{"id":3222,"date":"2007-11-01T19:47:58","date_gmt":"2007-11-01T19:47:58","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=3222"},"modified":"2023-02-09T19:48:11","modified_gmt":"2023-02-09T19:48:11","slug":"novembre-2007-pour-un-art-interstitiel","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/novembre-2007-pour-un-art-interstitiel\/","title":{"rendered":"Novembre 2007 – Pour un art interstitiel"},"content":{"rendered":"\n
Les technologies contemporaines repr\u00e9sentent actuellement une donn\u00e9e incontournable du paysage actuel non seulement dans le domaine scientifique, mais plus globalement dans celui de la pens\u00e9e en g\u00e9n\u00e9ral. Si toute technologie est l\u2019aboutissement de la pens\u00e9e d\u2019une \u00e9poque, notamment dans le rapport qu\u2018elle entretient au r\u00e9el, on peut admettre que, par un retournement dialectique, elle va contribuer \u00e0 la transformation des modes de pens\u00e9e, et donc des modes d\u2019appr\u00e9hension du r\u00e9el. Mais il est des technologies qui contribuent \u00e0 ce que ces transformations conduisent \u00e0 un v\u00e9ritable changement de paradigme, c\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 un v\u00e9ritable bouleversement des modes de pens\u00e9e et d\u2019appr\u00e9hension du r\u00e9el. Le d\u00e9veloppement de l\u2019imprimerie en fut un exemple en ce qu\u2019il transforma de fa\u00e7on consid\u00e9rable le rapport \u00e0 l\u2019\u00e9crit, et donc \u00e0 la circulation des id\u00e9es. Mais par-del\u00e0 cette r\u00e9alit\u00e9, c\u2019est la pens\u00e9e m\u00eame du monde qui s\u2019est trouv\u00e9e transform\u00e9e, comme l\u2019a analys\u00e9 notamment Mc Luhan. Il semble que les technologies contemporaines inscrivent elles aussi un changement de paradigme sans doute bien plus important que l\u2019imprimerie par le fait que ce qu\u2019elles ont pour projet de repenser n\u2019est rien d\u2019autre que l\u2019humain lui-m\u00eame, le concept d\u2019humain, dont elles inscrivent la finitude. Dans ce contexte, si la cr\u00e9ation artistique est une dimension ontologique du seul humain, quel espace reste-t-il \u00e0 cette cr\u00e9ation artistique dans un projet d\u2019o\u00f9 l\u2019humain a disparu?<\/p>\n\n\n\n
C\u00e9line Lafontaine situe les technologies contemporaines dans la logique du \u00ab paradigme cybern\u00e9tique \u00bb : \u00ab sans l\u2019\u00e9branlement des fronti\u00e8res entre humain, animal et machine amorc\u00e9 par Norbert Wiener et ses coll\u00e8gues \u00e0 la fin des ann\u00e9es quarante, des techniques de manipulation g\u00e9n\u00e9tique comme la transgen\u00e8se n\u2019auraient m\u00eame pas \u00e9t\u00e9 envisageables. Il faut bien voir en effet que l\u2019effondrement des barri\u00e8res entre les esp\u00e8ces que tend \u00e0 concr\u00e9tiser le g\u00e9nie g\u00e9n\u00e9tique s\u2019inscrit dans le prolongement direct du paradigme cybern\u00e9tique pour lequel il n\u2019existe aucune diff\u00e9rence entre vivant et non vivant. \u00bb (Lafontaine, 2004)\u00a0Le principe de base du paradigme cybern\u00e9tique est, sommairement, que tout syst\u00e8me, vivant ou non vivant peut se r\u00e9sumer \u00e0 une organisation qui s\u2019articule sur un mode informationnel. D\u00e8s lors, tout syst\u00e8me vivant ou non vivant est d\u00e9pliable et modifiable programmatiquement d\u00e8s lors que l\u2019on est en mesure de d\u00e9coder les informations qui l\u2019organisent. C\u2019est le principe de base des machines num\u00e9riques qui peuvent traiter n\u2019importe quel type d\u2019information, image, son, texte, \u00e0 partir du moment o\u00f9 on les a vid\u00e9es de leur contenu s\u00e9mantique pour les r\u00e9duire \u00e0 leur dimension processuelle sur la base de leur unit\u00e9 la plus discr\u00e8te. C\u2019est ce principe qui va permettre \u00e0 la fois la manipulation du g\u00e9nome par modification du code, c\u2019est-\u00e0-dire soit en inhibant certaines informations, dans le cadre des maladies g\u00e9n\u00e9tiques par exemple, soit en apportant des informations exog\u00e8nes, pour les esp\u00e8ces transg\u00e9niques par exemple. Mais c\u2019est ce m\u00eame principe qui constitue la base des nanotechnologies qui, par manipulation des combinaisons atomiques, a pour projet de construire des entit\u00e9s physiques in\u00e9dites, en particulier, dans lesquelles vivant et non vivant s\u2019organiseraient dans un seul et m\u00eame espace.<\/p>\n\n\n\n
On comprend bien que dans ce syst\u00e8me les classifications traditionnelles, celles qui nous sont issues du tableau taxinomique par exemple, n\u2019ont plus gu\u00e8re de sens et que l\u2019organisation des repr\u00e9sentations du r\u00e9el centr\u00e9es sur et \u00e0 partir de l\u2019humain deviennent compl\u00e8tement caduques. C\u2019est d\u2019ailleurs ce qu\u2019avait laiss\u00e9 entrevoir Foucault dans Les mots et les choses lorsqu\u2019il annon\u00e7ait le d\u00e9passement du concept d\u2019humain. Ce th\u00e8me de la succession est d\u2019ailleurs pr\u00e9sent chez d\u2019autres auteurs comme Jean-Michel Truong qui d\u00e9finit le \u00ab successeur \u00bb par le r\u00e9seau num\u00e9rique. Truong \u00e9met l\u2019hypoth\u00e8se que le d\u00e9veloppement de la vie sur terre en relation avec un syst\u00e8me organique rel\u00e8ve davantage de la commodit\u00e9 que de la n\u00e9cessit\u00e9 : \u00ab \u2026 de m\u00eame que la vie, commenc\u00e9e avec les compos\u00e9s du carbone, se poursuit aujourd\u2019hui par d\u2019autres moyens. Son long compagnonnage avec les mol\u00e9cules organiques n\u2019avait rien d\u2019une fatalit\u00e9. D\u2019autres mat\u00e9riaux, explique Christopher Langton, le p\u00e8re am\u00e9ricain de ce courant de recherche pr\u00e9cis\u00e9ment d\u00e9nomm\u00e9 \u201cvie artificielle\u201d, peuvent servir de support au vivant. \u00bb (Truong, 2001)<\/p>\n\n\n\n L\u2019humain pourrait donc \u00eatre un v\u00e9hicule transitoire \u00e0 l\u2019intelligence comme l\u2019organique pourrait \u00eatre un support d\u00e9passable du vivant. Si cette perspective est envisageable, c\u2019est justement parce que l\u2019approche actuelle du vivant comme des op\u00e9rations intellectuelles porte sur les processus informationnels qui les d\u00e9finissent. Michel Serres remarque que : \u00ab La vie s\u2019\u00e9crit en algorithmes et construit ses \u00e9l\u00e9ments en variant sur ce langage . \u00bb (Serres, 2001)\u00a0\u00c0 quoi Jean-Michel Truong ajoute : \u00ab \u2026 il nous faudra admettre que la vie est un processus multim\u00e9dia. \u00bb (Truong, 2001)<\/p>\n\n\n\n Freud avait d\u00e9nombr\u00e9 trois vexations narcissiques au cours de l\u2019histoire de l\u2019\u00eatre humain. La premi\u00e8re, avec Copernic, par laquelle il se rend compte qu\u2019il n\u2019est plus au centre du cosmos. Par la deuxi\u00e8me, avec Darwin, il se rend compte qu\u2019il n\u2019est plus le premier des vivants. Et par la troisi\u00e8me, avec Freud lui-m\u00eame, il se rend compte qu\u2019il n\u2019est plus ma\u00eetre des sens. Sloterdijk cite Gerhard Vollmer, biologiste de la cognition qui note que depuis le milieu du XXe si\u00e8cle, l\u2019homme doit affronter un v\u00e9ritable d\u00e9ferlement de vexations narcissiques \u00e0 une vitesse exponentielle. Il en d\u00e9nombre pour sa part quatre en plus. La quatri\u00e8me serait du fait de l\u2019\u00e9thologie qui relativise l\u2019\u00eatre humain tant du point de vue physique que comportemental au regard des autres esp\u00e8ces animales. La cinqui\u00e8me, en relation avec la th\u00e9orie de la connaissance, fait appara\u00eetre que l\u2019appareillage de la connaissance humaine est insuffisant pour appr\u00e9hender les r\u00e9alit\u00e9s micro- et macrocosmiques. La sixi\u00e8me, qui serait du fait de la sociobiologie, et qui montrerait que l\u2019id\u00e9e que l\u2019humain se fait de lui-m\u00eame \u00e0 partir de comportements sociaux de type altruiste ou d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9, est mise \u00e0 mal par l\u2019\u00ab \u00e9go\u00efsme des g\u00e8nes totalement indiff\u00e9rents \u00e0 l\u2019\u00e9gard du genre et de l\u2019esp\u00e8ce. \u00bb (Sloterdijk, 2001)\u00a0Enfin, la septi\u00e8me vexation serait celle de l\u2019ordinateur qui, notamment, \u00ab lui impose de prendre conscience de la position p\u00e9rim\u00e9e et insuffisante qu\u2019il occupe dans les nouveaux horizons. \u00bb (Sloterdijk, 2001)<\/p>\n\n\n\n Cette id\u00e9e des sciences et des technologies contemporaines comme \u00e9l\u00e9ment de vexation narcissique, au sens donc o\u00f9 l\u2019entend Freud, est une id\u00e9e assez pr\u00e9gnante dans la pens\u00e9e actuelle. On la retrouve chez Lyotard, dans L\u2019inhumain, titre d\u00e9j\u00e0 significatif en soi. Lyotard pose dans cet ouvrage la question du devenir de la pens\u00e9e une fois que son v\u00e9hicule biologique aura disparu du fait de l\u2019explosion pr\u00e9vue du soleil. Il propose, dans cette perspective, de \u00ab simuler les conditions de la vie et de la pens\u00e9e de telle sorte qu\u2019une pens\u00e9e reste mat\u00e9riellement possible apr\u00e8s le changement de l\u2019\u00e9tat de la mati\u00e8re qu\u2019est le d\u00e9sastre. \u00bb (Lyotard, 1988)\u00a0Cette simulation est bien s\u00fbr du ressort de ce qu\u2019il appelle la techno-science. On retrouve ici la notion de \u00ab successeur \u00bb que d\u00e9veloppe Truong, mais ce que Lyotard d\u00e9finit comme une n\u00e9cessit\u00e9, Truong le pr\u00e9sente comme une \u00e9volution logique, de type darwinien, en quelque sorte. Le \u00ab successeur \u00bb s\u2019inscrit dans la poursuite logique de l\u2019\u00e9volution de la vie, et c\u2019est dans cette logique qu\u2019il servira de v\u00e9hicule non organique \u00e0 la poursuite de la vie.<\/p>\n\n\n\n On comprend d\u00e8s lors en quoi l\u2019\u00e9nonc\u00e9 de cette perspective peut repr\u00e9senter une vexation narcissique. Lyotard l\u2019\u00e9voque de la fa\u00e7on suivante : \u00ab Par la techno-science contemporaine, [l\u2019humain] apprend qu\u2019il n\u2019a pas le monopole de l\u2019esprit, c\u2019est-\u00e0-dire de la complexification, mais que celle-ci est non pas inscrite comme un destin de la mati\u00e8re, mais qu\u2019elle y est possible, et qu\u2019elle a eu lieu, au hasard, mais intelligiblement, bien avant lui-m\u00eame. Il apprend en particulier que sa propre science est \u00e0 son tour une complexification de la mati\u00e8re, o\u00f9, pour ainsi dire, l\u2019\u00e9nergie elle-m\u00eame vient se r\u00e9fl\u00e9chir, sans qu\u2019il en tire n\u00e9cessairement b\u00e9n\u00e9fice. Et qu\u2019ainsi il ne doit pas se consid\u00e9rer comme une origine ni comme un r\u00e9sultat, mais comme un transformateur assurant, par sa techno-science, ses arts, son d\u00e9veloppement \u00e9conomique, ses cultures, et la nouvelle mise en m\u00e9moire qu\u2019elles comportent, un suppl\u00e9ment de complexit\u00e9 dans l\u2019univers ? \u00bb (Lyotard, 1988)<\/p>\n\n\n\n La vexation narcissique s\u2019\u00e9nonce donc dans le rapport \u00e0 la dilution du concept d\u2019humain, tel qu\u2019il a notamment \u00e9merg\u00e9 au XVIIe si\u00e8cle, dans un syst\u00e8me global dont il proc\u00e8de. Foucault l\u2019avait d\u00e9j\u00e0 analys\u00e9 avec la psychanalyse et la linguistique, mais les technosciences l\u2019ont affirm\u00e9 encore en le d\u00e9pliant en un syst\u00e8me informationnel ni plus ni moins pr\u00e9\u00e9minent que n\u2019importe quel autre syst\u00e8me informationnel. <\/p>\n\n\n\n Et dans cette approche du r\u00e9el, ce qui est en train de se dessiner, c\u2019est que les repr\u00e9sentations du r\u00e9el qui se construisent du fait des technosciences et de leurs enjeux conceptuels conduisent \u00e0 une vision globalis\u00e9e du r\u00e9el et non plus sectoris\u00e9e. C\u2019est tout le sens de la d\u00e9marche de Deleuze et Guattari qui, dans Mille plateaux, opposent le rhizome \u00e0 l\u2019arborescence. (Deleuze et Guattari, 1980)<\/p>\n\n\n\n Sloterdijk d\u00e9crit le concept de globalisation de la fa\u00e7on suivante : \u00ab \u2026 dans son acception actuelle, le concept fait appara\u00eetre, sans le moindre doute, le fait que nous sommes impliqu\u00e9s dans un processus d\u2019abolition des distances. Cela nous conduit \u00e0 \u00eatre concern\u00e9s par des choses qui se d\u00e9roulent tr\u00e8s loin de nous au m\u00eame titre que si elles \u00e9taient toutes proches, si bien que l\u2019espace r\u00e9ellement \u00e9tendu, s\u00e9parateur, discret et \u00e9mancipateur est de plus en plus \u00e9limin\u00e9. \u00bb (Sloterdijk, 2003)\u00a0Dans cette d\u00e9finition, il fait allusion \u00e0 la r\u00e9tractation de l\u2019espace du fait, notamment, des technologies de la communication. Mais cette d\u00e9finition convient tout \u00e0 fait \u00e0 l\u2019espace du r\u00e9el tel que les technologies actuelles tendent \u00e0 le d\u00e9finir : un espace o\u00f9 les fronti\u00e8res sont devenues compl\u00e8tement poreuses et o\u00f9 le r\u00e9el n\u2019appara\u00eet plus comme une organisation topographique et arborescente d\u2019entit\u00e9s conceptuelles, physiques, biologiques, etc. relativement autonomes les unes des autres, mais comme une globalit\u00e9 rhizomique inter op\u00e9rationnelle.<\/p>\n\n\n\n D\u00e8s lors, se pose avec \u00e9vidence la question de la place de l\u2019artiste au regard de cette nouvelle r\u00e9alit\u00e9. Si l\u2019on admet, comme je le pense, que le r\u00f4le de l\u2019artiste est de faire \u00e9merger \u00e0 travers son \u0153uvre les rapports probl\u00e9matiques au r\u00e9el tels qu\u2019ils se d\u00e9finissent \u00e0 son \u00e9poque, il me semble que la cr\u00e9ation artistique peut difficilement faire l\u2019\u00e9conomie des enjeux que repr\u00e9sentent les technologies contemporaines dans l\u2019appr\u00e9hension du r\u00e9el. <\/p>\n\n\n\n Est-ce \u00e0 dire pour autant que l\u2019artiste doit se situer en position de r\u00e9sistance ou d\u2019ali\u00e9nation par rapport \u00e0 ces enjeux et ces technologies? Ali\u00e9nation, probablement pas, car la seule ali\u00e9nation possible dans le processus de la cr\u00e9ation artistique est celle de l\u2019artiste \u00e0 son \u0153uvre. Si l\u2019artiste doit s\u2019ali\u00e9ner, se rendre autre, \u00e9tymologiquement, c\u2019est uniquement dans le processus de d\u00e9possession de soi qui fait qu\u2019il peut y avoir \u0153uvre, certainement pas dans la d\u00e9possession de soi qui serait le corollaire d\u2019une addiction \u00e0 une technologie, quelle qu\u2019elle soit d\u2019ailleurs. L\u2019addiction n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 source de cr\u00e9ation en tant que telle. Si les technologies contemporaines sont convoqu\u00e9es dans un nombre croissant de d\u00e9marches artistiques, ce n\u2019est pas, \u00e7a ne peut pas \u00eatre non plus par simple effet de mode. L\u2019\u0153uvre d\u2019art proc\u00e8de ontologiquement d\u2019une singularit\u00e9 qui n\u2019est pas compatible avec l\u2019effet de mode. Leur pr\u00e9sence croissante dans les d\u00e9marches artistiques vient de ce qu\u2019elles fournissent probablement les outils les mieux appropri\u00e9s pour appr\u00e9hender la complexit\u00e9 du r\u00e9el tel qu\u2019elles ont contribu\u00e9 elles-m\u00eames \u00e0 d\u00e9finir. Si, effectivement, nous sommes dans une situation de changement de paradigme, cette situation est due non seulement au d\u00e9veloppement des technologies actuelles, mais surtout aux humains qui ont contribu\u00e9 \u00e0 d\u00e9finir conceptuellement le contexte dans lequel ces technologies ont pu se d\u00e9velopper, et les artistes font partie de ces humains-l\u00e0. Par d\u00e9finition et par n\u00e9cessit\u00e9. Il n\u2019y a pas de cr\u00e9ation artistique possible qui ne s\u2019articule pas aux grands enjeux de la pens\u00e9e de son \u00e9poque, qui ne se nourrisse pas, par vocation ontologique, en quelque sorte, de ces enjeux qu\u2019elle contribue en retour \u00e0 alimenter.<\/p>\n\n\n\n Alors, l\u2019artiste doit-il se situer dans la r\u00e9sistance? Si l\u2019on doit penser la r\u00e9sistance comme une opposition r\u00e9actionnelle, pour ne pas dire r\u00e9actionnaire \u00e0 ces technologies, cela n\u2019a pas de sens non plus, pour les m\u00eames raisons.<\/p>\n\n\n\n Par contre, et c\u2019est en cela qu\u2019il me semble que se justifie la cr\u00e9ation artistique, si l\u2019on doit penser la cr\u00e9ation en termes de r\u00e9sistance, c\u2019est au sens de ce qui r\u00e9siste, ce qui n\u2019est pas d\u00e9pliable dans le processus g\u00e9n\u00e9ral de d\u00e9pliage qui caract\u00e9rise les technologies contemporaines. Si les processus de l\u2019intelligence peuvent \u00eatre actuellement d\u00e9pli\u00e9s, par les sciences cognitivistes par exemple, il reste encore toute une s\u00e9rie de domaines qui restent inaccessibles \u00e0 ce d\u00e9pliage tels que les affects par exemple, et la cr\u00e9ation artistique est un de ces domaines. <\/p>\n\n\n\n Sans doute est-ce d\u00fb \u00e0 l\u2019espace particulier qu\u2019elle investit dans le domaine des op\u00e9rations mentales et qui n\u2019est pas encore mod\u00e9lisable. La cr\u00e9ation artistique, en tant que processus, ne ressortit pas au domaine de l\u2019intelligible. C\u2019est en cela, probablement, qu\u2019elle proc\u00e8de de la m\u00e9dusation. Jean Clair d\u00e9finit M\u00e9duse de la fa\u00e7on suivante : \u00ab \u00c0 grossi\u00e8rement parler, [\u2026] on pourrait avancer que la Gorgone, en tant que divinit\u00e9 incarnant les puissances du d\u00e9sordre et du radicalement autre que l\u2019homme au m\u00eame titre qu\u2019Art\u00e9mis et Dionysos, renvoie \u00e0 ces p\u00e9riodes de flottement entre culture et sauvagerie; entre vie et mort, entre l\u2019\u00e9tat in-fans de l\u2019inarticul\u00e9 et du cri et l\u2019\u00e9tat adulte du logos, qui sont aussi des p\u00e9riodes de passage. \u00bb (M\u00e9duse, 1989)\u00a0C\u2019est l\u00e0 que se situe l\u2019espace de la cr\u00e9ation artistique, entre l\u2019infans et le logos, d\u00e9j\u00e0 plus le cri inarticul\u00e9, mais pas encore le discours articul\u00e9, dans ce champ polys\u00e9mique et plurivoque gros de la r\u00e9alit\u00e9 \u00e0 venir, mais gros en m\u00eame temps des multiples r\u00e9alit\u00e9s qui n\u2019adviendront jamais. C\u2019est parce qu\u2019elle rel\u00e8ve de cette opacit\u00e9 intrins\u00e8que que la cr\u00e9ation artistique peut se saisir des technologies contemporaines sans leur \u00eatre ali\u00e9n\u00e9e. C\u2019est parce que l\u2019humain proc\u00e8de peut-\u00eatre avant tout, non pas de l\u2019intelligence prise comme processus informationnel, mais de cette opacit\u00e9 constitutive qu\u2019est l\u2019infans, le monstre, l\u2019inconscient, l\u2019Autre, qu\u2019il n\u2019est pas r\u00e9ductible.<\/p>\n\n\n\n Jean-Fran\u00e7ois Lyotard soul\u00e8ve lui-m\u00eame le probl\u00e8me lorsqu\u2019il dit : \u00ab Est-il m\u00eame consistant de pr\u00e9tendre mettre en programme une exp\u00e9rience qui d\u00e9fie, sinon la programmation, du moins le programme, comme est la vision du peintre ou l\u2019\u00e9criture? \u00bb (Lyotard, 1988) <\/sup>C\u2019est parce que la cr\u00e9ation artistique rel\u00e8ve de la r\u00e9sistance que son r\u00f4le est de cr\u00e9er des espaces interstitiels dans la globalisation dont proc\u00e8de le paradigme cybern\u00e9tique et c\u2019est \u00e0 partir de ces espaces interstitiels qu\u2019elle doit creuse, forer cette globalisation en la renvoyant \u00e0 ses paradoxes.<\/p>\n\n\n\n [1] Henri Atlan, cit\u00e9 par C\u00e9line Lafontaine, L\u2019empire cybern\u00e9tique. Des machines \u00e0 penser \u00e0 la pens\u00e9e machine<\/em>, Paris, Seuil, 2004, p. 117<\/p>\n\n\n\n \u2013 Clair, Jean, M\u00e9duse, <\/em>Paris Gallimard, 1989, 256 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Deleuze Gilles et F\u00e9lix Guattari, Capitalisme et schizophr\u00e9nie 2. Mille plateaux<\/em>, Paris, de Minuit, 1980, 648 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Lafontaine, C\u00e9line, L\u2019empire cybern\u00e9tique. Des machines \u00e0 penser \u00e0 la pens\u00e9e machine<\/em>, Paris, Seuil, 2004, 238 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Lyotard, Jean-Fran\u00e7ois, L\u2019inhumain, Causeries sur le temps<\/em>, Paris, Galil\u00e9e, 1988, 219 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Serres, Michel, L\u2019hominescence<\/em>, Paris, Le Pommier, 2001, 342 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Sloterdijk, Peter, L\u2019heure du crime et le temps de l\u2019\u0153uvre d\u2019art<\/em>, Paris, Hachette coll. \u00ab Pluriel \u00bb, 2001, 348 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Sloterdijk, Peter, Ni le soleil ni la mort. Jeu de piste sous forme de dialogues avec Hans-J\u00fcrgen Heinrichs<\/em>, Paris, Hachette coll. \u00ab Pluriel \u00bb, 2003, 432 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Truong, Jean-Michel, Totalement inhumaine<\/em>, Paris, Les emp\u00eacheurs de tourner en rond, 2001, 220 p. <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Les technologies contemporaines repr\u00e9sentent actuellement une donn\u00e9e incontournable du paysage actuel non seulement dans le domaine scientifique, mais plus globalement dans celui de la pens\u00e9e en g\u00e9n\u00e9ral. 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Puisque tout syst\u00e8me peut se r\u00e9duire \u00e0 un mode informationnel, l\u2019humain, en tant que syst\u00e8me, peut se r\u00e9duire au m\u00eame mode. Et ce qui est vrai du point de vue biologique l\u2019est aussi, et c\u2019est le postulat du paradigme cybern\u00e9tique, en ce qui concerne son activit\u00e9 mentale, singuli\u00e8rement ce qu\u2019on appelle l\u2019intelligence. Les exemples sont de plus en plus nombreux de syst\u00e8mes num\u00e9riques fonctionnant sur le principe de l\u2019intelligence artificielle prise non pas au sens d\u2019une r\u00e9plication m\u00e9canique du mod\u00e8le humain, mais au sens d\u2019un syst\u00e8me auto organisationnel, c\u2019est-\u00e0-dire capables non pas de reproduire avec plus ou moins de bonheur l\u2019intelligence humaine prise en tant que syst\u00e8me fini, mais de se construire sur des processus autonomes capables, en tant que processus, de faire \u00e9merger des formes d\u2019intelligence complexes. Dans ce contexte, l\u2019humain, trait\u00e9 comme un syst\u00e8me parmi les autres, se trouve compl\u00e8tement dissout et sans avenir. Henri Atlan annonce que : \u00ab C\u2019est l\u2019homme syst\u00e8me ferm\u00e9 qui a disparu; des syst\u00e8mes cybern\u00e9tiques ouverts, auto organisateurs, sont candidats \u00e0 sa succession. \u00bb1<\/sup><\/p>\n\n\n\nNotes<\/h2>\n\n\n\n
Bibliographie<\/h2>\n\n\n\n