{"id":2164,"date":"2013-10-01T17:10:10","date_gmt":"2013-10-01T17:10:10","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=2164"},"modified":"2022-12-07T17:10:20","modified_gmt":"2022-12-07T17:10:20","slug":"octobre-2013-les-plis-de-la-composition-corps-musique-formes-du-temps-conversation-avec-myriam-gourfink-et-kasper-t-toeplitz-partie-2","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/octobre-2013-les-plis-de-la-composition-corps-musique-formes-du-temps-conversation-avec-myriam-gourfink-et-kasper-t-toeplitz-partie-2\/","title":{"rendered":"Octobre 2013 – Les plis de la composition : corps, musique, formes du temps – Conversation avec\u00a0Myriam Gourfink et Kasper T. Toeplitz (partie 2)"},"content":{"rendered":"\n

Partie 2<\/h2>\n\n\n\n

Les sonorit\u00e9s du geste<\/h2>\n\n\n\n

Il y a un autre aspect d\u00e9terminant\u00a0que je voudrais souligner. Dans des travaux comme\u00a0Capture (2004)<\/em>,\u00a0Inoculate\u00a0? (2011)<\/em>\u00a0ou dans\u00a0The Monster which never breathes (2011)<\/em>, le corps est con\u00e7u comme un instrument. Kasper, pouvez-vous expliquer les principes conceptuels et techniques de ces travaux?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

K.T.T. :<\/strong> Capture <\/em>et Inoculate ?<\/em> sont deux compositions musicales dans lesquelles j\u2019ai inclus la danse d\u00e9s la gen\u00e8se du projet : il ne s’agit donc pas d’un ajout, ou d’associer deux formes artistiques. The Monster<\/em> which never breathes<\/em> est une commande commune qu\u2019on a eue, Myriam et moi, donc on pourrait consid\u00e9rer la pi\u00e8ce comme une co-composition pour orgue, live-electronics <\/em>et danse. \u00c0 part \u00e9gales.
En fait depuis quelques ann\u00e9es j’ai commenc\u00e9 \u00e0 penser des pi\u00e8ces de musique dans lesquelles une (ou plusieurs) des fonctions musicales (instrumentales, si on veut) serait prise en charge par la danse, une sorte de musique muette, en tout cas une int\u00e9gration du mouvement dans le musical.
Dans Capture<\/em> c’est le geste qui va \u00eatre captur\u00e9 par des cam\u00e9ras, ainsi il produit le sonore \u2013 et c’est d’ailleurs le seul instrument de cette pi\u00e8ce. Ce travail (qui a eu un prix \u00e0 Ars Electronica) dont les seuls musiciens \u00e9taient les trois danseuses, jouant une partition que j’avais compos\u00e9e, ou The monster which never breathes<\/em>  participent chez moi au d\u00e9veloppement du concept de \u00ab data-noise \u00bb tel qu’appliqu\u00e9 \u00e0 la danse, c’est-\u00e0-dire se servir du geste pour ajouter du \u00ab bruit \u00bb \u00e0 la musique, pour la parasiter.<\/p>\n\n\n\n

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Kasper T. Toeplitz,\u00a0Capture<\/em>\u00a0(2004) partition, \u00a9 Kasper T. Toeplitz.<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Dans\u00a0Inoculate?<\/em>\u00a0la danseuse a des capteurs sur elle dont la fonction est en quelque sorte de \u00ab\u00a0salir\u00a0\u00bb la musique.
Inoculate?<\/em>\u00a0c’est aussi une contrainte donn\u00e9e \u00e0 priori \u00e0 la danse, dont la chor\u00e9graphie est de Myriam et l’interpr\u00e9tation de Deborah Lary\u00a0: celle du placement de la danseuse comme un des musiciens, sans prendre plus de place, sans se placer \u00ab\u00a0au centre\u00a0\u00bb, et celle de la perception globale de la danse. Je voulais quelque chose qui joue sur la verticalit\u00e9, les trois autres instruments \u00e9tant des cuivres, donc jouant debout. Et il y a un court passage d’Inoculate?\u00a0<\/em>qui est un solo de danse, mais sonore. La danseuse est la seule \u00e0 produire du son \u00e0 ce moment-l\u00e0, le son de son geste, son sur lequel elle danse dans le moment o\u00f9 elle le produit. Bien plus sur\u00a0Inoculate?<\/em>\u00a0y compris les partitions, sur la page web du projet\u00a0. Mais tout cela pour dire que les deux pi\u00e8ces que tu cites,\u00a0Inoculate?<\/em>\u00a0et\u00a0Une lente mastication<\/em>\u00a0viennent de deux endroits (que l’on peut ou pas appeler dispositifs) assez \u00e9loign\u00e9s…. il y en a une qui est musique et l’autre danse \u2013 m\u00eame si les fronti\u00e8res sont poreuses. Pour\u00a0Une lente mastication<\/em>, le projet musical \u00e9tait de comme \u00ab\u00a0suspendre\u00a0\u00bb des sons, isol\u00e9s les uns des autres, \u00e0 diff\u00e9rentes hauteurs : un peu comme des nuages immobiles qui d\u00e9finissent un espace en hauteur plus qu’un p\u00e9rim\u00e8tre \u2013 en tout cas un espace en \u00e9l\u00e9vation auquel la danse n’a pas acc\u00e8s.
Dans\u00a0The Monster\u00a0which never breathes<\/em>\u00a0par contre le corps est con\u00e7u comme un instrument. On peut aussi parler d\u2019un corps double\u00a0: le corps de la danseuse, mais aussi le corps de l\u2019organiste qui joue de l\u2019orgue \u00e9quip\u00e9 d’un capteur similaire \u00e0 celui de la danseuse, donc son corps \u00e0 elle est aussi instrument.<\/p>\n\n\n\n

Myriam, comment ce processus de feedback sonore du geste a r\u00e9organis\u00e9 votre perception du corps et donc votre fa\u00e7on de composer le mouvement ?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

M.G. :<\/strong> C\u2019est surtout au niveau de la perception que cela se joue, cela modifie \u00e9norm\u00e9ment les qualit\u00e9s du corps en mouvement, par exemple j\u2019ai d\u00e9couvert gr\u00e2ce \u00e0 ce feedback musical des qualit\u00e9s internes de tremblements que je peux activer volontairement. D\u2019autre part quand l\u2019\u00e9coute devient le moteur du mouvement le corps est beaucoup plus l\u00e9ger, comme plus fluide, plus souple et plus fort. Je pense que la musique modifie notre rapport \u00e0 l\u2019espace, l\u2019air devient palpable, toutes les sensations, les \u00e9motions, les sentiments sont amplifi\u00e9s, exalt\u00e9s. Aussi, je crois, que la musique a cette capacit\u00e9 d\u2019\u00e9largir notre palette de perception, d\u2019augmenter notre discernement perceptif, cela enrichi forc\u00e9ment la composition.<\/p>\n\n\n\n

Kasper, en pensant \u00e0\u00a0D\u00e9sastre (2012)<\/em>, pouvez-vous toucher la relation entre le corps et la musique de cette pi\u00e8ce?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

K.T.T. :<\/strong> D\u00e9sastre<\/em> est une pi\u00e8ce que j’ai r\u00e9alis\u00e9e avec Nina Santes et qui vient d’une id\u00e9e de processus de Nina. D\u00e9sastre<\/em> est un projet de concert chor\u00e9graphique pour un musicien et une danseuse. Bas\u00e9 sur une relation d’interd\u00e9pendance entre le son et le mouvement, le dispositif de D\u00e9sastre<\/em> met en jeu l’id\u00e9e de la co-\u00e9criture. \u00c0 la crois\u00e9e du concert de musique \u00e9lectronique et de la pi\u00e8ce chor\u00e9graphique. \u00c9quip\u00e9e de micros sans fil, la danseuse g\u00e9n\u00e8re par sa pr\u00e9sence un feedback, ou larsen, qui sera l’unique source sonore du projet. Modul\u00e9 par l’\u00e9volution de la danseuse dans l’espace, le son traverse le corps-instrument, l’influence, le d\u00e9place, cr\u00e9e des stimuli pour un mouvement empathique ou diachronique, qui \u00e0 son tour g\u00e9n\u00e8rera de nouvelles mati\u00e8res sonores. La composition de D\u00e9sastre<\/em> est l’id\u00e9e d’un \u00e9cosyst\u00e8me qui se construit \u00e0 partir d’une boucle. Elle implique pour les interpr\u00e8tes une relation triangulaire faite d’instinct, de r\u00e9activit\u00e9, de changements de statuts constants \u2013 bien qu’ils soient assujettis \u00e0 une partition pr\u00e9existante. Contraint \u00e0 b\u00e2tir en temps r\u00e9el l’interpr\u00e9tation \u00e0 partir de ces corps-instruments, le compositeur fait \u00e9voluer tout autant la forme chor\u00e9graphique que la forme sonore. Les danseuses deviennent musiciennes \u00e0 travers leur propre corps, ainsi qu’\u00e0 travers le jeu possible avec des p\u00e9dales de filtres dispers\u00e9s sur le plateau.<\/p>\n\n\n\n

Formes de pr\u00e9sence<\/h2>\n\n\n\n

Myriam, vous avez renvoy\u00e9, presque au d\u00e9but de cette conversation, \u00e0 la respiration comme \u00e9l\u00e9ment primaire pour votre recherche sur le mouvement. Cette pratique indique la qualit\u00e9 de la pr\u00e9sence des performeurs et implique un processus de visualisation int\u00e9rieur, une \u00e9coute de chaque variation du mouvement. Pouvez-vous pr\u00e9ciser cet aspect li\u00e9 \u00e0 la question du mouvement par rapport \u00e0 la pr\u00e9sence?<\/strong><\/p>\n\n\n\n

M.G. :<\/strong> La respiration est effectivement la condition sine qua non de cette danse, m\u00eame si j\u2019\u00e9cris dans mes partitions des indications formelles qui demandent \u00e0 l\u2019interpr\u00e8te de tourner, de se fl\u00e9chir, de s\u2019enrouler, il doit toujours relier ces actions \u00e0 la respiration. C\u2019est toujours la globalit\u00e9 de la personne qui est en jeu, cette danse \u0153uvre de fa\u00e7on \u00e0 ce que la moindre action provoque un retournement int\u00e9rieur de tout l\u2019\u00eatre : pour cela la personne doit laisser circuler les effets que produisent une action \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur d\u2019elle-m\u00eame, elle ne doit rien bloquer, elle doit laisser passer l\u2019\u00e9cho, la r\u00e9sonnance d\u2019un mouvement, aussi petit soit-il.<\/em> C\u2019est cette capacit\u00e9 \u00e0 l\u00e2cher prise, \u00e0 ne rien fixer, qui permet au danseur d\u2019avoir de la pr\u00e9sence, de se donner totalement. Aussi dans mes partitions, pour provoquer cet \u00e9tat j\u2019aime donner des indications de circulation de la concentration \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du corps, j\u2019emprunte ces techniques au yoga de l\u2019\u00e9nergie, un yoga d\u2019origine tib\u00e9taine. On couple un trajet \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du corps avec une phase de la respiration. Par exemple : je demande au danseur de focaliser son attention sur la racine des ongles des mains et cela surtout sur l\u2019expiration, pour suivre, sur l\u2019inspiration une sensation kinesth\u00e9sique qui remonte sur les dos des bras, passe derri\u00e8re les oreilles, vient finir au coins des yeux, pour repartir sur l\u2019expiration vers le sommet du cr\u00e2ne, faire le tour de la t\u00eate, descendre par la face post\u00e9rieure du corps pour aboutir aux petits orteils. Ces trajets \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du corps nourrissent le d\u00e9sir de se mettre en mouvement. Cette amplification de la pr\u00e9sence est je l\u2019esp\u00e8re tr\u00e8s palpable de l\u2019ext\u00e9rieur, l\u2019id\u00e9e est d\u2019offrir \u00e0 l\u2019audience un espace o\u00f9 chacun pourra vivre au travers du travail interne du danseur ce bouillonnement, ce retournement int\u00e9rieur.<\/p>\n\n\n\n

Je vous ai demand\u00e9 cette pr\u00e9cision, parce que vous avez parl\u00e9 \u2013 en diverses occasions \u2013 d\u2019une\u00a0pr\u00e9sence \u00e0 l\u2019acte<\/em>. Ceci m\u2019int\u00e9resse beaucoup. Pour moi la question c\u2019est de penser la pr\u00e9sence du corps en mouvement. Pouvez-vous prolong\u00e9 la r\u00e9flexion sur la pr\u00e9sence?<\/strong>

M.G.\u00a0:<\/strong>\u00a0Il est aussi n\u00e9cessaire de penser la pr\u00e9sence par rapport \u00e0 un \u00e9l\u00e9ment : le temps. Contrairement aux enseignements que j\u2019ai pu recevoir dans le champ de la danse contemporaine, le yoga enseigne un rapport au temps complexe qui inclus pass\u00e9, pr\u00e9sent et future. La pr\u00e9sence, c\u2019est \u00eatre comme \u00e0 80 pour cent pr\u00e9sent \u00e0 mon action, mais en relation \u00e0 10 pour cent avec ce que j\u2019ai fait\u00a0: le pass\u00e9, et \u00e0 10 pour cent avec ce que je projette de faire\u00a0: le future. Je suis pr\u00e9sente seulement si je suis responsable de l\u2019acte, et je ne peux pas \u00eatre responsable si je suis juste \u00e0 cent pour cent dans l\u2019instant, je dois mesurer l\u2019impact de mon acte dans le future avant de l\u2019effectuer, et pour d\u00e9velopper ma comp\u00e9tence d\u2019\u00e9valuation je dois analyser, je dois donc me souvenir. C\u2019est la dimension \u00e9thique de la pr\u00e9sence\u00a0: je dois absolument projeter dans le futur, anticiper, mais pour le faire je dois prendre en charge le pass\u00e9. \u00c0 ce moment-l\u00e0, seulement, je pense que la danse devient un acte de pr\u00e9sence\u00a0: elle donne naissance \u00e0 des actes dont elle mesure la port\u00e9e.
Je crois que cet aspect marque certaines partitions encore plus que d\u2019autres\u00a0: c\u2019est le cas de\u00a0Contraindre\u00a0<\/em>(2004),et de\u00a0This is my house\u00a0<\/em>(2005) par exemple. Dans ces projets les danseurs sont responsables de la g\u00e9n\u00e9ration de la partition. Chacun de leurs actes aura une incidence sur la partition \u00e0 venir.<\/p>\n\n\n\n

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