Duos pour corps et instruments<\/em>\u00a0(extrait, reprise 2014)<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\nVotre pratique chor\u00e9graphique questionne les intensit\u00e9s du corps, les \u00e9tats du mouvement, ses variations. Pouvez-vous d\u00e9finir \u2013 dans la globalit\u00e9 de votre pratique artistique \u2013 que signifie\u00a0composer<\/em>, quels sont les plans que cette notion met en jeu ?<\/strong><\/p>\n\n\n\nIl y a certainement dans ma pratique cette id\u00e9e de structure, d\u2019organisation, de friction et de r\u00e9sonance entre des \u00e9l\u00e9ments h\u00e9t\u00e9rog\u00e8nes.Construction<\/em> est un mot qui s\u2019apparente \u00e0 la composition et j\u2019aime particuli\u00e8rement ce terme car il fait r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 une forme de travail. B\u00e2tir \u00e0 partir de plusieurs mat\u00e9riaux. Il y a un certain ordre d\u2019ex\u00e9cution dans cette id\u00e9e de construire un objet, une pi\u00e8ce. Il y a d\u2019abord la mati\u00e8re \u2013 dans mon cas, il s\u2019agit essentiellement du mouvement \u2013, le cadre dans lequel s\u2019inscrit cette mati\u00e8re (la sc\u00e8ne, petite ou grande), le nombre de danseurs (qui influencent la mati\u00e8re), et les collaborateurs (qui sont tous \u00e0 l\u2019\u00e9coute de cette mati\u00e8re). Ainsi, tout part de cette mati\u00e8re premi\u00e8re, le corps et son intention de mouvement.<\/p>\n\n\n\nQuel est le r\u00f4le de la perception dans votre vision de la chor\u00e9graphie ?\u00a0<\/strong><\/p>\n\n\n\nJe crois qu\u2019il est impossible de danser sans ressentir ou comprendre une intention derri\u00e8re le mouvement. Enfin, je ne pourrais le faire pour la sc\u00e8ne. Tout comme le spectateur doit percevoir une id\u00e9e derri\u00e8re le mouvement, une sensation, une \u00e9motion aussi abstrait que puisse \u00eatre le travail. Le mouvement est un v\u00e9hicule. Mais de quoi ? Encore faut-il le percevoir. Encore faut- il percevoir ce qui motive \u00e0 danser. En fait, \u00e0 danser sur sc\u00e8ne, en pr\u00e9sence de spectateurs. Car \u00e9trangement, j\u2019ajouterais que la danse ne n\u00e9cessite aucune motivation tant elle \u00ab peut \u00bb \u00eatre instinctive. Mais l\u00e0 n\u2019est pas mon propos. Nous discutons d\u2019\u0153uvres cr\u00e9\u00e9es pour la sc\u00e8ne. Je crois que mon r\u00f4le de chor\u00e9graphe est de pressentir comment diff\u00e9rents \u00e9l\u00e9ments peuvent \u00eatre per\u00e7us par qui les observe, en l\u2019occurrence, le spectateur. Je ne travaille pas en fonction des spectateurs mais j\u2019agis plut\u00f4t sur la fa\u00e7on dont les diff\u00e9rents \u00e9l\u00e9ments de la composition peuvent \u00eatre per\u00e7us ou ressentis par le spectateur.<\/p>\n\n\n\nDani\u00e8le Desnoyers | Le Carr\u00e9 des Lombes,\u00a0Devorer le ciel<\/em>\u00a0(2010)\u00a0 Cr\u00e9dit photo : Bart Van Der Moeren | Interpr\u00e8te : Pierre-Marc Ouellette<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\nEn regardant vos productions \u2013\u00a0Concerto Grosso pour corps et surface m\u00e9tallique\u00a0<\/em>(1999) et\u00a0D\u00e9vorer le ciel<\/em>\u00a0(2010) par exemple \u2013 je retrouve les traits d\u2019une pens\u00e9e du geste qui s\u2019organise sur la fluidit\u00e9, sur des diagonaux, l\u00e0 o\u00f9 le mouvement trouve son point de d\u00e9part dans les p\u00e9riph\u00e9ries du corps\u00a0: mains, hanches, coudes, dos. Un d\u00e9sir de franchir les limites du corps pour se projeter ailleurs\u2026 Pouvez-vous aborder \u2013 sous forme d\u2019un lexique en quatre notions-cl\u00e9s \u2013 votre approche au mouvement?<\/strong><\/p>\n\n\n\nPour r\u00e9pondre, je me r\u00e9f\u00e8rerais \u00e0 ces notions\u00a0:Silence<\/em>\u00a0: Je cr\u00e9e \u00e0 partir du silence. Le silence me donne l\u2019intuition du mouvement \u00e0 amorcer. J\u2019\u00e9coute toujours la musicalit\u00e9 des phras\u00e9s dans le silence. Ensuite, vient \u00e9ventuellement le son, la musique.\u00a0Engagement<\/em>\u00a0: \u00eatre profond\u00e9ment engag\u00e9 dans l\u2019initiation du mouvement. Pour voir o\u00f9 cet engagement nous m\u00e8ne.R\u00e9sonance<\/em>\u00a0: percevoir et ressentir la r\u00e9sonance d\u2019un mouvement dans l\u2019espace.V\u00e9locit\u00e9\u00a0vs fugacit\u00e9<\/em>\u00a0: je demeure constamment attir\u00e9e par la v\u00e9locit\u00e9 du mouvement. Sans doute parce qu\u2019elle g\u00e9n\u00e8re une impulsion forte. Telle une sonorit\u00e9 puissante. J\u2019aime aussi que le mouvement soit perceptible pour une dur\u00e9e tr\u00e8s br\u00e8ve, qu\u2019il soit fugace.<\/p>\n\n\n\nLes trajectoires des corps dans l\u2019espace \u2013 si je pense \u00e0\u00a0D\u00e9vorer le ciel<\/em>\u00a0(2010) ou \u00e0\u00a0Sous la peau, la nuit\u00a0<\/em>(2012)\u00a0\u2013 me rappelle la forme d\u2019une constellation qui organise et d\u00e9compose sans cesse ses connexions. L\u2019espace qu\u2019il en r\u00e9sulte est cette constellation faite des corps des danseurs. Pouvez-vous r\u00e9fl\u00e9chir sur la notion d\u2019espace qui \u00e9merge de la relation entre les corps ?<\/strong><\/p>\n\n\n\nL\u2019espace est une notion omnipr\u00e9sente dans mon approche au mouvement. Je travaille pr\u00e8s du corps pour l\u2019initiation du mouvement, mais je tente constamment de cr\u00e9er des liens avec l\u2019espace dans lequel s\u2019inscrit ce mouvement. Je trace les directions, le dessin, les lignes de tension avec l\u2019espace. De fuir, de ne pas \u00eatre l\u00e0 o\u00f9 le mouvement aurait d\u00fb s\u2019\u00e9teindre mais \u00eatre d\u00e9j\u00e0 ailleurs. Je travaille que tr\u00e8s rarement sur l\u2019\u00e9motion mais les contraintes d\u2019espace peuvent nous conduire \u00e0 une \u00e9motion. J\u2019y travaille toujours indirectement car l\u2019espace est sans couleur, ni saveur. C\u2019est un non-lieu o\u00f9 tout est \u00e0 priori possible. <\/p>\n\n\n\n
Aussi, il m\u2019appara\u00eet important de distinguer le travail que l\u2019on fait sur le mouvement, et le travail que l\u2019on fait sur une pi\u00e8ce. Lorsque je pense \u00e0 une pi\u00e8ce que je dois concevoir, je vois tr\u00e8s souvent l\u2019espace, sa couleur, sa luminosit\u00e9. Je con\u00e7ois la plupart du temps l\u2019am\u00e9nagement de l\u2019espace sc\u00e9nique. Mais lorsque je travaille au niveau du mouvement, je l\u2019inscris plut\u00f4t dans un non\u2013lieu.<\/p>\n\n\n\n
Toutefois, je dois avouer que je choisis aujourd\u2019hui tr\u00e8s m\u00e9ticuleusement les espaces o\u00f9 je cr\u00e9e. Car ils m\u2019influencent beaucoup. Je suis perm\u00e9able \u00e0 l\u2019espace.<\/p>\n\n\n\n
Dispositifs d\u2019atmosph\u00e8res sonores<\/h2>\n\n\n\n La relation avec la mat\u00e9rialit\u00e9 du son en sc\u00e8ne est au centre de votre recherche.\u00a0Concerto grosso pour corps et surface m\u00e9tallique\u00a0<\/em>(1999) est un exemple pr\u00e9cis de cette logique et met en jeu aussi votre collaboration avec la compositrice et sound designer Nancy Tobin. En d\u00e9crivant le dispositif, pouvez-vous toucher les principes qui r\u00e8glent la relation entre le son et le corps dans cette \u0153uvre ?<\/strong><\/p>\n\n\n\nPour moi, ce travail au c\u00f4t\u00e9 de Nancy Tobin a \u00e9t\u00e9 sans doute celui o\u00f9 le son et le mouvement ont \u00e9t\u00e9 le plus intimement li\u00e9s. D\u2019abord, cette grande surface m\u00e9tallique \u00e9tait au coeur de mon projet sc\u00e9nographique. \u00c9trangement, sans traitement, cette surface \u00e9tait des plus silencieuses. Ma premi\u00e8re rencontre avec Nancy se r\u00e9sumait \u00e0 conna\u00eetre quelles seraient les possibilit\u00e9s sonores li\u00e9es \u00e0 cette surface puisque celle-ci \u00e9tait en quelque sorte \u00e9teinte. Il fallait qu\u2019il y ait friction. D\u2019o\u00f9 les chaussures avec une pointe m\u00e9tallique (chaussures de tap-dance modifi\u00e9es). \u00c0 la premi\u00e8re \u00e9coute, le simple frottement des deux \u00e9l\u00e9ments (chaussures vs surface m\u00e9tallique) demeurait unidimensionnel. D\u00e9j\u00e0, Nancy Tobin \u00e9liminait la simple id\u00e9e d\u2019amplification sonore pour envisager plut\u00f4t une strat\u00e9gie de transformation de la mati\u00e8re. L\u2019id\u00e9e de travailler \u00e0 partir de la vibration procur\u00e9e par la friction des deux surfaces m\u00e9talliques ou celle du corps en mouvement \u2013 friction de l\u2019air procur\u00e9e par la v\u00e9locit\u00e9 du mouvement \u2013 a provoqu\u00e9 un processus de cr\u00e9ation inattendu. <\/p>\n\n\n\n
Nous pourrions dire qu\u2019ensuite que nous avons travaill\u00e9 essentiellement sur la dramaturgie du son dans cette pi\u00e8ce. Il faut se rappeler que Nancy Tobin a d\u2019abord fait ses \u00e9tudes en th\u00e9\u00e2tre avant de se diriger plus sp\u00e9cifiquement sur la place qu\u2019occupe le son dans la dramaturgie. D\u2019un son acoustique \u00e0 peine perceptible, la pi\u00e8ce s\u2019est dirig\u00e9e peu \u00e0 peu vers la manifestation d\u2019une v\u00e9ritable tourmente. <\/p>\n\n\n\n
Dans ce contexte, des images sont apparues sans que nous les cherchions. D\u2019ailleurs le son s\u2019inscrit dans notre imaginaire tout en comportant plusieurs r\u00e9f\u00e9rences. Des images autour du froid, de l\u2019hiver, ou paradoxalement de la surdit\u00e9, puisque les personnes atteintes de surdit\u00e9 sont extr\u00eamement sensibles aux vibrations. Et nous avons construit la pi\u00e8ce avec toute cette mati\u00e8re de plus en plus imag\u00e9e. L\u2019improvisation \u00e0 partir de cette imagerie a \u00e9t\u00e9 un outil essentiel au d\u00e9veloppement du vocabulaire. Mais encore, nous devions travailler avec pr\u00e9cision sur une mati\u00e8re tr\u00e8s difficilement contr\u00f4lable \u00e0 partir d\u2019un dispositif toujours \u00ab low tech \u00bb. Chaque section chor\u00e9graphique a \u00e9t\u00e9 travaill\u00e9e avec minutie pour que chaque son \u00e9mis par le mouvement soit digne d\u2019int\u00e9r\u00eat et corresponde \u00e0 la courbe dramaturgique que nous nous \u00e9tions impos\u00e9e.<\/p>\n\n\n\nDani\u00e8le Desnoyers | Le Carr\u00e9 des Lombes,\u00a0Duos pour corps et instruments\u00a0<\/em>(2003) Cr\u00e9dit photo : Luc Sen\u00e9cal, Interpr\u00e8tes : Anne Theriault et Clara Furey<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\nEn regardant\u00a0Duos pour corps et instruments<\/em>\u00a0(2003) le son et l\u2019image \u00e0 l\u2019\u00e9cran ne sont pas un double du corps, plut\u00f4t des formes pour le faire rayonner dans un environnement qui devient organique… Quelle est la logique qui oriente la relation entre la chor\u00e9graphie et la composition audiovisuelles (plan sonore et plan de l\u2019image) de cette pi\u00e8ce ?<\/strong><\/p>\n\n\n\nPour Duos pour corps et instruments<\/em>, je voulais simplement d\u00e9velopper une autre fa\u00e7on de construire une pi\u00e8ce, de transiter d\u2019une section \u00e0 une autre. Je voulais cr\u00e9er des interstices. Des \u00e9v\u00e9nements autonomes qui traverseraient la pi\u00e8ce, sans toutefois trop la morceler. Une fa\u00e7on de diriger le regard du spectateur \u00e0 un autre endroit que celui occup\u00e9 par la danse ou les interpr\u00e8tes. Et que ces interstices soient de nature diff\u00e9rente de la danse, mais toujours en lien avec le corps. Minimiser le mouvement pour tendre l\u2019oreille. Modifier le rythme du spectacle pour changer les param\u00e8tres d\u2019\u00e9coute. D\u00e9j\u00e0, nous avions cette mati\u00e8re sonore provoqu\u00e9e par le corps \u00e0 partir d\u2019un dispositif tr\u00e8s ing\u00e9nieux, et aussi \u00ab low-tech \u00bb et j\u2019insiste sur cet aspect, qui nous permettait d\u2019\u00e9laborer des partitions uniquement sonores. Puis il y avait mon attraction pour l\u2019image, donc filmer en plan tr\u00e8s rapproch\u00e9 certaines parties du corps en mouvement pour laisser d\u00e9couvrir ce que le danseur voit de son corps lorsque celui-ci bouge. Comme je l\u2019ai fait avec beaucoup de simplicit\u00e9, avec mes propres outils ou ceux qui m\u2019\u00e9taient pr\u00eat\u00e9s (merci Robert Lepage !), j\u2019ai toujours dit que je ne pourrais jamais refaire ces films, que je vivais la chance d\u2019une d\u00e9butante, d\u2019une dilettante.<\/p>\n\n\n\n