{"id":3151,"date":"2008-05-01T18:10:51","date_gmt":"2008-05-01T18:10:51","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=3151"},"modified":"2023-02-13T17:59:45","modified_gmt":"2023-02-13T17:59:45","slug":"mai-2008-la-condition-inhumaine-essai-sur-leffroi-technologique","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/mai-2008-la-condition-inhumaine-essai-sur-leffroi-technologique\/","title":{"rendered":"Mai 2008 – La condition inhumaine. Essai sur l\u2019effroi technologique"},"content":{"rendered":"\n

C\u2019est le \u00ab M \u00bb de \u00ab Machine \u00bb qu\u2019on retrouve dans \u00ab Malaise \u00bb, le n\u00f4tre, qui sommes mi-biologiques mi-technologiques mais persistons \u00e0 voir encore le monde \u00e0 l\u2019aune de la seule r\u00e9alit\u00e9 biologique, qui voulons toujours \u00ab comprendre les couleurs de l\u2019univers les yeux band\u00e9s \u00bb sans appr\u00e9hender la r\u00e9alit\u00e9 technologique, affirme Ollivier Dyens dans La condition inhumaine. Cet essai que l\u2019actuel directeur du d\u00e9partement d\u2019\u00c9tudes fran\u00e7aises de l\u2019Universit\u00e9 Concordia vient de publier chez Flammarion fait suite \u00e0 une fiction-essai, Chair et m\u00e9tal (2000), et un recueil de r\u00e9flexions, Continent X (2003) en participant au m\u00eame d\u00e9bat : qu\u2019attendre, que craindre des incessants progr\u00e8s technologiques ? L\u2019auteur nous propose un dessillement en douceur, sous la forme d\u2019un bilan des avanc\u00e9es scientifiques de notre \u00e9poque, travaux de l\u2019\u00e9volutionniste Richard Dawkins en t\u00eate. Il s\u2019agirait d\u2019en finir avec un effroi qui se nourrit d\u2019incompr\u00e9hension et de m\u00e9connaissance, sinon d\u2019en finir, du moins d\u2019y mettre un b\u00e9mol.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 la passion, Ollivier Dyens oppose la raison et, dans La condition inhumaine, use d\u2019une arme efficace, l\u2019explication. Ce pourquoi, d\u00e8s le premier chapitre, il pose le c\u0153ur de sa probl\u00e9matique o\u00f9 ce qui est inhumain est pris dans son sens litt\u00e9ral (\u00ab non-humain \u00bb) et installe sa m\u00e9thode : expliquer (c\u2019est une v\u00e9ritable mise \u00e0 plat) des th\u00e9ories scientifiques parfois compliqu\u00e9es (le m\u00eame selon Dawkins : un r\u00e9plicateur dont les \u00eatres vivants sont les \u00ab v\u00e9hicules de survie \u00bb), quitte \u00e0 les rendre intelligibles par l\u2019analogie (l\u2019outil-m\u00eame est comme une colonie d\u2019insectes ou de bact\u00e9ries qui co\u00e9volue). Quand elles ne sont pas d\u00e9velopp\u00e9es dans le corps du texte, elles le sont \u2013 avec une g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 tout \u00e0 l\u2019honneur de l\u2019auteur \u2013, dans les quarante pages consacr\u00e9es aux notes de fin, consolidant ainsi un appareillage r\u00e9f\u00e9rentiel solide. Nous l\u2019aurons comprit, la plus grande qualit\u00e9 de La condition inhumaine est d\u2019ordre p\u00e9dagogique et rien ne nuit \u00e0 la lecture du texte ; du reste ce qui peut relever d\u2019une complexit\u00e9 th\u00e9orique pour un non-scientifique est largement temp\u00e9r\u00e9 par une langue simple, accessible \u00e0 tous. <\/p>\n\n\n\n

Ouvrage d\u2019\u00e9rudit \u00e0 hauteur d\u2019homme, donc, essai, aussi, qui, dans une certaine mesure, d\u00e9voile sa fabrique de mani\u00e8re touchante pour certains, irritante pour d\u2019autres, quand il s\u2019agit de mesure, de temp\u00e9rance, d\u2019explication, de description plus que d\u2019implication. Car, apr\u00e8s avoir forc\u00e9 l\u2019attention du lecteur par un \u00ab Nous disparaissons \u00bb des plus inqui\u00e9tants, fa\u00e7on roman policier (on pense aux premi\u00e8res lignes de Murder on the Links d\u2019Agatha Christie) ou r\u00e9surgence dystopique de Chair et m\u00e9tal, Ollivier Dyens choisit son camp. Ni utopiste ni contre-utopiste, il r\u00e9ussit, dans l\u2019ensemble, \u00e0 tenir une position m\u00e9diane au long d\u2019un essai lin\u00e9aire, malgr\u00e9 une d\u00e9coupe en sept chapitres : \u00ab La machine qui enfante \u00bb ; \u00ab Les r\u00e9alit\u00e9s biologique et technologique \u00bb ; \u00ab Malaises et cons\u00e9quences de la condition inhumaine \u00bb ; \u00ab La culture inhumaine \u00bb ; \u00ab L\u2019humain et la civilisation \u00bb ; \u00ab L\u2019exil de la singularit\u00e9 \u00bb ; \u00ab L\u2019insens\u00e9 et la science fiction \u00bb. Si l\u2019auteur refuse la pol\u00e9mique, il sait bien que, comme avec Chair et m\u00e9tal, il la provoquera par exemple en \u00e9crivant, dans son deuxi\u00e8me chapitre : \u00ab La r\u00e9alit\u00e9 biologique de l\u2019\u00eatre humain, cette r\u00e9alit\u00e9 du bip\u00e8de pr\u00e9dateur, utilisant signes et langage pour communiquer, est la m\u00eame pour tous les humains. Et ainsi arrivons-nous \u00e0 cr\u00e9er des universaux. Et ainsi arrivons-nous \u00e0 cr\u00e9er la m\u00e9taphysique \u00bb (p. 39). L\u2019assurance des positions th\u00e9oriques ne cache pas pour autant l\u2019humain qui prend la plume : son texte est truff\u00e9 de ratures, entendu par l\u00e0 qu\u2019il rend compte d\u2019une pens\u00e9e en formation (la fabrique, donc), balbutie, h\u00e9site, se d\u00e9ploie en forme interrogative plus qu\u2019affirmative en somme. Ce raturage du logos conforte la d\u00e9marche inclusive de l\u2019\u00e9crivain (d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9sente par l\u2019usage r\u00e9current du \u00ab nous \u00bb), puisqu\u2019il est une mani\u00e8re de resserrer le lien entre le lecteur et un auteur qui avoue ne pas d\u00e9tenir toutes les r\u00e9ponses, loin s\u2019en faut : beaucoup de ses questionnements restent en suspens.<\/p>\n\n\n\n

Si l\u2019on veut d\u00e9passer le malaise produit par une vision biologique inad\u00e9quate, caduque, pass\u00e9iste, sous la plume de Dyens, et affronter la r\u00e9alit\u00e9 technologique, il faut comprendre l\u2019algorithme du vivant qui rend impossible la d\u00e9finition du vivant et la fusion des fronti\u00e8res (fantasme qu\u2019un po\u00e8te comme l\u2019Acadien G\u00e9rald Leblanc accompagne de \u00ab techgnose \u00bb, d\u2019ailleurs). Cette sortie de l\u2019humain \u2013 en d\u00e9finitive, c\u2019est de cela qu\u2019il s\u2019agit \u2013 est-elle si terrible ? Ne sommes-nous pas, en tant qu\u2019individus, des v\u00e9hicules pour une culture \u00ab inhumaine \u00bb qui nous d\u00e9passe ? Ce d\u00e9passement, qui a pour r\u00e9sultat l\u2019exil de l\u2019humain, n\u2019est-il pas en fait civilisationnel ? Apr\u00e8s avoir accept\u00e9 que ce qui nous entoure et ce qui est en nous forment un enchev\u00eatrement de multiples couches, compliqu\u00e9 par le paradoxe du d\u00e9sir multipli\u00e9 et son impossibilit\u00e9 (Lacan), il faut avoir le courage de changer notre rapport au monde. Dans Blade Runner, Alien, Terminator, Robocop, Dark City, Matrix et Signes, cit\u00e9s comme mod\u00e8les science-fictionnels par Dyens \u00e0 la fin de son ouvrage, la technologie met \u00e0 mal la r\u00e9alit\u00e9 biologique, image nos peurs et sc\u00e9narise notre malaise \u00e0 partir du m\u00e9lange des r\u00e8gnes et des genres, de la machine qui domine (et enfante, dans Matrix), de l\u2019homme-virus, de la fin du singulier contre le collectif, bref, d\u2019une red\u00e9finition de notre lecture du monde. Or, la science-fiction, \u00e0 laquelle nous attribuons souvent le m\u00e9rite de montrer ce que nous risquons de devenir dans un avenir proche, dirait en fait ce que nous sommes, hic et nunc : une machine qui palpite, rien de plus, rien de moins. C\u2019est cela la condition inhumaine.<\/p>\n\n\n\n

Bibliographie<\/h2>\n\n\n\n

\u2013 Dyens, Ollivier, La condition inhumaine. Essai sur l\u2019effroi technologique<\/em>, Paris, Flammarion, 2008, 288 p. <\/p>\n\n\n\n

\u2013 Dyens, Ollivier, Continent X. Vertige du nouvel Occident<\/em>, Montr\u00e9al, VLB \u00c9diteur, 2003, 168 p. <\/p>\n\n\n\n

\u2013 Dyens, Ollivier, Chair et m\u00e9tal. \u00c9volution de l\u2019homme, la technologie prend le relais<\/em>, Montr\u00e9al, VLB \u00c9diteur, 2000, 172 p. <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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