{"id":3382,"date":"2006-09-01T18:13:21","date_gmt":"2006-09-01T18:13:21","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=3382"},"modified":"2023-02-13T18:13:32","modified_gmt":"2023-02-13T18:13:32","slug":"septembre-2006-lart-de-la-methode-furieuse-final-fantasy-et-yann-tiersen","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/septembre-2006-lart-de-la-methode-furieuse-final-fantasy-et-yann-tiersen\/","title":{"rendered":"Septembre 2006 – L’art de la m\u00e9thode furieuse : Final Fantasy et Yann Tiersen"},"content":{"rendered":"\n
Or, si forc\u00e9 que semble un tel rapprochement, il nous livre une premi\u00e8re clef : le rapport \u00e0 la tradition, qu\u2019on entendra ici, suivant la distinction rep\u00e9r\u00e9e par Heidegger entre Tradition<\/em> et \u00dcber-lieferung<\/em>, non comme r\u00e9p\u00e9tition du m\u00eame, mais comme transmission et r\u00e9interpr\u00e9tation d\u2019un h\u00e9ritage actif. Le public du M\u00e9tropolis s\u2019en est aper\u00e7u le 8 juillet : loin d\u2019\u00eatre un simple objet de conservatoire, de conservation<\/em> (pour suivre la critique heidegg\u00e9rienne du mus\u00e9e d\u00e8s lors qu\u2019il isole une \u0153uvre de son milieu de naissance), le \u00ab traditionnel \u00bb s\u2019offre \u00e0 tout un travail de m\u00e9diation, de relais dont la rencontre artistique, en l\u2019occurrence, devient le vivant sympt\u00f4me. Non que les deux musiciens aient jou\u00e9 ensemble, mais un dialogue s\u2019est naturellement tiss\u00e9 entre leurs prestations. Tra-dition, dia-logue <\/em>: le jeu des pr\u00e9positions indique bien une volont\u00e9 de travers\u00e9e, de passage, qui disqualifie d\u2019embl\u00e9e la tentation monologique d\u2019un artiste-d\u00e9miurge seul d\u00e9positaire du sens de son \u0153uvre.<\/p>\n\n\n\n Sous le nom ironique de Final Fantasy (l\u2019univers convoqu\u00e9 relevant du bricolage et du m\u00e9di\u00e9val bien plus que du cybern\u00e9tique), Owen Pallett s\u2019est livr\u00e9 \u00e0 un exercice \u00e0 la fois p\u00e9dagogique et d\u00e9routant, ludique et exasp\u00e9rant : un motif est jou\u00e9 au violon \u00e9lectrique, puis un deuxi\u00e8me motif se surimprime sur le premier qui, mont\u00e9 en boucle, sert de trame sonore. S\u2019ajoutent tour \u00e0 tour un troisi\u00e8me motif de violon, un solo, du chant, des cris, tandis que sont projet\u00e9es des vignettes \u00e9voquant tant\u00f4t les Contes de Canterbury<\/em>, tant\u00f4t les Mille et une nuits<\/em>. Owen Pallett exploite toutes les ressources de son instrument, jeu \u00e0 l\u2019archet, pizzicati, coups frapp\u00e9s sur le micro pour cr\u00e9er une trame rythmique, et ne recule pas devant la dissonance, voire le cri primal. Ainsi, ce qui pourrait passer pour une \u00e9pouvantable cacophonie aupr\u00e8s de l\u2019auditeur qui arriverait en plein morceau devient agr\u00e9able \u00e0 celui qui en a suivi l\u2019\u00e9closion, car filtr\u00e9 par tout un travail d\u2019accoutumance de l\u2019oreille. Le\u00e7on singuli\u00e8re : le plaisir musical n\u2019est pas exclusivement li\u00e9 \u00e0 un jeu calcul\u00e9 sur certaines progressions d\u2019accords d\u00e9finies \u00e0 l\u2019avance, mais peut na\u00eetre au c\u0153ur de la dissonance, pourvu que l\u2019oreille s\u2019y \u00e9duque. En cela, la musique d\u2019Owen Pallett s\u2019\u00e9loigne du rock jou\u00e9 par le Nick Cave assagi des ann\u00e9es 90 pour \u00e9voquer l\u2019expressivit\u00e9 minimaliste et grin\u00e7ante de Ligeti ou d\u2019Arvo P\u00e4rt.<\/p>\n\n\n\n Partir du rock pour aboutir \u00e0 une \u00ab tradition noble \u00bb : c\u2019est le parcours inverse que recr\u00e9e Yann Tiersen, qui propose lui aussi une sorte d\u2019\u00e9ducation acoustique, mais en allant vers la d\u00e9figuration, suivant une esth\u00e9tique \u00ab bruitiste \u00bb qui vaut pour anti-esth\u00e9tique. Un th\u00e8me connu est interpr\u00e9t\u00e9 au violon \u00e9lectrique ou \u00e0 l\u2019accord\u00e9on, et repris par la formation qui accompagne Tiersen en l\u2019infl\u00e9chissant dans une direction rock r\u00e9sum\u00e9e par les deux guitaristes : l\u2019un pose les bases rythmiques, l\u2019autre explore un territoire exp\u00e9rimental d\u00e9j\u00e0 largement d\u00e9frich\u00e9 par Sonic Youth (larsens, saturation, r\u00e9verb\u00e9ration noyant le motif m\u00e9lodique, coups frapp\u00e9s sur l\u2019instrument). Comme avec Final Fantasy, on passe peu \u00e0 peu, avec une m\u00e9thode et une intelligence furieuses<\/em>, d\u2019un motif ais\u00e9ment identifiable \u00e0 une agression sonore. La notion de dialogue prend ici tout son sens, le r\u00e9pertoire de Yann Tiersen \u00e9tant r\u00e9interpr\u00e9t\u00e9 dans le style fi\u00e9vreux d\u2019Arcade Fire. Dans les prestations des deux artistes, on songe \u00e0 un \u00e9l\u00e9ment-cl\u00e9 de l\u2019h\u00e9ritage de John Cage depuis ses pi\u00e8ces pour piano pr\u00e9par\u00e9 : l\u2019irrespect de l\u2019instrument.<\/p>\n\n\n\n Ce qui se joue ainsi, dans la fureur et le bruit, n\u2019est rien moins qu\u2019une entreprise de d\u00e9figuration de la tradition, violente et jouissive dans ce qu\u2019elle implique de s\u00e9miotisation et de d\u00e9charge pulsionnelle. On passe alors de la mesure<\/em> rythmique et m\u00e9lodique \u00e0 une d\u00e9mesure extatique, \u00e0 une ivresse qui frise le sublime ou, \u00e0 d\u00e9faut, ce que Derrida nomme \u00ab le colossal \u00bb : ce qui est presque trop grand pour toute pr\u00e9sentation. Appliqu\u00e9e \u00e0 la musique, la th\u00e8se de Derrida sur le colossal pourrait alors se d\u00e9cliner ainsi : serait \u00ab colossale \u00bb une musique presque<\/em> trop intense pour ses auditeurs, presque insupportable, \u00e9crasante, passant les cat\u00e9gories du beau et du laid et les limites de l\u2019entendement pour jouer de l\u2019absence de forme et de finalit\u00e9 ainsi que du m\u00e9lange trouble de la fascination et de la r\u00e9pulsion. Lier plaisir intellectuel du d\u00e9chiffrement et jouissance pulsionnelle du magma sonore, osciller entre construction esth\u00e9tique et mati\u00e8re en fusion, traverser les cat\u00e9gories du beau et du terrible, telle aura \u00e9t\u00e9 l\u2019entreprise commune des deux artistes. C\u2019est finalement tout le m\u00e9rite de Final Fantasy et de Yann Tiersen que d\u2019avoir invit\u00e9 le public du M\u00e9tropolis \u00e0 d\u00e9passer le motif minimal ou folklorique pour l\u2019entra\u00eener vers ce \u00ab presque trop grand \u00bb, vers ce qui exc\u00e8de la forme et la mesure dans un d\u00e9luge sonore n\u00e9 de la brutalisation de l\u2019instrument : un chaos savamment orchestr\u00e9.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Curieuse affiche que celle propos\u00e9e dans le cadre du Festival International de Jazz de Montr\u00e9al, qui rassemblait le 8 juillet\u00a0Owen Pallett, violoniste chez Arcade Fire, et\u00a0Yann Tiersen. \u00c0 part un m\u00eame instrument de pr\u00e9dilection, le violon, rien ne semble rapprocher aux yeux du grand public un membre d\u2019un groupe salu\u00e9 par une presse internationale unanime … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[9],"tags":[144],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3382"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=3382"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3382\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":3384,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3382\/revisions\/3384"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=3382"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=3382"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=3382"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}
Curieuse affiche que celle propos\u00e9e dans le cadre du Festival International de Jazz de Montr\u00e9al, qui rassemblait le 8 juillet\u00a0Owen Pallett, violoniste chez Arcade Fire, et\u00a0Yann Tiersen. \u00c0 part un m\u00eame instrument de pr\u00e9dilection, le violon, rien ne semble rapprocher aux yeux du grand public un membre d\u2019un groupe salu\u00e9 par une presse internationale unanime comme la r\u00e9v\u00e9lation rock de l\u2019ann\u00e9e 2005, r\u00e9put\u00e9 pour son lyrisme noir, fi\u00e9vreux et explosif, et le multi-instrumentiste fran\u00e7ais r\u00e9v\u00e9l\u00e9 par la musique qu\u2019il a compos\u00e9e pour\u00a0Le Fabuleux destin d\u2019Am\u00e9lie Poulain<\/em>, auquel on accole souvent l\u2019\u00e9tiquette de \u00ab\u00a0musicien n\u00e9oclassique\u00a0\u00bb en raison de ses longues ann\u00e9es de conservatoire, o\u00f9 il a m\u00eame \u00e9t\u00e9 form\u00e9 \u00e0 la direction d\u2019orchestre. Un premier pont tendu au-dessus du gouffre musical qui s\u00e9pare ces deux cultures sera sans doute constitu\u00e9 par l\u2019utilisation de motifs, de formes d\u2019\u00e9criture et d\u2019instrumentation dits \u00ab\u00a0folkloriques\u00a0\u00bb ou traditionnels, mais ce constat ne nous aidera en rien, tant il para\u00eet artificiel d\u2019unir \u00e0 si peu de frais une musique lorgnant parfois du c\u00f4t\u00e9 d\u2019Ha\u00efti et des compositions qui empruntent au genre de la valse musette, un jeu cathartique et furieux et une m\u00e9thode parfois tax\u00e9e d\u2019acad\u00e9misme.<\/p>\n\n\n\n