{"id":1789,"date":"2014-12-01T21:32:05","date_gmt":"2014-12-01T21:32:05","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=1789"},"modified":"2022-11-25T21:32:21","modified_gmt":"2022-11-25T21:32:21","slug":"decembre-2014-sonographie-perception-et-tactilite-sur-la-scene-actuelle","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/decembre-2014-sonographie-perception-et-tactilite-sur-la-scene-actuelle\/","title":{"rendered":"D\u00e9cembre 2014 &#8211; <i> Sonographie <\/i>. Perception et tactilit\u00e9 sur la sc\u00e8ne actuelle"},"content":{"rendered":"\n<figure class=\"wp-block-embed aligncenter is-type-video is-provider-vimeo wp-block-embed-vimeo wp-embed-aspect-16-9 wp-has-aspect-ratio\"><div class=\"wp-block-embed__wrapper\">\n<iframe loading=\"lazy\" title=\"Cindy Van Acker - Diffraction\" src=\"https:\/\/player.vimeo.com\/video\/30845254?h=a25921000f&amp;dnt=1&amp;app_id=122963\" width=\"500\" height=\"281\" frameborder=\"0\" allow=\"autoplay; fullscreen; picture-in-picture\" allowfullscreen><\/iframe>\n<\/div><figcaption class=\"wp-element-caption\">Cindy Van Acker,\u00a0<em>Diffraction<\/em>, 2011.<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n<p>La sc\u00e8ne chor\u00e9graphique contemporaine produit toujours une&nbsp;<em>image sonore<\/em>.<\/p>\n\n\n\n<p>Comme on l\u2019a discut\u00e9 dans les conversations qui ont \u00e9t\u00e9 publi\u00e9es au cours de l\u2019ann\u00e9e, cette affirmation concerne une tension entre la vision et l\u2019\u00e9coute. Cela signifie qu\u2019il y a sur sc\u00e8ne la d\u00e9finition d\u2019une&nbsp;<em>image acoustique<\/em>&nbsp;qui, en se d\u00e9pliant, entre en relation avec le r\u00e9gime optique de l\u2019image. En d\u2019autres termes, le son contribue de plus en plus \u00e0 d\u00e9finir l\u2019atmosph\u00e8re de la sc\u00e8ne, ses tensions \u2014 donc sa&nbsp;<em>temp\u00e9rature<\/em>&nbsp;\u2014 sur lesquelles s\u2019appuie en contrepoint le visuel. Cela dispose et oriente en m\u00eame temps les modalit\u00e9s et les facult\u00e9s&nbsp;d\u2019<em>\u00e9coute<\/em>. Et ce, de mani\u00e8re latente, \u00e0 la limite de la conscience.&nbsp;&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p>Apr\u00e8s avoir travers\u00e9 quelques aspects contemporains de l\u2019approche du son, on doit r\u00e9fl\u00e9chir sur les fa\u00e7ons avec lesquelles la dimension acoustique s\u2019articule sur la sc\u00e8ne performative et quelles en sont les diff\u00e9rentes d\u00e9clinaisons \u00e0 discuter. Le d\u00e9roulement que je propose est d&rsquo;ordre logique&nbsp;: ce qu\u2019on a vu \u2014 de Ginette Laurin \u00e0 Hiroaki Umeda en passant par Isabelle Van Grimde \u2014 concerne des exp\u00e9riences qui t\u00e9moignent d\u2019un glissement entre installation audiovisuelle et sc\u00e8ne performative selon un cadre concernant la relation entre le&nbsp;<em>son comme corps<\/em>&nbsp;o\u00f9 le corps est mati\u00e8re pour le son, et le&nbsp;<em>corps qui produit le son<\/em>, \u00e0 ce moment-l\u00e0 il s\u2019agit d\u2019un dispositif presque organique.<\/p>\n\n\n\n<h2 class=\"wp-block-heading\">I. Le retour sur la perception<\/h2>\n\n\n\n<p>Ces exemples nous m\u00e8nent \u00e0 une r\u00e9flexion autour des dispositifs technologiques employ\u00e9s sur sc\u00e8ne.<\/p>\n\n\n\n<p>De quoi est donc capable la technologie dans le contexte de notre analyse ?<\/p>\n\n\n\n<p>D\u2019un c\u00f4t\u00e9 on parle d\u2019une\u00a0<em>soundscape<\/em>\u00a0organis\u00e9e autour du mouvement des performeurs, de l\u2019autre \u2014 de fa\u00e7on plus int\u00e9ressante \u2014 cela permet aux performeurs d\u2019entrer dans une immersion pr\u00e9cise de la perception<sup>1<\/sup>. Cela concerne l\u2019utilisation d&rsquo;un agent ext\u00e9rieur comme la technologie, l\u00e0\u00a0o\u00f9 cette derni\u00e8re est pens\u00e9e pour offrir \u00e0 la danseuse des modalit\u00e9s\u00a0concr\u00e8tes d&rsquo;enqu\u00eate cognitive sur l&rsquo;organisation de la corpor\u00e9it\u00e9.\u00a0La technologie est donc capable d\u2019engendrer une s\u00e9rie de combinaisons de postures gestuelles in\u00e9dites. Ces donn\u00e9es constituent une\u00a0importante\u00a0stimulation\u00a0pour les danseurs, afin de penser autrement son corps et sa disposition dans l\u2019espace<sup>2<\/sup>. Soit avec la production sonore par contact d\u2019une surface sonoris\u00e9e \u2014 ainsi comment nous l\u2019avons vue dans le travail de Dani\u00e8le Desnoyers ou Ginette Laurin \u2014, soit dans la production sonore contr\u00f4l\u00e9e par le mouvement comme dans le cas de Myriam Gourfink, Hiroaki Umeda, Isabelle Van Grimde ou encore Palindrome, les performeurs se trouvent \u00e0 compl\u00e9ter leur projet d\u2019action avec plusieurs informations provenant de canaux diff\u00e9rents. Par exemple, au niveau\u00a0<em>proprioceptif<\/em>, c\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 travers les donn\u00e9es qui proviennent des capteurs sensoriels, et au niveau\u00a0<em>ext\u00e9roceptif<\/em>, \u00e0 travers une s\u00e9rie d&rsquo;informations (sonores selon le cas) qui parviennent au corps par un agent ext\u00e9rieur. Cela concourt \u00e0 stimuler un potentiel imaginatif (donc moteur) auquel il n\u2019y a jamais eu \u00a0aucun acc\u00e8s. De cette exploration accomplie par la chor\u00e9graphe aux limites des possibilit\u00e9s\u00a0physiologiques, r\u00e9sulte un corps paysage, une architecture\u00a0dont\u00a0le\u00a0centre,\u00a0en r\u00e9alit\u00e9, est absent, ou mieux, ailleurs. Chaque corps ressent : angles, vides, ombres, lignes infinies.\u00a0Le mouvement devient une\u00a0<em>interrogation des vert\u00e8bres\u00a0<\/em>: faire du corps une carte, un diagramme, une constellation ; tracer des lignes \u00e0 vitesse variable pour connecter toutes ses extr\u00e9mit\u00e9s et toutes ses p\u00e9riph\u00e9ries en faisant exploser sa forme. Cela m\u00e8ne in\u00e9vitablement \u00e0 \u00e9laborer une s\u00e9rie des consid\u00e9rations autour les caract\u00e9ristiques portantes de l\u2019action-intervention du son sur la sc\u00e8ne contemporaine.\u00a0<\/p>\n\n\n\n<figure class=\"wp-block-embed aligncenter is-type-video is-provider-vimeo wp-block-embed-vimeo wp-embed-aspect-16-9 wp-has-aspect-ratio\"><div class=\"wp-block-embed__wrapper\">\n<iframe loading=\"lazy\" title=\"BREATHING MONSTER\" src=\"https:\/\/player.vimeo.com\/video\/70761248?h=0f91a5a206&amp;dnt=1&amp;app_id=122963\" width=\"500\" height=\"281\" frameborder=\"0\" allow=\"autoplay; fullscreen; picture-in-picture\" allowfullscreen><\/iframe>\n<\/div><figcaption class=\"wp-element-caption\">Kasper T. Toeplitz &amp; Myriam Gourfink,\u00a0<em>Breathing Monster<\/em>, 2013.<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n<h2 class=\"wp-block-heading\">II. De quelques caract\u00e9ristiques des technologies<\/h2>\n\n\n\n<p>En partant des trajectoires trac\u00e9es, on peut alors d\u00e9boucher sur un cadre th\u00e9orique autour de la notion de\u00a0<em>corps sonore<\/em>\u00a0sur sc\u00e8ne. D\u2019un c\u00f4t\u00e9 on parlera des caract\u00e9ristiques de cette notion sur le plan de la composition, de l\u2019autre on indiquera les principales modifications sur le plan esth\u00e9tique<\/p>\n\n\n\n<h2 class=\"has-medium-font-size wp-block-heading\">II.1. De l\u2019\u00e9laboration du son<\/h2>\n\n\n\n<p><strong>1)<\/strong>&nbsp;La technologie est pens\u00e9e \u2014 dans le cas pris en charge dans le dossier pr\u00e9sent\u00e9 \u2014 pour offrir aux danseurs des modalit\u00e9s concr\u00e8tes&nbsp;d&rsquo;enqu\u00eate cognitive sur l&rsquo;organisation de la corpor\u00e9it\u00e9.&nbsp;&nbsp;<br>&nbsp;<br><strong>2)<\/strong>&nbsp;D\u2019un c\u00f4t\u00e9 le&nbsp;<em>corps comme son<\/em>, c\u2019est-\u00e0-dire le corps consid\u00e9r\u00e9 dans sa mat\u00e9rialit\u00e9 et sur laquelle on peut intervenir en la manipulant ; de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 la dimension du&nbsp;<em>corps comme producteur du son<\/em>, une dimension tr\u00e8s particuli\u00e8re de la sc\u00e8ne contemporaine qui consid\u00e8re le plateau comme un instrument o\u00f9 se d\u00e9finit la manifestation audible de la relation que le mouvement et la voix instituent au moyen des syst\u00e8mes de captation technologique.<\/p>\n\n\n\n<p><strong>3)<\/strong>\u00a0Cela signifie avoir acc\u00e8s \u00e0 la mati\u00e8re du son. P\u00e9n\u00e9trer dans la mati\u00e8re du son et, en m\u00eame temps, celle du corps. On parle alors d\u2019une forme\u00a0<em>mol\u00e9culaire<\/em>\u00a0du corps et du son qui sont en r\u00e9sonance entre eux. Faire de la sc\u00e8ne une sorte de\u00a0<em>rayographie<\/em><sup>3<\/sup>. Manipul\u00e9, le mat\u00e9riel acoustique est donc assujetti \u00e0 une dynamique de rapprochement-\u00e9loignement du son \u00e0 travers le d\u00e9ferlement de sa vague.\u00a0En d\u2019autres termes, on fait face \u00e0 un processus de manipulation du son, de r\u00e9organisation de ses dynamiques, en d\u00e9finissant une v\u00e9ritable\u00a0<em>cin\u00e9matique du son<\/em>.<\/p>\n\n\n\n<p><strong>4)<\/strong>&nbsp;Le corps sonore concerne la red\u00e9finition de l\u2019espace et du temps. Pour les artistes cit\u00e9es dans le dossier, la dimension sonore \u2014 trajectoires de mati\u00e8re acoustique \u2014 et la dimension spatiale sont connexes aux nouveaux parcours perceptifs, \u00e0 la limite des seuils d&rsquo;audibilit\u00e9.&nbsp;Ces architectures sonores deviennent pleinement compr\u00e9hensibles, en tant qu\u2019espaces sonores, seulement lorsqu\u2019on en prend cong\u00e9. Que signifie, dans cette logique, situer dynamiquement un son dans l&rsquo;espace ?&nbsp;Il s&rsquo;agit d\u2019organiser des trajectoires de sons flottants, qu\u2019il n&rsquo;est pas important de percevoir \u00e0 leur d\u00e9but,&nbsp;mais plut\u00f4t d\u2019en reconna\u00eetre la consistance, le grain et la mani\u00e8re dont elles s&rsquo;\u00e9tendent et prennent forme. Cela permet de cr\u00e9er \u2014 par la disposition des fr\u00e9quences dans l&rsquo;espace \u2014 des lieux \u00e0 explorer auditivement, qui se coupent et se stratifient dans la dimension acoustique o\u00f9 ils s\u2019\u00e9tendent. L\u00e0&nbsp;o\u00f9 la texture dense d&rsquo;un nuage de son \u00e9largit et dilate la perception de l&rsquo;espace, un son tendu et apparemment statique \u2014 constitu\u00e9 de&nbsp;<em>patterns<\/em>&nbsp;cycliques r\u00e9p\u00e9titifs et de temps d&rsquo;\u00e9coute serr\u00e9s et rythm\u00e9s \u2014 favorise par contre l\u2019immersion en limitant la perception de l&rsquo;espace.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<h2 class=\"has-medium-font-size wp-block-heading\">II.2. Les r\u00e9sonances esth\u00e9tiques sur sc\u00e8ne<\/h2>\n\n\n\n<p><strong>5)<\/strong>&nbsp;Ces passages mettent en relief une forme d\u2019intersection entre les arts&nbsp;: plus pr\u00e9cis\u00e9ment un croisement des mod\u00e8les entre les arts installatifs audiovisuels et la sc\u00e8ne, en menant \u2014 dans les meilleurs cas \u2014 \u00e0 leur v\u00e9ritable hybridation comme, par exemple, la collaboration entre Kasper T. Toeplitz et Myriam Gourfink, celle de Cindy Van Acker et Mika Vainio\/Pan Sonic et celle de Ryoji Ikede et Dumb Type seulement pour en citer que quelques uns. Ces collaborations se focalisent sur un point&nbsp;: une nouvelle composition du dispositif l\u2019assure d\u2019\u00eatre&nbsp;<em>immersif<\/em>, en v\u00e9hiculant une esth\u00e9tique in\u00e9dite que j\u2019appelle provisoirement une&nbsp;<em>logique de la latence,<\/em>&nbsp;capable d\u2019induire des sensations d\u00e9termin\u00e9es aux spectateurs.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p><strong>6)<\/strong>&nbsp;Cette consid\u00e9ration a un corr\u00e9lat&nbsp;: l\u2019\u00e9mergence d\u2019une tension entre la vision et l\u2019\u00e9coute. Cela signifie qu\u2019il y a sur sc\u00e8ne la d\u00e9finition d\u2019une&nbsp;<em>image acoustique<\/em>&nbsp;qui, en la d\u00e9finissant, entre en relation avec le r\u00e9gime optique de l\u2019image. En d\u2019autres termes, le son contribue de plus en plus \u00e0 d\u00e9finir l\u2019atmosph\u00e8re de la sc\u00e8ne \u2014 donc sa&nbsp;<em>temp\u00e9rature<\/em>&nbsp;\u2014 ses tensions sur lesquelles s\u2019appuie le visuel qui en est le contrepoint;<\/p>\n\n\n\n<p><strong>7)<\/strong>&nbsp;Au plan du dispositif sc\u00e9nique, \u00e0 la \u00ab&nbsp;forme&nbsp;\u00bb comme cat\u00e9gorie esth\u00e9tique traditionnelle, on substitue le \u00ab&nbsp;flux technologique&nbsp;\u00bb et son esth\u00e9tisation. Enfin, les technologies ont un caract\u00e8re d&rsquo;autonomie et d&rsquo;autosuffisance; ici se met en place le passage d\u2019une esth\u00e9tique de l&rsquo;action \u00e0 une esth\u00e9tique de la situation selon une logique de&nbsp; transformation, ainsi comme nous l\u2019expliquerons.<\/p>\n\n\n\n<figure class=\"wp-block-embed aligncenter is-type-video is-provider-vimeo wp-block-embed-vimeo\"><div class=\"wp-block-embed__wrapper\">\n<iframe loading=\"lazy\" title=\"Duo - short version\" src=\"https:\/\/player.vimeo.com\/video\/64953021?h=e9669177bc&amp;dnt=1&amp;app_id=122963\" width=\"500\" height=\"400\" frameborder=\"0\" allow=\"autoplay; fullscreen; picture-in-picture\" allowfullscreen><\/iframe>\n<\/div><figcaption class=\"wp-element-caption\">Hiroaki Umeda,<em>\u00a0Duo<\/em>, 2007.<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n<p><strong>8)<\/strong>&nbsp;Cette pratique d\u2019intersection \u2014 aux niveaux technologique appliqu\u00e9 aux arts, concerne une r\u00e9orientation de la pens\u00e9e autour des dispositifs technologiques: la technologie est ainsi une&nbsp;<em>forme de la pens\u00e9e<\/em>&nbsp;capable de renouveler la perception du spectateur qui habite l\u2019environnement immersif sur la sc\u00e8ne.&nbsp;L\u2019observation des aspects jusqu\u2019ici consid\u00e9r\u00e9s, nous am\u00e8ne \u00e0 formuler une interpr\u00e9tation radicale autour de l\u2019intervention des technologies dans le domaine des arts. Ce qui nous int\u00e9resse, ce n\u2019est pas la possibilit\u00e9 d\u2019explorer la technologie potentielle, mais plut\u00f4t de comprendre comment et \u00e0 quel niveau les dispositifs technologiques peuvent contribuer \u00e0 \u00e9tendre \u2014 voir \u00e0 r\u00e9organiser d\u2019une fa\u00e7on efficace \u2014 le potentiel des compositions audiovisuelles des environnements immersifs. Cela signifie, d\u2019un point de vue analytique, que le&nbsp;<em>plan technique<\/em>&nbsp;\u2014 le d\u00e9veloppement des technologies \u2014 est subordonn\u00e9 au&nbsp;<em>plan esth\u00e9tique<\/em>&nbsp;de la composition. C\u2019est seulement dans cette direction que le d\u00e9veloppement des technologies devient une v\u00e9ritable&nbsp;<em>logique de la technique<\/em>&nbsp;et non une simple application spectaculaire. Ainsi faisant, l\u2019esth\u00e9tique devient une v\u00e9ritable forme de connaissance qui passe par la perception, par l\u2019exp\u00e9rience sensorielle.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p><strong>9)<\/strong>&nbsp;Ces principes v\u00e9hiculent une certaine latence de la sc\u00e8ne. La latence est une forme de perception induite ; elle n&rsquo;est pas&nbsp;<em>localisable<\/em>, mais elle s&rsquo;\u00e9tend dans la dur\u00e9e en agissant sur tous les points du dispositif sc\u00e9nique. C&rsquo;est une modulation qui passe d&rsquo;un \u00e9tat de tension des mat\u00e9riaux \u00e0 un autre ; parce que si elle est diffus\u00e9e, elle est&nbsp;<em>imperceptible<\/em>&nbsp;et&nbsp;<em>profonde&nbsp;<\/em>: ce qui affleure \u2014 dans cet \u00e9tat de latence \u2014 ce sont seulement les&nbsp;<em>effets&nbsp;<\/em>ou les tensions visuelles-sonores qui sous-tendent la composition d&rsquo;un environnement.<strong>&nbsp;<\/strong>L\u2019atmosph\u00e8re est donc la&nbsp;<em>temp\u00e9rature<\/em>&nbsp;de la sc\u00e8ne. L\u2019atmosph\u00e8re est un&nbsp;<em>\u00e9tat des choses<\/em>&nbsp;qui appara\u00eet de fa\u00e7on latente : c&rsquo;est une sensation qu&rsquo;il faut habiter. Les atmosph\u00e8res que cr\u00e9e la sc\u00e8ne sont la fa\u00e7on dont elles impressionnent le spectateur, produisent en lui des effets, des images qui parlent \u00e0 sa perception sensorielle et qui survivent dans sa m\u00e9moire pour r\u00e9affleurer les sens. Ce qui impressionnent ce sont des formes, des coupures de lumi\u00e8re, des pulsations de sons-couleurs et lueurs.<\/p>\n\n\n\n<h2 class=\"wp-block-heading\">III.\u00a0<em>Sonographie<\/em>\u00a0: une \u00e9coute tactile<\/h2>\n\n\n\n<p>Selon ces principes, on peut alors conclure que le son, ainsi con\u00e7u sur la sc\u00e8ne qu\u2019on a analys\u00e9e pendant ce parcours, assume toujours une propri\u00e9t\u00e9&nbsp;tactile. Autrement \u00e0 ce qui se produit au niveau de l&rsquo;image visuelle ou chromatique, les caract\u00e9ristiques&nbsp;de l\u2019intervention du son sur l&rsquo;espace acoustique du spectateur travaillent de mani\u00e8re tridimensionnelle et en profondeur.&nbsp;Il se d\u00e9gage des \u0153uvres cit\u00e9es, deux caract\u00e9ristiques principales avec lesquelles l\u2019environnement sonore intervient sur le corps du spectateur :<\/p>\n\n\n\n<p><strong>a)<\/strong>&nbsp;<em>Instantan\u00e9it\u00e9<\/em>&nbsp;: Gr\u00e2ce \u00e0 l&rsquo;utilisation des&nbsp;<em>undertons<\/em>&nbsp;et&nbsp;<em>overtons<\/em>, la communication n\u2019est plus simplement simplement auditive. Sa caract\u00e9ristique est p\u00e9n\u00e9trante, le son enveloppe compl\u00e8tement le corps, en travaillant dans une dynamique temporelle instantan\u00e9e, dans laquelle chaque vibration produit un effet vibratile en transformant le corps du spectateur en un tympan.<\/p>\n\n\n\n<p><strong>b)<\/strong>&nbsp;<em>Profondeur&nbsp;<\/em>: Directement li\u00e9e \u00e0 la caract\u00e9ristique pr\u00e9c\u00e9dente, elle permet \u00e0 l\u2019environnement sonore de p\u00e9n\u00e9trer en profondeur&nbsp;dans l&rsquo;organisation physique du sujet ; nous pourrions la d\u00e9finir, dans des conditions pr\u00e9cises, en p\u00e9n\u00e9tration endoscopique du son, une exploration presque chirurgicale.<\/p>\n\n\n\n<p>Sur les deux niveaux \u2014 instantan\u00e9it\u00e9 et profondeur&nbsp;\u2014 les sons ne sont pas consid\u00e9r\u00e9es comme des objets abstraits ou des cellules signifiantes d&rsquo;un texte, ils sont plut\u00f4t des&nbsp;<em>textures faites<\/em>&nbsp;de micro\u00e9v\u00e9nements acoustiques qui dessinent un environnement \u00e0 l&rsquo;int\u00e9rieur duquel le corps du spectateur trouve sa place. Les sons n&rsquo;indiquent pas seulement le mouvement des ondes sonores dans l&rsquo;espace, mais ils incarnent la mat\u00e9rialit\u00e9&nbsp;d&rsquo;une pr\u00e9sence acoustique, d&rsquo;une activit\u00e9&nbsp;qui presse sur l&rsquo;espace auditif du spectateur. C\u2019est ainsi que l\u2019\u00e9coute, comme soulign\u00e9 en ouverture, se red\u00e9finit.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<p>Le spectateur devient un tympan, un r\u00e9sonateur : l&rsquo;anatomie sonore se transforme en impression acoustique. Il s&rsquo;agit ici d\u2019une sensation l\u00e9g\u00e8re et pr\u00e9cise pour une forme de tactilit\u00e9 qui ne s&rsquo;\u00e9puise pas seulement dans la proximit\u00e9 et le contact, mais s\u2019\u00e9tend \u00e0 la dimension&nbsp;<em>sonographique<\/em>&nbsp;des corps&nbsp;: un corps infini qui peut \u00eatre seulement approch\u00e9 ou parcouru. \u00c9cout\u00e9.<\/p>\n\n\n\n<p>La p\u00e9n\u00e9tration est alors accomplie. Le spectateur trouve sa place dans le son, l\u00e0&nbsp;o\u00f9 il est possible de capter toutes ses variantes, ses imperceptibilit\u00e9s&nbsp;et, en partant de l\u00e0 \u2014 l\u2019<em>image acoustique<\/em>&nbsp;dont on a parl\u00e9 \u2014 de reconstruire la musique cach\u00e9e dans sa structure pour la connecter aux autres entit\u00e9s dans une sensation unique et puissante. Cela demande une \u00e9tendue perceptive de l\u2019\u00e9coute&nbsp;:&nbsp;se&nbsp;laisser p\u00e9n\u00e9trer&nbsp;par&nbsp;le son et devenir \u2014 en m\u00eame temps \u2014 un son dans l&rsquo;\u00e9coute.&nbsp;Cela signifie prendre compte, sous les coups de la vibration, tous les attributs physiques de l\u2019organisme en en red\u00e9finissant les fonctions. Pour l\u2019entendre, il faut avoir, pour ainsi dire, une&nbsp;<em>oreille impossible<\/em>, un corps prisme : toute la r\u00e9sonance dont est capable la g\u00e9om\u00e9trie osseuse.&nbsp;<\/p>\n\n\n\n<figure class=\"wp-block-embed aligncenter is-type-video is-provider-youtube wp-block-embed-youtube wp-embed-aspect-16-9 wp-has-aspect-ratio\"><div class=\"wp-block-embed__wrapper\">\n<iframe loading=\"lazy\" title=\"Soif, extrait\/excerpt (2014)\" width=\"500\" height=\"281\" src=\"https:\/\/www.youtube.com\/embed\/obJGcMx66rA?feature=oembed\" frameborder=\"0\" allow=\"accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture\" allowfullscreen><\/iframe>\n<\/div><figcaption class=\"wp-element-caption\">Ginette Laurin\u00a0| O Vertigo,\u00a0<em>Soif,\u00a0<\/em>2014.<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n<p>\u00c9videmment, si une pr\u00e9sence sonore existe, des effets produits par cette pr\u00e9sence-l\u00e0 existeront aussi. La pr\u00e9sence sonore dont on a ici parl\u00e9 est \u00e0 la fois la cause initiale en vertu de laquelle les effets se produisent et existent, et la cons\u00e9quence de ces effets. L\u2019effet de pr\u00e9sence t\u00e9moigne alors du passage d\u2019un \u00ab corps \u00bb qui s\u2019inscrit et trouve sa place dans la r\u00e9ception du spectateur : c\u2019est la trace d\u2019un mouvement, d\u2019une image ou d\u2019un son qui n\u2019est pas l\u00e0 ou qui est pass\u00e9 par l\u00e0 mais n\u2019est plus l\u00e0 maintenant. L\u2019effet de pr\u00e9sence est une survivance. Quelque chose qui demeure sous forme d\u2019impression. L\u2019effet, comme produit de la pr\u00e9sence, correspond donc \u00e0 un agencement de sensations que la pr\u00e9sence produit et consigne sur le corps du spectateur. Dans cette perspective, discuter des effets produits par la pr\u00e9sence, signifie interroger et \u00e9tendre les modalit\u00e9s visant \u00e0 organiser la perception du spectateur.<\/p>\n\n\n\n<p>C\u2019est comme si le son \u00e9tait l\u00e0 \u2014 dans un \u00e9tat de latence \u2014 pr\u00e9sent mais pas encore audible. D\u00e8s lors le spectateur devient un r\u00e9sonateur. Il s\u2019agit d\u2019un changement radical des modalit\u00e9s d\u2019\u00e9coute&nbsp;: c\u2019est-\u00e0-dire entrer avec l\u2019oreille dans le son et, en m\u00eame temps, \u00eatre habit\u00e9 par ce son. Cela signifie&nbsp;<em>\u00eatre touch\u00e9 par le son<\/em>. Il est certain que la vibration sonore poss\u00e8de le caract\u00e8re bien particulier de venir du lointain, de p\u00e9n\u00e9trer et de traverser le corps pour partir au loin&nbsp;: il y a une proximit\u00e9 du lointain dans le son, et une p\u00e9n\u00e9tration en moi de ce lointain. D&#8217;embl\u00e9e on fait face \u00e0 une sorte de&nbsp;<em>sonographie<\/em>&nbsp;des corps.<\/p>\n\n\n\n<p>Pour le spectateur, la question est alors de&nbsp;<em>devenir<\/em>&nbsp;son, devenir mati\u00e8re acoustique, pulsation. Ceci demande une red\u00e9finition radicale de notre perception&nbsp;: seulement une oreille impossible peut capter l\u2019inaudible.<\/p>\n\n\n\n<p>En guise de conclusion. En poussant plus loin les cons\u00e9quences de ma r\u00e9flexion, je propose que, pour la sc\u00e8ne actuelle, le plateau est seulement le point de passage \u2014 le lieu o\u00f9 se composent, de fa\u00e7on subliminaire, les intensit\u00e9s qui en d\u00e9finissent l&rsquo;atmosph\u00e8re \u2014 qui permet d\u2019imprimer le mouvement \u00e0 la fois physique ou num\u00e9rique sur la plaque\u00a0<em>sonosensible<\/em>\u00a0du cerveau du spectateur : la vraie sc\u00e8ne, la plus cach\u00e9e, la plus radicale soit-elle<sup>4<\/sup>.<\/p>\n\n\n\n<h2 class=\"has-medium-font-size wp-block-heading\">Notes<\/h2>\n\n\n\n<p class=\"has-primary-color has-text-color has-small-font-size\">[1] Cf. dans le sens large de la pr\u00e9flexion de L. Rosenblum,\u00a0<em>See What I\u2019m Saying<\/em>, New York, W. W. Norton &amp; Company, 2010.\u00a0<\/p>\n\n\n\n<p class=\"has-primary-color has-text-color has-small-font-size\">[2] Cfr. L. Poissant (dir.),\u00a0<em>Interfaces et sensorialit\u00e9<\/em>, Qu\u00e9bec, Presses de l\u2019Universit\u00e9 du Qu\u00e9bec, 2003 e C. Salter,\u00a0<em>Entangled<\/em>, Cambridge, The MIT Press, 2010.\u00a0<\/p>\n\n\n\n<p class=\"has-primary-color has-text-color has-small-font-size\">[3] Voire E. Radigue,\u00a0<em>The Mysterious Power of the Infinitesimal<\/em>, in \u00abLeonardo Music Journal\u00bb, vol. 19, d\u00e9cembre 2009, pp. 47-50. E C. Hope,\u00a0<em>Infrasonic Music<\/em>, \u00ab\u00a0Leonardo Music Journal\u00a0\u00bb, cit., pp. 51\u201356.\u00a0<\/p>\n\n\n\n<p class=\"has-primary-color has-text-color has-small-font-size\">[4]<em> Musique et perception<\/em>, \u00abInharmoniques\u00bb, n\u00b0 3, avril 1988. Cf. Perry R. Cook,\u00a0<em>Music, Cognition, And Computerized Sound<\/em>, Cambridge, MIT Press, 2001.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"<p>La sc\u00e8ne chor\u00e9graphique contemporaine produit toujours une&nbsp;image sonore. 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Cela signifie qu\u2019il y a sur sc\u00e8ne la d\u00e9finition d\u2019une&nbsp;image acoustique&nbsp;qui, en se d\u00e9pliant, entre en relation avec le r\u00e9gime optique de &hellip; <a href=\"https:\/\/archee.uqam.ca\/decembre-2014-sonographie-perception-et-tactilite-sur-la-scene-actuelle\/\">Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[1],"tags":[77],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1789"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=1789"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1789\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":1791,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1789\/revisions\/1791"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=1789"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=1789"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=1789"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}