Soleil<\/em>\u00a0de Jean-Ambroise Vesac, installation immersive, 2012<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\nPr\u00e9sent\u00e9e \u00e0 la Galerie L\u2019Avant-sc\u00e8ne de l\u2019Universit\u00e9 de Nice \u00e0 l\u2019hiver 2012, par le commissaire Marcin Sobieszczanski, l\u2019installation\u00a0Soleil\u00a0<\/em>d\u00e9ploie un environnement virtuel, dont le nom donne \u00e0 penser qu\u2019il est inform\u00e9 par des rapports inh\u00e9rents \u00e0 notre exp\u00e9rience de la nature. De fait, \u00e0 peine est-on entr\u00e9 qu\u2019on aper\u00e7oit l\u2019artiste poser un casque sur la t\u00eate d\u2019un participant et lui demander de s\u2019orienter vers ce qu\u2019il croit \u00eatre le Nord.\u00a0 Sans attendre, entour\u00e9 de spectateurs, on\u00a0observe alors ce dernier monter sur une plate-forme pour introduire le haut de son corps dans un cube recouvert de toile juch\u00e9 sur pilotis d\u2019une hauteur d\u2019un m\u00e8tre. Bient\u00f4t, induits par les \u00e9tats psychiques d\u00e9cel\u00e9s dans les mouvements du corps, des projections lumineuses inondent les parois du cube en des sortes de feux color\u00e9s tandis qu\u2019une bande son constitu\u00e9e de musiques et d\u2019\u00e9l\u00e9ments de bruitage emplit la salle d\u2019exposition. On comprend que l\u2019orientation vers le Nord est un pr\u00e9texte. Il sert en premier lieu \u00e0 d\u00e9terminer un point de r\u00e9f\u00e9rence dans le cube, autour duquel divers senseurs \u00e9lectroniques, sortes de niches sensitives, captent cette orientation ainsi que les mouvements du corps et de la t\u00eate. Mais m\u00eame d\u00e9sign\u00e9 de mani\u00e8re arbitraire, il inscrit\u00a0a priori\u00a0<\/em>et d\u2019une mani\u00e8re d\u00e9terminante l\u2019intentionnalit\u00e9 du sujet, dont l\u2019exp\u00e9rience manifestera la dimension subjective, immersive et participative de ce qu\u2019on pourrait appeler le \u00ab sens paysager\u00a0\u00bb immanent de l\u2019\u0153uvre.<\/p>\n\n\n\nConscience du paysage<\/h2>\n\n\n\n \u00c0 l\u2019int\u00e9rieur du cube, le visiteur est \u00e9bloui, aveugl\u00e9, par des halos de lumi\u00e8re aux colorations vives et puissantes, dont il ne ma\u00eetrise qu\u2019en partie les intermittences du flux. Il en va de m\u00eame des paysages auditifs qui autour de lui se r\u00e9v\u00e8lent. Certains sont provoqu\u00e9s consciemment, d\u2019autres paraissent \u00e9trangers aux lois de la causalit\u00e9. S\u2019il est au courant et les sent provoqu\u00e9s par sa pr\u00e9sence, ses gestes et ses mouvements, il essaie de comprendre les m\u00e9canismes qui r\u00e9gissent leur actualisation. Une sorte de jeu s\u2019instaure\u00a0: une attention aigu\u00eb aux mani\u00e8res d\u2019habiter le corps ainsi qu\u2019\u00e0 leurs implications directes, plus ou moins discr\u00e8tes et r\u00e9ciproques se d\u00e9veloppe \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur de l\u2019enveloppe corporelle. Peu \u00e0 peu,\u00a0Soleil<\/em>\u00a0laisse ainsi comprendre ce qui, dans la vie ordinaire, nous est souvent voil\u00e9, en raison de la pr\u00e9valence de la vision sur les autres sens, \u00e0 savoir que le dehors correspond \u00e0 \u00ab un corps \u00e0 corps \u00bb. En ce sens, l\u2019\u0153uvre met en relief la proximit\u00e9 \u00ab\u00a0charnelle\u00a0\u00bb du visible, inform\u00e9 par la position et la disposition de celui qui voit. Dans ce bain de lumi\u00e8res parfois si crues qu\u2019elles brouillent la vision de l\u2019exp\u00e9rimentateur, en procurant une sensation onirique de l\u2019espace, analogue \u00e0 celle cr\u00e9e par une pression faite sur la paupi\u00e8re en direction du soleil\u00a0; le voyant s\u2019abandonne \u00e0 l\u2019osmose naturelle des significations de l\u2019int\u00e9riorit\u00e9 la plus intime et des formes \u00ab\u00a0objectives\u00a0\u00bb de l\u2019ext\u00e9riorit\u00e9 par la m\u00e9diation de son corps percevant. Il assiste ainsi \u00e0 cet ensauvagement, cette sortie de l\u2019esprit\u00a0naturalis\u00e9\u00a0<\/em>dans un paysage, certes virtuel, mais dont les horizons, les proches et les lointains, les ind\u00e9termin\u00e9s \u2013 les au-del\u00e0, les faces cach\u00e9es \u2013 informent en retour, comme dans le monde, des territoires mentaux, les dimensions claires et latentes de la vie de la conscience.\u00a0 Ainsi, comme le d\u00e9montre Michel Collot dans son plus r\u00e9cent ouvrage intitul\u00e9\u00a0La<\/em>\u00a0Pens\u00e9e-paysage<\/em>, \u2013 et c\u2019est l\u00e0 une tendance de tout un pan de l\u2019art contemporain qui repose sur la force immersive de l\u2019\u0153uvre \u2013, l\u2019installation de Vesac se veut moins une repr\u00e9sentation comme telle du monde naturel ou de l\u2019ext\u00e9riorit\u00e9, qu\u2019une mise en relief de la structure d\u2019horizon universelle qui r\u00e8gle notre appr\u00e9hension des paysages, qu\u2019ils soient mentaux ou mondains\u00a0: \u00ab\u00a0La ligne d\u2019horizon du paysage n\u2019est que la manifestation exemplaire d\u2019une structure plus g\u00e9n\u00e9rale que Husserl nomme structure d\u2019horizon (Horizontstruktur<\/em>), et qui r\u00e9git aussi bien la perception des choses dans l\u2019espace, que la conscience intime du temps et le rapport \u00e0 autrui. \u00bb (Collot, 2011, p. 93)\u00a0C\u2019est en raison de cette structure primordiale, qu\u2019en retour, les \u00ab\u00a0paysages chromatiques\u00a0\u00bb, comme horizons de couleurs et de densit\u00e9s, parviennent aussi \u00e0 agir sur le flux des affects et des contenus psychiques, en mobilisant la gamme des motifs plus ou moins enfouis de la conscience. C\u2019est, autrement dit, en vertu de cette analogie structurelle que cette derni\u00e8re agit et r\u00e9agit sur le fil tendu d\u2019un rapport charnel avec le dehors.<\/p>\n\n\n\nMais l\u2019ampleur de cette spatialit\u00e9 qui exc\u00e8de vite le p\u00e9rim\u00e8tre restreint des \u00e9crans du cube est accus\u00e9e aussi par un dispositif sonore. Les halos lumineux sont enrichis d\u2019introductions musicales, harmoniques et calmes, et de bruitages disruptifs qui \u00e9pousent la s\u00e9riation expressive de la gestuelle. En raison du pouvoir d\u2019\u00e9vocation proprement sonore, ce qui pourrait encore sembler un lieu de confinement minimal se r\u00e9v\u00e8le receler la vastitude d\u2019une schtimung<\/em>. Ce concept, faut-il le rappeler, a \u00e9t\u00e9 utilis\u00e9 par de nombreux penseurs et th\u00e9oriciens en r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 ce qui, dans notre langue, recouvre l\u2019id\u00e9e d\u2019\u00ab atmosph\u00e8re \u00bb (terme par lequel il est souvent traduit), mais aussi celles d\u2019\u00e9tats int\u00e9rieurs et de tonalit\u00e9, avec leurs d\u00e9clinaisons d\u2019humeurs et d\u2019impressions qui, \u00e0 la jonction du dedans et du dehors, d\u00e9bordent la d\u00e9nomination du langage. Ainsi, le but des diverses trames auditives qui traversent l\u2019exp\u00e9rience de Soleil<\/em> est, en vertu du pouvoir musical, de provoquer et de mod\u00e9liser les ressources de la vie affective tout en les invoquant.<\/em> Et cela dans un d\u00e9ploiement \u00e0 la fois spatial et affectif, cr\u00e9ant une certaine \u00abatmosph\u00e8re\u00bb sinon une schtimung.<\/em> Par l\u2019envergure qu\u2019on lui a donn\u00e9e, cette notion de schtimung,<\/em> illustr\u00e9e par l\u2019\u0153uvre, force \u00e0 repenser la \u00ab topologie du lyrisme \u00bb pour l\u2019envisager tel qu\u2019il est promu, de la mani\u00e8re la plus insolite, par le travail de Vesac. Ainsi, \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du cube, le lyrisme ne se r\u00e9v\u00e8le pas circonscrit dans le domaine discret d\u2019une \u00e9motivit\u00e9 enclose dans le corps et soustraite au monde, comme l\u2019ont pu affirmer certains tenants et m\u00eame certains critiques du romantisme. Il appara\u00eet au contraire sous forme de plages lumineuses et sonores, comme une sorte d\u2019\u00e9preuve greff\u00e9e \u00e0 une mod\u00e9lisation paysag\u00e8re. Cette ext\u00e9riorit\u00e9 virtuelle des affects, par son \u00e9mission visible et audible, tire le sujet hors de lui, l\u2019\u00e9meut et le remue, le transporte<\/em>, lui donnant \u00e0 \u00e9prouver ses \u00e9motions comme une intimit\u00e9 lointaine, dans une relation d\u2019alt\u00e9rit\u00e9 avec lui-m\u00eame. Ainsi le dispositif de Vesac permettrait de mesurer que c\u2019est dans cette continuit\u00e9 tacite et primordiale entre le dedans et le dehors qu\u2019\u00e9mergent toujours les significations conjugu\u00e9es, mouvantes et \u00e9mouvantes, du paysage et de l\u2019int\u00e9riorit\u00e9 affective. Par d\u00e9territorialisations et reterritorialisations de la conscience et du monde, \u00e0 la faveur d\u2019un corps \u00e0 corps avec le dehors, cette continuit\u00e9 est universelle, tout en faisant la part des valeurs individuelles. Elle l\u2019est, parce qu\u2019en d\u00e9pit des singularit\u00e9s, des \u00ab couleurs \u00bb et des \u00ab tons \u00bb uniques qui d\u00e9voilent les individus, chaque conscience \u00e9voluant sous le Soleil <\/em>s\u2019en trouve submerg\u00e9e, d\u00e9bord\u00e9e, s\u2019\u00e9prouvant comme un \u00ab faisceau \u00bb de ph\u00e9nom\u00e8nes.<\/p>\n\n\n\nsoleil, Jean-Abroise Vesac, 2012<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\nVisiteur tourn\u00e9 vers le Nord<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\nHorizon et alt\u00e9rit\u00e9<\/h2>\n\n\n\n Cette premi\u00e8re \u00ab descente \u00bb au c\u0153ur de l\u2019exp\u00e9rience charnelle de l\u2019\u0153uvre fait apercevoir la dimension m\u00e9tamorphique de la conscience et de son alt\u00e9rit\u00e9, \u00e0 travers le paysage perceptif qu\u2019elle \u00e9labore, telle une machine exalt\u00e9e, en d\u00e9jouant l\u2019apparence premi\u00e8re. En effet, la premi\u00e8re impression qui surgit est celle d\u2019une claustration contre laquelle on se r\u00e9sout \u00e0 devoir lutter, en osant p\u00e9n\u00e9trer \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de l\u2019espace exigu cern\u00e9 par les cinq \u00e9crans \u00e0 moins qu\u2019on ne se d\u00e9siste. Or l\u2019\u0153uvre ne transcende pas seulement les limites de cette contrainte physique. Nous l\u2019avons montr\u00e9, elle r\u00e9v\u00e8le les signes de la subjectivit\u00e9 qui s\u2019inscrivent dans des manifestations visibles et sonores de l\u2019ext\u00e9riorit\u00e9 en une sorte de mati\u00e8re<\/em> sensible et sensitive passant par la porosit\u00e9 du corps \u00ab communiquant \u00bb ou par les ondes c\u00e9r\u00e9brales.<\/p>\n\n\n\nL\u2019\u0153uvre de Vesac, en tant qu\u2019illustration et r\u00e9v\u00e9lation exp\u00e9rimentale des rapports propres \u00e0 l\u2019osmose avec le monde, m\u00e8ne le travail de l\u2019alt\u00e9rit\u00e9 et de la transformation de deux mani\u00e8res. D\u2019abord, en acc\u00e9dant \u00e0 l\u2019espace virtuel, le visiteur qui exp\u00e9rimente l\u2019\u0153uvre peut s\u2019av\u00e9rer conscient que l\u2019artiste, modifie derri\u00e8re sa console les param\u00e8tres et les seuils de sensibilit\u00e9 des senseurs, notamment lorsqu\u2019il est excessivement calme, presque immobile, ou bien s\u2019agite trop brusquement pour provoquer les effets paysag\u00e9s. Il module alors la r\u00e9ceptivit\u00e9 des champs de captation biom\u00e9trique afin que les effets visuels et auditifs traduisent des mouvements infinit\u00e9simaux ou, au contraire, \u00ab\u00a0per\u00e7oivent\u00a0\u00bb les variations d\u2019une gestualit\u00e9 exploit\u00e9e avec exc\u00e8s. Une amplification ad\u00e9quate ajust\u00e9e de mani\u00e8re interactive peut transmettre les \u00e9tats presque imperceptibles de tension interne chez un sujet quasi immobile, mais aussi de capter les fines modulations de l\u2019\u00e9tat nerveux et psychique d\u2019une personne tr\u00e8s agit\u00e9e. Il permet encore et surtout d\u2019objectiver les changements de leurs \u00e9tats durant de longues minutes.<\/p>\n\n\n\nRepr\u00e9sentation des donn\u00e9es biom\u00e9triques<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\nTelle participation du cr\u00e9ateur fait en sorte qu\u2019entre les cinq \u00e9crans du cube et par les espaces sonores qui s\u2019y d\u00e9ploient, un doute s\u2019installe pour le visiteur qui concerne la part de l\u2019autre dans la d\u00e9termination des paysages. Car de nouveaux effets peuvent \u00eatre aussi introduits tout au long de l\u2019exp\u00e9rience. Or, loin de saper la r\u00e9v\u00e9lation de l\u2019int\u00e9riorit\u00e9, cette intersubjectivit\u00e9, entre l\u2019artiste et le sujet immerg\u00e9, accuse au contraire l\u2019attention de ce dernier envers ses \u00e9tats, ses postures, ses actions et ses r\u00e9actions : l\u2019\u00e9tat de non-savoir, quant aux causes, suscite une interrogation, une recherche consciente, elle rend on ne peut plus sensible l\u2019\u00e9preuve de ses modalit\u00e9s de pr\u00e9sence, d\u2019autant qu\u2019on est port\u00e9 \u00e0 se demander ce qui, dans son attitude, peut d\u00e9terminer telle ou telle modification de la part de l\u2019artiste. Aussi, averti de l\u2019interaction du cr\u00e9ateur, le sujet est appel\u00e9 \u00e0 se d\u00e9passer pour entrer : une crainte plus ou moins pu\u00e9rile le saisit d\u2019\u00eatre d\u00e9voil\u00e9, manipul\u00e9. L\u2019\u0153uvre est appr\u00e9hend\u00e9e comme un miroir trompeur, mais appel\u00e9e \u00e0 pi\u00e9ger les d\u00e9sirs et les angoisses, les fantasmes et les r\u00e9sistances. En cela, elle porte le sujet \u00e0 questionner encore davantage son rapport \u00e0 son \u00e9tat physique, \u00e0 sa vie psychique ainsi qu\u2019\u00e0 leur objectivation par la m\u00e9diation des diffusions sonores et visuelles. Qu\u2019un lien de confiance s\u2019\u00e9tablisse ou non entre lui et le cr\u00e9ateur, sa r\u00e9ceptivit\u00e9, au complet, est sollicit\u00e9e dans son effort pour prendre en charge son espace et en tirer des significations. Ainsi, si l\u2019artiste interagit, c\u2019est, d\u2019une certaine mani\u00e8re, en mesurant des motifs jamais totalement enfouis du sujet participant, puisque le corps en est l\u2019expression. L\u2019interaction encourage la r\u00e9flexivit\u00e9. Elle ouvre dans l\u2019\u0153uvre un sixi\u00e8me miroir, ajoute une face aveugle au cube, elle tire le sujet du soliloque en r\u00e9verb\u00e9rant ses affects, modul\u00e9s par la sensibilit\u00e9 de cet autre qui, m\u00eame invisible, est d\u2019abord un corps qui s\u2019immisce dans ce \u00ab concert charnel \u00bb de l\u2019exp\u00e9rience interactive et auto-r\u00e9flexive visuelle et sonore que fait vivre l\u2019\u0153uvre. Tout comme nous r\u00e9pondons dans le monde de la qualit\u00e9 de pr\u00e9sence d\u2019autrui et des significations plus ou moins tacites qu\u2019il donne \u00e0 notre corps autant qu\u2019\u00e0 l\u2019ext\u00e9riorit\u00e9 que nous partageons, l\u2019\u0153uvre de Vesac esquisse et r\u00e9v\u00e8le les principes d\u2019une communaut\u00e9 esth\u00e9sique et naturelle. Ici comme ailleurs, la mod\u00e9lisation de la pens\u00e9e dans une gestuelle, une expression, n\u2019est pas le contraire de l\u2019interpr\u00e9tation qu\u2019en fait autrui, et qu\u2019il ne peut sans cesse conduire que parce qu\u2019ils sont, quelque part, du m\u00eame monde et se rencontrent, ont acc\u00e8s l\u2019un \u00e0 l\u2019autre par l\u2019ouverture de leur corps sensible.<\/p>\n\n\n\n
Cette \u0153uvre d\u2019alt\u00e9rit\u00e9 se complexifie encore s\u2019y on prend en compte sa dimension spectaculaire. Le dispositif n\u2019est pas seulement une configuration d\u2019espaces pris en charge par celui qui y p\u00e9n\u00e8tre, ni un laboratoire d\u2019exploration de la biom\u00e9trie pour son cr\u00e9ateur, c\u2019est \u00e9galement la sc\u00e8ne d\u2019un th\u00e9\u00e2tre int\u00e9rieur pour les t\u00e9moins et les curieux qui s\u2019aventurent dans la galerie. Qu\u2019il parvienne \u00e0 l\u2019oublier ou non, celui qui se pr\u00eate au jeu acc\u00e8de son int\u00e9riorit\u00e9 comme on entre en performance. Il est, tout autour, observ\u00e9 par un public indiscret malgr\u00e9 lui et peut faire le pari que les mod\u00e9lisations de son activit\u00e9 physio-affective de quelque mani\u00e8re les touche. Une intersubjectivit\u00e9 s\u2019inscrit donc sur les quatre faces du cube et dans tous les champs sonores d\u00e9ploy\u00e9s dans l\u2019espace. Telle propri\u00e9t\u00e9 de la spatialisation de l\u2019intimit\u00e9 rencontr\u00e9e dans les halos lumineux de\u00a0Soleil\u00a0<\/em>n\u2019est pas sans rappeler une des caract\u00e9ristiques primordiales du paysage naturel, lequel est saisi par Collot comme le berceau o\u00f9 se trouvent rassembl\u00e9es les subjectivit\u00e9s\u00a0qui se rencontrent\u00a0:<\/p>\n\n\n\n\u00ab\u00a0si les langues romanes ont eu besoin de ce mot nouveau, form\u00e9 par suffixation \u00e0 partir du mot pays, c\u2019est que le paysage n\u2019est pas le pays, mais une image du pays. Cette image exprime certes l\u2019attachement au pays, mais elle le met aussi \u00e0 distance et en d\u00e9borde les limites. Cette notion [\u2026] permet de concilier la singularit\u00e9 d\u2019un point de vue avec l\u2019ouverture \u00e0 l\u2019autre et \u00e0 l\u2019univers, le local et le global\u00a0\u00bb. (Collot, 2011, p. 80-81)<\/p>\n\n\n\n
Les paysages de Soleil <\/em>sont des sortes d\u2019images d\u2019un territoire o\u00f9 entrer, sortir vers l\u2019autre \u00ab en se traversant \u00bb, errer aux lisi\u00e8res de soi et devenir autre. Ils \u00e9clairent les versants subjectif, virtuel et intentionnel de la Terre dont chaque horizon est constitu\u00e9 et sans lesquelles il n\u2019y aurait pas, \u00e0 proprement parler, de monde. Et c\u2019est bien \u00e0 deux modes d\u2019expressions pr\u00e9valents du paysage, con\u00e7u comme une \u00e9preuve vivante du territoire, que r\u00e9f\u00e8rent cette visibilit\u00e9 et cette audibilit\u00e9 des bruits et des couleurs, o\u00f9 la terre n\u2019est pas encore solide, mais s\u2019annonce, spectrale, en revenance<\/em> dans ce d\u00e9ploiement, par le biais des sensations. Ainsi, tout comme le monde constitu\u00e9 par un faisceau de multiples paysages, Soleil<\/em> est un univers \u00e0 plusieurs entr\u00e9es, o\u00f9 les horizons se recoupent, t\u00e9moignant en cela d\u2019une communaut\u00e9 perceptive et charnelle. M\u00eame si l\u2019installation met en lumi\u00e8re l\u2019univers intime d\u2019un sujet, son tour de force n\u2019est pas seulement de r\u00e9v\u00e9ler une intersubjectivit\u00e9 naturelle et mondaine en dehors du monde, mais de rendre compte de l\u2019importance de la \u00ab structure d\u2019horizon \u00bb qui d\u00e9termine nos appr\u00e9hensions et nos compr\u00e9hensions des \u00eatres humains.<\/p>\n\n\n\nSe faisant, d\u2019une mani\u00e8re plus radicale que dans l\u2019ext\u00e9riorit\u00e9, o\u00f9 il faut parler, cr\u00e9er pour transmettre la valeur personnelle d\u2019une \u00e9tendue, l\u2019\u0153uvre de Vesac diffuse dans l\u2019imm\u00e9diat des \u00ab pens\u00e9es-paysage \u00bb. Alors que la conscience paysag\u00e8re s\u2019inscrit normalement dans l\u2019invisible, l\u2019exploitation de la biom\u00e9trie rend possible la \u00ab mise en horizon \u00bb d\u2019une ext\u00e9riorit\u00e9 intime selon un proc\u00e8s d\u2019esth\u00e9tisation instantan\u00e9e, qui n\u2019est pas contraire \u00e0 la dimension \u00ab cr\u00e9atrice \u00bb des divers sens que nous donnons au monde dans l\u2019exp\u00e9rience charnelle de la perception. Or, que cette cr\u00e9ation, cette modulation, normalement discr\u00e8tes, du dehors et de l\u2019int\u00e9riorit\u00e9 soient donn\u00e9es \u00e0 \u00e9prouver par la somme des passants qui cheminent dans la galerie, cela est ce qui, pour tous, accuse l\u2019exp\u00e9rience de l\u2019alt\u00e9rit\u00e9, des d\u00e9territorialisations et reterritorialisations que nous vivons au contact d\u2019autrui dans le monde.<\/p>\n\n\n\n
Le sens du monde<\/h2>\n\n\n\n Pour conclure et bien comprendre les aboutissants th\u00e9oriques et structurels de cette analyse, il est essentiel de souligner que\u00a0Soleil<\/em>\u00a0proc\u00e8de et t\u00e9moigne d\u2019une mani\u00e8re unique de signifier. En effet, par l\u2019entremise de ses \u00ab\u00a0voyageurs\u00a0\u00bb, le dispositif parle en quelque sorte un langage naturel\u00a0: le sens de l\u2019int\u00e9riorit\u00e9 intime n\u2019y est pas plus dissociable de l\u2019expression de la gestuelle que celui du paysage des valeurs esth\u00e9siques des \u00ab\u00a0\u00e9tants \u00bb de chacun qui le pars\u00e8ment. Par cette irr\u00e9ductibilit\u00e9 de la signification des corps dans leur expressivit\u00e9 (biologique, mais aussi visuelle et sonore), l\u2019\u0153uvre rel\u00e8ve des modes de significations incarn\u00e9s et, notamment, du mode de signification du paysage\u00a0:<\/p>\n\n\n\n\u00ab\u00a0Les plus fortes [significations paysag\u00e8res] sont inscrites dans la texture m\u00eame du plan paysager, dans les qualit\u00e9s sensibles du son aussi bien que de l\u2019image, dont elles ne sont pas plus dissociables que le sens d\u2019une pi\u00e8ce vis-\u00e0-vis du rythme de la m\u00e9lodie, de l\u2019instrumentation et, donc, de la temporalit\u00e9 qui constamment le d\u00e9porte.\u00a0\u00bb (Collot, 2011, p. 156)<\/p>\n\n\n\n
Par ailleurs, que le monde ne soit pas positivement \u00e9prouv\u00e9 dans\u00a0Soleil<\/em>\u00a0ne doit pas pour autant laisser croire qu\u2019il n\u2019y soit \u00e0 l\u2019\u00e9tat de pr\u00e9sence, ni qu\u2019il faille mettre en doute l\u2019existence dans l\u2019\u0153uvre de significations paysag\u00e8res. Car si Collot nous a d\u00e9j\u00e0 permis de reconna\u00eetre que le pays \u00e9tait n\u00e9gativ\u00e9 dans un paysage, et si celui-ci \u00e0 pu \u00eatre saisi comme une image du pays, ce n\u2019est pas en tant qu\u2019il en serait une repr\u00e9sentation ou que le pays devrait \u00eatre con\u00e7u comme plus pl\u00e9nier au-del\u00e0 d\u2019elle. Non car le paysage est l\u2019unique voie d\u2019acc\u00e8s au territoire qui soit donn\u00e9 au vivant d\u2019emprunter. Aussi est-ce par un mouvement \u00e0 rebours identique que le paysage nous aura sembl\u00e9 ouvert par les sensibilit\u00e9s subjectives \u00e0 l\u2019\u0153uvre dans\u00a0Soleil<\/em>, et quelque chose du pays, polaris\u00e9 par la sensorialit\u00e9, la spatialit\u00e9 et la temporalit\u00e9 du cube\u00a0: \u00ab\u00a0Le paysage [\u2026] doit \u00eatre resitu\u00e9 dans le [\u2026] mouvement d\u2019une \u00e9motion qui associe \u00e9troitement les qualit\u00e9s sensibles du monde \u00e0 leurs r\u00e9sonances int\u00e9rieures.\u00a0\u00bb (Collot, 2011, p. 156-157) Aussi sommes-nous autoris\u00e9s par cette analyse \u00e0 entrevoir le pays \u00e0 travers les images singuli\u00e8res du dispositif. Le corps sensible comme berceau des \u00ab\u00a0r\u00e9sonances int\u00e9rieures\u00a0\u00bb y ouvre un espace sonore et visuel qui r\u00e9v\u00e8le notre \u00eatre au monde et pour le monde. Des rythmes, des distances auditives et chromatiques s\u2019organisent autour des mouvements affectifs du corps. Tous nous ram\u00e8nent \u00e0 la dimension \u00ab musiqu\u00e9e \u00bb du sens mondain\u00a0: \u00ab\u00a0C\u2019est une des raisons pour lesquelles la musique peut appara\u00eetre comme le meilleur accompagnement des paysages au cin\u00e9ma [et en po\u00e9sie en art], car elle exprime comme eux un sens immanent au sensible, de nature esth\u00e9tique et affectif, non traduisible et non conceptualisable\u00a0\u00bb. (Collot, 2011, p. 156)<\/p>\n\n\n\nDans le langage musical, le signifi\u00e9, loin de pouvoir \u00eatre traduit dans une id\u00e9e, est sans cesse d\u00e9port\u00e9 sur le syntagme sonore, toujours en train de s\u2019accomplir, de se transformer, de se faire, il est comme l\u2019horizon reculant sans cesse devant l\u2019expression. Ainsi, en va-t-il du sens du sujet et de l\u2019ext\u00e9riorit\u00e9 dans l\u2019\u0153uvre de Vesac. Loin d\u2019\u00eatre acquis, fig\u00e9s, il sont \u00e0 la mesure d\u2019un engagement, d\u2019une participation, de l\u2019assomption d\u2019un corps \u00e0 corps avec l\u2019autre et le dehors. Dans cette exigence implacable r\u00e9side la dimension politique du dispositif. Une toute jeune personne dans le cube avait, \u00e0 cet \u00e9gard, pu dire\u00a0: \u00ab\u00a0il ne se passe rien\u00a0\u00bb. Peut-\u00eatre la passivit\u00e9 et l\u2019isolement t\u00e9l\u00e9visuel et informatique l\u2019avaient-il endormi, emp\u00each\u00e9e de sentir. Comme si \u00e0 l\u2019identification b\u00e9ate et suffisante o\u00f9 tendent \u00e0 forclore les non-lieux des divers \u00e9crans s\u2019opposait \u00e0 nouveau de la mani\u00e8re la plus vive le pouvoir de l\u2019art \u00e0 ranimer notre nature d\u2019\u00eatres cr\u00e9\u00e9s, c\u2019est-\u00e0-dire, comme l\u2019entend Sophie Nordmann, d\u2019\u00eatres essentiellement marqu\u00e9s par l\u2019alt\u00e9rit\u00e9. Car penser le cr\u00e9\u00e9 ne revient pas pour elle \u00e0 remonter \u00e0 ce qui pr\u00e9c\u00e8de l\u2019existence, c\u2019est rigoureusement envisager, depuis cette existence, l\u2019\u00e9preuve de sa b\u00e9ance, de son ouverture et donc, de son hybridit\u00e9, de sa multiplicit\u00e9, de son in-finitude\u00a0: \u00ab\u00a0La cat\u00e9gorie de cr\u00e9ation renvoie donc strictement \u00e0 l\u2019id\u00e9e d\u2019une\u00a0insuffisance ontologique<\/em>\u00a0[\u2026]\u00a0\u00e0 soi<\/em>. \u00catre\u00a0cr\u00e9\u00e9<\/em>, c\u2019est\u00a0ne pas\u00a0<\/em>pouvoir rendre compte de son existence \u00e0 partir de soi seulement,\u00a0ne pas\u00a0<\/em>\u00ab\u00a0se suffire\u00a0\u00bb enti\u00e8rement \u00e0 soi-m\u00eame,\u00a0ne pas<\/em>\u00a0porter en soi le fondement suffisant de sa propre existence\u00a0:\u00a0\u00eatre cr\u00e9\u00e9, c\u2019est \u00eatre sur le mode de l\u2019in-suffisance ontologique \u00e0 soi<\/em>.\u00a0\u00bb<\/em> (Nordmann, 2012, p. 22)\u00a0Ainsi, dans les multiples rapports qu\u2019elle \u00e9tablit avec diverses figures de l\u2019ext\u00e9riorit\u00e9, et cela contre l\u2019engourdissement, toutes ces identifications qu\u2019on voudrait nous voir achever (pour consentir \u00e0 l\u2019\u00eatre pour le divertissement, pour la consommation, etc.) la chaleur de\u00a0Soleil<\/em>\u00a0aura \u0153uvr\u00e9 \u00e0 l\u2019ouverture transformatrice d\u2019une conscience de soi, c\u2019est-\u00e0-dire de son corps affectif, esth\u00e9sique, social, environnemental, esth\u00e9tique, de son corps solaire, mutable, pour la vie, la mort, l\u2019autre, le devenir, etc\u2026<\/p>\n\n\n\nSi exigu qu’il paraissait, le cube d\u00e9ployait des horizons<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\nBibliographie<\/h2>\n\n\n\n \u2013 Collot, Michel,\u00a0La Pens\u00e9e-paysage<\/em>, Actes Sud \/ ENSP, Paris, 2011, 328 p. <\/p>\n\n\n\n\u2013 Nordmann, Sophie,\u00a0Ph\u00e9nom\u00e9nologie de la transcendance<\/em>, \u00c9ditions d’\u00e9carts, 2012, 73 p. <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"Pr\u00e9sent\u00e9e \u00e0 la Galerie L\u2019Avant-sc\u00e8ne de l\u2019Universit\u00e9 de Nice \u00e0 l\u2019hiver 2012, par le commissaire Marcin Sobieszczanski, l\u2019installation\u00a0Soleil\u00a0d\u00e9ploie un environnement virtuel, dont le nom donne \u00e0 penser qu\u2019il est inform\u00e9 par des rapports inh\u00e9rents \u00e0 notre exp\u00e9rience de la nature. De fait, \u00e0 peine est-on entr\u00e9 qu\u2019on aper\u00e7oit l\u2019artiste poser un casque sur la t\u00eate … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[1],"tags":[67],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/2247"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=2247"}],"version-history":[{"count":4,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/2247\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":2255,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/2247\/revisions\/2255"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=2247"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=2247"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=2247"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}