{"id":2108,"date":"2013-12-01T16:47:18","date_gmt":"2013-12-01T16:47:18","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=2108"},"modified":"2022-12-03T16:47:36","modified_gmt":"2022-12-03T16:47:36","slug":"decembre-2013-resonances-organiques-perception-corporeite-dispositifs-audiovisuels-conversation-avec-ginette-laurin-o-vertigo","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/decembre-2013-resonances-organiques-perception-corporeite-dispositifs-audiovisuels-conversation-avec-ginette-laurin-o-vertigo\/","title":{"rendered":"D\u00e9cembre 2013 – R\u00e9sonances organiques\u00a0: perception, corpor\u00e9it\u00e9, dispositifs audiovisuels – Conversation avec Ginette Laurin | O Vertigo"},"content":{"rendered":"\n

De la composition du mouvement\u00a0<\/h2>\n\n\n\n
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Ginette Laurin | O Vertigo,\u00a0Onde de choc<\/em>, 2010
Marianne Gignac-Girard et Robert Meilleur \u00a9 Ginette Laurin<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Je vois votre pratique chor\u00e9graphique comme une interrogation radicale au corps en mouvement. Je voudrais partir de cette question\u00a0: pouvez-vous d\u00e9finir \u2013 dans la globalit\u00e9 de votre pratique artistique \u2013 que signifie\u00a0composer\u00a0?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Composer<\/em> pour moi signifie dire, exprimer mais avec un mat\u00e9riau pr\u00e9cieux qui s\u2019organise et se structure autour d\u2019un langage fin comme de la dentelle. D\u2019une certaine fa\u00e7on, ma pratique se rapproche du travail d\u2019un artisan qui forge son mat\u00e9riau de mani\u00e8re complexe et subtile. Pendant le processus de cr\u00e9ation, beaucoup de temps est consacr\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9laboration du langage, au d\u00e9veloppement de la gestuelle, aux qualit\u00e9s du mouvement et aux \u00ab \u00e9tats de corps \u00bb. L\u2019organisation dans l\u2019espace, les aspects visuels ou sc\u00e9nographiques ainsi que la trame chor\u00e9graphique sont aussi des \u00e9l\u00e9ments importants de mon processus.<\/p>\n\n\n\n

Vous parlez des \u00ab\u00a0\u00e9tats du corps\u00a0\u00bb, pouvez-vous pr\u00e9ciser ce que vous entendez par cette expression?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

C\u2019est une expression utilis\u00e9e par les chor\u00e9graphes qu\u00e9b\u00e9cois. Elle englobe les expressions ou qualit\u00e9s gestuelles et se distingue des expressions th\u00e9\u00e2trales. On parle ici de fa\u00e7ons d\u2019interpr\u00e9ter et d\u2019habiter le mouvement.<\/p>\n\n\n\n

Si je pense \u00e0\u00a0Onde de choc (2010)\u00a0ou \u00e0\u00a0Khaos (2012) \u2013\u00a0mais aussi aux \u0153uvres moins r\u00e9centes comme\u00a0La chambre Blanche (1992\/2008)\u00a0ou la chor\u00e9graphie pour\u00a0Passare (2004),\u00a0soit pour la sc\u00e8ne, soit pour le film de Oana Suteu\u00a0ou\u00a0encore pour\u00a0Traccia (2004) \u2013\u00a0un aspect de votre \u00ab\u00a0lexique\u00a0\u00bb que je trouve fascinant concerne l\u2019attention au micromouvement, une sorte de pr\u00e9dilection pour le petit d\u00e9tail du geste.
Dans cette sensibilit\u00e9, je peux\u00a0entrevoir\u00a0un dialogue avec le domaine scientifique : je pense \u00e0 l\u2019infiniment petit\u00a0de la physique, aux logiques d\u2019agencement des particules qui composent la mati\u00e8re. Pouvez-vous pousser\u00a0plus loin ce parall\u00e8le \u2013 admis\u00a0qu\u2019il soit pr\u00e9sent dans votre imaginaire \u2013 entre les lois qui r\u00e8glent la mati\u00e8re et la composition du mouvement?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Le d\u00e9tail dans le geste est tr\u00e8s important pour moi et nous pouvons le constater lorsque nous remontons une de mes chor\u00e9graphies avec de nouveaux interpr\u00e8tes par le temps que nous devons y mettre. Ces micromouvements font partie de ma signature et vont avec certains \u00e9tats d\u2019urgence ou d\u2019agitation tr\u00e8s pr\u00e9sents dans mon travail. Ce foisonnement souligne davantage l\u2019\u00e9nergie du mouvement plut\u00f4t que sa forme arr\u00eat\u00e9e. Je m\u2019int\u00e9resse plus \u00e0 ce qui se trouve entre deux mouvements qu\u2019\u00e0 la forme de chacun. Malgr\u00e9 cela la pr\u00e9cision du geste demeure importante dans l\u2019ex\u00e9cution.<\/p>\n\n\n\n

La relation Arts\/Science m\u2019a toujours fascin\u00e9e. Je crois que les scientifiques doivent user de leur intuition tout comme les artistes. Les nouvelles technologies nous rapprochent d\u2019une certaine fa\u00e7on de la science. Aussi, tout ce qui touche, de pr\u00e8s ou de loin, le corps humain m\u2019int\u00e9resse et je le questionne. \u00c0 l\u2019aire des mutations g\u00e9n\u00e9tiques, le corps humain, cette fascinante machine, sera amen\u00e9 \u00e0 vivre diff\u00e9rentes transformations.\u00a0
J\u2019ai longtemps travaill\u00e9 avec un astrophysicien. Nos rencontres avaient pour but de voir les relations qui pouvaient exister entre le mouvement du corps humain et celui des organismes beaucoup plus grand comme les astres. Or il s\u2019av\u00e8re que les astrophysiciens observent et comparent les particules infiniment petites afin de comprendre le mouvement des astres et des galaxies. Je suis fascin\u00e9e par les nouvelles m\u00e9thodes scientifiques de visualisation du mouvement des particules tr\u00e8s petites et j\u2019observe que les mouvements, par exemple que l\u2019on peut reproduire du big bang, s\u2019apparente \u00e0 celui du corps humain pas la sym\u00e9trie et les mouvements courbes.<\/p>\n\n\n\n

En prolongeant ma r\u00e9flexion sur ce plan, pouvez-vous\u00a0toucher le r\u00f4le\u00a0de la\u00a0gravit\u00e9,\u00a0du\u00a0poids et\u00a0de la relation du corps avec le\u00a0sol dans votre pens\u00e9e chor\u00e9graphique?\u00a0Par exemple, je pense aussi \u00e0 certains passages chor\u00e9graphiques d\u2019\u00e9tude #3 pour cordes et poulies (2007)\u00a0o\u00f9 le mouvement du corps est soumis \u00e0 une force externe, l\u00e0 o\u00f9 le corps devient une sorte de marionnette, ou encore dans le duo de\u00a0La vie qui bat (1999 \u2013 reprise en 2008)\u00a0o\u00f9 les corps semblent en apesanteur\u2026<\/strong><\/p>\n\n\n\n

\u2026le jeu avec la gravit\u00e9 a toujours fascin\u00e9 les chor\u00e9graphes. Ce qui m\u2019attire avec cette contrainte de poids, c\u2019est cette lutte incessante pour d\u00e9jouer la gravit\u00e9 sans toutefois la faire oublier au spectateur. La m\u00e9taphore du corps soumis \u00e0 la gravit\u00e9 est riche en intentions telles qu\u2019explor\u00e9es dans mon travail. Des termes de danse comme : r\u00e9sistance, rebond, chute, \u00e9lan, amortir, flotter, soutenir, porter, sauter, \u00e9lever, sont souvent utilis\u00e9s dans l\u2019\u00e9laboration de la gestuelle et sont tous reli\u00e9s \u00e0 la contrainte de l\u2019attraction terrestre. Selon les th\u00e9matiques explor\u00e9es dans mon travail, le corps sera soumis \u00e0 la gravit\u00e9, avec des qualit\u00e9s de mouvement jouant sur les chutes mais aussi parfois sur le d\u00e9passement physique ou au contraire sur une certaine pr\u00e9carit\u00e9 plus \u00ab humaine \u00bb, un \u00e9puisement, un vertige. Au contraire parfois, le corps deviendra l\u00e9ger, il flottera, il sera ange ou marionnette, vid\u00e9 de sa vie d\u2019humain contrainte \u00e0 la pesanteur\u2026 La danse a ce pouvoir d\u2019\u00e9lever le corps humain \u00e0 une autre r\u00e9alit\u00e9 ou irr\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

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Ginette Laurin\u00a0| O Vertigo,\u00a0\u00c9tude #3 pour cordes et poulies<\/em>, 2007 \u00a9 Ginette Laurin<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

J\u2019ai l\u2019impression \u2013 en regardant vos \u0153uvres \u2013 que le point de d\u00e9part du mouvement passe souvent pour un travail sur les articulations et sur les p\u00e9riph\u00e9ries du corps, mains, hanches, pouls, \u00e9paules…\u00a0cela concerne le dessin de l\u2019espace. Pouvez-vous parler de la relation entre le corps et l\u2019espace, surtout en passant du \u00ab\u00a0solo\u00a0\u00bb aux figures de couple, par exemple comme dans\u00e9tude #3 pour cordes et poulies (2007)\u00a0ou\u00a0Onde de choc (2010)\u00a0ou encore d\u2019ensemble\u00a0comme dans\u00a0La vie qui bat (1999 \u2013 reprise en 2008)\u00a0ou\u00a0Khaos (2012)\u00a0? On passe d\u2019une monade \u2013 le solo \u2013 aux constellations avec le duo ou l\u2019\u00e9criture pour ensemble\u2026\u00a0<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Les structures de compositions en danse nous forcent \u00e0 \u00e9tablir des connexions entre le danseur, le groupe et son entourage spatial. Tout doit faire sens et nous devons tenir compte du fait que le spectateur aura le choix de s\u2019attarder, tout au long du spectacle, \u00e0 un d\u00e9tail de la chor\u00e9graphie ou \u00e0 sa  globalit\u00e9. La superposition d\u2019actions, le groupe \u00e0 l\u2019unisson, l\u2019espace habit\u00e9, l\u2019effet de masse, sont des \u00e9l\u00e9ments que j\u2019utilise dans mon \u0153uvre en contraste avec le solo (il est rare que le danseur se retrouve seul sur sc\u00e8ne dans mon travail) ou le duo, motif tr\u00e8s pr\u00e9sent. <\/p>\n\n\n\n

Les micro-gestuelles me servent \u00e0 inventer un langage qui remplace la parole et qui propose un \u00e9tat (fr\u00e9n\u00e9sie, urgence, d\u00e9sir de dire, de communiquer, de raconter). On peut faire danser qu\u2019une partie du corps mais tout le corps du danseur y sera investi de m\u00eame que tout l\u2019espace.<\/p>\n\n\n\n

Sur la relation entre corps sonore et chor\u00e9graphie<\/h2>\n\n\n\n

Il me semble que \u2013 dans vos \u0153uvres \u2013 il y a une relation avec la sonorit\u00e9 qui anticipe la pr\u00e9sence concr\u00e8te de la musique ou des sons \u00e9lectroacoustiques. Je pense \u00e0 l\u2019attention que vous portez \u00e0 la rythmicit\u00e9 organique du corps, ses acc\u00e9l\u00e9rations, ses ralentissements, ses coupures au fil de la respiration\u2026Cela me pousse \u00e0 vous poser une question\u00a0autour de la sonorit\u00e9 implicite au corps. Pouvez-vous r\u00e9fl\u00e9chir sur cet aspect qui concerne le corps comme un r\u00e9sonateur primaire? Je vous soumets cette question parce que j\u2019ai l\u2019impression qu\u2019une prise de conscience de cet aspect, ouvre \u00e0 un processus d\u2019\u00e9coute de soi capable de donner aux interpr\u00e8tes une strat\u00e9gie pour r\u00e9orienter la perception en faisant sortir de la r\u00e9p\u00e9tition des sch\u00e9mas moteurs semblables dans la composition du geste\u2026<\/strong><\/p>\n\n\n\n

Le son est une dimension qui comporte plusieurs \u00e9l\u00e9ments dans l\u2019art de la sc\u00e8ne. En effet, j\u2019aime beaucoup rapprocher le spectateur du danseur en lui faisant entendre les corps dansant. Le souffle, le bruit des pas sur le plancher ou tout autre surface arrang\u00e9e, les rep\u00e8res sonores que les danseurs se donnent entre eux pour bouger \u00e0 l\u2019unisson. Le son nous informe sur l\u2019intensit\u00e9 du mouvement et participe \u00e0 l\u2019\u00e9nergie qui est transmise au spectateur. Avec Onde de choc <\/em>et Khaos<\/em>, j\u2019explore le son g\u00e9n\u00e9r\u00e9 par les pas des danseurs ou leurs battements cardiaques et je les transforme selon les s\u00e9quences en sonorit\u00e9s diverses. Pour moi, ceci rajoute \u00e0 \u00ab l\u2019organicit\u00e9 \u00bb de la danse. <\/p>\n\n\n\n

Je voudrais prolonger cette r\u00e9flexion sur la dimension sonore du corps et \u2013 plus en g\u00e9n\u00e9ral \u2013 sur la composition audiovisuelle du dispositif sc\u00e9nique. Dans votre processus de composition pour\u00a0La vie qui bat (1999 \u2013 reprise en 2008), quel est le principe qui r\u00e8gle la relation entre les corps et les sons \u2013 de m\u00eame que les figures de lumi\u00e8re qui habitent la sc\u00e8ne?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

La Vie Qui Bat<\/em> est une pi\u00e8ce formelle, premi\u00e8re \u0153uvre cr\u00e9\u00e9e sp\u00e9cifiquement sur une musique. La chor\u00e9graphie, soutenue par un environnement monochrome et minimaliste, s’\u00e9labore dans un esprit de r\u00e9p\u00e9tition, o\u00f9 la danse ne s’arr\u00eate jamais. Les corps vibrent aux pulsations de la musique r\u00e9p\u00e9titive de Steve Reich et les mouvements des danseurs faisant \u00e9cho \u00e0 la trame sonore. Donc avec La vie qui bat<\/em>, la relation de la danse s\u2019\u00e9tablit avec le rythme qui \u00e9merge de la musique. C\u2019est donc une relation plus \u00ab traditionnelle \u00bb entre danse et musique qui est expos\u00e9e avec cette \u0153uvre. La lumi\u00e8re est construite autour des motifs dans\u00e9s et non d\u2019apr\u00e8s la partition musicale. Mais elle laisse aussi appara\u00eetre de temps \u00e0 autre, les musiciens sur sc\u00e8ne afin de renforcer ce lien entre musique et danse.
Cette danse tout en \u00e9nergie brute est tiss\u00e9e d’encha\u00eenements dont l’intensit\u00e9 r\u00e9side dans la concentration et la minutie plut\u00f4t que dans l’ampleur du geste. Le rythme s’ancre r\u00e9solument dans le corps. La danse suit la partition musicale dans ce qu’elle sugg\u00e8re, un jeu d’opposition entre la gravit\u00e9 et la l\u00e9g\u00e8ret\u00e9, l’ordre et le chaos, l’urbain et le tribal. <\/p>\n\n\n\n

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