{"id":2189,"date":"2013-07-01T21:02:07","date_gmt":"2013-07-01T21:02:07","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=2189"},"modified":"2022-12-07T21:02:30","modified_gmt":"2022-12-07T21:02:30","slug":"juillet-2013-raccords-dalain-fleischer-ou-la-magie-de-lart-transmedial","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/juillet-2013-raccords-dalain-fleischer-ou-la-magie-de-lart-transmedial\/","title":{"rendered":"Juillet 2013 – RACCORDS<\/i> d’Alain Fleischer ou la magie de l’art transm\u00e9dial"},"content":{"rendered":"\n
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Alain Fleischer, \u00c9cran sensible \/ La Lettre,\u00a0<\/em>r\u00e9alis\u00e9e \u00e0 la Galerie de l’UQAM, 2013
et\u00a0Tout un film, une seule image<\/em>, 1992-1994, \u00a9 Alain Fleischer \/ SODRAC (2013)
Photo : Laurence N. B\u00e9land<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Alain Fleischer, auteur prolifique d\u2019ouvrages litt\u00e9raires et r\u00e9alisateur de 350 films environ, signe une \u0153uvre magistrale qui alterne du cin\u00e9ma \u00e0 l\u2019\u00e9criture en passant par la photo. Du 16 mm au 35 mm et \u00e0 la vid\u00e9o, du fragment au roman et \u00e0 l\u2019essai, son \u0153uvre manifeste une qu\u00eate incessante du souvenir, de l\u2019oubli et de la m\u00e9moire. Elle traque tant la m\u00e9dialit\u00e9 que la trace, cr\u00e9ant une polyphonie \u00e0 travers des personnages fictionnels, des formes et des figures ludiques, tels que Happy Days<\/em>, s\u00e9rie \u00ab Les Jouets <\/em>\u00bb et Poires et citrons<\/em>, s\u00e9rie \u00ab Natures mortes <\/em>\u00bb, deux projections vid\u00e9ographiques, 2012. Cette polyphonie op\u00e8re \u00e0 la fois sur le registre narratif et le registre interm\u00e9dial. Son \u0153uvre revisite aussi des \u0153uvres cin\u00e9matographiques et litt\u00e9raires, que ce soit Hitchcock recadr\u00e9,<\/em> un film de 20 minutes de 1999, Antonin Artaud<\/em> et Franz Kafka<\/em>, s\u00e9rie \u00ab L\u2019\u0153il Gauche <\/em>\u00bb, de 2012 en projection vid\u00e9ographique.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 l\u2019occasion de l\u2019exposition intitul\u00e9e\u00a0RACCORDS,<\/em>\u00a0dans le cadre du colloque\u00a0Lumi\u00e8res de la ville<\/em>, bien que personnages et formes demeurent sujets et objets de captation, c\u2019est peut-\u00eatre davantage l\u2019interrogation des m\u00e9dias qui nous frappe, de leur interp\u00e9n\u00e9tration et de leur r\u00e9versibilit\u00e9. On assiste au d\u00e9ploiement des innombrables possibilit\u00e9s et limites qu\u2019offrent film, vid\u00e9o, photo, mais aussi \u00e0 leur \u00ab\u00a0d\u00e9pliement \u00bb. Fleischer d\u00e9voile et accentue les proc\u00e9d\u00e9s du processus photographique et filmique qu\u2019il se pla\u00eet \u00e0 entrem\u00ealer. Ainsi le filmogramme devient contenu d\u2019une photo, l\u2019\u00e9cran vid\u00e9o diffuse le n\u00e9gatif d\u2019un film et le recadrage d\u2019un film explore le grain jusqu\u2019\u00e0 d\u00e9stabiliser la vision, le trouble sensoriel subsumant le r\u00e9cit. Les personnages deviennent ici la photographie, ses proc\u00e9d\u00e9s et ses effets, l\u00e0 le cin\u00e9ma et la vid\u00e9o, leur grammaire et leur composition.<\/p>\n\n\n\n

L’exp\u00e9rience de la chambre noire collective<\/h2>\n\n\n\n
\"\"
Raccords<\/em>, Alain Fleischer
Cr\u00e9dit photo : LP C\u00f4t\u00e9 \u00a9 Galerie de l’UQAM, 2013<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Le 22 f\u00e9vrier 2013, le public s\u2019entasse dans le hall d\u2019entr\u00e9e de la Galerie. Pour l\u2019\u00e9v\u00e9nement du lancement, la grande salle est ferm\u00e9e d\u2019une paroi opaque qui emp\u00eache la lumi\u00e8re de p\u00e9n\u00e9trer. La commissaire Louise D\u00e9ry nous pr\u00e9vient : \u00ab il est essentiel de respecter les consignes. Vous serez plong\u00e9s dans le noir, pendant quelques minutes avec une faible lumi\u00e8re infra-rouge. Vous devez \u00e9teindre vos cellulaires et vous ne pourrez prendre aucune photo, sans compromettre l\u2019exp\u00e9rience. Quelques chaises sont disponibles pour ceux et celles qui d\u00e9sirent s\u2019asseoir, les autres devront rester debout. Personne ne pourra sortir de la salle : si vous \u00eates claustrophobe, on pr\u00e9f\u00e8re vous pr\u00e9venir. \u00bb<\/p>\n\n\n\n

Toutes les chaises sont rapidement occup\u00e9es. Dans la quasi noirceur s\u2019installe une rumeur. Nous faisons face au mur sur lequel une grande surface argentique est fix\u00e9e. Quelques personnes s\u2019affairent, d\u2019autres discutent \u00e0 voix basse. La commissaire r\u00e9it\u00e8re les consignes : \u00ab cellulaire ferm\u00e9, pas de photo \u00bb. Puis l\u2019artiste Alain Fleischer d\u00e9clenche le projecteur 16 mm. Des ombres apparaissent sur le papier argentique constitu\u00e9 de quatre l\u00e9s fix\u00e9s parall\u00e8lement, qui atteignent la dimension d\u2019un \u00e9cran de cin\u00e9ma. On saisit rapidement l\u2019inversion des contrastes. Dans la portion de droite, au premier plan, un visage se dessine entour\u00e9 d\u2019une chevelure blanche. Je crois reconna\u00eetre l\u2019artiste lui-m\u00eame \u00e0 cause de ses longs cheveux blancs. Aussit\u00f4t je me reprends, et comprends qu\u2019il s\u2019agit d\u2019un n\u00e9gatif de l\u2019image \u00e0 venir. \u00c0 gauche du personnage, vers l\u2019arri\u00e8re plan, appara\u00eet l\u2019ombre fantomatique d\u2019un autre personnage. Les grains s\u2019accumulent jusqu\u2019\u00e0 opacifier certaines zones. Des formes apparaissent et se transforment sur l\u2019immense surface \u00e0 la fois sombre et floue. Durant ce temps, tel un m\u00e9tronome le cliquetis du projecteur marque la cadence.<\/p>\n\n\n\n

La projection se termine en dix minutes. Dans le noir, l\u2019\u00e9quipe de \u00ab scaphandriers \u00bb se met alors en action et travaille avec pr\u00e9caution \u00e0 l\u2019application du r\u00e9v\u00e9lateur qui a pour effet d\u2019inverser les contrastes, \u00e0 l\u2019aide de rouleau \u00e0 manche t\u00e9lescopique. Le grain du papier argentique s\u2019imbibe d\u2019\u00e9l\u00e9ments chimiques qui r\u00e9v\u00e8lent la silhouette de deux personnages. Au final, une image positive surgit : \u00e0 droite le visage d\u2019une femme \u00e0 la chevelure noire et, \u00e0 gauche vers l\u2019arri\u00e8re, un homme pench\u00e9. L\u2019op\u00e9ration n\u2019est toutefois pas termin\u00e9e, il faut cesser le d\u00e9veloppement, dans le sens photographique du terme, avec un bain d\u2019arr\u00eat \u00e9galement appliqu\u00e9 au rouleau. Une derni\u00e8re \u00e9tape d\u2019application au rouleau permet de fixer l\u2019image et la performance est termin\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

La Lettre<\/em>, 2013,\u00a0le film source photographi\u00e9<\/h2>\n\n\n\n

Le film en 16 mm utilis\u00e9 et projet\u00e9 sur la surface argentique s\u2019intitule La Lettre<\/em>. Pr\u00e9sent\u00e9 en boucle dans un \u00e9cran plat int\u00e9gr\u00e9 dans le mur, les visiteurs peuvent le visionner sur le mur oppos\u00e9 \u00e0 celui de Raccords.<\/em> Je me souviens qu\u2019un personnage masculin, jou\u00e9 par l\u2019artiste lui-m\u00eame, \u00e9crit une lettre. Sur l\u2019oc\u00e9an derri\u00e8re lui passe un bateau qui bient\u00f4t sort du cadre. \u00c0 un certain moment on aper\u00e7oit un poisson rouge. Puis un visage de femme appara\u00eet en premier plan, dans la portion de droite, tandis que l\u2019homme appuy\u00e9 sur la balustrade devant l\u2019oc\u00e9an continue d\u2019\u00e9crire. Au final, cette sc\u00e8ne s\u2019imprime sur l\u2019\u00e9cran sensible durant l\u2019exp\u00e9rience collective de \u00ab  la chambre noire \u00bb. Si les deux personnages, le lieu marin et l\u2019action scripturaire construisent la trame narrative du film, sur la photo cette trame se r\u00e9sorbe dans une accumulation de plans condens\u00e9s les uns dans les autres. Chaque figure semble dispara\u00eetre en entassant ses traces granulaires sur la surface.<\/p>\n\n\n\n

En raison des personnages jou\u00e9s par Fleischer et sa compagne Dani\u00e8le Shirman, je demande \u00e0 l\u2019artiste s\u2019il s\u2019agit d\u2019un film documentaire, d\u2019un docu-drama ou d\u2019une fiction. \u00ab\u00a0C\u2019est une fiction, me r\u00e9pond l\u2019artiste. Nous jouons des personnages cr\u00e9\u00e9s pour ce film\u00a0\u00bb1<\/sup>. Il demeure que ce film source, diffus\u00e9 en n\u00e9gatif dans le noir, prend une toute autre forme par sa rem\u00e9diation en photo. Il faut avoir assist\u00e9 \u00e0 la performance pour comprendre que la r\u00e9v\u00e9lation publique d\u2019une photo \u00e0 partir d\u2019un film 16 mm d\u00e9passe le simple proc\u00e9d\u00e9 d\u2019un ma\u00eetre bricoleur ing\u00e9nieux. Cet \u00e9v\u00e9nement d\u00e9passe \u00e9galement les prouesses d\u2019une \u00e9quipe de techniciens qui, gr\u00e2ce \u00e0 la lumi\u00e8re inactinique import\u00e9e de la chambre noire, r\u00e9v\u00e8lent devant nous l\u2019image finale.<\/p>\n\n\n\n

Cette premi\u00e8re exp\u00e9rience d\u2019\u00c9cran sensible,<\/em>\u00a0\u00e0 partir de\u00a0La Lettre,\u00a0<\/em>qu\u2019il vient de r\u00e9aliser \u00e0 Montr\u00e9al, Fleischer l\u2019exp\u00e9rimente d\u00e8s 1998 avec sa s\u00e9rie\u00a0\u00c9crans sensibles<\/em>. Son stratag\u00e8me consiste \u00e0 \u00ab\u00a0photographier un film en proc\u00e9dant autrement que par pr\u00e9l\u00e8vement ou arr\u00eat sur image [,] de le photographier dans l\u2019int\u00e9gralit\u00e9 de son d\u00e9roulement, histoire de tester ce que, d\u2019un film, la photographie est \u00e0 m\u00eame de saisir, de\u00a0retenir<\/em>\u00a0\u00bb2<\/sup>. Cet \u00ab\u00a0autrement\u00a0\u00bb alimente donc la r\u00e9v\u00e9lation publique d\u2019une image filmogrammique issue d\u2019un projecteur 16 mm, qui sert pour l\u2019occasion d\u2019agrandisseur. Contrairement \u00e0 l\u2019\u00e9cran cin\u00e9matographique qui laisse appara\u00eetre et dispara\u00eetre l\u2019image sans jamais \u00eatre alt\u00e9r\u00e9 lui-m\u00eame, le papier argentique retient les pigments clairs obscurs d\u2019une image en voie de r\u00e9v\u00e9lation. Il se cr\u00e9e alors une mixit\u00e9 des proc\u00e9d\u00e9s d\u2019enregistrement de la succession temporelle, mobile pour le film et fixe pour la photo.<\/p>\n\n\n\n

Le \u00ab\u00a0d\u00e9p\u00f4t de m\u00e9moire\u00a0\u00bb<\/h2>\n\n\n\n
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Raccords<\/em>, Alain Fleischer
Cr\u00e9dit photo : LP C\u00f4t\u00e9 \u00a9 Galerie de l’UQAM, 2013<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

Pour Fleischer, le processus cr\u00e9atif et son r\u00e9sultat constituent un \u00ab d\u00e9p\u00f4t de m\u00e9moire \u00bb. Il s\u2019agit en quelque sorte d\u2019une mise en abyme du d\u00e9p\u00f4t m\u00e9moriel d\u2019un film sur la surface photographique. Une m\u00e9moire constitu\u00e9e d\u2019une fiction aliment\u00e9e de divers souvenirs, mais aussi porteuse d\u2019une \u00e9poque cin\u00e9matographique et historique. Peut-\u00eatre est-ce dans cette perspective que se situe l\u2019affirmation suivante de Fleischer et le jeu de forces centrip\u00e8tes et centrifuges qui alimente son \u0153uvre :<\/p>\n\n\n\n

\u00ab\u00a0Tout ce que j\u2019ai produit pendant des ann\u00e9es, loin de multiplier les occasions de visibilit\u00e9, n\u2019a sans doute eu pour r\u00e9sultat contraire que ce trou noir, entassement massif que j\u2019ai laiss\u00e9 se construire dans le temps, sans me m\u00e9fier de la menace qu\u2019il repr\u00e9sente pour sa propre lisibilit\u00e9, et qui maintenant pourrait d\u00e9courager toute tentative de faire appara\u00eetre aux yeux des autres ce qui, dans une tr\u00e8s large proportion, n\u2019existe que pour moi et pour le cercle restreint de mes intimes. (\u2026) Sans doute encore me suis-je, pour une fois, contraint moi-m\u00eame \u00e0 l\u2019enfermement dans un lieu et \u00e0 la fixation de mes images, pour qu\u2019un spectateur les regarde, Mais de ce lieu qui rassemble et retient les images, je cherche d\u00e9j\u00e0 quelle pourrait \u00eatre ma vitesse d\u2019\u00e9vasion.\u00a0\u00bb3<\/sup><\/p>\n\n\n\n

La qu\u00eate de Fleischer reposerait entre autres sur une certaine tentative de r\u00e9versibilit\u00e9 des techniques d\u2019enregistrement, en redessinant leur ontologie et en les entrela\u00e7ant \u00e0 l\u2019aff\u00fbt d\u2019une apparition \u00e0 m\u00eame les disparitions enfouies dans l\u2019angle mort, dans la mort et dans le hors-champ. Cette r\u00e9versibilit\u00e9 ou tentative de retour en arri\u00e8re tente-t-elle de refa\u00e7onner ce qui a \u00e9t\u00e9 enregistr\u00e9 \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du champ, contrairement \u00e0 ce qui n\u2019a pas pu \u00eatre enregistr\u00e9 ? Ce jeu tenterait de rendre mobile ce qui est fixe et de rendre immobile ce qui est mouvant. Ce qu\u2019il nomme son \u00ab  trou noir \u00bb semble alimenter une qu\u00eate de lumi\u00e8re, \u00e0 travers souvenir, rem\u00e9moration et oubli, en guise de survivance comme les images savent le faire. Par ailleurs, la lumi\u00e8re risque de br\u00fbler l\u2019image si elle p\u00e9n\u00e8tre dans la chambre noire au moment du d\u00e9veloppement, mais elle permet aussi de cr\u00e9er des ombres et de ciseler le souvenir imag\u00e9 devant l\u2019entassement massif des temps d\u2019une vie.<\/p>\n\n\n\n

Une temporalit\u00e9\u00a0feuillet\u00e9e<\/em><\/h2>\n\n\n\n

Comme le r\u00e9sume Pierre Ouellet4<\/sup>, la temporalit\u00e9 dans l\u2019\u0153uvre de Fleischer entrelace diff\u00e9rents angles compl\u00e9mentaires. Parmi ceux-ci, pr\u00e9cise-t-il, se retrouvent le temps intime, \u00e0 caract\u00e8re biographique, voire ancestral d\u2019une lign\u00e9e, mais aussi le temps historique de l\u2019empire post-hongrois, notamment \u00e0 connotation politique. Bien davantage que d\u2019une chronologie classique, chez Fleischer le temps comporte des dimensions oniriques, fantasmatiques, voire mythiques, par l\u2019entremise des figures du rabin, du savant ou du gu\u00e9risseur tout au long de ses ouvrages. La m\u00e9moire dont il s\u2019agit d\u00e9passe la m\u00e9moire historique\u00a0: il en r\u00e9sulte une diachronie plus complexe que le passage du temps. Tous ces modes temporels sont r\u00e9absorb\u00e9s dans le temps\u00a0po\u00ef\u00e9tique<\/em>\u00a0et dans la dimension\u00a0esth\u00e9sique<\/em>\u00a0de ses \u00e9crits ou de ses cr\u00e9ations audiovisuelles.<\/p>\n\n\n\n

Ainsi, la temporalit\u00e9 associ\u00e9e \u00e0 l\u2019exp\u00e9rience collective du 22 f\u00e9vrier 2013 rec\u00e8le diverses couches temporelles propres \u00e0 l\u2019ambiance de la salle, au d\u00e9roulement de l\u2019action filmique et \u00e0 l\u2019anachronisme du processus de d\u00e9veloppement photographique argentique \u00e0 l\u2019\u00e9poque du cellulaire et du num\u00e9rique. En ce sens, l\u2019\u00e9v\u00e9nement transm\u00e9dial performatif est porteur d\u2019un registre m\u00e9diologique qui s\u2019\u00e9tend sur pr\u00e8s de deux si\u00e8cles. Comme on le sait, la photographie et la cin\u00e9matographie permettent de p\u00e9renniser des instants de vie et leurs tensions productrices de mouvements plus ou moins \u00e9tendus dans le temps. En effet, si la photographie invent\u00e9e par Nicephore Niepce en 1839 pr\u00e9c\u00e8de chronologiquement le cin\u00e9matographe des Fr\u00e8res Lumi\u00e8re officiellement lanc\u00e9 en 1895, la performance m\u00e9diologique de Fleischer et de son \u00e9quipe \u2013 l\u2019impression publique d\u2019un film 16 mm sur un \u00e9cran sensible \u2013, entrelace ces temps historiques \u00e0 travers de multiples dimensions qui s\u2019\u00e9tirent en largeur, en hauteur et en profondeur, mais aussi \u00e0 travers les lignes de force qui constituent le \u00ab d\u00e9p\u00f4t de m\u00e9moire \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Quand Fleischer, tel un magicien, joue avec les m\u00e9dias cin\u00e9ma-photo-vid\u00e9o-graphie, il joue avec le temps : son temps, celui de ses contemporains, celui de ces anc\u00eatres entre autres victimes de l\u2019Holocauste, mais aussi le n\u00f4tre, temps contemporain des techniques d\u2019enregistrement num\u00e9riques et temps singulier de nos m\u00e9moires agglutin\u00e9es. Fleischer qualifie ce temps de feuillet\u00e9<\/em> dans la mesure o\u00f9 certaines portions ne sont pas visibles, car un obstacle g\u00e8ne : \u00ab Le disparu passe dans un angle mort, on retourne (ou on retrouve) dans l\u2019espace le temps perdu. \u00bb Dans chaque \u0153uvre, les angles morts livrent les choses pass\u00e9es, jamais d\u00e9finitivement ni enti\u00e8rement, car leur point de vue vari\u00e9 n\u2019est jamais \u00e9puis\u00e9. Ainsi de l\u2019un \u00e0 l\u2019autre, certains angles restituent davantage de traces du pass\u00e9 que d\u2019autres, le tout exer\u00e7ant un effet cumulatif non n\u00e9gligeable.<\/p>\n\n\n\n

Il devient impossible de reconstituer ce qui s\u2019est jou\u00e9 dans l\u2019intervalle du hors-champ historique et intime. C\u2019est toujours \u00e0 recommencer. Pour sa part, curieusement, la photo \u00c9cran sensible \/ La lettre<\/em>, 2013ne contient aucun autre raccord que ceux du film source. Au demeurant elle accumule la trace perp\u00e9tuelle de l\u2019apparition sur la disparition, dans la profondeur d\u00e9limit\u00e9e de l\u2019\u00e9cran sensible, o\u00f9 le mouvement se condense et le temps se d\u00e9pose. Cette temporalit\u00e9 m\u00e8ne in\u00e9luctablement l\u2019artiste, et nous-m\u00eames par ricochet, aux confins d\u2019un trou noir qui ne cesse de r\u00e9veiller d\u2019incessantes forces centrip\u00e8tes et centrifuges \u00e0 saveur dramatique, ludique et onirique.<\/p>\n\n\n\n

Notes<\/h2>\n\n\n\n

[1] Lors d\u2019une conversation impromptue avec l\u2019artiste, accompagn\u00e9 de Danielle Schirman, \u00e0 la Galerie de l\u2019UQAM, le 19 mars 2013.<\/p>\n\n\n\n

[2] Voir Alain Fleischer,\u00a0La vitesse d\u2019\u00e9vasion<\/em>, Paris, L\u00e9o Scheer, 2003, p. xvi.<\/p>\n\n\n\n

[3] Voir\u00a0Alain Fleischer par lui-m\u00eame,<\/em>\u00a0\u201cDocumentation sur les \u00e9crans sensibles\u201d in Dossier de presse, Galerie de l\u2019UQAM, f\u00e9vrier 2013, p. 1.\u00a0 Informations extraites d\u2019un document du Forum:\u00a0Alain Fleischer, sous le temps l\u2019image tient, les \u00e9crans sensibles<\/em>, Blanc-Mesnil, 2012.<\/p>\n\n\n\n

[4] En vue d\u2019explorer la temporalit\u00e9 dans l\u2019\u0153uvre de Fleischer en lien avec l\u2019exposition\u00a0Raccords<\/em>, Pierre Ouellet, directeur de la Chaire d\u2019esth\u00e9tique et de po\u00e9tique de l\u2019UQAM, l\u2019a invit\u00e9 \u00e0 donner une conf\u00e9rence dans son s\u00e9minaire le 14 mars 2013. Conf\u00e9rence, de pr\u00e9ciser Fleischer, non pas pr\u00e9par\u00e9e \u00e0 l\u2019avance, mais improvis\u00e9e et ouverte au dialogue \u00e0 partir des commentaires et interrogations de Ouellet et des auditeurs pr\u00e9sents.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Alain Fleischer, auteur prolifique d\u2019ouvrages litt\u00e9raires et r\u00e9alisateur de 350 films environ, signe une \u0153uvre magistrale qui alterne du cin\u00e9ma \u00e0 l\u2019\u00e9criture en passant par la photo. Du 16 mm au 35 mm et \u00e0 la vid\u00e9o, du fragment au roman et \u00e0 l\u2019essai, son \u0153uvre manifeste une qu\u00eate incessante du souvenir, de l\u2019oubli et de … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[1],"tags":[24],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/2189"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=2189"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/2189\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":2194,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/2189\/revisions\/2194"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=2189"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=2189"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=2189"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}