2<\/sup><\/a>.<\/p>\n\n\n\n\u00ab C\u2019est termin\u00e9 \u00bb (00 :04 :35) seront les premiers mots prononc\u00e9s par un intervenant anonyme, par-dessus un bruit de train en marche, suivant les bips caract\u00e9ristiques d\u2019un \u00e9lectrocardiogramme. L\u2019humanit\u00e9 est malade, sur son lit de mort, emport\u00e9e par la spirale de la d\u00e9ch\u00e9ance qu\u2019elle s\u2019est inexorablement impos\u00e9e par son comportement autodestructeur, belliqueux, flegmatique et insensible. L\u2019agonie, la souffrance \u00e9conomique et sociale, la guerre et la vacuit\u00e9 intellectuelle et spirituelle qu\u2019elle inspire, impos\u00e9es par la nouvelle soci\u00e9t\u00e9 de consommation morbide, qui a vu le monde au lendemain de la conf\u00e9rence de Potsdam en 1945 \u2212 avec l\u2019article 9 de la constitution japonaise, qui exigea la reddition compl\u00e8te des forces arm\u00e9es, la renonciation \u00e0 la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou \u00e0 la menace, ou \u00e0 l’usage de la force comme moyen de r\u00e8glement des conflits internationaux. Cela aurait pu \u00eatre une victoire. \u00c7a a \u00e9t\u00e9 un \u00e9chec encore plus virulent. Renon\u00e7ant jusqu\u2019\u00e0 leur droit d\u2019autod\u00e9fense, les Japonais ont d\u00e9velopp\u00e9 une strat\u00e9gie encore plus machiav\u00e9lique pour s\u2019imposer au reste du monde : la consommation \u00e0 outrance et la d\u00e9shumanisation de la main d\u2019\u0153uvre, que l\u2019on transforme en robot, r\u00e9p\u00e9tant inlassablement les m\u00eames gestes, jour apr\u00e8s jour, jusqu\u2019\u00e0 la totale annihilation de ce qui fait de nous des \u00eatres humains ; le retour \u00e0 l\u2019animalit\u00e9 de l\u2019homme. Un autre intervenant anonyme, bien \u00e9tendu dans le cercueil de son h\u00f4tel capsule, ira m\u00eame jusqu\u2019\u00e0 se demander s\u2019il n\u2019y a pas, dans cet abrutissement de l\u2019\u00eatre,<\/p>\n\n\n\n
une sensation fondamentale, du plaisir ou de l\u2019excitation\u2026 En tant qu\u2019animal, la r\u00e9p\u00e9tition c\u2019est agr\u00e9able. On ne pense pas, on continue de r\u00e9p\u00e9ter des mouvements\u2026 machinalement. L\u00e0, il y a peut-\u00eatre un plaisir qui ressemble \u00e0 un plaisir sexuel. Quand on r\u00e9p\u00e8te la m\u00eame chose sans r\u00e9fl\u00e9chir, le cerveau produit de l\u2019adr\u00e9naline, de la dopamine\u2026 ? Une drogue du cerveau. C\u2019est pas du plaisir animal, \u00e7a ? Ce serait vide de sens, si la vie \u00e9tait r\u00e9duite \u00e0 \u00e7a\u2026 (00 :50 :55).<\/p>\n\n\n\n
La silhouette rocheuse des premi\u00e8res images tient lieu de fil conducteur sur cette r\u00e9flexion philosophique de l\u2019\u00eatre au monde nippon. Comme un \u00e9chantillon analogique du reste de ce que nous sommes devenus depuis 1945. Hashima est une \u00eele mini\u00e8re achet\u00e9e au gouvernement japonais par Mitsubishi en 1890 pour son gisement de houille. Renomm\u00e9e Gunkanjima<\/em>, ou \u00ab \u00eele navire de guerre \u00bb, en 1921 par le Nagasaki Daily News, \u00e0 cause de sa ressemblance avec les cuirass\u00e9s Tosa de la flotte japonaise, l\u2019\u00eele a accueilli 800 travailleurs-esclaves cor\u00e9ens durant l\u2019occupation japonaise, dont plus de 120 sont morts des mauvaises conditions qu\u2019on leur imposait. Quelques-uns des t\u00e9moins film\u00e9s par Pierre Carniaux sont les descendants de ces prisonniers de guerre cor\u00e9ens. Hashima\/Gunkanjima est devenu l\u2019endroit le plus dens\u00e9ment peupl\u00e9 au monde dans les ann\u00e9es 1950 pour finalement devenir une \u00eele fant\u00f4me lors du passage au p\u00e9trole comme principale source d\u2019\u00e9nergie dans l\u2019\u00e9conomie japonaise, et l\u2019\u00e9vacuation totale de la population ouvri\u00e8re insulaire qui suivit en 1974. Depuis 2009, \u00ab l\u2019\u00eele navire de guerre \u00bb est devenu un endroit touristique et est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l\u2019UNESCO, au grand dam de la \u00ab Truth Commission on Forced Mobilization under the Japanese Colonial Rule \u00bb cor\u00e9enne. Une silhouette rocheuse qui fait un peu la synth\u00e8se de tout ce qu\u2019il y a de vil dans notre histoire humaine.<\/p>\n\n\n\n <\/figure>\n\n\n\nPour appuyer cette analogie, Pierre Carniaux nous offre le spectacle d\u2019une ville nocturne, Kyoto, dans le flou et les t\u00e9n\u00e8bres de ses artifices sp\u00e9cieux. Pourtant, aux n\u00e9ons et tubes fluorescents aveuglants, aux \u00e9clairs de lumi\u00e8res froides, aux lieux impersonnels (centres d\u2019achats et\u00a0h\u00f4tels capsules<\/em>), aux bruits technologiques appuy\u00e9s par la trame sonore industrielle r\u00e9alis\u00e9e par Thierry Fournier (auteur de\u00a0D\u00e9pli<\/em>), vient s\u2019inscrire une sorte de paix int\u00e9rieure inspir\u00e9e par une nature film\u00e9e \u00e0 la Tarkovski. Beaucoup d\u2019eau coule sur le b\u00e9ton gris de l\u2019homme. Une rivi\u00e8re aux algues vertes est balay\u00e9e par un individu anonyme. La for\u00eat de conif\u00e8res danse dans la temp\u00eate de neige, et offre un concert de frou-frou venteux. Il y a comme un souffle d\u2019espoir dans cette juxtaposition paradoxale de nature et de civilisation, d\u2019industriel et de panth\u00e9isme. Et les t\u00e9moins qui donnent leur voix au film contribuent \u00e0 \u00e9quilibrer le propos. D\u00e9clin, oui\u00a0; animalit\u00e9, d\u00e9finitivement, mais aussi pardon, retour \u00e0 la bont\u00e9 d\u2019avant et po\u00e9sie.<\/p>\n\n\n\n <\/figure>\n\n\n\nLes vers tir\u00e9s du recueil\u00a0Le Tr\u00e9sor des humbles<\/em>\u00a0de Maurice Maeterlinck viennent miraculeusement jalonner le r\u00e9cit\u00a0: \u00ab\u00a0Il y a un tragique quotidien qui est bien plus profond et bien plus conforme \u00e0 notre \u00eatre v\u00e9ritable que le tragique des grandes aventures\u00a0\u00bb (00\u00a0:02\u00a0:22). Mais aussi\u00a0: \u00ab\u00a0Il s\u2019agirait de faire voir ce qu\u2019il y a d\u2019\u00e9tonnant dans le seul fait de vivre\u00a0\u00bb (00\u00a0:52\u00a0:55). Dans un plan fixe bouleversant, Pierre Carniaux r\u00e9sume un peu l\u2019id\u00e9e\u00a0: les sept intervenants anonymes sont plac\u00e9s debout les uns \u00e0 c\u00f4t\u00e9 des autres devant le mur froid d\u2019un b\u00e2timent de l\u2019\u00eele navire de guerre, comme pour une ex\u00e9cution militaire. Le vent maritime souffle inexorablement et les derniers vers du po\u00e8me de Maeterlinck font feu\u00a0: six t\u00e9moins tombent lourdement et gisent sans vie, mais un homme avec un masque chirurgical reste debout et sort du cadre. Dans la sc\u00e8ne qui suit, un homme qui lui ressemble fait les lits dans un h\u00f4tel capsule aux airs de mausol\u00e9e. Six lits film\u00e9s en deux rang\u00e9es de trois, comme des tiroirs en acier inoxydable d\u2019un laboratoire de m\u00e9decine l\u00e9gale. Le film ne se termine sur aucune morale, il n\u2019y a aucune conclusion \u00e0 ce constat amer sur notre postmodernit\u00e9. Retour sur le pass\u00e9, dans l\u2019hiver glacial du Nord japonais.<\/p>\n\n\n\n <\/figure>\n\n\n\nFinalement, cette \u0153uvre ouverte culmine sur les images d\u2019un homme qui largue les amarres d\u2019un bateau de touristes, qui semble se diriger vers le site de l\u2019\u00eele fant\u00f4me, avec ses constructions humaines laiss\u00e9es \u00e0 l\u2019abandon, dans la grisaille d\u2019un b\u00e9ton sans vie.<\/p>\n\n\n\n
Notes<\/h2>\n\n\n\n [1] Marie LECHNER, \u00ab\u00a0Last Room\/D\u00e9pli, Doigt it yourself\u00a0\u00bb,\u00a0Lib\u00e9ration Next<\/em>. R\u00e9cup\u00e9r\u00e9 le 15 avril 2014 de : http:\/\/next.liberation.fr\/cinema\/2013\/03\/12\/last-roomdepli-doigt-it-yourself_888026<\/p>\n\n\n\n[2] Extrait du\u00a0rDo rje sems pa\u2019i snying thig, terma\u00a0<\/em>de Kunkyong Lingpa (d\u00e9but du XVe si\u00e8cle), cit\u00e9 par PADMASAMBHAVA,\u00a0Le Livre des morts tib\u00e9tain, Bardo Th\u00f6dr\u00f6l Chemno<\/em>, Traduit du tib\u00e9tain et comment\u00e9 par Philippe Cornu, Paris\u00a0: \u00c9ditions Pocket, 2009, p. 368.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"D\u00e9pli L\u2019application\u00a0D\u00e9pli\u00a0est une pi\u00e8ce cin\u00e9matographique interactive d\u00e9velopp\u00e9e pour les tablettes par l\u2019artiste plasticien et curateur Thierry Fournier et permet, outre l\u2019\u00e9change relationnel et le questionnement sur les possibilit\u00e9s d\u2019interaction par le num\u00e9rique, de manipuler sensuellement le montage du film de Pierre Carniaux selon sa propre imagination. Concept in\u00e9dit qui autorise le spectateur de s\u2019approprier et … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[1],"tags":[102],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1880"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=1880"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1880\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":1890,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/1880\/revisions\/1890"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=1880"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=1880"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=1880"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}