{"id":3377,"date":"2006-09-01T18:11:34","date_gmt":"2006-09-01T18:11:34","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=3377"},"modified":"2023-02-13T18:11:46","modified_gmt":"2023-02-13T18:11:46","slug":"septembre-2006-nouvelles-technologies-et-illusion-dimmediatete","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/septembre-2006-nouvelles-technologies-et-illusion-dimmediatete\/","title":{"rendered":"Septembre 2006 – Nouvelles technologies et illusion d\u2019imm\u00e9diatet\u00e9"},"content":{"rendered":"\n
De nombreuses technologies ont pour effet ou pour but de donner l\u2019illusion qu\u2019une exp\u00e9rience m\u00e9diatis\u00e9e ne l\u2019est pas.<\/p>\n\n\n\n
Depuis l\u2019invention de la radio et du t\u00e9l\u00e9phone, les m\u00e9dias procurent, \u00e0 des degr\u00e9s variables, un sentiment de pr\u00e9sence. Auparavant, ce ph\u00e9nom\u00e8ne r\u00e9sultait plus d\u2019une cons\u00e9quence que d\u2019une intention, alors qu\u2019aujourd\u2019hui il est devenu un objectif \u00e0 atteindre. Mais l\u2019adaptabilit\u00e9 accrue des individus aux nouvelles technologies rend cet objectif difficilement atteignable du fait que les dispositifs technologiques deviennent vite obsol\u00e8tes.<\/p>\n\n\n\n
Au XXe si\u00e8cle le cin\u00e9ma fut par excellence l\u2019art des effets de pr\u00e9sence. La t\u00e9l\u00e9vision, quant \u00e0 elle, vise \u00e0 cr\u00e9er de m\u00eames effets, avec une image en haute d\u00e9finition, un son ambiophonique et des \u00e9crans surdimensionn\u00e9s. Il faut rappeler que l\u2019effet de pr\u00e9sence ressentie par les premiers t\u00e9moins du cin\u00e9ma aurait \u00e9t\u00e9 d\u2019une tr\u00e8s grande intensit\u00e9. Par comparaison, nos r\u00e9actions apparaissent plut\u00f4t mod\u00e9r\u00e9es et donnent l\u2019impression d\u2019une certaine indiff\u00e9rence. En contrepartie, si nous remontons un si\u00e8cle plut\u00f4t, aux fantasmagories d\u2019\u00c9tienne-Gaspard Robertson, les r\u00e9actions des spectateurs donnaient l\u2019impression d\u2019assister \u00e0 une sorte d\u2019hyst\u00e9rie collective.<\/p>\n\n\n\n
Le sentiment de pr\u00e9sence n\u2019est pas qu\u2019une question de dispositifs, aussi sophistiqu\u00e9s soient-ils pour leur \u00e9poque ; il est conditionn\u00e9 par des facteurs psychologiques et culturels. Pour \u00e9tayer cette affirmation, il faut d\u2019abord r\u00e9pondre, ne serait-ce que provisoirement, \u00e0 la n\u00e9cessit\u00e9 de d\u00e9finir ce que l\u2019on entend par pr\u00e9sence en tant que sentiment, effet ou illusion.<\/p>\n\n\n\n
En fran\u00e7ais, le terme \u00ab pr\u00e9sence \u00bb fut ant\u00e9rieurement employ\u00e9 en r\u00e9f\u00e9rence aux notions d\u2019espace, de temps, de puissance ou d\u2019efficacit\u00e9. \u00c0 la fin du XVIIe si\u00e8cle, apr\u00e8s Descartes, la distinction entre pr\u00e9sence corporelle et pr\u00e9sence d\u2019esprit s\u2019impose. Au XIXe si\u00e8cle, Victor Hugo d\u00e9finit la pr\u00e9sence comme \u00e9tant \u00ab le<\/em> fait de sentir comme pr\u00e9sente une personne en fait absente \u00bb<\/em>. Au XXe si\u00e8cle, au th\u00e9\u00e2tre, on emploie le terme pr\u00e9sence pour sp\u00e9cifier les qualit\u00e9s d\u2019un acteur. Le d\u00e9veloppement de la r\u00e9alit\u00e9 virtuelle et de la t\u00e9l\u00e9pr\u00e9sence lie la notion de pr\u00e9sence aux conceptions paradoxales d\u2019espace et de temps caract\u00e9ristiques de ces nouvelles disciplines. L\u2019expression \u00ab r\u00e9alit\u00e9 virtuelle \u00bb n\u2019est probablement pas la plus adapt\u00e9e puisqu\u2019il s\u2019agirait d\u2019une mauvaise traduction. Cet oxymoron, qui a pris valeur d\u2019usage et avec lequel il faut composer, n\u2019en est pas un si l\u2019on entend par l\u00e0 une, \u00ab r\u00e9alit\u00e9 vicariante \u00bb ou une \u00ab quasi-r\u00e9alit\u00e9 \u00bb. Ce serait apparemment ce que Jaron Lanier pensait quand il a forg\u00e9 l\u2019expression en 1985. On trouve une d\u00e9finition technique, r\u00e9cente et concise, de la r\u00e9alit\u00e9 virtuelle chez Fuchs (2003) qui \u00e9crit :<\/p>\n\n\n\n \u00ab La r\u00e9alit\u00e9 virtuelle est un domaine scientifique et technique exploitant l\u2019informatique et des interfaces comportementales en vue de simuler dans un monde virtuel le comportement d\u2019entit\u00e9s 3D, qui sont en interaction en temps r\u00e9el entre elles et avec un ou des utilisateurs en immersion pseudo-naturelle par l\u2019interm\u00e9diaire de canaux sensori-moteurs. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Cette d\u00e9finition en appelle plusieurs autres, mais le lecteur qui ignore ce que sont des interfaces comportementales ou ce qui est une immersion pseudo-naturelle, de m\u00eame que l\u2019existence des contraintes inh\u00e9rentes aux techniques, n\u2019est probablement pas plus \u00e9clair\u00e9 qu\u2019avant. Il est important de souligner ici que les chercheurs en r\u00e9alit\u00e9 virtuelle se basent sur la pr\u00e9sence telle qu\u2019entendue prosa\u00efquement, et non pas sur une conception d\u2019un niveau de complexit\u00e9 \u00e9quivalent \u00e0 celui en jeu dans les nouvelles technologies. En d\u2019autres mots, la notion de pr\u00e9sence reste dans un langage accessible, qui fait sens parce qu\u2019elle convoque tous les sens. Cette approche est d\u2019ailleurs conforme aux orientations scientifiques en psychologie prises au milieu du XIXe si\u00e8cle. \u00c0 partir de cette \u00e9poque, vers 1870, les pionniers de la psychologie exp\u00e9rimentale Hermann von Helmholtz et Gustav Fechner con\u00e7oivent la perception comme \u00e9tant un ph\u00e9nom\u00e8ne subjectif, moins d\u00e9termin\u00e9 par les stimuli ext\u00e9rieurs que par l\u2019anatomie et la physiologie des r\u00e9cepteurs sensoriels. C\u2019est l\u00e0 un des fondements de l\u2019instauration d\u2019un nouveau paradigme dont l\u2019origine se retrouverait chez Schopenhauer, dans son \u0153uvre ma\u00eetresse\u00a0Le Monde comme volont\u00e9 et comme repr\u00e9sentation<\/em>, parue en 1818. Plusieurs penseurs depuis la fin XIXe si\u00e8cle, notamment Nietzsche, Pierce et Wittgenstein, ont consid\u00e9r\u00e9 le sujet comme un projet, et non pas comme \u00ab un donn\u00e9 \u00bb dans un monde objectivement perceptible et compr\u00e9hensible. Le sujet est appr\u00e9hend\u00e9 comme \u00e9tant construit, non pas d\u00e9finitivement mais provisoirement, au moyen du langage et d\u2019autres syst\u00e8mes de valeurs produits socialement.<\/p>\n\n\n\n