{"id":1862,"date":"2014-06-01T21:56:24","date_gmt":"2014-06-01T21:56:24","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=1862"},"modified":"2022-11-30T21:56:43","modified_gmt":"2022-11-30T21:56:43","slug":"juin-2014-depli-un-cinema-jouable-entrevue-avec-thierry-fournier","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/juin-2014-depli-un-cinema-jouable-entrevue-avec-thierry-fournier\/","title":{"rendered":"Juin 2014 – D\u00e9pli <\/i>, un cin\u00e9ma \u00ab jouable \u00bb – Entrevue avec Thierry Fournier"},"content":{"rendered":"\n
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Le terme de \u00ab\u00a0cin\u00e9ma jouable\u00a0\u00bb que vous utilisez pour qualifier\u00a0D\u00e9pli<\/em>, votre \u0153uvre interactive, ne semble pas se limiter \u00e0 la pratique d\u2019un jeu exp\u00e9rimental\u00a0mais semble questionner la notion de \u00ab\u00a0partage du sensible\u00a0\u00bb qui vous pr\u00e9occupe particuli\u00e8rement.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Evoquer cette notion de \u00ab partage du sensible \u00bb me semble effectivement \u00eatre un bon point de d\u00e9part. Mes pi\u00e8ces proposent souvent en effet une situation de mise en relation entre le spectateur et une instance, un environnement, un espace, un dehors : leur point d\u2019action et d\u2019exp\u00e9rience se situe m\u00eame exactement \u00e0 l\u2019endroit de cette relation. Je cherche, par la perception, \u00e0 confronter le spectateur \u00e0 une alt\u00e9rit\u00e9 qui soit susceptible de soulever une r\u00e9flexion critique sur notre regard et sur la relation que nous entretenons avec le monde. La relation sensible s\u2019exerce souvent dans ces pi\u00e8ces \u00e0 travers une dimension d\u2019ordre musical, qui convoque le corps, la temporalit\u00e9 et l\u2019\u00e9coute. On pourrait donc parler d\u2019interface au sens large : ces installations mettent en jeu une membrane, un lieu qui nous s\u00e9pare en m\u00eame temps qu\u2019il nous relie au monde. C\u2019est dans ce sens que j\u2019investis la surface de la tablette : comme point de contact o\u00f9 j\u2019entre en relation avec l\u2019espace-temps d\u2019un film. Travailler avec les images d\u2019un autre est donc d\u00e9lib\u00e9r\u00e9 : je m\u2019empare de cette alt\u00e9rit\u00e9 pour en rejouer et en transmettre une autre, plus large. Et ce qui m\u2019avait frapp\u00e9 dans les plans que Pierre m\u2019a montr\u00e9 \u00e0 son retour du Japon est justement leur statut d\u2019\u0153il-cam\u00e9ra qui, \u00e0 travers ces recherches dans ces paysages et aupr\u00e8s des individus qu\u2019il questionne, dessine en creux un autoportrait. Donc d\u2019une certaine mani\u00e8re, c\u2019est le statut de cet \u0153il-oreille chercheur que je propose au spectateur de D\u00e9pli <\/em>d\u2019endosser et de rejouer, en d\u00e9pliant \u00e0 nouveau son parcours selon son propre r\u00e9gime, sa propre sensibilit\u00e9 et sensualit\u00e9. Cela ne fonctionne pas \u00e0 tous les coups : il faut avoir le d\u00e9sir d\u2019\u00e9pouser cette mati\u00e8re pour l\u2019\u00e9prouver. <\/p>\n\n\n\n

\u00c0 premi\u00e8re vue on pourrait voir dans ce dispositif la possibilit\u00e9 de \u00ab\u00a0jouer\u00a0\u00bb \u00e0 r\u00e9aliser un nouveau montage, mais il semble que cela n\u2019est pas l\u2019enjeu du projet.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Il ne s\u2019agit pas de montage car on est engag\u00e9 dans la continuit\u00e9 d\u2019un geste, non dans le sens d\u2019une immersion mais plut\u00f4t dans celui d\u2019un geste de dessin, par exemple. Enfin je pr\u00e9f\u00e8re \u00e9viter l\u2019image du montage car elle renvoie toujours \u00e0 l\u2019aspect qui m\u2019int\u00e9resse le moins, \u00e0 savoir celui de la combinatoire et de son corollaire le remontage : en quelque sorte le rabattement et l\u2019indexation d\u2019une exp\u00e9rience sur les possibilit\u00e9s de calcul du dispositif, qui appelle aussi l\u2019id\u00e9e que les \u0153uvres interactives seraient finalement les m\u00eames que les autres mais avec des possibilit\u00e9s en plus. Or leur singularit\u00e9 et leur propos r\u00e9sident pr\u00e9cis\u00e9ment au contraire dans l\u2019exp\u00e9rience qu\u2019elles proposent \u2013 en tout cas c\u2019est ce qui m\u2019int\u00e9resse. Dans D\u00e9pli<\/em>, les op\u00e9rations disponibles sont d\u00e9lib\u00e9r\u00e9ment tr\u00e8s limit\u00e9es (m\u00e9langer, jouer sur la vitesse et le sens de lecture) car ce qui est propos\u00e9 se trouve ailleurs : dans le moment du jeu. Un jeu qui est \u00e0 la fois musical et intime (mon parcours dans l\u2019espace-temps du film) et social (son exercice dans l\u2019espace d\u2019une salle de cin\u00e9ma ou d\u2019une exposition). C\u2019est dans ce sens que j\u2019ai utilis\u00e9 l\u2019expression de jouable<\/em> qui est d\u2019ailleurs emprunt\u00e9e \u00e0 Jean-Louis Boissier. Elle qualifie ces deux dimensions simultan\u00e9ment.<\/p>\n\n\n\n

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J\u2019y vois aussi, pour les n\u00e9ophytes, au-del\u00e0 de la dimension ludique, un \u00e9l\u00e9ment \u00e9ducatif qui r\u00e9v\u00e8le la complexit\u00e9 de r\u00e9alisation d\u2019un film o\u00f9 chaque technique est porteuse de sens et d\u00e9finit une esth\u00e9tique.\u00a0 Est-ce que cette approche p\u00e9dagogique faisait partie du projet\u00a0?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Pas dans le sens habituel du terme p\u00e9dagogique, mais on peut effectivement l\u2019entendre comme une invitation \u00e0 \u00e9prouver cette exp\u00e9rience \u2013 si l\u2019on garde \u00e0 l\u2019esprit que ce qu\u2019elle transmet d\u00e9pend tout autant de votre propre sensibilit\u00e9 que de l\u2019installation et des images du film. En tout cas, cela peut nous rappeler que le moment du montage est un tr\u00e8s fort moment d\u2019engagement, qui souvent nous d\u00e9passe car il nous convoque beaucoup plus fortement que ce que l\u2019on croit. Raison de plus de constater qu\u2019il ne s\u2019agit pas de combinatoire.<\/p>\n\n\n\n

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Il existe plusieurs \u0153uvres vid\u00e9os interactives \u00e0 partir d\u2019une tablette tactile ou d\u2019un t\u00e9l\u00e9phone intelligent, mais je n\u2019en connais aucune o\u00f9 le r\u00e9cit n\u2019est pas l\u2019enjeu majeur de l\u2019interaction. Cette approche est vraiment in\u00e9dite.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Je pense que cela renvoie effectivement \u00e0 l\u2019exp\u00e9rience que je propose d\u2019un espace-temps, encore une fois en lien avec la dimension musicale. Ce qui m\u2019avait frapp\u00e9, moi aussi, en travaillant sur cette pi\u00e8ce est que les projets que je connaissais dans le m\u00eame domaine se focalisaient tous sur la question de la r\u00e9appropriation du r\u00e9cit, en condamnant en quelque sorte les spectateurs \u00e0 devenir les d\u00e9monstrateurs de leurs dispositifs. Or ce qui m\u2019int\u00e9resse est le lien tr\u00e8s profond qui peut s\u2019\u00e9tablir entre la qualit\u00e9 sp\u00e9cifique des plans du film et le r\u00e9gime de circulation continue que propose D\u00e9pli<\/em>, dans une approche qui est finalement plus proche de la composition musicale que d\u2019une reconstruction narrative. A ce titre d\u2019ailleurs, les plans du film de Pierre se pr\u00eatent particuli\u00e8rement bien \u00e0 cette mise \u00e0 distance : on ne peut jamais s\u2019imaginer ici que l\u2019on reconfigure un sc\u00e9nario.<\/p>\n\n\n\n

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En ce sens ce dispositif ne pourrait \u00eatre utilis\u00e9 avec une autre \u0153uvre cin\u00e9matographique\u00a0?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Je ne souhaite pas l\u2019exp\u00e9rimenter avec d\u2019autres films : pour moi D\u00e9pli<\/em> est indissociable du processus de travail qui s\u2019est \u00e9labor\u00e9 avec Pierre, avec ses images et leur positionnement sp\u00e9cifique. D\u00e9pli<\/em> a d\u2019ailleurs d\u00e9j\u00e0 suscit\u00e9 des directions de travail pour un autre projet que je vais r\u00e9aliser l\u2019ann\u00e9e prochaine ; elle s\u2019inscrit elle-m\u00eame dans le prolongement de pi\u00e8ces pr\u00e9c\u00e9dentes comme Vers Agrippine<\/em>\u2026 C\u2019est le flux de mon travail ; le dispositif technique de D\u00e9pli<\/em> ne peut pas en \u00eatre dissoci\u00e9, comme une enveloppe qui serait vid\u00e9e de son intention initiale.<\/p>\n\n\n\n

Question qui vous a \u00e9t\u00e9 pos\u00e9e par Alain Fleischer\u00a0: devons nous voir le film d\u2019abord\u00a0 pour en conna\u00eetre les s\u00e9quences\u00a0 avant d\u2019en faire l\u2019exp\u00e9rience interactive ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

C\u2019est une question importante car elle soul\u00e8ve aussi bien une \u00e9ventuelle possibilit\u00e9 de compr\u00e9hension narrative, que la familiarit\u00e9 que le spectateur peut instaurer avec l\u2019univers du film avant de l\u2019aborder avec D\u00e9pli<\/em>. En r\u00e9alit\u00e9, nous n\u2019avons cess\u00e9 d\u2019exp\u00e9rimenter cet ordre lors des nombreuses pr\u00e9sentations publiques du projet. In fine, il nous semble pr\u00e9f\u00e9rable de voir le film en premier car il installe le spectateur dans un r\u00e9gime sp\u00e9cifique de temporalit\u00e9 et de regard, qui lui permet certainement d\u2019aborder ensuite l\u2019installation avec beaucoup plus de justesse. Lorsqu\u2019on pr\u00e9sente l\u2019installation en premier, les attentes sont plus normalis\u00e9es, certainement aussi en fonction de l\u2019exp\u00e9rience que les spectateurs ont connu d\u2019autres \u0153uvres interactives. \u00c0 titre d\u2019exemple, cette fameuse question du montage est beaucoup moins pr\u00e9gnante lorsqu\u2019on voit le film en premier : son propre langage permet aussi de comprendre que le propos de l\u2019installation est ailleurs.<\/p>\n\n\n\n

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Comment s\u2019est \u00e9labor\u00e9e la r\u00e9alisation de ce projet \u00e0 deux ?\u00a0<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Les deux projets (l\u2019\u00e9criture et le montage du film d\u2019une part, et la cr\u00e9ation de l\u2019installation d\u2019autre part) se sont \u00e9labor\u00e9s simultan\u00e9ment et en dialogue entre 2008 et 2012, apr\u00e8s que Pierre ait tourn\u00e9 les plans du film au Japon en 2005-2007. Cette simultan\u00e9it\u00e9 a \u00e9t\u00e9 importante pour nous deux : chacun des deux objets a contribu\u00e9 \u00e0 la d\u00e9finition de l\u2019autre, autant de l\u2019installation vers le film que l\u2019inverse. Il s\u2019agit bien encore une fois d\u2019une conception en dialogue et non de la cr\u00e9ation d\u2019une forme interactive \u00e0 partir d\u2019un long m\u00e9trage.<\/p>\n\n\n\n

On retrouve d\u2019ailleurs cette approche dialogique dans plusieurs de vos projets je pense notamment \u00e0 \u00ab\u00a0Fen\u00eatre augment\u00e9e\u00a0\u00bb, projet complexe qui implique plusieurs villes et plusieurs partenaires. Pouvez-vous nous en parler\u00a0?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Toutes les pi\u00e8ces s\u2019inscrivent dans une continuit\u00e9, elles entretiennent n\u00e9cessairement des relations d\u2019h\u00e9ritage entre elles. C\u2019est une dimension qui n\u2019est pas toujours facile \u00e0 appr\u00e9hender : parfois les travaux se r\u00e9pondent entre eux d\u2019une mani\u00e8re souterraine, ou qui s\u2019exprime plus clairement avec le temps. Ce qui est clair est que je ne refais jamais deux fois la m\u00eame chose. D\u00e9pli<\/em> est cr\u00e9\u00e9e, elle a son histoire, les questions qu\u2019elle a ouvertes et les \u00e9chos de ses exp\u00e9riences avec le public nourrissent \u00e0 pr\u00e9sent les pi\u00e8ces \u00e0 venir. En revanche, des \u0153uvres peuvent mettre en jeu des formes tr\u00e8s distinctes tout en soulevant des enjeux assez proches. Votre question est donc juste car c\u2019est effectivement le cas de Fen\u00eatre augment\u00e9e<\/em> et D\u00e9pli<\/em>. Les projets sont a priori tr\u00e8s diff\u00e9rents : Fen\u00eatre augment\u00e9e<\/em> est un dispositif de curatoriat \u2013 et non une \u0153uvre \u2013 dans lequel j\u2019invite d\u2019autres artistes \u00e0 cr\u00e9er une pi\u00e8ce \u00e0 partir d\u2019un paysage que je choisis et qui est retransmis en direct. Cependant, les deux projets convoquent un objet commun pour en faire un lieu de relation avec une alt\u00e9rit\u00e9 : dans un cas l\u2019espace-temps d\u2019un film, dans l\u2019autre le paysage. Tous deux impliquent \u00e0 la fois le toucher du spectateur comme premier vecteur de cette relation ; dans les deux cas, un spectateur unique agit, dans une situation partag\u00e9e avec d\u2019autres. Enfin, ils partagent la m\u00eame ambigu\u00eft\u00e9 de mettre en jeu un m\u00e9dia r\u00e9pertori\u00e9 \u2013 ici une tablette, l\u00e0 un \u00e9cran tactile \u2013 comme m\u00e9dium de l\u2019\u0153uvre. <\/p>\n\n\n\n

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