{"id":3300,"date":"2007-02-01T16:39:44","date_gmt":"2007-02-01T16:39:44","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=3300"},"modified":"2023-02-13T16:40:35","modified_gmt":"2023-02-13T16:40:35","slug":"fevrier-2007-ce-qui-nous-attache","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/fevrier-2007-ce-qui-nous-attache\/","title":{"rendered":"F\u00e9vrier 2007 – \u00ab Ce qui nous attache \u00bb"},"content":{"rendered":"\n

Lorsqu\u2019elle est projet\u00e9e, l\u2019image vid\u00e9ographique a quelque chose d\u2019immat\u00e9riel, d\u2019impalpable, comme si rien ne la retenait plus au monde physique. Pourtant, la facult\u00e9 d\u2019\u00e9pouser toute surface rencontr\u00e9e, de se diffracter sur tout support interpos\u00e9 et de faire corps avec toute mati\u00e8re donn\u00e9e r\u00e9v\u00e8le sa vaste potentialit\u00e9 d\u2019adh\u00e9rence au r\u00e9el. Ce sont l\u00e0 autant de possibilit\u00e9s qui signalent sa mall\u00e9abilit\u00e9 et qui disent combien toute image est d\u2019abord affaire de mat\u00e9rialit\u00e9, n\u2019existant que dans le support que l\u2019artiste choisit de lui donner. <\/p>\n\n\n\n

Ramener l\u2019image dans le concret du monde, voil\u00e0 l\u2019une des t\u00e2ches que s\u2019ing\u00e9nie \u00e0 r\u00e9aliser l\u2019artiste Philom\u00e8ne Longpr\u00e9. Son travail se construit autour d\u2019un d\u00e9sir d\u2019instaurer une communication entre le monde physique et le monde virtuel au moyen d\u2019astucieuses installations qui trafiquent et d\u00e9tournent \u00e0 leur compte les nouvelles technologies. Malgr\u00e9 l\u2019annonce faite par plusieurs th\u00e9oriciens de la disparition des \u00e9crans, ou du moins de leur invisibilit\u00e9 prochaine1<\/sup>, c\u2019est par leur mise au premier plan que l\u2019artiste donne une pesanteur \u00e0 ses images. Il ne s\u2019agit toutefois pas des \u00e9crans qui prolif\u00e8rent dans notre environnement quotidien (ordinateurs portables, t\u00e9l\u00e9phones cellulaires, agendas \u00e9lectroniques, \u00e9crans d\u2019affichage public, etc.). Au contraire, les \u00e9crans cin\u00e9tiques de l\u2019artiste nous dominent par leur format et jouent sur notre perception avec leurs mat\u00e9riaux inusit\u00e9s. Leurs structures suspendues p\u00e8sent ainsi de tout leur poids, et leurs mouvements cr\u00e9ent parfois l\u2019illusion d\u2019expulser les personnages qui les habitent. Car les \u00e9crans de Philom\u00e8ne Longpr\u00e9 sont habit\u00e9s. Quelqu\u2019un nous y attend et nous y guette\u00a0: l\u2019information relative \u00e0 notre arriv\u00e9e est transmise par des d\u00e9tecteurs de mouvement qui captent ensuite nos d\u00e9placements.<\/p>\n\n\n\n

\"\"
Formica<\/em><\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n

N\u00e9anmoins, c\u2019est sur le point de contact entre l\u2019\u00e9cran et la projection que l\u2019artiste travaille. Le dispositif technologique recompose plut\u00f4t l\u2019image en faisant litt\u00e9ralement corps avec elle. L\u2019influence du cin\u00e9ma exp\u00e9rimental est largement pr\u00e9sente dans le langage visuel de Philom\u00e8ne Longpr\u00e9, au-del\u00e0 des surfaces que celle-ci invente. La r\u00e9f\u00e9rence au genre se r\u00e9v\u00e8le par une m\u00eame d\u00e9sorientation de nos habitudes, un certain bousculement de la narration et une exploration d\u2019\u00e9tat psychologique. Car il nous faut chaque fois chercher et trouver par o\u00f9 entrer dans ses images. Ainsi, dans ses installations, l\u2019interactivit\u00e9 occupe une place centrale. C\u2019est par notre pr\u00e9sence que nous nous immis\u00e7ons d\u2019abord, modifiant ensuite le d\u00e9roulement de la projection par nos d\u00e9ambulations. Les images en mouvement sont la plupart du temps des espaces de r\u00e9cits invent\u00e9s qui \u00e9voquent diff\u00e9rents univers, appartenant chaque fois \u00e0 des personnages virtuels. La technologie sert ici de liant : l\u2019artiste m\u00eale les images, les couleurs et les sons, et les raccorde aux capteurs infrarouges, \u00e9crans robotiques et programmes informatiques qui pris ensemble, composent un espace imaginaire attach\u00e9 \u00e0 l\u2019espace physique. <\/p>\n\n\n\n

La cr\u00e9ation de personnages est une constante qui se d\u00e9gage dans la production r\u00e9cente de Philom\u00e8ne Longpr\u00e9. Figures centrales de ses syst\u00e8mes vid\u00e9os, ils ont forme humaine et s\u2019\u00e9vertuent \u00e0 \u00e9tablir une communication avec leur environnement. Partant de son observation des interactions de la vie quotidienne, l\u2019artiste use de la personnification pour incarner les id\u00e9es qu\u2019elle y pr\u00e9l\u00e8ve. Ici, l\u2019\u0153uvre Formica <\/em>anthropomorphise l\u2019attachement humain, c\u2019est-\u00e0-dire la capacit\u00e9 que nous avons \u00e0 cr\u00e9er des liens avec les autres, liens qui existent gr\u00e2ce \u00e0 nos \u00e9lans, nos proximit\u00e9s, nos implications. Formica<\/em>, qui signifie \u00ab fourmi \u00bb en latin, aborde en fait le r\u00e9seau de liens qui peut se cr\u00e9er entre un personnage virtuel et le public. L\u2019\u00eatre anim\u00e9 est en attente d\u2019interlocuteur et s\u2019agite d\u00e8s qu\u2019une personne se trouve dans son enceinte. Il est habill\u00e9 d\u2019un drap\u00e9 rouge qui le recouvre enti\u00e8rement, mais qui, sur le haut de sa t\u00eate, sort du champ de l\u2019image. Cela donne l\u2019impression qu\u2019un lien attenant \u00e0 un autre espace retient le pantin androgyne. Seulement, si l\u2019inf\u00e9rence intervient largement dans notre appr\u00e9hension des autres, quels signes trouvons-nous \u00e0 d\u00e9gager de l\u2019individu qui se tient devant nous et qui ne semble appartenir \u00e0 aucune culture particuli\u00e8re?<\/p>\n\n\n\n

Peut-\u00eatre remarquons-nous d\u2019abord ce qu\u2019il fait : il nous observe, nous jauge, un peu comme nous sommes nous-m\u00eames en train de le faire. Conscient de nos mouvements, il semble voir notre avanc\u00e9e. Une observation mutuelle s\u2019engage et un premier lien se cr\u00e9e lorsque nous risquons un rapprochement. D\u00e8s lors, un processus s\u2019enclenche et fait en sorte de d\u00e9multiplier l\u2019apparition de liens repr\u00e9sent\u00e9s par des fils rouges et des bandes de tissu qui tendent Formica et troublent ses mouvements. Il devient peu \u00e0 peu prisonnier de cette accumulation de liens physiques, faisant r\u00e9agir l\u2019\u00e9cran robotis\u00e9 qui para\u00eet le contenir. Celui-ci, form\u00e9 de 16 lattes en plastiques, s\u2019\u00e9tire sous l\u2019action d\u2019un syst\u00e8me \u00e0 piston. Les espaces laiss\u00e9s entre les bandes horizontales viennent marquer avec plus d\u2019intensit\u00e9 encore le personnage et une ombre hachur\u00e9e et color\u00e9e se dessine alors sur le mur. L\u2019\u00e9tirement de l\u2019\u00e9cran cesse lorsqu\u2019une majorit\u00e9 de liens est bris\u00e9e. La structure reprend sa forme et Formica cherche les attaches qui le maintenaient, comme si la nostalgie de ce qu\u2019il venait de perdre naissait en lui. Un amas de fils rouges se trouve \u00e0 ses pieds, semblable \u00e0 une flaque de couleur.<\/p>\n\n\n\n

En revanche, si aucun visiteur ne franchit l\u2019espace de la vid\u00e9o interactive, rien de tout cela ne se produit. Aucune agitation, aucune r\u00e9ception. Nous arrivons et tout se met en branle selon un cycle de quatre phases que traverse infailliblement le personnage, comme si nous \u00e9tions en pr\u00e9sence d\u2019hyperimages<\/em>, c\u2019est-\u00e0-dire de bandes reli\u00e9es entre elles et entre lesquelles nous pouvons en quelque sorte naviguer. Les s\u00e9quences vid\u00e9o se succ\u00e8dent donc, les capteurs d\u2019infrarouges rep\u00e8rent nos all\u00e9es et venues, la ductilit\u00e9 de l\u2019\u00e9cran \u00e9prouve l\u2019image et une tension sonore r\u00e9sonne dans l\u2019espace. Philom\u00e8ne Longpr\u00e9 nous transporte avec ses images dans un univers fictif, mais tout l\u2019artifice dont elle nous entoure est issu de la r\u00e9alit\u00e9 m\u00eame, notamment tous les sons, qui proviennent de captations. De m\u00eame pour le bruit du syst\u00e8me \u00e0 valves qui active l\u2019\u00e9cran et qui nous donne l\u2019impression d\u2019entendre l\u2019image respirer. <\/p>\n\n\n\n

L\u2019installation nous met ainsi en face de l\u2019action que nos gestes exercent sur le syst\u00e8me. Exer\u00e7ons-nous r\u00e9ellement une forme de contr\u00f4le sur l\u2019image? Ou ne sommes-nous pas plut\u00f4t les fantoches de Formica? Car, au bout du compte, la vid\u00e9o interactive sollicite notre participation pour mettre en marche un dispositif pr\u00e9programm\u00e9 par l\u2019artiste. L\u2019\u0153uvre superpose les couches de possibilit\u00e9s au regard de notre pr\u00e9visibilit\u00e9 peut-\u00eatre, sinon au regard d\u2019un circuit qu\u2019elle impose et sur lequel nous pouvons rebondir. Nous croyons voir le r\u00e9sultat de notre interaction directement sur l\u2019objet visuel et celle-ci s\u2019exerce sur le programme informatique. Enfin, disons que la question de la relation \u00e0 l\u2019\u0153uvre d\u2019art \u2013 relation avec le visiteur certes, mais aussi relation entretenue avec la r\u00e9alit\u00e9 – est abord\u00e9e en filigrane dans cette installation. Formica<\/em> met en mouvement une communication non discursive et use du paralangage avec son dispositif et ses gestes pour venir vers nous. Dans le d\u00e9roulement s\u00e9quentiel, un lien visuel se cr\u00e9e avec le personnage et se d\u00e9multiplie, rappelant peut-\u00eatre que ce qui nous attache aux autres et aux choses est rarement de l\u2019ordre du contenu ou du ma\u00eetris\u00e9. Se lier, s\u2019unir, se mettre ensemble, se retenir par des liens nous fa\u00e7onne autrement, autant probablement que les ficelles et les morceaux d\u2019\u00e9toffe transforment Formica. <\/p>\n\n\n\n

Notes<\/h2>\n\n\n\n

[1] Propos qu\u2019Olivier Asselin rapporte et commente dans \u00ab\u00a0\u00c9crans num\u00e9riques\u00a0\u00bb,\u00a0Parachute<\/em>, no 113 (Janvier-F\u00e9vrier-Mars), p. 6-11.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Lorsqu\u2019elle est projet\u00e9e, l\u2019image vid\u00e9ographique a quelque chose d\u2019immat\u00e9riel, d\u2019impalpable, comme si rien ne la retenait plus au monde physique. Pourtant, la facult\u00e9 d\u2019\u00e9pouser toute surface rencontr\u00e9e, de se diffracter sur tout support interpos\u00e9 et de faire corps avec toute mati\u00e8re donn\u00e9e r\u00e9v\u00e8le sa vaste potentialit\u00e9 d\u2019adh\u00e9rence au r\u00e9el. Ce sont l\u00e0 autant de possibilit\u00e9s … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[9],"tags":[193],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3300"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=3300"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3300\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":3303,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3300\/revisions\/3303"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=3300"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=3300"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=3300"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}