Onde de choc<\/em>, 2010
Marianne Gignac-Girard et Robert Meilleur \u00a9 Ginette Laurin<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\nJe vois votre pratique chor\u00e9graphique comme une interrogation radicale au corps en mouvement. Je voudrais partir de cette question\u00a0: pouvez-vous d\u00e9finir \u2013 dans la globalit\u00e9 de votre pratique artistique \u2013 que signifie\u00a0composer\u00a0?<\/strong><\/p>\n\n\n\nComposer<\/em> pour moi signifie dire, exprimer mais avec un mat\u00e9riau pr\u00e9cieux qui s\u2019organise et se structure autour d\u2019un langage fin comme de la dentelle. D\u2019une certaine fa\u00e7on, ma pratique se rapproche du travail d\u2019un artisan qui forge son mat\u00e9riau de mani\u00e8re complexe et subtile. Pendant le processus de cr\u00e9ation, beaucoup de temps est consacr\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9laboration du langage, au d\u00e9veloppement de la gestuelle, aux qualit\u00e9s du mouvement et aux \u00ab \u00e9tats de corps \u00bb. L\u2019organisation dans l\u2019espace, les aspects visuels ou sc\u00e9nographiques ainsi que la trame chor\u00e9graphique sont aussi des \u00e9l\u00e9ments importants de mon processus.<\/p>\n\n\n\nVous parlez des \u00ab\u00a0\u00e9tats du corps\u00a0\u00bb, pouvez-vous pr\u00e9ciser ce que vous entendez par cette expression?<\/strong><\/p>\n\n\n\nC\u2019est une expression utilis\u00e9e par les chor\u00e9graphes qu\u00e9b\u00e9cois. Elle englobe les expressions ou qualit\u00e9s gestuelles et se distingue des expressions th\u00e9\u00e2trales. On parle ici de fa\u00e7ons d\u2019interpr\u00e9ter et d\u2019habiter le mouvement.<\/p>\n\n\n\n
Si je pense \u00e0\u00a0Onde de choc (2010)\u00a0ou \u00e0\u00a0Khaos (2012) \u2013\u00a0mais aussi aux \u0153uvres moins r\u00e9centes comme\u00a0La chambre Blanche (1992\/2008)\u00a0ou la chor\u00e9graphie pour\u00a0Passare (2004),\u00a0soit pour la sc\u00e8ne, soit pour le film de Oana Suteu\u00a0ou\u00a0encore pour\u00a0Traccia (2004) \u2013\u00a0un aspect de votre \u00ab\u00a0lexique\u00a0\u00bb que je trouve fascinant concerne l\u2019attention au micromouvement, une sorte de pr\u00e9dilection pour le petit d\u00e9tail du geste.
Dans cette sensibilit\u00e9, je peux\u00a0entrevoir\u00a0un dialogue avec le domaine scientifique : je pense \u00e0 l\u2019infiniment petit\u00a0de la physique, aux logiques d\u2019agencement des particules qui composent la mati\u00e8re. Pouvez-vous pousser\u00a0plus loin ce parall\u00e8le \u2013 admis\u00a0qu\u2019il soit pr\u00e9sent dans votre imaginaire \u2013 entre les lois qui r\u00e8glent la mati\u00e8re et la composition du mouvement?<\/strong><\/p>\n\n\n\nLe d\u00e9tail dans le geste est tr\u00e8s important pour moi et nous pouvons le constater lorsque nous remontons une de mes chor\u00e9graphies avec de nouveaux interpr\u00e8tes par le temps que nous devons y mettre. Ces micromouvements font partie de ma signature et vont avec certains \u00e9tats d\u2019urgence ou d\u2019agitation tr\u00e8s pr\u00e9sents dans mon travail. Ce foisonnement souligne davantage l\u2019\u00e9nergie du mouvement plut\u00f4t que sa forme arr\u00eat\u00e9e. Je m\u2019int\u00e9resse plus \u00e0 ce qui se trouve entre deux mouvements qu\u2019\u00e0 la forme de chacun. Malgr\u00e9 cela la pr\u00e9cision du geste demeure importante dans l\u2019ex\u00e9cution.<\/p>\n\n\n\n
La relation Arts\/Science m\u2019a toujours fascin\u00e9e. Je crois que les scientifiques doivent user de leur intuition tout comme les artistes. Les nouvelles technologies nous rapprochent d\u2019une certaine fa\u00e7on de la science. Aussi, tout ce qui touche, de pr\u00e8s ou de loin, le corps humain m\u2019int\u00e9resse et je le questionne. \u00c0 l\u2019aire des mutations g\u00e9n\u00e9tiques, le corps humain, cette fascinante machine, sera amen\u00e9 \u00e0 vivre diff\u00e9rentes transformations.\u00a0
J\u2019ai longtemps travaill\u00e9 avec un astrophysicien. Nos rencontres avaient pour but de voir les relations qui pouvaient exister entre le mouvement du corps humain et celui des organismes beaucoup plus grand comme les astres. Or il s\u2019av\u00e8re que les astrophysiciens observent et comparent les particules infiniment petites afin de comprendre le mouvement des astres et des galaxies. Je suis fascin\u00e9e par les nouvelles m\u00e9thodes scientifiques de visualisation du mouvement des particules tr\u00e8s petites et j\u2019observe que les mouvements, par exemple que l\u2019on peut reproduire du big bang, s\u2019apparente \u00e0 celui du corps humain pas la sym\u00e9trie et les mouvements courbes.<\/p>\n\n\n\n
En prolongeant ma r\u00e9flexion sur ce plan, pouvez-vous\u00a0toucher le r\u00f4le\u00a0de la\u00a0gravit\u00e9,\u00a0du\u00a0poids et\u00a0de la relation du corps avec le\u00a0sol dans votre pens\u00e9e chor\u00e9graphique?\u00a0Par exemple, je pense aussi \u00e0 certains passages chor\u00e9graphiques d\u2019\u00e9tude #3 pour cordes et poulies (2007)\u00a0o\u00f9 le mouvement du corps est soumis \u00e0 une force externe, l\u00e0 o\u00f9 le corps devient une sorte de marionnette, ou encore dans le duo de\u00a0La vie qui bat (1999 \u2013 reprise en 2008)\u00a0o\u00f9 les corps semblent en apesanteur\u2026<\/strong><\/p>\n\n\n\n\u2026le jeu avec la gravit\u00e9 a toujours fascin\u00e9 les chor\u00e9graphes. Ce qui m\u2019attire avec cette contrainte de poids, c\u2019est cette lutte incessante pour d\u00e9jouer la gravit\u00e9 sans toutefois la faire oublier au spectateur. La m\u00e9taphore du corps soumis \u00e0 la gravit\u00e9 est riche en intentions telles qu\u2019explor\u00e9es dans mon travail. Des termes de danse comme : r\u00e9sistance, rebond, chute, \u00e9lan, amortir, flotter, soutenir, porter, sauter, \u00e9lever, sont souvent utilis\u00e9s dans l\u2019\u00e9laboration de la gestuelle et sont tous reli\u00e9s \u00e0 la contrainte de l\u2019attraction terrestre. Selon les th\u00e9matiques explor\u00e9es dans mon travail, le corps sera soumis \u00e0 la gravit\u00e9, avec des qualit\u00e9s de mouvement jouant sur les chutes mais aussi parfois sur le d\u00e9passement physique ou au contraire sur une certaine pr\u00e9carit\u00e9 plus \u00ab humaine \u00bb, un \u00e9puisement, un vertige. Au contraire parfois, le corps deviendra l\u00e9ger, il flottera, il sera ange ou marionnette, vid\u00e9 de sa vie d\u2019humain contrainte \u00e0 la pesanteur\u2026 La danse a ce pouvoir d\u2019\u00e9lever le corps humain \u00e0 une autre r\u00e9alit\u00e9 ou irr\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n