Conf\u00e9rence \u00e0 L\u2019ENSAD de Paris du 5 mars 2003 organis\u00e9e par le CirEN (Centre interdisciplinaire de recherches sur l\u2019esth\u00e9tique du num\u00e9rique, Universit\u00e9 Paris 8 \/ MSH Paris Nord) et Ari (Atelier de recherches interactives. ENSAD \/ Universit\u00e9 Paris 8).<\/p>\n\n\n\n
Yukiko Shikata1<\/sup> nous a propos\u00e9 une intervention en deux parties. La premi\u00e8re partie visait \u00e0 recontextualiser l\u2019environnement politico-social du Japon des dix derni\u00e8res ann\u00e9es \u2014 pr\u00e9caution n\u00e9cessaire pour comprendre les pr\u00e9occupations des artistes de cette p\u00e9riode r\u00e9cente \u2014, puis une seconde partie o\u00f9 elle nous a pr\u00e9sent\u00e9 quelques \u0153uvres paradigmatiques des mouvances actuelles du net art japonais.<\/p>\n\n\n\n Jusqu\u2019au d\u00e9but des ann\u00e9es quatre-vingt-dix le Japon r\u00e9colte les fruits d\u2019une exceptionnelle croissance \u00e9conomique qui a permis au pays d\u2019investir dans la culture et les nouvelles technologies. La situation est id\u00e9ale, mais une crise \u00e9conomique se profile d\u00e8s 1992 qui se prolonge encore aujourd\u2019hui. \u00c0 cette r\u00e9cession viendra s\u2019ajouter, en 1995, le tremblement de terre meurtrier de Kobe et l\u2019attentat au gaz sarin perp\u00e9tr\u00e9 dans le m\u00e9tro de Tokyo par la secte Aum faisant 12 morts et 5500 bless\u00e9s. Les japonais red\u00e9couvrent que la nature peut resurgir \u00e0 tout moment dans ce qu\u2019elle a de plus destructeur. Il est pour eux temps de renouer avec les traditions d\u2019\u00e9coute de la nature et de l\u2019environnement quelque peu mises de c\u00f4t\u00e9 durant les ann\u00e9es quatre-vingt. Mais c\u2019est aussi pour les japonais la d\u00e9couverte du fanatisme religieux auquel ils n\u2019\u00e9taient pas habitu\u00e9s, et qui vient troubler le l\u00e9gendaire sentiment de s\u00e9curit\u00e9 insulaire. La violence fait son entr\u00e9e dans le quotidien japonais de mani\u00e8re palpable. <\/p>\n\n\n\n Au m\u00eame moment la technologie poursuit sa miniaturisation. Les gadgets \u00e9lectroniques se multiplient (t\u00e9l\u00e9phones cellulaires, consoles de jeux, bippers<\/em>, \u2026) et deviennent omnipr\u00e9sents dans la vie citadine. Le besoin d\u2019une connexion ininterrompue s\u2019enracine et paradoxalement la masse d\u2019information est de plus en plus difficile \u00e0 archiver et ma\u00eetriser. Les modes d\u2019\u00eatre au monde sont \u00e0 r\u00e9inventer, ce qui passe, selon Yukiko Shikata, par une n\u00e9cessaire r\u00e9inscription de l\u2019individu dans ce qui l\u2019entoure et construit son quotidien : la technologie.<\/p>\n\n\n\n A cette culture vient s\u2019ajouter une culture de la rue alliant jeux vid\u00e9o, mangas, skateboards, playgrounds<\/em> et hacking<\/em>symbolisant une nouvelle mani\u00e8re de s\u2019impliquer politiquement et d\u2019\u00eatre ensemble. Les artistes japonais de la deuxi\u00e8me moiti\u00e9 des ann\u00e9es quatre-vingt-dix sont influenc\u00e9s par les jeux vid\u00e9o qui sont au centre de la culture populaire des adolescents de cette g\u00e9n\u00e9ration. Outre l\u2019attachement que l\u2019on peut avoir aux personnages intervenant dans ces cr\u00e9ations (Mario, Sonic, etc.), c\u2019est un nouveau mode de fonctionnement et un apprentissage de dialogue \u2014 notamment avec la machine (essentiellement la console de jeux et les petits gadgets comme le tamagoshi<\/em>) \u2014 qui s\u2019installe durant cette p\u00e9riode. D\u2019apr\u00e8s Yukiko Shikata, cette culture a eu un double impact sur la mani\u00e8re de vivre en influant aussi bien sur le design que sur les rapports sociaux en g\u00e9n\u00e9ral. C\u2019est sur ce terreau que s\u2019est construite la cr\u00e9ation de ceux qui ont aujourd\u2019hui entre vingt et trente ans.<\/p>\n\n\n\n Le premier exemple expos\u00e9 par Yukiko Shikata est directement issu de la culture du\u00a0hacking<\/em>\u00a0:\u00a0DISCODER<\/em>2<\/sup>\u00a0est un jeu dont le but est d\u2019intervenir de mani\u00e8re pirate sur les pages web. Ce logiciel permet de stimuler la vie interne du code HTML et de provoquer nombre de d\u00e9r\u00e8glements incontr\u00f4l\u00e9s et surprenants. Le jeu pr\u00e9sente deux modes : le\u00a0private mode<\/em>\u00a0\u2014 on joue \u00e0 partir de sites que l\u2019on choisit \u2014, et l’open mode<\/em>\u00a0\u2014 on joue \u00e0 partir d\u2019un site qui a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 modifi\u00e9 par\u00a0DISCODER<\/em>. On peut alors all\u00e8grement envahir, supprimer ou modifier localement l\u2019ensemble de la page web vis\u00e9e. Les effets de notre intervention sont visibles presque instantan\u00e9ment \u00e0 l\u2019\u00e9cran.<\/p>\n\n\n\n Concr\u00e8tement,\u00a0rgb f_cker<\/em>\u00a0propose \u00e0 l\u2019utilisateur de tracer des rectangles clignotants de couleur (rouge, vert, bleu, selon le codage informatique). Ces figures deviennent rapidement ent\u00eatantes par l\u2019effet stroboscopique \u00e9manant de l\u2019animation. Cette pi\u00e8ce fait directement r\u00e9f\u00e9rence au ph\u00e9nom\u00e8ne\u00a0Pokemon<\/em>\u00a0apparu au Japon en 1997, o\u00f9 plus de 300 personnes \u2014 dont une majorit\u00e9 d\u2019enfants \u2014 ont \u00e9t\u00e9 prises de crises d\u2019\u00e9pilepsie suite \u00e0 une utilisation excessive du c\u00e9l\u00e8bre jeu\u00a0Gameboy<\/em>. L\u2019attachement que nous \u00e9prouvons \u00e0 l\u2019intention de ces gentils monstres de poche se retourne contre nous, nous attaque pour enfin se transformer en r\u00e9elle maladie. C\u2019est ce rapport s\u00e9duction\/r\u00e9pulsion que met en \u0153uvre\u00a0rgb f_cker<\/em>.<\/p>\n\n\n\n On retrouve cette double r\u00e9f\u00e9rence aux jeux vid\u00e9o et au\u00a0hacking<\/em>\u00a0\u00e9rig\u00e9e en r\u00e9elle culture avec \u201c\u00a0S3GA<\/em>\u00a0\u201d (disponible sur le CD de l\u2019exposition\u00a0Open Mind<\/em>\u00a0et en t\u00e9l\u00e9chargement sur\u00a0http:\/\/www.mori.art.museum). Le collectif d\u2019artistes Portable[k]ommunity pr\u00e9sent\u00e9 par Yukiko Shikata, propose un logiciel qui fait \u201c bugger \u201d l\u2019affichage et le son de notre ordinateur. A la mani\u00e8re des virus informatiques, le logiciel s\u2019enclenche d\u00e8s que l\u2019on actionne une touche du clavier. Il s\u2019en suit un brouillage anarchique de l\u2019image ainsi qu\u2019une esp\u00e8ce de mixage sonore rappelant les musiques saccad\u00e9es des jeux de console\u00a0Atari<\/em>. Tout s\u2019entrem\u00eale enfin \u2014 image et larsen vid\u00e9o, son et bruit, … \u2014, en une sorte de feu d\u2019artifice num\u00e9rique inqui\u00e9tant.<\/p>\n\n\n\n Beaucoup moins belliqueux, Ryota Kuwatubo fait partie de cette g\u00e9n\u00e9ration d\u2019artistes \u00e9voluant entre arts plastiques, design et architecture. Il propose des petits gadgets interactifs sur le mod\u00e8le des\u00a0tamagoshi<\/em>.\u00a0Bitman<\/em>\u00a0\u2014 compos\u00e9 d\u2019un petit \u00e9cran quadrill\u00e9 de 20 x 20 pixels sur lequel on peut cr\u00e9er sa propre image puis l\u2019activer \u2014 est une sorte d\u2019hybride entre le bijou et le\u00a0bipper<\/em>. Avec\u00a0PLX<\/em>\u00a0il propose un jeu ressemblant formellement \u00e0\u00a0Puissance 4<\/em>. Les deux joueurs prennent place de chaque c\u00f4t\u00e9 d\u2019un \u00e9cran sur lesquels des formes identiques apparaissent. Ils voient la m\u00eame chose mais ne cr\u00e9ent pas la m\u00eame histoire \u00e0 partir de ces formes. Bien qu\u2019ils puissent communiquer entre eux, il s\u2019op\u00e8re une \u201c discommunication \u201d (selon le terme \u201c\u00a0dyscommunication\u00a0<\/em>\u201d employ\u00e9 par Yukiko Shikata), ph\u00e9nom\u00e8ne nous rappelant ce qui se passe parfois sur les chats ou les forums Internet.<\/p>\n\n\n\n Dans le prolongement de cette d\u00e9marche, le groupe d\u2019artistes\u00a0Double Negatives<\/em>\u00a0s\u2019attache \u00e0 questionner l\u2019architecture \u00e0 l\u2019\u00e8re des nouveaux m\u00e9dias, \u00e0 en red\u00e9finir les contours et les potentialit\u00e9s. Il se donne comme axe de r\u00e9flexion le questionnement des liens et des fronti\u00e8res entre l\u2019architecture et l\u2019art au sein de cette nouvelle configuration. C\u2019est anim\u00e9 par ce projet ambitieux que\u00a0PlaNet Former<\/em>\u00a0tente de rendre palpable une architecture des d\u00e9placements de donn\u00e9es sur le net. Le but du jeu est de tisser des liens URL au moyen de \u201c Former Agents \u201d \u00e0 la surface d\u2019une sph\u00e8re. Pour cette exp\u00e9rience, la 3D est mobilis\u00e9e pour rendre compte des trajectoires al\u00e9atoires des vagabondages sur le r\u00e9seau mondial repr\u00e9sent\u00e9 par une sph\u00e8re (\u201c\u00a0Planet<\/em>\u00a0\u201d). Entre\u00a0wargame<\/em>\u00a0et errance, ce programme offre au joueur une singuli\u00e8re exp\u00e9rience architecturale de l\u2019espace circoncis par Internet avec tout ce qu\u2019il comporte de surprises dues \u00e0 l\u2019interaction des utilisateurs et des machines.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Toujours pr\u00e9occup\u00e9 par des questions d\u2019architecture, Double N\u00e9gative tente le pari de proposer un espace d\u2019exp\u00e9riences sensitives et sonores inspir\u00e9 du monde virtuel. Le projet\u00a0DQPB\u00a0(Dynamic Quadruple Phonic Building<\/em>), travaille sur les possibilit\u00e9s d\u2019une structure sph\u00e9rique r\u00e9active enti\u00e8rement modulable et param\u00e9trable. Cette installation interagit en s\u2019alimentant des rapports entre les participants en ad\u00e9quation avec des stimuli sonores. Cette pi\u00e8ce est une tentative de rendre palpable quelque chose de virtuel : les sensations auditives li\u00e9es aux d\u00e9placements des corps dans l\u2019espace.<\/p>\n\n\n\n La jeune g\u00e9n\u00e9ration des artistes du net art japonais pr\u00e9sent\u00e9e lors de cette conf\u00e9rence \u00e0 l\u2019ENSAD de Paris par Yukiko Shikata, est tourn\u00e9e vers le nouveau champ de la culture ouvert par les nouvelles technologies. Si elle s\u2019empare abondamment des processus offerts par la technique, elle ne manque pas de la critiquer ou de la d\u00e9tourner comme le font nombre d\u2019artistes partout dans le monde. Apprendre \u00e0 dompter la technologie, \u00e0 y insuffler du jeu, de l\u2019impr\u00e9vu, \u00e0 l\u2019orienter politiquement, voil\u00e0 ce qui caract\u00e9rise cette cr\u00e9ation. Si, selon Yukiko Shikata, ces artistes ont en commun, avec le reste du monde, l\u2019utilisation de machines similaires, ils conservent \u2014 comme chacun de nous \u2014, une sp\u00e9cificit\u00e9 locale qui leur permet \u00e0 la fois une cr\u00e9ation singuli\u00e8re bien qu\u2019immerg\u00e9e dans la globalisation incontournable<\/p>\n\n\n\n [1] Yukiko Shikata est commissaire ind\u00e9pendante et critique d\u2019art \u00e0 Tokyo. Elle travaille en tant que commissaire associ\u00e9e au Mori Art Museum (MAM). Commissaire invit\u00e9e pour Shiseido CyGnet, elle est \u00e9galement professeur \u00e0 la Zokei University de Tokyo. Elle est membre du comit\u00e9 de programmation de EYEBEAM, New York et du conseil international de Transmediale, Berlin. Ses principales expositions et productions : Projets pour Canon ARTLAB (co-commissaire jusqu\u2019en 2001) ; Mischa Kuball \u201c Power of Codes \u2014 Space for Speech \u201d, Mus\u00e9e national de Tokyo, 1999 ; \u201c Art.bit collection \u201d, NTT-ICC, 2002 ; \u201c Kingdom of Privacy \u201d co-commissaire, 2001 ; \u201c Open Mind \u201d CD, Mori Art Museum, 2002.\u00a0 [2]\u00a0Programme cr\u00e9e par Exonemo, groupe form\u00e9 en 1996 par Kensuke Sembo et Yae Akaiwa.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Conf\u00e9rence \u00e0 L\u2019ENSAD de Paris du 5 mars 2003 organis\u00e9e par le CirEN (Centre interdisciplinaire de recherches sur l\u2019esth\u00e9tique du num\u00e9rique, Universit\u00e9 Paris 8 \/ MSH Paris Nord) et Ari (Atelier de recherches interactives. ENSAD \/ Universit\u00e9 Paris 8). Yukiko Shikata1 nous a propos\u00e9 une intervention en deux parties. La premi\u00e8re partie visait \u00e0 recontextualiser … Continued<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"footnotes":""},"categories":[37],"tags":[231],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3696"}],"collection":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=3696"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3696\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":3698,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/3696\/revisions\/3698"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=3696"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=3696"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/archee.uqam.ca\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=3696"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}Notes<\/h2>\n\n\n\n
La conf\u00e9rence s\u2019est tenue en langue anglaise.<\/p>\n\n\n\n