{"id":3619,"date":"2003-10-01T15:29:38","date_gmt":"2003-10-01T15:29:38","guid":{"rendered":"https:\/\/archee.uqam.ca\/?p=3619"},"modified":"2023-02-20T15:29:49","modified_gmt":"2023-02-20T15:29:49","slug":"octobre-2003-lire-avec-la-main","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/archee.uqam.ca\/octobre-2003-lire-avec-la-main\/","title":{"rendered":"Octobre 2003 – Lire avec la main"},"content":{"rendered":"\n
Elle n\u2019est pas impossible, comme certains voudraient le dire, pour opposer rapidement une lecture papier, qui serait la seule vraiment s\u00e9rieuse, la seule nous permettant d\u2019apprendre et de nous construire, et la non-lecture \u00e9cran, qui serait picorage, dissipation, voir m\u00eame abrutissement. On peut lire sur \u00e9cran, avec plaisir m\u00eame, pour peu qu\u2019il soit d\u2019assez bonne qualit\u00e9, on peut apprendre sur \u00e9cran, on peut jouer \u00e9galement. Les jeunes g\u00e9n\u00e9rations n\u00e9es avec le game boy<\/em> ne se posent \u00e9videmment d\u00e9j\u00e0 plus la question. Ils passent de l\u2019\u00e9cran au livre sans le moindre probl\u00e8me, et ils ne sont certainement pas moins intelligents que leurs a\u00een\u00e9s! <\/p>\n\n\n\n Ceci pos\u00e9, la lecture sur \u00e9cran mobilise s\u00fbrement d\u2019autres capacit\u00e9s intellectuelles et corporelles, et induit de nouvelles fa\u00e7ons de lire.<\/p>\n\n\n\n Ainsi les \u0153uvres multim\u00e9dia, les parcours d\u2019apprentissage sur \u00e9cran, ou bien \u00e9videmment aussi les jeux, qui tous usent du fameux lien hypertexte et qui demandent au lecteur de changer ses fa\u00e7ons, ses habitudes, ses attitudes. <\/p>\n\n\n\n Pourquoi? Qu\u2019est-ce qui a chang\u00e9? <\/p>\n\n\n\n Si la lecture sur \u00e9cran d\u2019une \u0153uvre ne comportant aucun lien hypertexte peut \u00eatre une simple transposition d\u2019une surface \u00e0 une autre, la pr\u00e9sence de ce point sur l\u2019\u00e9cran, qui fait ouvrir le curseur en une main, et que nous devons trouver avec la main, est la grande nouveaut\u00e9. <\/p>\n\n\n\n La souris en main, que l\u2019on dirige, que l\u2019on fait chercher, qui guide notre lecture, cette souris, dont l’utilisation est devenue si banale en quelques ann\u00e9es, que fait-elle, quand elle entoure les mots, les images, quand elle cherche le lien, quand elle renifle aux quatre coins de l’\u00e9cran?<\/p>\n\n\n\n Elle touche? La souris, elle, ne voit rien. Ce sont nos yeux qui voient. Elle est sur notre bureau, pr\u00e9sence famili\u00e8re, rassurante, animal de compagnie presque. Se meut dans un univers en deux dimensions. <\/p>\n\n\n\n Comme l’enfant suit les lettres avec son index, quand il commence \u00e0 lire. Le lecteur qui manipule, qui zyeute, comme s\u2019il avait un oeil au bout du doigt. Un doigt qui sort de l\u2019\u0153il. <\/p>\n\n\n\n Bien s\u00fbr, cette lecture avec la main est une n\u00e9cessit\u00e9. Sans passage de la souris, pas de lien trouv\u00e9. Ces liens qui nous relient au code-source, il nous faut bien les d\u00e9busquer, sinon nous laisserions l’ordinateur allum\u00e9 \u00ab about blank \u00bb. Ce n’est pas le moment de se demander \u00ab Pourquoi il y a quelque chose plut\u00f4t que rien \u00bb. La main veut saisir, bon sang, c’est tout de m\u00eame sa fonction.<\/p>\n\n\n\n Bien des fois, pourtant, alors que tous les liens avaient \u00e9t\u00e9 r\u00e9v\u00e9l\u00e9s sur ma page-\u00e9cran, je me suis surpris \u00e0 caresser l’image sans la moindre n\u00e9cessit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Quand j’ai un livre entre les mains, j’\u00e9prouve peu ce besoin de le parcourir avec les doigts. Une image, je la regarde frontalement, sans faire agir mon corps. Je laisse ses photons me transpercer, comme un vent qui viendrait me caresser les neurones. Je tiens le coup, pour peu que l’image soit forte, et menace de me renverser. Je r\u00e9siste. <\/p>\n\n\n\n Jamais je n’ai la tentation de la saisir, ce serait une h\u00e9r\u00e9sie. Je sais qu’elle est image, elle me le dit assez. Elle me tient \u00e0 distance, elle me dit la distance, c’est bien ainsi. Dans cette part tr\u00e8s physique du face \u00e0 face avec l\u2019image, une tr\u00e8s ancienne voie de l\u2019affrontement par regard interpos\u00e9 se fait jour. Je te provoque, tu me r\u00e9ponds, nous allons peut-\u00eatre nous empoigner. Jusqu\u2019au contact effectif, jusqu\u2019au toucher du corps, nous savons jusqu\u2019o\u00f9 aller trop loin. <\/p>\n\n\n\n L’image vue sur un \u00e9cran d’ordinateur, l’image que l’on va chercher serait-elle diff\u00e9rente, qui m’imposerait de la d\u00e9signer de la main?<\/p>\n\n\n\n Depuis longtemps, je peine \u00e0 trouver ce qui me g\u00eane – au sens o\u00f9 je ne sais pas comment en parler, je tourne autour de la formulation – dans l’image vue sur l’\u00e9cran. Est-ce son manque de mat\u00e9rialit\u00e9 qui me perturbe?<\/p>\n\n\n\n Est-ce le fait qu’elle a toutes les (mal)chances de dispara\u00eetre en m\u00eame temps de l’\u00e9cran o\u00f9 je la regarde, et de ma m\u00e9moire?<\/p>\n\n\n\n Cette image qui non seulement dit l’absence de la chose, comme toutes les images, mais qui de plus contient en elle-m\u00eame son absence future. Absence en ab\u00eeme en quelque sorte : il ne faut faire aucune confiance \u00e0 ces vermicelles de chiffres qui grouillent dans les disques durs. Ils pourraient tout aussi bien se retourner, et ne laisser qu’une trace vide. La chose absente que dit l’image num\u00e9rique est doublement absente, par ce vide sur lequel elle repose. <\/p>\n\n\n\n Pour peu qu\u2019aucune repr\u00e9sentation ne soit engag\u00e9e, et qu\u2019aucun r\u00e9f\u00e9rent connu ne la tienne dans cet \u00e9quilibre instable au-dessus du n\u00e9ant, cette image – un trait rouge, un rond bleu, une bavure violette, La lecture mains-yeux, cette caresse qui va donner ordre \u00e0 l’\u00e9cran de convoquer nos fant\u00f4mes pr\u00e9f\u00e9r\u00e9s, serait-elle sa seule chance, la seule voie par laquelle elle pourrait venir s’infiltrer en nous, venir y nicher, y faire ses preuves, y construire sa pelote.<\/p>\n\n\n\n Par tout mon corps, j’aurai parl\u00e9 aux fant\u00f4mes qui me regardent depuis l’\u00e9cran. Sinon, pourquoi rester l\u00e0, pourquoi regarder cet \u00e9cran. Si pauvre. Ce corps que l’on per\u00e7oit, mais que l’on ne peut toucher, ce corps qui passe \u00e0 travers les murs, ce corps que l’on voit, mais que l\u2019on traverse du regard. Nous voulons le palper, et notre main passe \u00e0 travers lui. Nous avons besoin d\u2019un m\u00e9diateur. <\/p>\n\n\n\n Cet objet fusel\u00e9, en plastique, qui roule sur notre table, qui fait appara\u00eetre et dispara\u00eetre les formes, on pourrait l’appeler une baguette de sourcier, un pendule, une table tournante, une boule de cristal. Un objet chamanique?<\/p>\n\n\n\n En touchant et en ne touchant pas, en guidant l’oeil, et en le trompant ind\u00e9finiment, en captant la main, et en permettant \u00e0 la main de capter, la souris ouvre \u00e0 cette nouvelle lecture. Mains-yeux. Lecture du corps, mais du corps \u00e0 l\u2019\u00e9coute de l\u2019absence, forc\u00e9ment. Mains-yeux, \u00e9cran blafard, blanc aveuglant, lecture en aveugle, lecture d’enfant, lecture d’analphab\u00e8te, lecture totale, sensuelle. Je caresse les corps, je sais aussi qu’ils ne sont pas l\u00e0, je laisse parler \u00e0 travers moi un d\u00e9sir qui n’a pas d’objet. Entre un auto\u00e9rotisme pu\u00e9ril, ou la lancinante fascination pour le vide, va savoir.<\/p>\n\n\n\n Elle me ram\u00e8ne \u00e0 l’enfance, je peux \u00e9craser un doigt plein de p\u00e2te \u00e0 modeler sur une vitre transparente, barbouiller une feuille avec de la gouache \u00e0 m\u00eame la main, \u00e0 l’adolescence il faut toucher, il faut toucher, il faut toucher. Tant\u00f4t elle encercle la chose, l’isole, voil\u00e0 on le sait la chose est l\u00e0, je l’ai nomm\u00e9e, et j’ai m\u00eame nomm\u00e9 son absence, qu’elle arr\u00eate de me casser les pieds, qu’elle me laisse ce vide \u00e9tincelant, autour.<\/p>\n\n\n\n Que l’on s’approche des fant\u00f4mes, qu’on essaie de leur taquiner l’\u00e9chine, et ils sont l\u00e0, ils nous sourient.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" La lecture sur \u00e9cran a quelques sp\u00e9cificit\u00e9s Elle n\u2019est pas impossible, comme certains voudraient le dire, pour opposer rapidement une lecture papier, qui serait la seule vraiment s\u00e9rieuse, la seule nous permettant d\u2019apprendre et de nous construire, et la non-lecture \u00e9cran, qui serait picorage, dissipation, voir m\u00eame abrutissement. 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Elle caresse?
Elle tente de saisir?
Elle regarde, elle entoure, elle fait na\u00eetre?
Ou bien essaie-t-elle encore d’isoler l’image, pour souligner le vide qui l\u2019entoure? <\/p>\n\n\n\nC’est notre main qui regarde<\/h2>\n\n\n\n
Comme certains adultes aussi, qui n’ont pas franchi d\u00e9finitivement ce gouffre entre la graphie, et sa signification dans un langage articul\u00e9.
Et comme maintenant \u00e9galement le lecteur mains\/yeux, devant un ordinateur, \u00e0 la recherche des si-bien nomm\u00e9s \u00ab liens \u00bb, lui embo\u00eete le pas.<\/p>\n\n\n\nAvais-je besoin de d\u00e9chiffrer l’image, qu’il me faille la parcourir avec la souris. Etait-ce pour indiquer \u00e0 mon oeil l’endroit exact o\u00f9 il devait regarder?<\/h2>\n\n\n\n
une strie gris\u00e2tre – que nous dira-t-elle, quelle chance aura-t-elle de s\u2019agiter dans notre petit th\u00e9\u00e2tre int\u00e9rieur?<\/p>\n\n\n\nQue la main aille \u00e0 sa rencontre, cette image en forme d\u2019absence, et la fasse surgir, et d\u00e9j\u00e0 la main l’aura vue, l’oeil l’aura touch\u00e9e<\/h2>\n\n\n\n
Lecture mains-yeux, j’y cherche comment parler de ces images<\/h2>\n\n\n\n