{"id":3225,"date":"2007-11-01T19:58:30","date_gmt":"2007-11-01T19:58:30","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=3225"},"modified":"2023-02-09T19:58:45","modified_gmt":"2023-02-09T19:58:45","slug":"novembre-2007-capture-totale-matrix-mythologie-de-la-cyberculture-de-michael-la-chance-un-compte-rendu","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/novembre-2007-capture-totale-matrix-mythologie-de-la-cyberculture-de-michael-la-chance-un-compte-rendu\/","title":{"rendered":"Novembre 2007 – Capture totale : Matrix, mythologie de la cyberculture de Micha\u00ebl La Chance. Un compte rendu."},"content":{"rendered":"\n
Une pl\u00e9thore de livres a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 consacr\u00e9e au ph\u00e9nom\u00e8ne\u00a0Matrix<\/em>, tels que\u00a0Taking the Red Pill1<\/sup>, Jacking in to the Matrix Franchise<\/em>2<\/sup>\u00a0et\u00a0Matrix\u00a0: machine philosophique<\/em>3<\/sup>, pour ne nommer que ceux-l\u00e0. Tous \u00e9crits par des acad\u00e9miciens, pour la plupart des professeurs de philosophie, ces ouvrages sont constitu\u00e9s de courts essais qui livrent des interpr\u00e9tations id\u00e9ologiques vari\u00e9es. Le livre de Micha\u00ebl La Chance ne d\u00e9roge pas \u00e0 la forme des ouvrages mentionn\u00e9s ci-dessus. Cependant, la diff\u00e9rence majeure, et non la moindre, c\u2019est que\u00a0Capture totale<\/em>\u00a0n\u2019est pas un collectif, mais bien l\u2019\u0153uvre d\u2019un seul homme. Essayiste et po\u00e8te, La Chance risque une s\u00e9rie de r\u00e9flexions audacieuses sur le courant de la cyberculture en prenant pour exemple la trilogie Matrix. Il articule une analyse sur treize chapitres en portant essentiellement un regard sur les enjeux du courant\u00a0cyberpunk\u00a0<\/em>dont est issu\u00a0The Matrix<\/em>. Toutefois, il utilise davantage les films ainsi que leur contenu narratif comme un support discursif visant l\u2019exemplification de son propos, plut\u00f4t que de faire une analyse filmique de la trilogie. Pr\u00e9cisons qu\u2019un des principaux int\u00e9r\u00eats de cet ouvrage r\u00e9side dans l\u2019id\u00e9e formul\u00e9e par l\u2019auteur que la cyberculture serait devenue le nouveau moyen d\u2019entrer en contact avec l\u2019Autre. L\u2019exp\u00e9rience liminale propos\u00e9e par le rituel religieux serait dor\u00e9navant prise en charge par ce nouveau cadre quasi liturgique qu\u2019offre la cyberculture.<\/p>\n\n\n\n Tout en faisant l\u2019apologie de l\u2019\u0153uvre des fr\u00e8res Wachowski, symptomatique selon lui d\u2019une g\u00e9n\u00e9ration en qu\u00eate de nouvelles formes de connectivit\u00e9s, La Chance porte un \u00e9galement un regard critique sur le cin\u00e9ma comme ph\u00e9nom\u00e8ne d\u2019invasion culturelle.\u00a0\u00ab\u00a0Matrix serait une mise en sc\u00e8ne du cin\u00e9ma hollywoodien par lui-m\u00eame, des tentatives de contr\u00f4le de notre perception de la r\u00e9alit\u00e9 par l\u2019industrie du cin\u00e9ma (\u2026). Le cin\u00e9ma se met en sc\u00e8ne comme cin\u00e9ma (\u2026).\u00a0\u00bb \u00a0<\/em>(p. 25). Se reportant aux id\u00e9es d\u2019auteurs tels que Morin, Hegel, Descartes, Kant, Leibniz, Schopenhauer, Eco, Metz, Platon et m\u00eame Copernic, La Chance nous introduit dans l\u2019imaginaire moderne des repr\u00e9sentations\u00a0vraies<\/em>\u00a0et\u00a0fausses<\/em>; des repr\u00e9sentations\u00a0faussement vraies<\/em>et\u00a0vraiment fausses<\/em>. Il r\u00e9sume d\u2019ailleurs assez bien lui-m\u00eame l\u2019enjeu de son livre en \u00e9crivant\u00a0\u00ab\u00a0C\u2019est un essai sur l\u2019imaginaire de la connectivit\u00e9 num\u00e9rique dans le monde contemporain\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 20). Plus encore, se r\u00e9f\u00e9rant \u00e0 Aristote, La Chance \u00e9taye son argumentation en signalant la large part induite par les m\u00e9canismes irrationnels au fondement du rationnel et comment l\u2019objet filmique, objectivement r\u00e9el, est bel et bien form\u00e9 d\u2019\u00e9l\u00e9ments irr\u00e9els (p. 102).\u00a0\u00ab\u00a0Aristote constatait d\u00e9j\u00e0 dans La Po\u00e9tique que le faux para\u00eet plus vrai, que le fabriqu\u00e9 para\u00eet plus plausible\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 102). Aristote disait \u00e9galement qu\u2019il fallait pr\u00e9f\u00e9rer\u00a0l\u2019impossible qui est vraisemblable, au possible qui est incroyable<\/em>. L\u2019exp\u00e9rience spectatorielle, m\u00eame virtuellement illusoire, demeure donc fonci\u00e8rement vraie. Or, si au cin\u00e9ma le spectateur exp\u00e9rimente le faux par le vrai, il ne le fait que parce qu\u2019il est confront\u00e9 au m\u00e9dium filmique, qui le pousse dans ses derniers retranchements, l\u2019invitant \u00e0 traverser la barri\u00e8re psychologique et virtuelle d\u2019une limite\u00a0\u00e9cranique<\/em>\u00a0pour exp\u00e9rimenter le\u00a0faussement vrai<\/em>.\u00a0\u00ab\u00a0Le cin\u00e9ma permet de faire accepter le faux comme moyen de dire la v\u00e9rit\u00e9\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 97). La Chance utilise l\u2019expression\u00a0techgnose<\/em>\u00a0pour d\u00e9finir cet \u00e9tat relationnel qui n\u2019est plus, dor\u00e9navant, pris en charge par les canaux traditionnels liturgiques et religieux, mais bien maintenant par le cin\u00e9ma, les jeux vid\u00e9o et Internet.\u00a0\u00ab\u00a0Quand nombre d\u2019exp\u00e9riences-limites, (\u2026), ne sont plus ressaisies dans les langages traditionnels de la philosophie et de la religion, et trouvent dor\u00e9navant leur mise en forme au cin\u00e9ma\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 20). Cette citation nous fait penser \u00e0 Mircea Eliade, un historien des religions. D\u2019apr\u00e8s lui, le sacr\u00e9 ne serait pas disparu de la sc\u00e8ne moderne, particuli\u00e8rement en Occident, mais aurait migr\u00e9 vers d\u2019autres formes institutionnelles, d\u2019autres avatars, tels les arts, le cin\u00e9ma, les sports, permettant ainsi de perp\u00e9tuer le contact avec l\u2019absolu, que l\u2019institution religieuse n\u00e9glige de repr\u00e9senter ad\u00e9quatement aupr\u00e8s de la masse. L\u2019id\u00e9e avanc\u00e9e par La Chance de la\u00a0techgnose<\/em>\u00a0comme\u00a0exp\u00e9rience-limite\u00a0<\/em>traduit exactement cette id\u00e9e eliadienne, typiquement dialectique, d\u00e9fendue par un bon nombre de chercheurs en sciences des religions. En introduction, La Chance met en relation \u00e9galement le courant de la cyberculture, plus particuli\u00e8rement \u00e0 l\u2019aide du film\u00a0Matrix,<\/em>\u00a0avec la crise copernicienne et freudienne.\u00a0\u00ab\u00a0[\u2026] Avec Copernic, nous ne sommes plus au centre du syst\u00e8me solaire; avec Freud, notre conscience n\u2019est plus au centre de notre psychisme; avec Matrix, notre psychisme individuel n\u2019est plus au centre d\u2019une sph\u00e8re m\u00e9diatico-culturelle \u00e9largie (\u2026)\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 16). En effet, la cyberculture d\u00e9loge litt\u00e9ralement l\u2019homme du centre producteur des repr\u00e9sentations symboliques et virtuelles. Il n\u2019est plus le principal vecteur de relation, producteur de\u00a0connectivit\u00e9s<\/em>, mais plut\u00f4t technologiquement subordonn\u00e9 aux nouveaux m\u00e9diums d\u2019une soci\u00e9t\u00e9\u00a0technomique<\/em>. La Chance utilise ce dernier terme, une contraction de\u00a0technologique<\/em>\u00a0et\u00a0\u00e9conomique<\/em>, pour d\u00e9signer tout ce qui est gouvern\u00e9 par les lois dict\u00e9es par la technologie et l\u2019industrie.\u00a0<\/p>\n\n\n\n La principale difficult\u00e9 de cet ouvrage r\u00e9side essentiellement dans la terminologie sp\u00e9cialis\u00e9e et sp\u00e9cifiquement li\u00e9e \u00e0 l\u2019univers de la cyberculture (cybersth\u00e9sie, cybern\u00e9otonie, infocentrisme, stimocepteur, <\/em>pour n\u2019en nommer que quelques-uns). <\/em>La Chance utilise notamment quelques n\u00e9ologismes, tels que le terme technomique<\/em>, et renvoie donc, par cons\u00e9quent, le lecteur au lexique de la fin, heureusement con\u00e7u pour \u00e9clairer notre lanterne en cas de doute s\u00e9mantique. Or, \u00e0 force d\u2019allers-retours pour consulter ce lexique, bien qu\u2019utile, \u00e9clairant et fort int\u00e9ressant, le lecteur peine \u00e0 avancer avec fluidit\u00e9 dans l\u2019introduction, \u00e9tant oblig\u00e9 d\u2019interrompre l\u2019argumentation et la pens\u00e9e de l\u2019auteur. Ceci \u00e9tant dit, le premier tiers de Capture totale<\/em> pr\u00e9sente un int\u00e9r\u00eat th\u00e9orique certain pour qui voudra bien prendre le temps d\u2019en faire une lecture pouss\u00e9e, puisqu\u2019une lecture en surface risque m\u00eame de laisser pantois l\u2019intellectuel le plus endurci, n\u2019effleurant que d\u2019un clin d\u2019\u0153il les r\u00e9flexions apolog\u00e9tiques de l\u2019auteur ainsi que les nombreuses r\u00e9f\u00e9rences litt\u00e9raires (Blake, Spinoza, Milton)<\/em>. <\/p>\n\n\n\n Alors que la\u00a0crise copernicienne\u00a0<\/em>de la cyberculture d\u00e9loge l\u2019homme de son centre,\u00a0Matrix<\/em>\u00a0prend un\u00a0malin\u00a0<\/em>plaisir \u00e0 l\u2019y restituer, et cela, en la figure h\u00e9ro\u00efque de\u00a0Neo<\/em>\u00a0(Keanu Reeves).\u00a0\u00ab\u00a0La mystique visionnaire de William Blake pr\u00e9figure ainsi la mythologie de l\u2019int\u00e9riorit\u00e9 qui sera \u00e9labor\u00e9e dans Matrix, o\u00f9 le h\u00e9ros sera toujours au centre du monde puisqu\u2019il s\u2019agit de \u201cson\u201d monde\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 107). Ce qui rappelle \u00e0 certains \u00e9gards le monomythe de Campbell. La Chance prend \u00e9galement, et cela d\u2019embl\u00e9e, le parti pris de la culture de masse, principal vecteur de la cyberculture. Il rappelle que\u00a0The<\/em>Matrix<\/em>\u00a0a re\u00e7u un accueil mitig\u00e9 en Europe et particuli\u00e8rement en France, o\u00f9 le film est per\u00e7u comme le symbole probant d\u2019une invasion culturelle massive, et cela, par l\u2019annihilation sur son passage de toute r\u00e9sistance \u00e0 l\u2019imp\u00e9rialisme am\u00e9ricain.\u00a0\u00ab\u00a0La machine-spectacle r\u00e9veille des craintes de domination culturelle, elle agite le spectre de l\u2019invasion de notre exp\u00e9rience psychique par un totalitarisme neuro-interactif\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 30). Il souligne cependant qu\u2019une telle r\u00e9action d\u2019une \u00e9lite puriste, attitude notable \u00e0 la lecture des nombreux forums de discussion, tend \u00e0 faire oublier qu\u2019il existe \u00e9galement\u00a0en Europe une culture de masse\u00a0<\/em>(p. 31). La Chance exprime particuli\u00e8rement bien l\u2019id\u00e9e que\u00a0Matrix<\/em>, pur produit de la machine\u00a0hollywoodienne<\/em>\u00a0et d\u2019un syst\u00e8me de production standardis\u00e9, utilise tout l\u2019outillage syst\u00e9mique \u00e0 sa port\u00e9e pour critiquer et d\u00e9noncer ce m\u00eame syst\u00e8me, puisqu\u2019on ne peut d\u00e9noncer ce syst\u00e8me que de l\u2019int\u00e9rieur.\u00a0\u00ab\u00a0(\u2026) Matrix est un produit du syst\u00e8me, qui reconduit l\u2019id\u00e9ologie du syst\u00e8me. D\u2019un<\/em>autre c\u00f4t\u00e9, ce syst\u00e8me permet l\u2019expression d\u2019un message [\u2026], qui s\u2019opposera au syst\u00e8me\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 32). Pour le lecteur int\u00e9ress\u00e9 par les \u00e9tudes cin\u00e9matographiques, le chapitre quatre offre des liens th\u00e9oriques qui sauront attirer son attention. Intitul\u00e9\u00a0\u00catre-filmique et rapport \u00e0 soi<\/em>, ce chapitre aborde la d\u00e9licate question concernant la fronti\u00e8re entre le r\u00e9el et la fiction. Il met aussi en exergue le pouvoir d\u2019illusion du cin\u00e9ma qu\u2019il exemplifie en articulant son propos autour des effets sp\u00e9ciaux dans le film\u00a0Matrix<\/em>. Les images de synth\u00e8se participent maintenant pour une large part au processus de cr\u00e9ation cin\u00e9matographique. On n\u2019a qu\u2019\u00e0 penser \u00e0\u00a0Forrest Gump<\/em>\u00a0\u2013 film qui n\u2019est pourtant pas con\u00e7u pour mettre en valeur la virtuosit\u00e9 technique des techniciens d\u2019effets sp\u00e9ciaux \u2013 qui utilise avec un souci de transparence les nouvelles technologies, et cela, au profit de la trame narrative. Les pr\u00e9occupations sont toutefois tr\u00e8s diff\u00e9rentes avec\u00a0Matrix<\/em>, car il s\u2019agit pratiquement d\u2019un film\u00a0sur<\/em>\u00a0les effets sp\u00e9ciaux au cin\u00e9ma, et non pas seulement un film qui les utilise par souci du spectaculaire. Par cons\u00e9quent, il n\u2019est donc pas risqu\u00e9 de dire que\u00a0Matrix\u00a0<\/em>repr\u00e9sente une mise en abyme. Pensons simplement que le\u00a0nous-spectateur<\/em>\u00a0assiste \u00e0 la projection du film\u00a0Matrix<\/em>, dans la salle de cin\u00e9ma, et que les personnages du film \u00e0 leur tour vivent une exp\u00e9rience neuro-interactive simul\u00e9e par une\u00a0Matrice<\/em>, un peu \u00e0 la mani\u00e8re du\u00a0Malin G\u00e9nie\u00a0<\/em>de Descartes, projetant le m\u00eame monde virtuel partag\u00e9 par tous ceux et celles qui y sont branch\u00e9s, comme les spectateurs qui sont assis dans la salle de cin\u00e9ma.\u00a0\u00ab\u00a0C\u2019est un film o\u00f9 le cin\u00e9ma parle du cin\u00e9ma [\u2026], et en m\u00eame temps parle de nous, puisque nous sommes totalement absorb\u00e9s dans cette culture cin\u00e9matographique\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 61). Bien que La Chance n\u2019en fasse pas explicitement mention, nous avons remarqu\u00e9 que cette mise en abyme est particuli\u00e8rement bien exprim\u00e9e dans le jeu\u00a0Path of Neo<\/em>. Lors d\u2019une s\u00e9quence impliquant S\u00e9raphin et Neo, luttant pour tester la r\u00e9elle valeur de l\u2019\u00c9lu, nos deux personnages se retrouvent dans une salle de cin\u00e9ma, pr\u00e9cis\u00e9ment devant l\u2019\u00e9cran sur lequel est projet\u00e9e la sc\u00e8ne du film dont la s\u00e9quence de jeu est tir\u00e9e. Ils finissent le combat et plongent \u00e0 travers l\u2019\u00e9cran, et cela, au grand plaisir des spectateurs virtuels du jeu. Dans la m\u00eame veine, La Chance s\u2019int\u00e9resse aux jeux vid\u00e9o et se r\u00e9f\u00e8re \u00e0 la culture nippone en soulignant le ph\u00e9nom\u00e8ne des\u00a0Otakus<\/em>,\u00a0\u00ab\u00a0ces ados frapp\u00e9s par la stupeur hypnotique de leurs jeux vid\u00e9o\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 101). Il pr\u00e9cise que\u00a0The Matrix<\/em>, plus particuli\u00e8rement ses d\u00e9riv\u00e9s\u00a0shooters\u00a0<\/em>tels que\u00a0Enter the Matrix\u00a0<\/em>et\u00a0Path of\u00a0<\/em>Neo, met justement en sc\u00e8ne ce glissement hypnotique, v\u00e9cu par les Otakus, de notre r\u00e9alit\u00e9 vers le monde du jeu. Ajoutons que cette\u00a0pathologie culturelle<\/em>\u00a0des Otakus rappelle dr\u00f4lement l\u2019absorption de nos deux personnages de\u00a0Path of Neo<\/em>\u00a0par l\u2019\u00e9cran de cin\u00e9ma, lui-m\u00eame se trouvant dans le jeu.<\/p>\n\n\n\n Trop nombreuses peut-\u00eatre, et cela, en peu de pages, La Chance fait aussi des r\u00e9f\u00e9rences qui ne manquent cependant pas d\u2019int\u00e9r\u00eat. Par exemple, il parle de\u00a0gavage psychosensoriel,\u00a0<\/em>tel qu\u2019impos\u00e9 aux humains qui sont branch\u00e9s \u00e0 la\u00a0Matrice<\/em>, et s\u2019appuie sur une r\u00e9flexion de Bergson concernant la perception du monde par l\u2019homme qui fonctionne un peu \u00e0 la mani\u00e8re d\u2019un film, d\u00e9coup\u00e9e en plusieurs plans par le r\u00e9alisateur ou celui qui per\u00e7oit.\u00a0\u00ab\u00a0[\u2026] Nous constituons un film ininterrompu \u00e0 partir de vues perceptuelles discr\u00e8tes\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 61). Il rench\u00e9rit en citant Leibniz lorsqu\u2019il parle de\u00a0l\u2019id\u00e9al de la Renaissance investie dans la cr\u00e9ation filmique\u00a0<\/em>:\u00a0\u00ab\u00a0Il a suffi \u00e0 Dieu de r\u00eaver un monde pour le cr\u00e9er, disait Leibniz d\u2019un monde possible\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 60). Il se r\u00e9f\u00e8re ensuite \u00e0 Metz en citant son ouvrage\u00a0Essais sur la signification au cin\u00e9ma\u00a0 (tome 1)\u00a0<\/em>: le cin\u00e9ma permettra de\u00a0\u00ab\u00a0r\u00e9aliser [\u2026] l\u2019imaginaire jusqu\u2019\u00e0 un point jamais encore atteint\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 60), tout en soulignant l\u2019importance de l\u2019imaginaire cin\u00e9matographique comme un ajout, se juxtaposant \u00e0 ce qu\u2019Umberto Eco appelle notre\u00a0encyclop\u00e9die du r\u00e9el<\/em>. La Chance soul\u00e8ve \u00e9galement d\u2019une mani\u00e8re tr\u00e8s efficace l\u2019\u00e9troit parall\u00e8le entre l\u2019exp\u00e9rience spectatorielle au cin\u00e9ma et l\u2019exp\u00e9rience des humains qui sont directement \u00ab\u00a0dard\u00e9s\u00a0\u00bb au cerveau par la\u00a0Matrice<\/em>\u00a0qui est aussi, comme le cin\u00e9ma, productrice d\u2019un monde vrai\u00a0hallucin\u00e9<\/em>\u00a0et partag\u00e9 collectivement. Il exemplifie ensuite ce parall\u00e8le, laissant parler l\u2019essayiste qu\u2019il est sans retenue, ce qui pourrait \u00e0 la fois agacer et charmer.\u00a0\u00ab\u00a0Assis sur un fauteuil\u00a0<\/em>made in China, devant une t\u00e9l\u00e9vision\u00a0<\/em>made in China, nous regarderons des films\u00a0<\/em>made in China\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 61). L\u2019int\u00e9r\u00eat principal de cet ouvrage r\u00e9side toutefois dans l\u2019id\u00e9e que la cyberculture viendrait combler un besoin\u00a0spirituelo-liturgique<\/em>, un besoin laiss\u00e9 non encadr\u00e9 suite \u00e0 la s\u00e9cularisation de la soci\u00e9t\u00e9 moderne occidentale et l\u2019expulsion du pouvoir d\u00e9cisionnel religieux des affaires de l\u2019\u00c9tat. Cependant, l\u2019homme moderne n\u00e9cessite toujours l\u2019apport d\u2019un cadre, quel qu\u2019il soit, pour g\u00e9rer sa relation \u00e0 l\u2019Autre. Cette interconnexion fut pendant longtemps, et est encore, prise en charge par le cin\u00e9ma, mais les nouvelles technologies sont venues changer la donne lors des ann\u00e9es 80 et 90 avec le courant de la cyberculture. Toutefois, tel que soulign\u00e9 par La Chance, les religions voient d\u2019un tr\u00e8s mauvais \u0153il l\u2019arriv\u00e9e de ce nouveau joueur technologique dans l\u2019ar\u00e8ne des communications.\u00a0\u00ab\u00a0Le fondamentalisme religieux d\u00e9sapprouve le pouvoir des nouvelles technologies de cr\u00e9er une interconnexion entre tous les humains et veut se r\u00e9server le privil\u00e8ge sacr\u00e9 d\u2019\u00e9tablir les liens entre l\u2019anim\u00e9 et l\u2019inanim\u00e9\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 83). \u00c0 cet \u00e9gard, il n\u2019est pas surprenant de constater que le cin\u00e9ma ainsi que les jeux vid\u00e9o fascinent une population de plus en plus jeune, habitu\u00e9e qu\u2019elle est maintenant de g\u00e9rer sa relation \u00e0 l\u2019autre par l\u2019interm\u00e9diaire de la messagerie \u00e9lectronique et les jeux\u00a0on-line<\/em>\u00a0sur Internet. Le film\u00a0Matrix\u00a0<\/em>est le reflet de cet engouement et catalyse bien l\u2019int\u00e9r\u00eat de la soci\u00e9t\u00e9 moderne pour la connectivit\u00e9\u00a0inter<\/em>pos\u00e9e. D\u2019ailleurs, les grandes traditions religieuses ont abandonn\u00e9 la lutte pour le contr\u00f4le exclusif de la relation entre le\u00a0profane<\/em>\u00a0\u2013 le r\u00e9el \u2013 et le\u00a0sacr\u00e9<\/em>\u00a0\u2013 le virtuel, la cyberculture \u00e9tant devenue, au tournant de ce si\u00e8cle, un m\u00e9diateur important et plus \u00e0 m\u00eame d\u2019int\u00e9grer les valeurs li\u00e9es aux nouvelles technologies. \u00c0 cet \u00e9gard, La Chance soul\u00e8ve une question fort pertinente concernant l\u2019exp\u00e9rience du religieux.\u00a0\u00ab\u00a0\u00c0 cette \u00e9poque du pouvoir accru de la simulation, le religieux serait-il la derni\u00e8re exp\u00e9rience sp\u00e9cifiquement humaine\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 144)? Il semblerait que non, selon La Chance, car\u00a0\u00ab\u00a0le mystique ne peut \u00eatre diff\u00e9renci\u00e9 du psychotique lorsque ce dernier soup\u00e7onne que le Dieu dont il se laisse p\u00e9n\u00e9trer ne serait qu\u2019un substitue (\u2026)\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 144). Cette relation avec le faux, l\u2019illusion, pour vivre et exp\u00e9rimenter le vrai, constitue de part en part le c\u0153ur de cet ouvrage. C\u2019est dire que, m\u00eame si\u00a0Dieu<\/em>\u00a0n\u2019\u00e9tait qu\u2019une illusion, un leurre, la relation ainsi cr\u00e9\u00e9e pour\u00a0connecter\u00a0<\/em>l\u2019\u00eatre humain au divin reste une exp\u00e9rience vraie.\u00a0\u00ab\u00a0Toute simulation, y compris la simulation ultime de la Matrice, propose des exp\u00e9riences qui seront vraies en tant qu\u2019exp\u00e9riences\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 169).\u00a0<\/p>\n\n\n\n Pour conclure, disons que, dans l\u2019ensemble, l\u2019ouvrage de La Chance constitue une bonne synth\u00e8se des valeurs actuelles li\u00e9es aux nouvelles technologies ainsi que leurs justifications sur le plan philosophique. Le sous-titre de l\u2019ouvrage,\u00a0Mythologie de la cyberculture<\/em>, r\u00e9sume bien \u00e0 lui seul le cadre th\u00e9orique privil\u00e9gi\u00e9 par l\u2019auteur, puisqu\u2019il ratisse de mani\u00e8re tr\u00e8s large l\u2019ensemble des croyances stigmatis\u00e9es par le courant de la cyberculture, et cela, toujours en se servant de l\u2019univers\u00a0Matrix<\/em>\u00a0pour exemplifier son propos. Terminons avec une r\u00e9f\u00e9rence de La Chance qui cite Morin et son ouvrage\u00a0Le cin\u00e9ma ou l\u2019homme imaginaire<\/em>, qui se r\u00e9f\u00e8re lui-m\u00eame \u00e0 Hegel\u00a0:\u00a0\u00ab\u00a0(\u2026) le cin\u00e9ma serait \u201cl\u2019irruption de l\u2019esprit dans le monde brut, la n\u00e9gativit\u00e9 h\u00e9g\u00e9lienne en travail, et la n\u00e9gation de cette n\u00e9gation\u00a0: l\u2019imm\u00e9diate floraison de la magie, humanit\u00e9 premi\u00e8re.\u00a0\u201d \u00c0 cet \u00e9gard, Matrix serait le plus h\u00e9g\u00e9lien de tous les films\u00a0\u00bb\u00a0<\/em>(p. 154).\u00a0<\/p>\n\n\n\n [1] Taking the Red Pill<\/em>, Benbella Books, Dallas, 2003<\/p>\n\n\n\n [2] Jacking in to the Matrix Franchise<\/em>, The Continuum International Publishing Group Inc., Londres et New-York, 2004<\/p>\n\n\n\n [30 Matrix : machine philosophique<\/em>, Ellipses, Paris, 2004<\/p>\n\n\n\n \u2013 Eliade, Mircea,\u00a0Le sacr\u00e9 et le profane<\/em>, \u00e9dition fran\u00e7aise, Paris, Gallimard, 1965, 192 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Campbell, Joseph,\u00a0The Hero with a Thousand Faces<\/em>, Princeton, Princeton University Press, 1949, 497 p. <\/p>\n\n\n\n \u2013 Morin, Edgard,\u00a0Le cin\u00e9ma ou l\u2019homme imaginaire<\/em>, Paris, Les \u00c9ditions de Minuit, 1956, 272 p. <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Une pl\u00e9thore de livres a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 consacr\u00e9e au ph\u00e9nom\u00e8ne\u00a0Matrix, tels que\u00a0Taking the Red Pill1, Jacking in to the Matrix Franchise2\u00a0et\u00a0Matrix\u00a0: machine philosophique3, pour ne nommer que ceux-l\u00e0. Tous \u00e9crits par des acad\u00e9miciens, pour la plupart des professeurs de philosophie, ces ouvrages sont constitu\u00e9s de courts essais qui livrent des interpr\u00e9tations id\u00e9ologiques vari\u00e9es. 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Bibliographie<\/h2>\n\n\n\n