, ils \u00e9taient pratiquement bannis de l\u2019esth\u00e9tique, compromis par leur lien direct \u00e0 la mati\u00e8re et au travail, ainsi qu\u2019au corps consid\u00e9r\u00e9 comme impur et contaminateur.<\/p>\n\n\n\n<p>Les arts du temps sont per\u00e7us de mani\u00e8re proprioceptive. \u00ab Ils activent les structures rythmiques les plus profondes de la constitution humaine. \u00bb On ne saurait s\u2019\u00e9tonner que l\u2019int\u00e9r\u00eat manifest\u00e9 pour la proprioception et la kinesth\u00e9sie dans un contexte artistique vienne davantage de la danse. Les artistes peuvent aborder les notions de proprioception et de kinesth\u00e9sie sans pour autant \u00eatre au fait des d\u00e9bats dont ils font actuellement l\u2019objet en philosophie. Ceux-ci portent notamment sur la communication inter-corporelle et l\u2019empathie kinesth\u00e9sique, et font intervenir des th\u00e9ories de pointe comme celle des neurones miroirs. Tous les philosophes ne consid\u00e8rent certainement pas que l\u2019esth\u00e9tique philosophique doive se pr\u00e9occuper de th\u00e9ories scientifiques, mais des artistes s\u2019int\u00e9ressent \u00e0 ce que la science a \u00e0 dire.<\/p>\n\n\n\n<p>Dans son travail \u00e0 la crois\u00e9e de la performance et de la musique, Marco Donnarumma accorde \u00e0 la proprioception une place centrale, tant d\u2019un point de vue th\u00e9orique que pratique. Cet italien a d\u00e9velopp\u00e9 un dispositif, le&nbsp;<em>XS<\/em>, qui capte des sons dits bioacoustiques, dont les subtiles vibrations m\u00e9caniques secouent les fibres musculaires en action. Les sons capt\u00e9s sont trait\u00e9s, amplifi\u00e9s et diffus\u00e9s dans l\u2019espace, et sont aussi traduits visuellement en \u00ab essaims d\u2019entit\u00e9s virtuelles \u00bb vid\u00e9o-projet\u00e9s. Dans un deuxi\u00e8me temps, s\u2019\u00e9tant rendu compte que la qualit\u00e9 de sa performance souffrait quand l\u2019intensit\u00e9 sonore de certaines basses fr\u00e9quences n\u2019atteignait pas un niveau minimal, Donnamura a d\u00e9couvert, au fil de ses lectures, que la stimulation des muscles et tendons par basses fr\u00e9quences am\u00e9liorait la performance neuromusculaire en g\u00e9n\u00e9ral. C\u2019est ainsi qu\u2019il en est venu \u00e0 amplifier par biofeedback ses sensations proprioceptives; les sons diffus\u00e9s dans l\u2019espace sont d\u2019origine musculaire et agissent ensuite sur le muscle qui les produit. Le performeur se retrouve au centre d\u2019un circuit en boucle et la performance est bas\u00e9e sur une action simple qui n\u2019exige aucune comp\u00e9tence musicale, aucun doigt\u00e9. Elle consiste \u00e0 trainer deux pierres au sol en tirant chacune d\u2019elle au moyen d\u2019une corde. \u00c9tant donn\u00e9 leur poids, l\u2019intensit\u00e9 de l\u2019effort musculaire \u00e0 fournir, non seulement des bras mais du corps entier, est ce qui compte avant tout. De l\u2019effort r\u00e9sulte un double sonore du performeur, qui se dilate dans l\u2019espace et affecterait les spectateurs par empathie, selon Donnamura.<\/p>\n\n\n\n<figure class=\"wp-block-embed aligncenter is-type-video is-provider-vimeo wp-block-embed-vimeo wp-embed-aspect-16-9 wp-has-aspect-ratio\"><div class=\"wp-block-embed__wrapper\">\n<iframe loading=\"lazy\" title=\"Marco Donnarumma - Music for Flesh II\" src=\"https:\/\/player.vimeo.com\/video\/36580607?h=e99e6def89&amp;dnt=1&amp;app_id=122963\" width=\"500\" height=\"281\" frameborder=\"0\" allow=\"autoplay; fullscreen; picture-in-picture\" allowfullscreen><\/iframe>\n<\/div><figcaption class=\"wp-element-caption\">Marco Donnarumma \u00a0\u2013\u00a0<em>Music for Flesh II<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n<p>Dans la th\u00e9orisation de sa propre pratique artistique, Donnamura n\u2019est pas sans nous faire songer \u00e0 \u00c9mile Jaques-Dalcroze, ce pr\u00e9curseur de la danse moderne qui affirmait que \u00ab la nuance est en nous : c\u2019est l\u2019augmentation ou la diminution de la texture musculaire et nerveuse, que la moindre crispation, le moindre passage \u00e9motif travaille, fait vibrer, ou effondre. Et tout cela fait sens. Et tout cela compose. Il y a donc un chant int\u00e9rieur qui est celui du tonus. \u00bb Le biofeedback acoustique de Donnamura serait en quelque sorte une ext\u00e9riorisation de ce chant int\u00e9rieur, un double sonore.<\/p>\n\n\n\n<p>Il y a certainement des corr\u00e9lations \u00e0 \u00e9tablir entre, d\u2019une part, les technologies et les conceptions du corps et, d\u2019autre part, les conceptions de l\u2019art et de la sensorialit\u00e9, conclusion \u00e0 laquelle plusieurs seront d\u00e9j\u00e0 arriv\u00e9s par d\u2019autres chemins. Il faut surtout signaler ici que la mati\u00e8re que de plus en plus d\u2019artistes questionnent est celle-l\u00e0 m\u00eame dont ils sont faits, et que les interfaces leur permettent de transmuter et de d\u00e9ployer ind\u00e9finiment, sur sc\u00e8ne autant qu\u2019\u00e0 travers les r\u00e9seaux et supports num\u00e9riques.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"<p>Dans les conceptions actuelles de l\u2019art et de la sensibilit\u00e9, la sensorialit\u00e9 s\u2019\u00e9mancipe du moule traditionnel suivant lequel nous disposerions de cinq sens dont seuls deux sont dits esth\u00e9tiques, soit la vue et l\u2019ou\u00efe. On trouve d\u00e9sormais de nombreux articles et ouvrages dans lesquels est d\u00e9fendue l\u2019id\u00e9e que le toucher, le go\u00fbt et m\u00eame l\u2019olfaction &hellip; <a href=\"https:\/\/archee.uqam.ca\/decembre-2014-le-chant-interieur-du-tonus-musculaire-performance-et-arts-mediatiques\/\">Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[1],"tags":[95],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1786"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=1786"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1786\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":1788,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1786\/revisions\/1788"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=1786"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=1786"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=1786"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}