{"id":3275,"date":"2007-04-01T16:14:58","date_gmt":"2007-04-01T16:14:58","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=3275"},"modified":"2023-02-13T16:15:23","modified_gmt":"2023-02-13T16:15:23","slug":"avril-2007-il-va-y-avoir-de-laction-pragmatique-de-linteractivite-dans-les-jeux-video","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/avril-2007-il-va-y-avoir-de-laction-pragmatique-de-linteractivite-dans-les-jeux-video\/","title":{"rendered":"Avril 2007 – Il va y avoir de l\u2019action : pragmatique de l\u2019interactivit\u00e9 dans les jeux vid\u00e9o"},"content":{"rendered":"\n
En 1998, alors que notre dernier contact avec les jeux vid\u00e9o datait du Commodore 64, nous avons fait l\u2019acquisition d\u2019une Playstation. Quelques mois plus tard, sur les conseils d\u2019un vendeur enthousiaste, nous avons achet\u00e9 Silent Hill<\/em>. Du tout premier contact avec ce jeu devenu depuis mythique, nous gardons un souvenir vaguement embarrass\u00e9 : un nombre incalculable de minutes pass\u00e9es \u00e0 essayer d\u2019ouvrir, \u00e9videmment en vain, toutes les portes des maisons devant lesquelles nous passions, dans le but plus ou moins avou\u00e9 de nous tenir \u00e9loign\u00e9 des pr\u00e9cipices mena\u00e7ants qu\u2019on trouvait \u00e7\u00e0 et l\u00e0. Une prise de vue en particulier nous inqui\u00e9tait plus que les autres : on voyait, de l\u2019int\u00e9rieur du pr\u00e9cipice, l\u2019avatar, au loin, se rapprocher de plus en plus, assur\u00e9ment promis \u00e0 une mort certaine s\u2019il ne rebroussait pas chemin sur-le-champ. <\/p>\n\n\n\n Cet inutile porte-\u00e0-porte et plus encore ce recul devant le pr\u00e9cipice auront sans doute fait sourire celles et ceux qui ont d\u00e9j\u00e0 jou\u00e9 \u00e0 Silent Hill<\/em> et en conservent un souvenir net. En effet, la prise de vue \u00ab inqui\u00e9tante \u00bb servait en fait \u00e0 mettre au premier plan une s\u00e9rie de feuilles de papier sur lesquelles se trouvaient les indications permettant d\u2019aller de l\u2019avant dans le jeu, en invitant le joueur \u00e0 jeter un \u0153il attentif \u00e0 une niche situ\u00e9e devant une maison. Plus encore, les pr\u00e9cipices, dans Silent Hill<\/em>, sont non pas des lieux de danger, mais bien des mani\u00e8res de faire entendre au joueur qu\u2019il ne sert \u00e0 rien d\u2019aller plus loin : on ne peut y tomber. <\/p>\n\n\n\n Un jour ou l\u2019autre, tout joueur \u00e9prouve devant un jeu vid\u00e9o le sentiment d\u2019absence de familiarit\u00e9 qui a \u00e9t\u00e9 ici le n\u00f4tre et qui se traduit par la question : \u00ab Mais que diable suis-je cens\u00e9 faire ? \u00bb Le regard parcourt l\u2019\u00e9cran en tous sens, identifiant bien objets et \u00eatres mais ne parvenant pas \u00e0 se figurer le sens \u00e0 y attribuer ni la nature des interactions attendues. De ce sentiment, nous voudrions faire une lecture pragmatique, pour d\u00e9terminer ce qu\u2019il dit du jeu vid\u00e9o et du rapport qu\u2019il s\u2019agit d\u2019entretenir avec lui, qu\u2019on d\u00e9crit parfois sous le terme d\u2019interactivit\u00e9<\/em>. Pour le dire simplement, notre r\u00e9flexion pragmatique veut proposer une r\u00e9ponse \u00e0 la question : comment le joueur regarde-t-il (ou : doit-il regarder) une image de jeu vid\u00e9o ?<\/p>\n\n\n\n Telle que nous l\u2019entendrons en ces lignes, la pragmatique est une partie de la s\u00e9miotique, ou plus pr\u00e9cis\u00e9ment une mani\u00e8re de faire de la s\u00e9miotique. La s\u00e9miotique est cette discipline qui a pour objet le signe, ainsi commun\u00e9ment et commod\u00e9ment d\u00e9fini \u00e0 la suite de Saint Augustin : aliquid stat pro aliquo<\/em>, c\u2019est-\u00e0-dire quelque chose qui tient lieu de quelque chose d\u2019autre, un premier \u00e9l\u00e9ment qui entretient avec un second un double rapport de substitution et de repr\u00e9sentation ou de signification. La pragmatique est donc une mani\u00e8re particuli\u00e8re de questionner le signe.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est \u00e0 Charles W. Morris qu\u2019on doit la d\u00e9finition, aujourd\u2019hui populaire, de la pragmatique comme \u00ab\u00a0 science de la relation des signes aux interpr\u00e8tes\u00a0\u00bb1<\/sup>. Au sein de cette perspective, les signes sont envisag\u00e9s dans les rapports complexes qu\u2019ils entretiennent \u00e0 leur contexte de r\u00e9ception. Quelles que soient leurs modalit\u00e9s, les r\u00e9flexions pragmatiques prennent n\u00e9cessairement en consid\u00e9ration les signes et les interpr\u00e8tes.\u00a0<\/p>\n\n\n\n \u00c0 partir de l\u00e0, l\u2019accent peut porter sur l\u2019un ou l\u2019autre de ces termes constitutifs. \u00c0 une extr\u00e9mit\u00e9 du spectre, on trouvera une pragmatique centr\u00e9e sur l\u2019interpr\u00e8te et sur les moyens qu\u2019il met \u00e0 contribution pour parvenir \u00e0 donner sens au signe, pour passer du signe \u00e0 ce qu\u2019il signifie ou repr\u00e9sente. On cherche ici \u00e0 mettre au jour les concepts qui sont \u00e0 la source de ses op\u00e9rations s\u00e9miotiques et d\u00e9terminent la mani\u00e8re dont le signe est tout \u00e0 la fois per\u00e7u et interpr\u00e9t\u00e92<\/sup>. Ces concepts exercent ainsi une action configurante sur le signe\u00a0: c\u2019est gr\u00e2ce \u00e0 eux que le signe peut \u00eatre identifi\u00e9 par l\u2019interpr\u00e8te, mais c\u2019est aussi gr\u00e2ce \u00e0 eux que l\u2019interpr\u00e8te met de l\u2019avant certaines propri\u00e9t\u00e9s du signe et en laisse d\u2019autres dans l\u2019ombre. Qu\u2019on soumette une m\u00eame \u0153uvre artistique au regard d\u2019un psychanalyste et \u00e0 celui d\u2019un historien de l\u2019art, et ils la verront et l\u2019interpr\u00e8teront de deux fa\u00e7ons distinctes, le premier accordant \u00e0 certains \u00e9l\u00e9ments une attention, une valeur et une signification sans commune mesure avec celles que le second leur accordera.\u00a0<\/p>\n\n\n\n \u00c0 l\u2019autre extr\u00e9mit\u00e9, une pragmatique centr\u00e9e sur le signe cherchera \u00e0 analyser la mani\u00e8re dont le signe laisse deviner, plus ou moins manifestement, un usage particulier auquel il est destin\u00e9. C\u2019est l\u2019action contraignante \u2013 qu\u2019elle soit en bout de ligne effective ou non \u2013 du signe sur l\u2019activit\u00e9 de l\u2019interpr\u00e8te qui est ici l\u2019objet de la r\u00e9flexion. Ainsi, on peut chercher \u00e0 voir comment tel signe montre la cat\u00e9gorie \u00e0 laquelle il appartient et appelle du coup un certain rapport interpr\u00e9tatif3<\/sup>\u00a0: on regardera ici comment une fiction, par exemple, laisse voir, par toutes sortes de signaux, le genre auquel elle appartient et \u00e0 l\u2019aune duquel il convient de la saisir \u2013 car un western ne s\u2019appr\u00e9hende pas tout \u00e0 fait comme une com\u00e9die sentimentale. Dans un autre registre, on peut chercher \u00e0 voir comment le signe appelle, pour mieux la d\u00e9jouer, une certaine interpr\u00e9tation4<\/sup>\u00a0: c\u2019est le cas de tous les ph\u00e9nom\u00e8nes d\u2019illusion d\u2019optique, ou encore des fausses pistes dans un roman policier. Dans ces deux derniers exemples, le signe est organis\u00e9 de telle fa\u00e7on qu\u2019il pr\u00e9voit une trajectoire interpr\u00e9tative pour mieux la tromper ensuite.<\/p>\n\n\n\n Notre r\u00e9flexion empruntera tout \u00e0 tour l\u2019un et l\u2019autre chemins, mettant l\u2019accent d\u2019abord sur les modalit\u00e9s de l\u2019activit\u00e9 interpr\u00e9tative, puis sur les contraintes du signe. Nous nous efforcerons de montrer dans un premier temps la nature fondamentalement narrative du regard du joueur et sa mani\u00e8re de segmenter et de faire signifier l\u2019\u00e9cran; dans un second temps, nous t\u00e2cherons d\u2019indiquer la fa\u00e7on dont les images des jeux vid\u00e9o, dans leur configuration m\u00eame, donnent \u00e0 lire leur mode d\u2019emploi. Au terme de ce parcours, on verra que l\u2019interactivit\u00e9, qui appara\u00eet souvent sous les dehors d\u2019un\u00a0monde de possibilit\u00e9s<\/em>, se r\u00e9v\u00e8le plut\u00f4t un univers s\u00e9miotique contraint et contraignant.<\/p>\n\n\n\n