{"id":2346,"date":"2013-03-01T16:14:30","date_gmt":"2013-03-01T16:14:30","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=2346"},"modified":"2022-12-09T16:14:44","modified_gmt":"2022-12-09T16:14:44","slug":"mars-2013-lhomme-et-lart-a-lheure-numerique-approches-sociologiques-des-nouvelles-cultures-post-mediatiques","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/mars-2013-lhomme-et-lart-a-lheure-numerique-approches-sociologiques-des-nouvelles-cultures-post-mediatiques\/","title":{"rendered":"Mars 2013 – L’homme et l\u2019art \u00e0 l\u2019heure num\u00e9rique. Approches sociologiques des nouvelles cultures post-m\u00e9diatiques"},"content":{"rendered":"\n
Les transformations m\u00e9diatiques dans les cr\u00e9ations d\u2019aujourd\u2019hui impliquent des habitudes autant chez le cr\u00e9ateur que chez le r\u00e9cepteur. \u00c0 la crois\u00e9e de la sociologie de la \u00ab r\u00e9ception \u00bb et des \u00ab usages \u00bb des m\u00e9dias, l\u2019ouvrage se divise en trois volets de trois \u00e0 quatre chapitres qui observent la pratique des m\u00e9dias en amont, au c\u0153ur et en aval. La premi\u00e8re partie, plus th\u00e9orique, explore l\u2019influence des nouveaux m\u00e9dias, notamment d\u2019Internet, sur la configuration des savoirs, des donn\u00e9es, ou des lieux. Qu\u2019il s\u2019agisse de l\u2019extension de la critique et de l\u2019expertise au plus grand nombre, de l\u2019accroissement des donn\u00e9es disponibles ou de leur impact sur notre approche de la ville, les nouveaux m\u00e9dias d\u00e9finissent des espaces aux usages \u00e9tendus, voire infinis, qui transforment notre rapport au monde. Les trois articles de la deuxi\u00e8me section, \u00e0 tendance r\u00e9flexive, abordent la red\u00e9finition de la culture et de ses pratiques par les m\u00e9dias, et ses enjeux pour la diffusion et l\u2019\u00e9conomie culturelles. En innovant ou en d\u00e9tournant les arts traditionnels (peinture, sculpture, musique, th\u00e9\u00e2tre), les arts num\u00e9riques interactifs recr\u00e9ent l\u2019ensemble des modalit\u00e9s de pratique de l\u2019art, pour l\u2019\u00e9metteur comme pour le r\u00e9cepteur. Enfin, les nouvelles technologies instaurent des protocoles d\u2019apprentissage et de m\u00e9diation de plus en plus \u00e9labor\u00e9s ; dans ces nouvelles interfaces, les conditions techniques de la r\u00e9ception importent autant que la contemplation de l\u2019objet d\u2019art : c\u2019est ce que montrent, \u00e0 travers des exemples pratiques et plusieurs \u0153uvres r\u00e9centes, les quatre propositions de la troisi\u00e8me section. Synth\u00e8se d\u2019une \u00ab analyse de l\u2019action \u00bb et d\u2019une \u00ab approche de la communication et des m\u00e9dias \u00bb (17), l\u2019ouvrage croise m\u00e9thode sociologique, sciences de la communication, informatique et sciences de l\u2019art. Il montre que c\u2019est toute une herm\u00e9neutique de \u00ab l\u2019interpr\u00e9tation \u00bb, \u00e0 la fois jeu et r\u00e9ception, qui est \u00e0 penser par l\u2019entremise des arts num\u00e9riques.<\/p>\n\n\n\n
Avec les contributions de : Samuel Bianchini (Univ. de Valenciennes, ENSAD Paris), Francis Chateauraynaud (GSPR, EHESS Paris), Viviane Folcher (Univ. Paris-8), Jean-Paul Fourmentraux (Univ. Lille-3, EHESS Paris), Antoine Hennion (CSI, Mines-ParisTech\/CNRS), Patricia Laudati (Univ. de Valenciennes), Emmanuel Mah\u00e9 (Orange Labs, France T\u00e9l\u00e9com), Jacques Perriault (Univ. Paris-10), Soraya Sellah (chef de projet Digital), Vincent Tiffon (CEAC, Univ. Lille-3), Tomaso Venturini (Medialab, Sciences-Po Paris), Moustapha Zouinar et Anne Bationo (Orange Labs, France T\u00e9l\u00e9com).<\/p>\n\n\n\n
Pour introduire la r\u00e9flexion,\u00a0Francis Chateauraynaud\u00a0appelle \u00e0 l\u2019invention d\u2019un nouveau laboratoire du sociologue, \u00e0 m\u00eame de capter et retranscrire au plus pr\u00e8s de la r\u00e9alit\u00e9 les exp\u00e9riences multiples des millions d\u2019utilisateurs du\u00a0Web 2.0. Marlowe, logiciel capable d\u2019\u00e9valuer une production prot\u00e9iforme, a \u00e9t\u00e9 con\u00e7u dans ce but. De\u00a0Wikipedia\u00a0\u00e0\u00a0Citizendium, les sites de \u00ab\u00a0connaissance collaborative\u00a0\u00bb \u00e9tendent et nourrissent le champ toujours plus prolif\u00e9rant de la critique, brouillant les limites entre production acad\u00e9mique (savante) et industrielle (populaire), par l\u2019ouverture de la discussion \u00e0 tout un chacun, expert ou non. La logique principielle de la \u00ab\u00a0contributorialit\u00e9\u00a0\u00bb, le parti-pris utopique d\u2019auto-r\u00e9gulation de ces pages web, ou la gen\u00e8se de nouveaux standards de la connaissance sont quelques-uns des probl\u00e8mes rapidement abord\u00e9s par Chateauraynaud pour pr\u00e9senter l\u2019outil alternatif qu\u2019il propose \u00ab\u00a0pour s\u2019affranchir des effets produits par l\u2019\u00e9volution continue des n\u0153uds et des liens\u00a0\u00bb (28) et acc\u00e9der \u00e0 une toile, ultra-ouverte et intelligente, de mise en rapport des diff\u00e9rents acteurs, \u00e9v\u00e9nements, dispositifs et arguments d\u00e9ploy\u00e9s et transform\u00e9s par ces configurations1<\/sup>. Bien loin de vouloir reproduire une intelligence artificielle informatique, ce projet, rendu public en 2003, consiste \u00e0 \u00ab\u00a0apprendre \u00e0 suivre les raisonnements des acteurs-auteurs\u00a0\u00bb des connaissances contenues dans les textes \u00e9tudi\u00e9s et leurs dynamiques inf\u00e9rentielles (31) et de d\u00e9velopper un \u00ab\u00a0dialogue\u00a0\u00bb qui produise des connaissances. Multiplicit\u00e9 des comp\u00e9tences, m\u00e9thodes fines de recoupement et de rapprochement et pluralisme des outils de calculs sont des conditions\u00a0sine qua non<\/em>\u00a0du bon fonctionnement du logiciel, qui n\u2019a pas de protocole d\u2019enqu\u00eate pr\u00e9d\u00e9fini\u00a0: il se cr\u00e9e en fonction des textes, selon le principe du chercheur historien ou litt\u00e9raire, ou encore sur un principe th\u00e9\u00e2tral qui \u00ab\u00a0met en sc\u00e8ne les acteurs et leurs objets, leurs disputes, fait varier les d\u00e9cors, les unit\u00e9s de lieux et de temps, ajoute sa voix off et se tourne vers le spectateur-enqu\u00eateur\u00a0\u00bb (34). Con\u00e7u comme un outil sociologique efficace pour de nouveaux champs de recherche (ici les alertes et les controverses sur les r\u00e9seaux du web), Marlowe d\u00e9place les querelles m\u00e9thodologiques de la sociologie et y introduit \u00ab\u00a0des protocoles coop\u00e9ratifs encore faiblement d\u00e9velopp\u00e9s en vertu de l\u2019individualisation tr\u00e8s forte des pratiques de recherche (toujours fond\u00e9es sur l\u2019\u00e9quivalence\u00a0: un chercheur = une \u0153uvre)\u00a0\u00bb (35). Dans une synth\u00e8se convaincante, Chateauraynaud montre toutes les richesses de projets tels que Marlowe et\u00a0Prosp\u00e9ro\u00a0pour le d\u00e9veloppement des sciences sociales \u00e0 travers un r\u00e9seau de chercheurs disposant d\u2019outils transversaux et redistribu\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n Tommaso Venturini\u00a0insiste quant \u00e0 lui sur l\u2019obligation pour le chercheur en sociologie de transformer les \u00ab\u00a0traces\u00a0\u00bb aujourd\u2019hui disponibles par l\u2019abondance m\u00eame des m\u00e9dias num\u00e9riques en v\u00e9ritables \u00ab\u00a0donn\u00e9es\u00a0\u00bb, c\u2019est-\u00e0-dire de \u00ab\u00a0les extraire, les nettoyer, les indexer, les pr\u00e9parer \u00e0 l\u2019analyse\u00a0\u00bb (41). De l\u2019aveu de ce chercheur, les m\u00e9thodes quantitatives ou qualitatives actuelles ne peuvent suffire \u00e0 g\u00e9rer cette masse de donn\u00e9es in\u00e9dite. S\u2019appuyant sur de nombreuses recherches pr\u00e9c\u00e9dentes2<\/sup>, l\u2019article expose le travail du laboratoire\u00a0M\u00e9dialab de Sciences Po Paris, dont l\u2019auteur fait partie\u00a0: le d\u00e9veloppement d\u2019outils qui regroupent les apports des m\u00e9thodes qualitatives et quantitatives, et le tra\u00e7age de la construction des ph\u00e9nom\u00e8nes globaux par la coordination d\u2019une multiplicit\u00e9 d\u2019actions locales (44). La suite de l\u2019article se consacre \u00e0 la description de l\u2019analyse des r\u00e9seaux, m\u00e9thode de ce type la plus convaincante pour l\u2019heure. Par le recours aux graphes math\u00e9matiques et aux cartes g\u00e9ographiques, il devient possible de donner une repr\u00e9sentation spatiale conventionnelle des r\u00e9seaux. Gr\u00e2ce \u00e0 la rapidit\u00e9 quasi instantan\u00e9e et \u00e0 la souplesse de traitement des donn\u00e9es via les logiciels informatiques toujours plus nombreux et perfectionn\u00e9s, \u00ab\u00a0les chercheurs ne sont plus oblig\u00e9s de choisir entre l\u2019ampleur et la finesse de leurs analyses, mais peuvent poursuivre les deux simultan\u00e9ment\u00a0\u00bb (50). On peut regretter le manque d\u2019exemples plus concrets d\u2019application de ces m\u00e9thodes qui aideraient \u00e0 mieux cerner leurs apports th\u00e9oriques. Venturini revient enfin sur la lacune principale des r\u00e9seaux\u00a0: leur incapacit\u00e9 \u00e0 rendre compte de la dynamique des ph\u00e9nom\u00e8nes, de leur \u00e9volution dans le temps\u00a0; afin d\u2019optimiser cette m\u00e9thode pour les sciences sociales, il faudrait qu\u2019elle devienne un \u00ab\u00a0outil de narration\u00a0\u00bb (51), capable de retracer non seulement une repr\u00e9sentation graphique des interactions, mais aussi leur histoire.<\/p>\n\n\n\n Pour parachever ce premier volet,\u00a0Patrizia Laudati\u00a0offre une application plus concr\u00e8te et quotidienne des mod\u00e8les d\u2019investigation sociologique de notre \u00e8re. Les nouvelles technologies influencent le rapport de l\u2019habitant \u00e0 la ville, sa repr\u00e9sentation mentale tout comme ses usages de l\u2019espace, modifi\u00e9 par l\u2019am\u00e9nagement de dispositifs num\u00e9riques interactifs (\u00e9crans tactiles, bornes intermodales, \u0153uvres d\u2019art\u2026). L\u2019article cherche \u00e0 retranscrire cette \u00ab\u00a0nouvelle dynamique perceptive\u00a0\u00bb (54). Partant des diff\u00e9rents niveaux de r\u00e9alit\u00e9 d\u00e9finis dans le m\u00e9dium selon R\u00e9gis Debray3<\/sup>, Laudati montre que la ville est un \u00ab\u00a0m\u00e9dium praticable\u00a0\u00bb, espace d\u2019\u00e9change, de m\u00e9tissage, de confrontation et de m\u00e9diation des cultures, qui met en relation les individus et leur milieu urbain, et leur permet de d\u00e9finir leur propre identit\u00e9 \u00e0 travers l\u2019appropriation de codes collectifs et de comportements r\u00e9sultants d\u2019une histoire. Apr\u00e8s une pr\u00e9sentation synth\u00e9tique vigoureuse de l\u2019\u00e9volution de la perception du milieu urbain occidental jusqu\u2019\u00e0 l\u2019apr\u00e8s-guerre, l\u2019article se concentre sur ses transformations au cours des trente derni\u00e8res ann\u00e9es, avec l\u2019introduction des arts num\u00e9riques interactifs et du multim\u00e9dia qui red\u00e9finissent les messages v\u00e9hicul\u00e9s, les identit\u00e9s et les m\u00e9canismes d\u2019appropriation de la ville par les citoyens. Certaines installations n\u2019influent pas sur la perception de la ville (le mobilier d\u2019art urbain) mais donnent un aper\u00e7u nouveau du lieu qui peut devenir un point d\u2019attraction et renouveler son int\u00e9r\u00eat (les projections sur les fa\u00e7ades d\u2019immeubles), d\u2019autres configurent les rapports entre l\u2019espace et l\u2019usager (les bornes et cartes interactives), et permettent \u00e0 ce dernier de cr\u00e9er son propre parcours citadin (pr\u00e9programm\u00e9). [Il faut remarquer que, dans les exemples donn\u00e9s par Laudati, la ville semble donner davantage place au nomade, au voyageur ou au touriste, que r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 l\u2019int\u00e9gration des populations dans son tissu.] L\u2019hypoth\u00e8se est que ces installations visent \u00e0 remplacer les anciens rep\u00e8res urbains dans l\u2019imagination collective. Elle s\u2019ouvre sur une proposition d\u2019analyse de ce m\u00e9dium et du changement actuel de sa perception par les \u00ab\u00a0habitants\/spectateurs\u00a0\u00bb (62), qui peut aider les d\u00e9cideurs \u00e0 am\u00e9nager les espaces urbains en fonction de ces nouvelles attentes et appropriations de la ville. La lisibilit\u00e9 de la structure urbaine est hi\u00e9rarchis\u00e9e selon un r\u00e9seau d\u2019axes, de n\u0153uds, de domaines (\u00eelots, quartiers) et de points de rep\u00e8res plus t\u00e9nus et quotidiens (trottoir, enseigne, fontaine, mus\u00e9e, etc.), qui participent du sentiment de reconnaissance et d\u2019identification, partant de s\u00e9curit\u00e9 et bien-\u00eatre, de l\u2019habitant. Or, s\u2019il conserve la permanence et la continuit\u00e9 des lieux, l\u2019urbanisme moderne en efface les \u00ab\u00a0\u00e9l\u00e9ments exceptionnels\u00a0\u00bb au profit de la standardisation du b\u00e2ti, au d\u00e9triment de l\u2019identit\u00e9 et du \u00ab\u00a0sens\u00a0\u00bb des lieux (66).\u00a0 Aussi Laudati insiste-t-elle sur le respect de la \u00ab\u00a0continuit\u00e9 de sens\u00a0\u00bb4<\/sup>\u00a0dans la construction des espaces futurs. Elle appelle au d\u00e9veloppement d\u2019un outil non plus cognitif mais op\u00e9rationnel qui prenne en compte la voix de l\u2019usager et la logique circulaire de sa rencontre et de son appropriation des nouveaux rep\u00e8res, pour am\u00e9liorer les pratiques d\u2019usage de la ville. Les logiciels de simulation et d\u2019exp\u00e9rimentation urbanistique, les communications participatives sur les projets en cours ou l\u2019\u00e9change des donn\u00e9es sur des \u00e9l\u00e9ments pr\u00e9cis du paysage via les moyens de communication (cellulaires, IPod, etc.), qui abolissent certaines distances (physiques, temporelles), en sont quelques pistes, ouvertes \u00e0 la fin de l\u2019article.<\/p>\n\n\n\n La deuxi\u00e8me partie s\u2019int\u00e9resse davantage aux conditions de cr\u00e9ation de l\u2019art num\u00e9rique, et aux principes esth\u00e9tiques fondamentaux qui les gouvernent. D\u00e9tournement, performation et dynamique sont les trois principales id\u00e9es d\u00e9velopp\u00e9es dans ce deuxi\u00e8me bouquet d\u2019\u00e9tudes.<\/p>\n\n\n\n Jacques Perriault et Soraya Sellah donnent quelques exemples de d\u00e9tournement\u00a0\u00ab\u00a0artistique\u00a0\u00bb de jeux vid\u00e9o \u00e0 large \u00e9chelle qui p\u00e9n\u00e8trent aujourd\u2019hui toutes les activit\u00e9s humaines. Le jeu, rappellent les auteurs, est une activit\u00e9 m\u00e9tacognitive libre dans un espace fictionnel, micro-repr\u00e9sentation du monde ouverte aux d\u00e9tournements, aux d\u00e9naturations et aux distorsions (Caillois5<\/sup>). En s\u2019inspirant des notions de projet, d\u2019instrument, de fonction et d\u2019empreinte sur les joueurs, issues des sciences de la communication, ils analysent les d\u00e9tournements de deux jeux,\u00a0Cooking Mama<\/em>, un\u00a0serious game<\/em>\u00a0ludique pour apprendre \u00e0 cuisiner, et\u00a0CyberOne<\/em>, un \u00ab\u00a0cours\u00a0\u00bb de droit programm\u00e9 par l\u2019universit\u00e9 de Harvard sur la plateforme de\u00a0Second Life<\/em>.\u00a0Mama kills animals<\/em>, d\u00e9tournement militant du projet et de la fonction du premier jeu, incite ses joueurs \u00e0 ressentir du d\u00e9go\u00fbt pour la viande et les conditions d\u2019abattage du b\u00e9tail, et \u00e0 opter pour un r\u00e9gime v\u00e9g\u00e9tarien, mais les joueurs ont souvent ignor\u00e9 ou mal compris le message propagandiste d\u00e9livr\u00e9 au second niveau du jeu. L\u2019exp\u00e9rience de Harvard s\u2019av\u00e8re plus concluante, m\u00eame si le jeu pose \u00e9galement de nombreux probl\u00e8mes, parfois ignor\u00e9s par les auteurs.\u00a0CyberOne<\/em>\u00a0d\u00e9tourne le projet de\u00a0Second Life<\/em>, lui substituant un objectif d\u2019enseignement \u00e0 celui de rencontre, tout en en gardant l\u2019instrument (ordinateur, monde virtuel) et la fonction (avatars, mobilit\u00e9 dans un monde imaginaire). \u00c0 une heure fixe, les \u00e9tudiants (de Harvard ou non) se retrouvent sur le lieu virtuel du campus. Pendant que le professeur donne son cours, les \u00e9tudiants peuvent commenter, poser des questions, etc. Cette plateforme d\u2019enseignement \u00e0 distance r\u00e9volutionnaire pr\u00e9sente n\u00e9anmoins des inconv\u00e9nients, li\u00e9s \u00e0 la technologie du jeu, longue \u00e0 ma\u00eetriser et parfois d\u00e9courageante pour les novices, \u00e0 la dispersion des interventions (l\u2019autorit\u00e9 et la hi\u00e9rarchie du cours par le professeur n\u2019ont plus de sens dans cet environnement), et \u00e0 la perte de la qualit\u00e9 expressive des \u00e9motions, le cours \u00e9tant bas\u00e9 sur une plateforme textuelle et virtuelle, qui prive du contact direct. Mais la co-cr\u00e9atrice du site, Rebecca Nesson, souligne les aspects positifs de l\u2019exp\u00e9rience\u00a0: alors que les personnes participant au cours peuvent venir du monde entier,\u00a0Second Life<\/em>\u00a0permet de retranscrire la \u00ab\u00a0communaut\u00e9\u00a0\u00bb cr\u00e9\u00e9e naturellement dans une salle de classe, tout en \u00ab\u00a0d\u00e9contractant\u00a0\u00bb les \u00e9changes professeur\/\u00e9tudiants ou entre \u00e9tudiants, qui apparaissent sous forme d\u2019avatars\u00a0; les \u00e9tudiants paraissent motiv\u00e9s et inspir\u00e9s par la forme de leur enseignement, ils sont d\u00e9complex\u00e9s par une prise de \u00ab\u00a0parole\u00a0\u00bb qui ne conna\u00eet plus de hi\u00e9rarchie. Cette exp\u00e9rience ouvre de nombreuses et riches pistes de r\u00e9flexion pour les sciences cognitives et p\u00e9dagogiques, concluent les auteurs. [Malgr\u00e9 le grand int\u00e9r\u00eat de cet article, qui se dote d\u2019une courte \u00ab\u00a0webographie\u00a0\u00bb illustrative, quelques probl\u00e8mes fondamentaux auraient \u00e0 notre sens m\u00e9rit\u00e9 d\u2019\u00eatre \u00e9voqu\u00e9s : s\u2019il est vrai que cet enseignement interactif et virtuel bouleverse dans un sens positif les modes p\u00e9dagogiques (et peut s\u2019approcher du mod\u00e8le socratique de la relation ma\u00eetre\/disciple), les retomb\u00e9es psycho-sociales de cette pratique sont peu abord\u00e9es (isolement r\u00e9el de l\u2019\u00e9tudiant\u00a0; absence d\u2019effort de pr\u00e9sentation de soi, des \u00e9tudiants comme du professeur et de son savoir, dans la soci\u00e9t\u00e9\u00a0; suivi du cours irr\u00e9gulier, perturb\u00e9 par les interventions anarchiques, m\u00eame si les \u00e9tudiants d\u00e9montrent un grand s\u00e9rieux), et le contenu de l\u2019enseignement ainsi d\u00e9livr\u00e9 n\u2019est jamais comment\u00e9 (sauf l\u2019exp\u00e9rience enthousiaste de la simulation d\u2019un proc\u00e8s, qui a permis aux \u00e9tudiants de si\u00e9ger \u00e0 un tribunal en s\u2019en r\u00e9partissant les r\u00f4les, exercice oratoire ou critique jug\u00e9 tr\u00e8s r\u00e9ussi par la communaut\u00e9).] L\u2019article donne un bilan tr\u00e8s optimiste d\u2019une pratique d\u2019enseignement in\u00e9dite sans en montrer toujours les limites, ou \u00e9noncer les craintes sur la qualit\u00e9 de l\u2019enseignement qu\u2019elle pourrait soulever, semblant prendre pour acquis que le bond \u00e9pist\u00e9mologique accompli par les utilisateurs de\u00a0Second Life\u00a0<\/em>constitue aujourd\u2019hui une norme d\u2019apprentissage r\u00e9pandue dans la soci\u00e9t\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Antoine Hennion\u00a0cherche quant \u00e0 lui \u00e0 d\u00e9montrer de fa\u00e7on rigoureuse qu\u2019il ne faut pas penser la diff\u00e9rence entre les arts traditionnels et les arts num\u00e9riques \u00ab\u00a0praticables\u00a0\u00bb en termes de rupture radicale, d\u2019un mod\u00e8le o\u00f9 le spectateur re\u00e7oit passivement une \u0153uvre \u00e0 celui d\u2019une \u0153uvre o\u00f9 le spectateur intervient et qu\u2019il modifie \u00e0 sa guise, mais plut\u00f4t dans un syst\u00e8me de continuit\u00e9 avec la \u00ab\u00a0performation\u00a0\u00bb (92) de toute forme d\u2019art, qui implique des techniques de pr\u00e9sentification, d\u2019amplification et de densification inh\u00e9rentes \u00e0 l\u2019exp\u00e9rience esth\u00e9tique. La musique constitue un exemple privil\u00e9gi\u00e9 de r\u00e9flexion sur la \u00ab\u00a0pragmatique de la m\u00e9diation\u00a0\u00bb (88), qui oblige \u00e0 un travail r\u00e9ciproque et engag\u00e9 corporellement de la part de l\u2019ex\u00e9cutant d\u2019un morceau et de l\u2019auditeur, et ne se r\u00e9sume pas \u00e0 un parcours lin\u00e9aire de la cr\u00e9ation \u00e0 la r\u00e9ception. La musique est un art du \u00ab\u00a0vivre ensemble\u00a0\u00bb, elle doit se faire \u00ab\u00a0en nous\u00a0\u00bb (89-90) pour exister6<\/sup>\u00a0; la mise en exergue de cette caract\u00e9ristique explique quel est le statut de tout objet d\u2019art. Apr\u00e8s avoir montr\u00e9 en quoi la lecture d\u2019une partition est une performance, Hennion consid\u00e8re que la performance d\u2019une \u0153uvre et sa performativit\u00e9, au sens de travail du spectateur \u00ab\u00a0pour faire surgir l\u2019\u0153uvre en lui\u00a0\u00bb (93) via son propre corps, sont deux aspects ins\u00e9parables, et se renfor\u00e7ant l\u2019un l\u2019autre, de la \u00ab\u00a0performation\u00a0\u00bb. La performation d\u00e9signe l\u2019\u00ab\u00a0effet de l\u2019\u0153uvre\u00a0\u00bb, une densification de l\u2019\u00e9v\u00e9nement par la multiplication des passages vers et \u00e0 travers l\u2019\u0153uvre. Dans cette optique, la virtuosit\u00e9 est moins un d\u00e9passement quasi moral de soi qu\u2019un d\u00e9ploiement de la performance et de la performativit\u00e9 d\u2019une \u0153uvre, l\u2019auditeur r\u00e9pondant \u00e0 l\u2019ambiance cr\u00e9\u00e9e par l\u2019interpr\u00e8te. Ce \u00ab\u00a0mod\u00e8le additif\u00a0\u00bb, o\u00f9 chacun \u00ab\u00a0agit et est agi\u00a0dans le m\u00eame geste\u00a0\u00bb, s\u2019oppose aux mod\u00e8les impliqu\u00e9s par l\u2019art num\u00e9rique, que ses objets soient des \u00ab\u00a0produits de l\u2019activit\u00e9 du corps en action\u00a0\u00bb, ou qu\u2019ils montrent \u00ab\u00a0l\u2019action de l\u2019\u0153uvre sur ses amateurs\u00a0\u00bb (refabrication des corps, formation d\u2019un imaginaire collectif du public, etc.) (98). Le sportif amateur, pour qui le d\u00e9veloppement de soi prime sur une performance qui serait \u00e0 faire, ou l\u2019amateur interpr\u00e8te, qui recr\u00e9e en lui le processus de gestation de l\u2019\u0153uvre par son compositeur, sont d\u00e8s lors des pr\u00e9c\u00e9dents approximatifs des techniques de mise en pr\u00e9sence de l\u2019art num\u00e9rique, qui ne fait que leur donner de nouvelles esp\u00e8ces.<\/p>\n\n\n\n Viviane Folcher\u00a0interroge enfin le r\u00f4le de l\u2019art num\u00e9rique dans une dynamique de cr\u00e9ation continue, selon le principe du\u00a0pas de c\u00f4t\u00e9<\/em>, qui red\u00e9finit sans cesse al\u00e9atoirement les usages des produits cr\u00e9\u00e9s par l\u2019homme, en croisant le point de vue des processus et des conditions de cr\u00e9ation des \u0153uvres \u00e0 celui des modalit\u00e9s de leur r\u00e9ception, usage et appropriation par les publics. Pour une approche scientifique capable d\u2019agir sur la soci\u00e9t\u00e9, elle propose de d\u00e9finir les concepts qui r\u00e9giraient une telle \u00a0dynamique mise en \u0153uvre par les arts num\u00e9riques. Apr\u00e8s une premi\u00e8re partie tr\u00e8s pr\u00e9cis\u00e9ment document\u00e9e sur l\u2019\u00e9volution de l\u2019impact des travaux ergonomiques sur la conception des outils et des conditions de travail, et en prolongeant les pr\u00e9suppos\u00e9s de Gilbert Simondon7<\/sup>, Folcher affirme que les m\u00e9dias num\u00e9riques, objets relevant de la technique, sont \u00e9galement des lieux et des moyens de l\u2019expression cr\u00e9ative (108). Depuis une trentaine d\u2019ann\u00e9es, l\u2019homme s\u2019envisage, dans les sciences humaines et sociales, comme un sujet \u00ab\u00a0capable\u00a0\u00bb (Rabardel8<\/sup>), et non plus seulement connaissant, dans un milieu qui doit \u00eatre pr\u00e9ventif, universel et d\u00e9veloppemental. L\u2019enjeu devient donc d\u2019adapter la cr\u00e9ation et la conception technique au d\u00e9veloppement humain, d\u2019apr\u00e8s l\u2019usage que fait l\u2019individu des techniques invent\u00e9es pour lui. De ce point de vue, les \u0153uvres num\u00e9riques offre l\u2019opportunit\u00e9 de s\u2019interroger sur la place \u00e0 donner \u00e0 l\u2019activit\u00e9 future et d\u2019envisager les usages et les cr\u00e9ations dans un continuum d\u2019activit\u00e9s (113). Pour ce faire, l\u2019auteur propose de distinguer la ma\u00eetrise d\u2019ouvrage (\u00e9laboration de projet) et la ma\u00eetrise d\u2019\u0153uvre (concr\u00e9tisation du projet) de la ma\u00eetrise d\u2019ouvrage (inscription du projet dans l\u2019activit\u00e9 humaine r\u00e9elle), contributions qui se f\u00e9condent dans le cadre d\u2019un continuum de cr\u00e9ation et de conception.<\/p>\n\n\n\n e dernier article, qui revient avec une grande rigueur sur la recherche d\u2019une th\u00e9orie appropri\u00e9e aux usages et aux pratiques de notre temps m\u00e9diatique, forme une excellente transition vers l\u2019analyse de l\u2019\u0153uvre num\u00e9rique consid\u00e9r\u00e9e du point de vue des \u00ab pratiqueurs \u00bb des nouveaux m\u00e9dias, artistes et publics.<\/p>\n\n\n\n\u00ab\u00a0Innovations et d\u00e9tournements cr\u00e9atifs\u00a0\u00bb<\/h2>\n\n\n\n
\u00ab\u00a0Artistes et publics \u00e0 l\u2019\u0153uvre\u00a0\u00bb<\/h2>\n\n\n\n